Que ce soit pour découvrir l’école française d’économie politique, ou pour approfondir votre connaissance de tel ou tel auteur, cette présentation générale vous sera utile. Tout en racontant l’histoire de l’école française et en listant ses principaux représentants, elle recense une très large sélection de ressources, permettant à chacun de s’enrichir de nouvelles connaissances. 

Pour une approche plus strictement bibliographique, voire la section Ressources/Bibliographie


Introduction

Comme l’a remarqué Murray Rothbard, les économistes français ont fourni une contribution majeure au développement de la théorie économique, un fait que les historiens peinent encore à reconnaître.

L’école française nait d’une double critique : des conceptions mercantilistes d’un côté ; de la situation économique de la France d’Ancien régime de l’autre.

Le mercantilisme, soutenu en France par Colbert et Montchrétien (dont le nom est aussi associé au nationalisme économique) notamment, soutient que l’enrichissement d’un pays passe nécessairement par une balance positive dans le commerce extérieur et l’amas d’or et d’argent. Son terreau est l’ignorance économique et la jalousie nationale, qui s’expriment dans le sophisme de Montaigne : « Nul ne gagne qu’un autre n’y perde. » Ses moyens sont le protectionnisme, les subsides à l’exportation et l’exploitation coloniale.

La situation économique française, des plus mauvaises à l’époque, appelle l’attention des réformateurs et des humanistes dès le milieu du XVIIe siècle. Les campagnes souffrent, l’artisanat stagne, et la population en général vit dans des conditions déplorables.

Dès le XVIIe siècle, des voix s’élèvent pour entamer la critique du protectionnisme et de l’interventionnisme, et pour défendre la liberté et le marché. C’est le cas du ministre Sully, vanté par Boisguilbert et les Physiocrates notamment pour ses réformes agricoles. Ce n’est pourtant qu’à partir de Boisguilbert et Vauban qu’une théorie économique globale est proposée.

Les fondateurs (1700-1750)

La fibre sociale de l’école française apparaît clairement chez plusieurs des fondateurs. Boisguilbert, Vauban et d’Argenson construise toute leur réflexion économique sur l’observation de la misère aiguë des Français de leur époque.

PIERRE DE BOISGUILBERT

Constatant la misère française depuis 1660, Boisguilbert lui assigne plusieurs causes : 1- la pression fiscale démesurée sur le bas peuple ; 2- les restrictions portées au commerce, notamment au commerce du blé. Dans le premier domaine, l’intervention étatique aurait du être plus attentive, pour supprimer les abus et instaurer l’égalité devant l’impôt ; dans le second, l’attention était inutile, car le commerce doit être libre. Ainsi Boisguilbert écrit : « [On a] donné trop peu d’attention à la répartition des Tailles, et trop d’attention au commerce des blés et des liqueurs, dont il fallait absolument laisser l’économie à la nature, comme partout ailleurs. » Factum de la France, chap. 4)

Les quatre grands textes de Boisguilbert ont été réédités par les éditions de l’Institut Coppet en 2014. Il s’agit dans l’ordre du Détail de la France (1695), du Factum de la France (1707), de la Dissertation sur la nature des richesses (1707) et du Traité des grains (1707). Les éditions de l’Institut Coppet ont également réédité deux études sur Boisguilbert : Félix Cadet, Pierre de Bosiguilbert : précurseur des économistes ; et Albert Talbot, Les théories économiques de Boisguilbert et leur place dans l’histoire des doctrines. Benoît Malbranque a présenté l’idée du laissez-faire de Boisguilbert dans un article de notre revue Laissons Faire. Enfin Michel Leter a donné une conférence pour l’Institut Coppet (dont l’audio peut-être téléchargé ici) sur Boisguilbert, sous le titre « Un économiste au siècle de Louis XIV »

VAUBAN

Célèbre maréchal, constructeur des places fortes et des citadelles, Vauban fut aussi, ce que nous savons moins, un économiste. Il s’intéressa au sort des masses, et proposa en 1695 dans un court mémoire puis 1707 dans son Projet de Dîme royale une réforme audacieuse de la fiscalité : remplacer les impôts existants par une taxe proportionnelle au revenu, une flat tax avant l’heure. Son projet, fondé sur quelques principes simples, inspiré de ses conversations avec Boisguilbert  et du modèle chinois en la matière, fut repoussé par ses contemporains et Vauban lui-même fut persécuté.

Outre le Projet de Dîme royale déjà cité, on a de lui divers mémoires de nature économique qui ont été compilés dans l’édition que l’Institut Coppet a fait des Écrits économiques de Vauban. Sur l’œuvre économique de Vauban on lira avec profit le petit livre de G. Michel et A. Liesse, Vauban économiste.

RICHARD CANTILLON

Très influent au XVIIIe siècle, où il inspira Quesnay, Turgot ou encore Adam Smith, l’Essai sur la nature du commerce en général (écrit vers 1730, et publié en 1755), fut oublié pendant près d’un siècle avant d’être l’objet d’une redécouverte par W. S. Jevons puis de l’admiration de l’École Autrichienne d’Économie (dont Hayek et Rothbard notamment). L’Essai, dans son ensemble, peut être interprété comme étant l’une des premières tentatives de théorie générale de l’économie. Cantillon a soin de dégager ce qu’il convient d’appeler des « lois générales de l’économie », celles qui sont dans la nature des choses, et non dans les faits particuliers de tel ou tel pays. Dans cette recherche, il introduit également plusieurs concepts centraux pour la compréhension de l’économie, comme l’entrepreneur, acteur central d’une économie de marché, ou les « effets Cantillon », qui montrent pourquoi l’inflation provoque une redistribution injuste des richesses.

