La concurrence n’est toujours pas ce que l’on croit : réponse au Professeur Combe (1)

Par Colin Halard, contributeur associé à l’Institut Coppet

Dans un récent article intitulé « La concurrence n’est pas toujours ce que l’on croit », le Professeur Combe, vice-président de l’Autorité de la concurrence, a mis en évidence qu’il est bien souvent difficile d’appréhender la notion de concurrence. De fait, la définition qu’il adopte n’est pas nécessairement convaincante.

Emmanuel Combe[1], professeur d’économie affilié à ESCP Europe et vice-président de l’Autorité de la concurrence, a récemment publié dans La tribune un article intitulé « La concurrence n’est pas toujours ce que l’on croit». Ce titre, associé à la qualité de l’auteur, ne pouvait qu’éveiller l’intérêt.

En effet, vous rappelez-vous ces médecins qui, dans le Malade imaginaire, dissertent des maux d’Argan en un verbiage que Béralde décrit comme « un pompeux galimatias, [u]n spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets »[2] ? Eh bien, le style d’argumentation de ces savants docteurs n’est pas entièrement dénué de ressemblance avec celui des autorités de concurrence.

Le droit de la concurrence, matière en apparence très sophistiquée, repose en réalité sur des concepts totalement obscurs. Il en est ainsi, en premier lieu, de la notion même de concurrence. Nul ne sait dans quel sens ce concept est employé dans les procédures judiciaires ; pis, personne ne semble réellement s’en soucier.

L’on doit donc se réjouir lorsqu’un grand-prêtre de la concurrence consent à prendre la plume pour nous faire bénéficier de ses lumières et éclaircir le sens d’une notion si importante pour cette branche du droit.

Mais le lecteur croit sans doute que j’exagère. Après tout, les libéraux ne se plaisent-ils pas toujours à se plaindre, critiquer, voir le mal où il n’est pas, crier à la catastrophe, aux abus…?

Or, il est a priori grotesque d’imaginer que l’on puisse infliger des amendes gigantesques (plus d’un milliard d’euros, dans la récente affaire Intel[3]) en application d’un corps de lois appelé droit de la concurrence sans que le sens de la notion même de concurrence ne soit parfaitement limpide pour les praticiens.

Il convient donc de mentionner à titre liminaire une petite expérience réalisée il y a quelque temps par un spécialiste de la discipline. La personne en cause, un avocat, a soumis aux lecteurs de son blog la question suivante : « Qu’est-ce qu’une restriction de concurrence ? » (Oui, je sais, les notions de concurrence et de restriction de concurrence ne sont pas tout à fait identiques ; mais on admettra qu’elles sont liées bien étroitement).

La réponse ayant reçu le plus de suffrages fut « tout ce que la DG Comp [la Direction Générale en charge de la concurrence au sein de la Commission européenne] estime être une restriction de concurrence », ce qui conduisit l’auteur à émettre ce commentaire : « Etant donné que le quiz a apparemment été vu plus de 8000 fois […], nous avons la preuve que les geeks de l’antitrust qui lisent et rédigent ce blog sont incapables d’élaborer – ou ne veulent pas se donner la peine d’élaborer – une définition tenant en un paragraphe d’un concept qui est au cœur de notre discipline ! »[4].

Cela posé, revenons au papier du Professeur Combe. Hélas, petite déception, il s’avère que cet article – intitulé, faut-il le rappeler, « La concurrence n’est pas toujours ce que l’on croit » – n’a pas vraiment pour objet de développer la problématique annoncée par son titre.

En réalité, le but de l’auteur est principalement de défendre les vertus de ce qu’il appelle « la concurrence » (