Son oeuvre a reçu des appréciations diverses. F. A. Hayek a souligné les qualités de son oeuvre et en a fait un précurseur lointain de l’École autrichienne d’économie. Edmond Rouxel a vu en lui un précurseur des physiocrates. Enfin Robert Legrand a lui resitué Cantillon à mi-chemin entre le libéralisme des Physiocrates et le mercantilisme de ses prédécesseurs (Richard Cantillon : un mercantiliste précurseur des Physiocrates). Pour une présentation générale de la vie et de l’oeuvre de Cantillon, voir la conférence de Benoît Malbranque : Quand un irlandais fonde la tradition française en économie politique

 LE MARQUIS D’ARGENSON

Précurseur des Physiocrates, d’Adam Smith et des économistes classiques, auxquels il a légué la puissante maxime « laissez faire », le marquis d’Argenson reste encore méconnu et ses mérites d’économiste ne lui sont pas aujourd’hui accordés. Rendre compte de son œuvre n’est certes pas facile. D’Argenson n’est en effet l’auteur d’aucun ouvrage strictement économique, et c’est dans ses Mémoires, principalement, qu’il faut glaner ses aperçus sur l’économie. Ces aperçus, cependant, sont tous d’une grande valeur, illustrant un vrai bon sens qui manque souvent. Partisan de la liberté du commerce, critique envers les réglementations étatiques sur l’industrie et l’agriculture, le marquis d’Argenson a marqué, dans l’histoire de la pensée économique, un jalon important, initiant un mouvement libéral qui s’épanouira avec les Physiocrates et Turgot, puis, au cours du XIXe siècle, avec toute l’école française d’économie. L’Institut Coppet a réédité Le marquis d’Argenson et l’économie politique au début du XVIIIe siècle par André Alem, le seul ouvrage qui lui soit à ce jour consacré. On trouvera une présentation générale dans un article de la revue Laissons Faire, sous le titre : « Laissez faire et tout ira bien : la politique économique du marquis d’Argenson ».

VINCENT DE GOURNAY ET LE « CERCLE DE GOURNAY »

De Vincent de Gournay (1712-1759), on n’a longtemps retenu qu’une formule : « laissez faire, laissez passer », censée résumer une œuvre connue uniquement par ouï-dire. C’est que les écrits de cet économiste, très tôt perdus, ne furent découverts et publiés qu’en 1976, par le japonais Takumi Tsuda, autorisant un réexamen tardif mais nécessaire. L’étude de ces nouvelles sources force à reconnaître en Gournay l’un des pionniers du libéralisme dans notre pays et l’agent principal de son introduction dans les sphères intellectuelles et administratives de la France du siècle des Lumières. Face à une société d’Ancien régime paralysée par l’excès d’impôts, de privilèges et de règlements, Gournay a combattu pour la liberté du travail, la liberté du commerce et l’égalité devant la loi. Dans ses écrits et dans son action d’intendant du commerce, il a inauguré le procès des corporations, des privilèges et des réglementations sur l’activité économique, tout en théorisant la supériorité du travail libre et de l’initiative individuelle. Admiré de Voltaire, tenu plus tard en haute estime tant par les physiocrates que par leurs adversaires, Vincent de Gournay fut aussi le maître à penser du jeune Turgot, qui continua son œuvre et appliqua, lors de son cours passage au ministère, les plans de réforme de son mentor et ami.

L’ouvrage de référence sur Gournay est longtemps resté Vincent de Gournay par Gustave Schelle. Depuis les années 1980, de nombreuses études ont été publiées sur Gournay. Aux éditions de l’Institut Coppet, Benoît Malbranque a poursuivi cette tendance par la publication de Vincent de Gournay : l’économie politique du laissez-faire, qui suit une présentation générale de Gournay paru dans Les économistes bretons (Gournay étant originaire de Saint-Malo).

Gournay anima un cercle d’économistes connu sous le nom de cercle de Gournay. Benoît Malbranque en a retracé l’histoire dans un article de la revue Laissons Faire, après qu’Antoin Murphy ait discuté son influence sur la diffusion du savoir économique en France au milieu du XVIIIe siècle.


Les Physiocrates (1755-1789)

Première école de pensée économique au monde, la Physiocratie a aussi constitué la naissance de l’économie politique scientifique. Non contents d’avoir fourni à l’économie politique des fondements scientifiques, les Physiocrates firent aussi un effort considérable pour leur popularisation. Comme Murray Rothbard l’a rappelé, ils peuvent être tenus pour les premiers défenseurs d’une théorie économique du libre-échange.

LA PHYSIOCRATIE

L’histoire de la Physiocratie commence en 1757 avec la rencontre de deux hommes. D’un côté est François Quesnay, chirurgien devenu médecin personnel de Mme de Pompadour, la favorite de Louis XV (laquelle oeuvra beaucoup ensuite pour eux). De l’autre est le marquis de Mirabeau, père du révolutionnaire, qui s’était fait connaître avec un livre intitulé l’Ami des Hommes. Les deux hommes débattent et Mirabeau se range aux idées de Quesnay. Dès lors ils vont écrire : Quesnay produit un Tableau économique (1758) schématisant la circulation des richesses dans l’économie, et les deux publient ensemble la Théorie de l’impôt (1759). Après un silence passager, dû à la censure royale — leurs idées n’étaient pas faites pour plaire aux ministres — ils recrutent des disciples : Dupont de Nemours, Abeille, Mercier de la Rivière, Le Trosne, Baudeau. Ils forment une école : ils ont leur journal, les Éphémérides du Citoyen, et se réunissent même chaque mardi chez Mirabeau. Mais dès 1770, après quelques années de succès, leur audience s’affaiblit et ils perdent en force. Le groupe connait ses premières défections et résiste de moins en moins bien aux critiques. Leur journal ne paraît plus régulièrement. C’est la fin de la période active du mouvement, qui continuera cependant à avoir une influence jusque sous la Révolution.

Dans son livre Les économistes français du XVIIIe siècle, Léonce de Lavergne consacre un chapitre aux Physiocrates, qui permet une première immersion. Dans la revue Laissons Faire, des articles ont rappelé l’influence des Physiocrates sur la Révolution française, les qualités de leur journal, les Éphémérides du Citoyen, leur pacifisme, leur admiration pour la Chine, ainsi que leur anti-esclavagisme. Benoît Malbranque a également consacré une conférence aux Physiocrates.

FRANÇOIS QUESNAY

François Quesnay (1693-1770) est resté célèbre dans l’histoire comme le chef de file de la première école de pensée économique au monde : la Physiocratie. Installé à Versailles comme médecin personnel de Mme de Pompadour, Quesnay délaissa à l’âge de 60 ans les questions médicales pour s’intéresser à l’économie. Auteur d’articles économiques dans l’Encyclopédie, il ne tarda pas à se faire un nom sur la scène littéraire, agitant des idées novatrices et défendant le droit naturel et un libéralisme économique en rupture totale avec les institutions et les mœurs de l’Ancien Régime. Toute l’aventure de ce brillant médecin, devenu par la force de ses idées conseiller des princes et chef vénéré d’une poignée d’économistes, est racontée, dans François Quesnay : médecin de Mme de Pompadour et de Louix XV, physiocrate par Gustave Schelle, l’un des plus grands spécialistes des économistes français du siècle des Lumières. À la fin du XIXe siècle, l’économiste Yves Guyot a publié Quesnay et la physiocratie, reprenant les meilleurs écrits de Quesnay à la suite d’une longue introduction où il place Quesnay aux origines du libéralisme économique en France, ce qui est aussi la conclusion d’un article de la revue Laissons Faire.

LE MARQUIS DE MIRABEAU

Physiocrate de la première heure, bras droit de François Quesnay, le marquis de Mirabeau a été oublié et reste dans l’ombre de son fils, le tribun révolutionnaire auquel on a élevé des monuments et dédié des ponts, des places et des avenues. Après avoir acquis la célébrité avec L’Ami des Hommes (1756), Mirabeau rencontra Quesnay et se rangea à la physiocratie, dont il fut dès lors l’un des défenseurs les plus enthousiastes.

On trouvera un chapitre consacré au marquis de Mirabeau dans Les économistes français du XVIIIe siècle de Léonce de Laverne. Un podcast de l’Institut Coppet lui a également été consacré, sous le titre de « Mirabeau, un converti à la cause de la liberté ».

DUPONT DE NEMOURS

Né en 1739, Samuel-Pierre Dupont de Nemours se rapprocha des Physiocrates dès l’âge de vingt-quatre ans. Il devint l’un des proches collaborateurs de François Quesnay, qui, à la vue de son génie et de son jeune âge, plaça beaucoup d’espoirs en lui. Il fut un disciple zélé de la doctrine du parti physiocratique, l’exposant et la défendant dans de nombreux écrits, dont une feuille périodique qu’il dirigea, les Éphémérides du Citoyen. Esprit à l’intelligence profonde et facile, il a été lié à de nombreux personnages de premier plan, comme Turgot ou Jefferson. Vers la fin de sa vie, il fut poussé à l’exil et trouva le bonheur aux États-Unis, où l’un de ses fils devait fonder, avec l’assistance paternelle, la Dupont company, aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises au monde.

La meilleure source pour une première appréciation de Dupont de Nemours est le chapitre que Léonce de Lavergne lui consacre dans Les économistes français du XVIIIe siècle. Son oeuvre, dense et profonde, n’a pas fait l’objet d’une présentation générale dans la revue Laissons Faire, mais des articles ont été d’ores et déjà consacré à son opposition aux assignats pendant la Révolution française ; à sa correspondance avec Jean-Baptiste Say ; à son anti-esclavagisme vigoureux et audacieux ; enfin à ses échanges avec Jefferson sur l’éducation.

GUILLAUME-FRANÇOIS LE TROSNE

Physiocrate natif d’Orléans, Guillaume-François Le Trosne composa de nombreuses brochures pour défendre la liberté du commerce des grains, dont des Lettres sur les avantages de la liberté du commerce des grains et un opuscule intitulé La liberté du commerce des grains, toujours utile et jamais nuisible.

Auteur considéré comme mineur au sein de l’école physiocratique, malgré sa vaste connaissance des questions de droit et la qualité de sa défense du libre-échange, il a été oublié par les historiens, même après que Jérôme Mille ait cherché à le faire redécouvrir en composant une thèse sur Un physiocrate oublié : G.-F. Le Trosne. Après avoir publié une notice succincte sur sa vie et son oeuvre, l’Institut Coppet a réédité l’une de ses brochures : De l’utilité des discussions économiques, précédée d’une introduction intitulée « G.-F. Le Trosne et les vertus de la science économique ». La revue Laissons Faire contient également, en son deuxième numéro, une étude sur le traitement que fit Le Trosne de la question des vagabonds et des mendiants dans son Mémoire sur les vagabonds et les mendiants.

(Parmi les Physiocrates, on doit aussi mentionner Mercier de la Rivière, auteur de L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, et qui fut envoyé par Diderot en Russie pour servir Catherine II, comme le raconte Benoît Malbranque dans un article ; ainsi que Nicolas Baudeau, fondateur des Éphémérides du Citoyen, auquel est consacré une courte notice dans le sixième numéro de la revue Laissons Faire.)

EN MARGE DE LA PHYSIOCRATIE : TURGOT

Tout à la fois philosophe, économiste, et ministre d’État, Turgot est une personnalité d’une envergure considérable. Collaborateur de l’Encyclopédie, ami proche de Voltaire, correspondant régulier de Condorcet, membre, bien malgré lui, de la Physiocratie, Turgot brilla d’une lumière rare au sein de la sphère intellectuelle française de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Tour à tour intendant à Limoges, dans le Limousin, puis ministre sous Louis XVI, il a aussi laissé, comme administrateur, une trace incomparable.

Pour une présentation générale, on tirera profit de l’article « Turgot, une pensée française » de Damien Theillier, ainsi que de l’article consacré par Benoît Malbranque à Turgot dans la revue Laissons Faire. B. Malbranque a également donné une conférence sur Turgot pour l’Institut Coppet. L’étude de référence, à la fois courte et complète, est l’ouvrage Turgot de Léon Say, petit-fils de Jean-Baptiste Say. Plus courte encore est la brochure de Joseph Tissot, Étude sur Turgot.

Sur sa vie, nous disposons d’une source de première main avec l’ouvrage Vie de Monsieur Turgot écrit par son ami Condorcet (voir ici pour quelques extraits choisis). On trouvera des renseignements biographiques dans le Turgot de Léon Say, déjà cité, ainsi que dans le chapitre Turgot des Économistes français du XVIIIe siècle de Léonce de Lavergne. Benoît Malbranque s’est penché plus spécifiquement sur la jeunesse de Turgot dans un article de la revue Laissons Faire et sur son activité d’intendant du Limousin dans une brochure intitulée Le libéralisme à l’essai : Turgot intendant du Limousin (1761-1774). Gérard Minart s’est quant à lui intéressé au passage de Turgot au ministère, lors de cette année décisive pour le libéralisme que fut l’année 1776.

L’Institut Coppet a publié sous forme électronique l’intégralité des Oeuvres de Turgot et documents le concernant (somme de 5 volumes en format papier), et a sorti en brochure les principaux écrits de Turgot. Outre une traduction de jeunesse des Questions sur le commerce de Josiah Tucker, il s’agit du Mémoire sur les prêts d’argent (dans lequel Turgot critique la prohibition de l’usure), les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses accompagnées de notes et auxquelles on a joint une étude sur Ko et Yang, les « Chinois de Turgot », pour qui l’ouvrage fut initialement composé. On a de lui également des Lettres sur la liberté du commerce des grains, un Mémoire sur les mines et carrières, une Lettre à l’abbé de Cicé sur le papier-monnaie , une Lettre à l’abbé Terray sur la marque des fers, et enfin un Éloge de Gournay, suivi des Observations sur Gournay par Montaudoin de la Touche.

 


Les Industrialistes, les Idéologues
et le groupe de Coppet (1800-1830)

Comme le souligne bien Gérard Minart dans son article déjà cité, 1776 marque une année année décisive dans l’histoire de l’économie politique. Cette année-là, tandis que Turgot, devenu ministre, réforme l’économie française, et que Jefferson mène aux États-Unis une révolution historique, on publie à Londres les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d’Adam Smith. Quelques années plus tôt, Smith habitait en France et rencontrait les Physiocrates, discutant avec eux leurs théories respectives. En tant qu’économiste, Adam Smith se rattache donc aussi, en partie, à l’histoire de l’école française.

Sur Adam Smith, on peut se reporter à la notice biographique composée sur lui par Jean-Gustave Courcelle-Seneuil et publié en introduction de l’édition abrégée que ce dernier a donné de la Richesse des Nations. Dans la revue Laissons Faire, Benoît Malbranque s’est aussi penché sur « les traductions d’Adam Smith en français » et l’influence que leurs défauts ont eu sur le développement de la pensée économique française entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Sur Adam Smith, une référence incontournable est l’ouvrage d’Albert Delatour, Adam Smith : sa vie, ses travaux, ses doctrines.

JEAN-BAPTISTE SAY

Reconnu dès son vivant comme l’un des plus grands économistes de son siècle, Jean-Baptiste Say (1767-1832) a travaillé sur des thèmes majeurs pour la compréhension de l’économie, comme le rôle de l’entrepreneur, l’origine des crises et des cycles, la valeur et les prix.

Pour une première introduction à l’oeuvre de Jean-Baptiste Say, on peut lire « Jean-Baptiste Say, théoricien des crises et de l’action humaine » par Damien Theillier, et « Jean-Baptiste Say, un Français au panthéon des économistes » de Stéphane Mozejka. Pour une étude plus complète, l’étude L’oeuvre économique de Jean-Baptiste Say par Ernest Teilhac reste encore à ce jour une référence majeure.

L’ouvrage majeur de Say est bien entendu son Traité d’économie politique, dont la première édition date de 1803, et dont nous fournissons la 6ème édition (1841) en version électronique et bientôt en papier.

J.-B. Say fut lié de très près à tous les grands noms de la science économique de l’époque, du physiocrate Pierre-Samuel Dupont de Nemours aux auteurs anglais David Ricardo, Thomas Malthus ou Thomas Tooke. On lira donc avec beaucoup d’intérêt sa Correspondance économique, rééditée par l’Institut Coppet, où on le voit débattre, s’expliquer et essayer de convaincre. La correspondance avec Louis Say, son frère, a fait l’objet d’un article séparé dans la revue Laissons Faire, tout comme celle avec Dupont de Nemours, dans le deuxième numéro de la même revue.

Jean-Baptiste Say a beaucoup écrit, y compris sur des sujets non-économiques comme la liberté de la presse ou la morale (Olbie, ou Essai sur les moyens de réformer les moeurs d’une nation). Son influence, quant à la science économique tout du moins, fut considérable, comme l’a rappelé Damien Theillier dans « Œuvre et héritage de Jean-Baptiste Say » (Laissons Faire, 3). Say fut aux origines de l’industrialisme (voir aussi ci-dessous) et son oeuvre économique s’est diffusée partout en Europe (par exemple en Espagne) ainsi qu’aux États-Unis. Say est devenu, bien après sa mort, un auteur majeur pour l’école autrichienne, préfigurant notoirement Ludwig von Mises, qui lui rendra en le défendant contre Keynes. Plus récemment, Ron Paul s’est encore servi de l’autorité de Jean-Baptiste Say pour expliquer la crise de 2008 dans un article traduit par l’Institut Coppet.

Qui sont les industrialistes ? Il n’y a que deux moyens, dit Say, pour un gouvernement d’accroître la richesse générale : faire régner la sûreté et respecter la propriété, ou bien dépouiller les autres nations. Ce dernier système « est analogue à celui que suivent les gens qui abusent de leur pouvoir et de leur adresse pour s’enrichir. Ils ne produisent pas, ils ravissent les produits des autres ». Les disciples de Say, Charles Comte et Charles Dunoyer (sur ce dernier voir aussi cet ouvrage) développeront cette opposition qui deviendra leur arme favorite contre le despotisme. Elle sera reprise sous le nom de lutte des classes par Marx qui en modifiera le contenu. Chez Say, le prédateur est un bureaucrate, chez Marx, c’est un bourgeois. La théorie libérale de la lutte de classes a émergé pendant la période de la Restauration, De 1817 à 1819, deux jeunes intellectuels libéraux, Charles Comte et Charles Dunoyer, éditent le journal « Le Censeur Européen » ; à partir du second numéro, Augustin Thierry collabora étroitement avec eux. Le Censeur Européen élabora et diffusa une version radicale du libéralisme que Comte et Dunoyer appelaient « industrialisme ».

DESTUTT DE TRACY

Théoricien de l’Idéologie, Destutt de Tracy fut moqué par Napoléon, qui le qualifia d’idéologue, nom qui pourtant resta pour caractériser la doctrine et l’ambition de Destutt de Tracy et de ses amis comme Cabanis ou Daunou. Influencés par Condillac, les idéologistes développent une méthodologie subjectiviste et défendent une intervention minimale de l’État dans l’économie. Ces idées se retrouvent particulièrement dans le Traité d’économie politique (1823) de Destutt de Tracy, dont Henri Baudrillart a plus tard fourni une analyse très pénétrante.

Pour découvrir la pensée économique de Destutt de Tracy et des industrialistes, on peut entrer en matière avec « L’économie selon Destutt de Tracy », un article de Timothy D. Terrell traduit par l’Institut Coppet.

Destutt de Tracy fut très lié à Jefferson, qui utilisa le son Traité d’économie politique comme manuel dans son université de Virginie. On a aussi de Destutt de Tracy un commentaire critique sur L’Esprit des Lois de Montesquieu, dont nous avons diffusé quelques extraits ainsi que la recension d’Augustin Thierry.

BENJAMIN CONSTANT ET LE GROUPE DE COPPET

Le Groupe de Coppet, conduit par Madame de Staël et Benjamin Constant fut, à l’aube du XIXe siècle, le premier think tank européen consacré à l’étude de la liberté sous toutes ses formes. Ses travaux portaient sur les problèmes de la création d’un gouvernement constitutionnel limité, la question du libre-échange, l’impérialisme et le colonialisme français, l’histoire de la Révolution française et de Napoléon, la liberté d’expression, l’éducation, la culture, la montée du socialisme et l’État-providence. Pour en savoir plus sur le groupe de Coppet, nous recommandons la lecture de cet article, ainsi que l’étude de référence d’Alain Laurent : « Le Groupe de Coppet. Mythe et réalité. Staël, Constant, Sismondi ».

Membre central du Groupe de Coppet, Benjamin Constant est mieux connu comme philosophe que comme économiste. Défenseur de l’individu face à l’État, il a souligné toute la différence qu’il y avait entre le concept de liberté chez les anciens et chez les modernes. Dans son mal-nommé Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, il a défendu le laissez faire en matière d’économie, souhaitant replacer la loi à sa juste place, et s’opposant aux lourds impôts. En philosophe, en homme de lettres tout comme en économiste, il fut toujours sceptique face à l’intervention de l’État et critique des hommes politiques. Dans la droite lignée des libéraux du XVIIIe siècle et de Jean-Baptiste Say, il soutenait que « les fonctions du gouvernement sont purement négatives ».


L’école de Paris (1840-1928)

Comme l’indique Michel Leter en tête de son article de référence sur l’école de Paris, celle-ci, qui va de Frédéric Bastiat à Yves Guyot en passant par Gustave de Molinari, Charles Coquelin, Frédéric Passy ou J.-G. Courcelle-Seneuil, est l’héritière indirecte, par les Idéologues, de l’école physiocratique du XVIIIe siècle. Structurée autour d’institutions comme la Société d’économie politique et disposant d’une maison d’édition dédiée (Guillaumin), l’école de Paris va rassembler deux générations d’économistes, qui représenteront ce que David Hart appellera un âge d’or. Sur des sujets aussi divers que la monnaie, la banque, la répartition des richesses, les brevets, les cycles économiques, l’éducation, ou l’impôt, ces économistes vont fournir une contribution inestimable.

GILBERT GUILLAUMIN

Gilbert Guillaumin fut l’éditeur des économistes français de l’école de Paris et un artisan oublié de leur développement. Dès 1835, il se lance dans l’édition avec l’ambition de publier des ouvrages économiques. En 1841, il participe à la création du Journal des économistes, qu’il éditera et dont il sera le premier directeur. L’année suivante il est encore de ceux qui fondent la Société d’économie politique. Guillaumin a publié tous les grands économistes français de son époque et a édité, outre le Journal des économistes, des collections de référence : le Dictionnaire de l’économie politique (avec Charles Coquelin, 2 volumes), les Annales de la Société d’Economie Politique (16 volumes), et la Collection des principaux économistes (15 volumes). Damien Theillier a rendu justice à ce personnage central, mais oublié, de l’école française, en lui consacrant l’article « G. Guillaumin, éditeur de l’école de Paris » dans la revue Laissons Faire.

FRÉDÉRIC BASTIAT

Oublié dans son propre pays, mais célèbre aux États-Unis, Frédéric Bastiat (1801-1850) est un auteur central dans la tradition libérale française. En tant que penseur politique, il a jeté une vive lumière sur le rôle de la loi et le périmètre de l’État, anticipant avec justesse le développement de l’interventionnisme, du fonctionnarisme et du socialisme. En tant qu’économiste, poursuivant l’œuvre de son maître Jean-Baptiste Say, et axant sa réflexion sur le consommateur, comme sur tout ce que « l’on ne voit pas », Bastiat a renouvelé l’étude de phénomènes aussi importants que la valeur, l’échange, ou la concurrence. Il a aussi développé une théorie de l’harmonie sociale et économique, contribution majeure à ses yeux, devant réfuter les fondements mêmes des différents avatars du socialisme.

Pour ceux qui voudraient découvrir Frédéric Bastiat, Damien Theillier a publié une introduction en deux parties, le premier volet étudiant les apports conceptuels de Bastiat et le second exposant son influence dans l’histoire des idées. C’est dans l’optique de fournir une présentation sommaire, incitant à lire Bastiat, que P.A. Berryer a publié un article intitulé « Frédéric Bastiat, icone de l’école française d’économie ». Une étude plus longue, qui contextualise davantage le personnage et l’œuvre, sans sortir des bornes d’une étude introductive, a été fournie par Auguste Cavalier sous le titre sobre « Frédéric Bastiat, économiste (1801-1850) ». Enfin, outre le bref article « Bastiat » dans le Nouveau Dictionnaire d’économie politique, on peut se laisser guider par Florin Aftalion, qui a présenté élégamment l’auteur et ses idées dans son introduction aux Œuvres économiques de Bastiat.

L’œuvre de Bastiat, considérable malgré sa mort précoce, est rassemblée dans les Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, que l’Institut Coppet a réédité en 7 volumes. De cette masse, plusieurs publications se dégagent : La Loi, court pamphlet traduit dans des dizaines de langues et écoulé à un million d’exemplaires aux États-Unis (voir sur ce texte un résumé en cinq thèses fondamentales par Damien Theillier) ; L’Etat, d’où provient sa célèbre phrase : « L’État est la fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » ; et Ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas (disponible aussi en podcast tout comme les Sophismes économiques), qui contient la non moins célèbre histoire de la vitre cassée. On trouvera une énième illustration du « style Bastiat » dans les articles légers et humoristiques de l’éphémère journal Jacques Bonhomme, coédité par Bastiat et Molinari. Les meilleurs écrits de F. Bastiat ont été réunis dans un livre intitulé Le very best of de Frédéric Bastiat. Enfin, pour les plus curieux, David Hart a mis l’accent sur quelques écrits oubliés de Bastiat et il existe encore des inédits.

La biographie de Bastiat a été racontée par l’économiste Frédéric Passy dans une courte brochure digne d’intérêt. Parmi les épisodes de cette vie trop courte, la première rencontre de ce provincial avec les économistes parisiens de son époque, racontée par Gérard Minart, forme un moment curieux. Beaucoup d’attention doit aussi être portée à sa relation avec son modèle, Richard Cobden, dans le sillon duquel il publia Cobden et la Ligue, son premier livre. Le récit de ses derniers jours, où ses amis recueillent ses dernières paroles, fournit aussi un aperçu de ses convictions, religieuses et économiques.

Parmi les idées fondamentales de Bastiat, sa défense du mécanisme du marché, apparaît comme l’une des plus éclairantes pour notre époque de regain du socialisme et de l’interventionnisme. Sa leçon de la vitre cassée devrait aussi être enseignée aux enfants, leur permettant d’être prémunis contre les sophismes prétendant qu’une guerre permet de créer de l’emploi et autres aberrations plus subtiles des keynésiens. Bastiat en outre, nous a expliqué pourquoi nous payons de lourds impôts, pourquoi l’éducation nationale française peinerait autant, et pourquoi la sécurité sociale serait un gouffre sans fond. Contre ce qu’il appelait la spoliation légale, et que nous subissons aujourd’hui, il a défendu la propriété privée, la posant comme une institution fondamentale pour toute société. À la lumière de cette analyse, F. Bastiat a fait valoir qu’il n’existait que deux systèmes politiques, celui de la contrainte et celui de la liberté, et a passé sa vie à s’opposer aux socialistes, comme le rappelle le petit livre Frédéric Bastiat et le socialisme de son temps.

L’influence de Frédéric Bastiat sur la pensée économique de son temps a été considérable. Dès son époque, il a été reconnu comme un maître par ses pairs. Après avoir été oublié dans son propre pays, au début du XXe siècle, il a été redécouvert dans les années 1960 aux Etats-Unis. Dès lors il est devenu l’un des repères intellectuels de la droite américaine, influençant notamment Ronald Reagan. Dans le domaine de la théorie, il a été salué comme un pionnier de l’Ecole des Choix Publics mais aussi de l’Ecole Autrichienne d’Economie. Henry Hazlitt notamment en a fait l’éloge et a composé l’introduction de l’édition américaine des Sophismes économiques. Récemment, un livre pour enfant a même été publié pour enseigner les leçons de La Loi de Bastiat aux plus jeunes.

CHARLES COQUELIN

C’est surtout pour son livre Du crédit et des banques que l’on connait aujourd’hui Charles Coquelin. Dans ce livre, il prolonge l’analyse d’auteurs comme Dupont de Nemours, Saint-Aubin ou Jean-Baptiste Say, et réclame l’adoption d’un régime de parfaite concurrence pour les banques, qui leur permettrait d’émettre des billets librement en concurrence les uns avec les autres, comme cela a pu se passer en Écosse ou aux États-Unis. En cela, Coquelin représente, avec Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, le pionnier d’une réflexion théorique toujours en cours et qui divise les économistes autrichiens.

Spécialiste des banques, Charles Coquelin fut aussi très impliqué dans le mouvement de la science économique de son siècle. En 1840, il participa, avec Frédéric Bastiat, Horace Say (fils de Jean-Baptiste Say), et Gilbert Guillaumin, à la création du Journal des Économistes ; en 1848, il fut des co-auteurs de Jacques Bonhomme ; puis, en collaboration avec Guillaumin, à l’édition du Dictionnaire de l’économie politique (1854), somme magistrale du savoir économique de l’époque, pour laquelle il écrivit de nombreux articles, tels que : Banque, Capital, Circulation, Commerce, Concurrence, Crédit, Crises commerciales, Échange, Économie Politique, et Industrie. Certains débats récents, comme celui sur le travail le dimanche, nous ont permis de republier l’article Dimanche, qui traite la question avec beaucoup de hauteur. Sur la vie et l’oeuvre de Coquelin, on consultera la brochure de Nouvion : Charles Coquelin, sa vie et ses travaux.

GUSTAVE DE MOLINARI

Gustave de Molinari s’est imposé très tôt et durablement sur la scène des économistes français, et ce malgré ses origines belges. Avec Frédéric Bastiat, qu’il rencontre en 1846, il va lancer l’éphémère journal Jacques Bonhomme. Au long de sa carrière, Molinari fut l’auteur d’une petite centaine d’ouvrages et de brochures sur de nombreux sujets d’économie et de politique, dont les classiques Soirées de la rue Saint Lazare, livre auquel Damien Theillier a consacré une introduction. Un siècle après sa mort, Gustave de Molinari est devenu, avec son maître Frédéric Bastiat, l’une des principales gloires de l’école française d’économie politique, et jouit d’une notoriété remarquable chez les libertarians, les libéraux américains.

C’est surtout sa conception des gouvernements « ulcères des sociétés » devant absolument être mis en concurrence les uns avec les autres, qu’on semble avoir retenu de lui. Cette idée, il l’expose dès 1849 dans De la production de la sécurité, qui lancera un vif débat parmi les économistes français, où il apparaîtra isolé. Grand pacifiste, Molinari a aussi consacré un ouvrage majeur à prouver les raisons de la décadence de la guerre dans les sociétés capitalistes. Il a aussi débattu avec son collègue et ami Frédéric Passy sur le bienfondé de rendre l’enseignement des enfants obligatoire, les deux hommes tenant sur le sujet deux positions opposées. Parmi les autres nombreux sujets auxquels Molinari a apporté une contribution méritoire, on peut citer le protectionnisme : en plus de le repousser comme économiquement désastreux et moralement injuste, il a expliqué en quoi les mesures protectionnistes naissaient du clientélisme électoral, anticipant ainsi les développements futurs de l’École des Choix Publics.

Mort en 1912, Molinari a observé la France s’éloigner progressivement de l’idéal d’une société libre et il était assez pessimiste au seuil du XXe siècle. Malgré tout, il a continué de défendre la propriété, la liberté, la paix, et un gouvernement limité, comme il l’explique dans cet article de synthèse, dont Philippe Seigneur a fourni une version audio.

Pour en savoir plus sur Gustave de Molinari, on peut consulter le chapitre que Gaëtan Pirou lui consacre dans son livre Les doctrines économiques en France depuis 1870. Outre les titres précédemment cités, la lecture du Best of Molinari que Damien Theillier et Romain Hery avaient préparé en 2012, pour le centenaire de sa mort.

JEAN-GUSTAVE COURCELLE-SENEUIL

 

Aujourd’hui, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil est surtout connu pour avoir théorisé le Free Banking, c’est-à-dire le développement des institutions bancaires dans des conditions de marché libre et concurrentiel. Dans La Banque Libre, Courcelle-Seneuil fournit les raisons théoriques pour lesquelles il est judicieux de libéraliser entièrement l’activité bancaire, et répond aux objections des partisans du monopole.

Repris par Hayek, et débattus par les économistes autrichiens contemporains, les travaux de Courcelle-Seneuil forment un trait d’union remarquable entre l’école française passée et notre époque. En participant à l’application de ses idées au Chili, Courcelle-Seneuil a fourni la preuve que la libre concurrence, même dans le domaine bancaire, pouvait avoir des résultats heureux.

La contribution de Courcelle-Seneuil ne se résumant pas à ses travaux sur la monnaie et les banques, les éditions de l’Institut Coppet ont déjà eu l’occasion de republier sa critique du protectionnisme ainsi que sa critique du socialisme, mais aussi l’abrégé qu’il a donné de la Richesse des Nations d’Adam Smith, sa petite brochure Définition de la science sociale, et son ouvrage d’introduction au droit : Préparation à l’étude du droit : étude des principes.

FRÉDÉRIC PASSY

Frédéric Passy, né en 1822 à Paris, est l’héritier d’une grande famille où l’on avait compté notamment les deux frères Antoine Passy (1792-1873), botaniste et sous-secrétaire d’État, et Hyppolyte Passy (1793-1880), économiste, député et Ministre des Finances. Ces deux hommes, oncles de Frédéric Passy, l’aidèrent à atteindre rapidement une place enviable sur la scène littéraire parisienne. Il entra très tôt au Conseil d’État, composa des articles économiques jusqu’à devenir professeur d’économie politique à Montpellier, après quoi il mena une double carrière d’économiste et de défenseur de la paix dans de nombreuses institutions pacifiques, comme la Ligue de la Paix et de la Liberté (1867) ou la Société d’arbitrage entre les nations (1870). Auteur de dizaines d’ouvrages, Passy fut un pilier de l’économie politique libérale au tournant du XXe siècle. Sa position fut même encore plus enviable quand, en 1901, on lui attribua, ainsi qu’à Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, le premier Prix Nobel de la Paix de l’histoire.

On a de lui, aux éditions de l’Institut Coppet, des Causeries économiques d’un grand-père qui sont conçues comme une introduction à l’économie à l’usage des plus jeunes, ainsi que De l’instruction obligatoire, fruit de son débat sur l’éducation avec Gustave de Molinari. Frédéric Passy a également critiqué le papier-monnaie dans un livre très instructif réédité sous le titre Le papier-monnaie est de la fausse-monnaie. Jérôme Perrier a récemment republié un passage de Passy portant sur la solidarité et l’impôt sur les successions.

YVES GUYOT

Dernier grand représentant de la tradition française en économie politique, Yves Guyot (1843-1928) quitta dès sa prime jeunesse la Bretagne pour devenir journaliste à Paris. Il y dirigera de nombreux journaux tout au long de sa carrière, dont le Journal des Économistes pendant près de vingt ans.

Les années durant, Yves Guyot n’a jamais cessé non seulement de lutter contre le socialisme, mais aussi de combattre énergiquement toute intervention de l’Etat dans les affaires qui, par leur nature, sont du ressort de l’initiative privée. Il déploya une grande ardeur pour convaincre ses contemporains d’abandonner les sophismes économiques sur lesquels ils fondaient leurs idées politiques. De cet effort naquit deux ouvrages : Nos préjugés politiques (1872) et Les lieux communs (1873). Ce sont là deux livres qui mérite la plus grande attention, tant les préjugés et les lieux communs de l’époque où écrit Guyot ont perduré jusqu’à aujourd’hui.

Pacifiste, anticolonialiste, et grand défenseur du laissez-faire en économie, Yves Guyot fut aussi inclassable que ses prédécesseurs ; après avoir été élu au poste de député en 1885, il siégea à l’extrême-gauche. Sa haine pour le socialisme fut cependant totale, comme l’illustre son ouvrage La Tyrannie Socialiste (1893). Par deux fois rapporteur général du budget lors de son premier mandat, il fut, dès sa réélection, nommé ministre des Travaux publics. Malgré trois changements de président du Conseil, il conserva son poste jusqu’en 1892. À ce poste, il essaya d’introduire des réformes libérales, notamment sur le sujet du transport ferroviaire. Les mains liées, il n’eut pourtant que peu l’occasion d’agir. Il racontera plus tard cette expérience spéciale dans un livre : Trois ans au ministère des Travaux publics.

Les éditions de l’Institut Coppet ont réédité de lui Les tribulations de M. Faubert. L’impôt sur le revenu, un court roman sur les méfaits de l’impôt sur le revenu, où Guyot anticipe les effets de la sur-taxation (désincitation, exil fiscal, etc.), avec une précision remarquable. Outre son livre déjà cité sur Quesnay et la physiocratie, on peut aussi mentionner La morale de la concurrence, brochure dans laquelle il a fourni une défense morale du capitalisme : il montre que les individus sont « altruistes par nécessité », c’est-à-dire qu’ils se servent les uns les autres dans la seule visée de leur intérêt personnel. À côté de cette défense du marché, sa défense de l’individualisme mérite aussi une mention.

On trouvera une présentation générale de sa vie et de son œuvre dans le dernier chapitre du livre Les économistes bretons, repris dans la revue Laissons Faire sous le titre : « Guyot, un héros méconnu de la liberté ».

 


Épilogue : pourquoi la tradition française s’est-elle éteinte ?

Pour achever cette présentation générale, nous aimerions fournir quelques explications sur les causes de la fin de la tradition française aux environs de la Première guerre mondiale. Un tel phénomène n’a pu être causé que par un ensemble de causes. Les principales nous paraissent être au nombre de cinq :

1) Tout d’abord, peu avant le déclenchement du premier conflit mondial, la scène des économistes français va connaître une succession de disparitions malheureuses : Frédéric Passy meurt en 1912, tout comme Gustave de Molinari, et ils seront suivis par Paul Leroy-Beaulieu et Emile Faguet en 1916. Or ces hommes sont les deniers cadres de la seconde génération, qui s’est en partie éclipsée vers 1890 avec les morts notamment d’Henri Baudrillart, Michel Chevalier, ou Léon Say. Cette seconde génération de l’Ecole de Paris, qui avait remplacé avec talent les Bastiat, les Coquelin et les autres auteurs du milieu du siècle, n’enfantera presque aucun successeur immédiat.

2) La fin du XIXe siècle marque une montée en puissance progressive de l’étatisme, du socialisme et plus généralement de l’interventionnisme sous toutes ses formes. La Commune de Paris en 1870, la constitution à Paris de la Deuxième Internationale en 1889, ou la création de la SFIO en 1905, sont des épiphénomènes de ce développement massif des idées antilibérales et anti-économistes en France à cette époque. Restés attachés au laissez-faire, à la propriété privée et à la liberté individuelle, les économistes français vont apparaître comme les partisans d’idées démodées, en retard sur l’histoire.

3) La montée des tensions nationales partout en Europe et l’explosion de haine violente qui se matérialisa dans la Première Guerre mondiale ont anéanti l’idéal pacifiste qui était au cœur de la doctrine libérale des économistes français. Sur ce fondement, les économistes français furent traités d’idéalistes, de rêveurs.

4) La maison d’édition Guillaumin, organe de l’école française, fut gérée par les filles du fondateur Gilbert Guillaumin à partir de 1864. Elle fusionna avec l’éditeur Félix Alcan en 1910. Dès lors, l’audace éditoriale et le projet initial furent fortement transformés.

5) La mathématisation de la science économique, sévèrement critiquée par les auteurs de la tradition française, s’imposa très largement dans le monde anglo-saxon. Les économistes de l’école française furent dès lors rejetés comme non-scientifiques, quoique leur méthodologie ait pu être, quelques décennies plus tard, saluée comme la seule véritablement scientifique par les auteurs de l’École autrichienne d’économie, comme Ludwig von Mises.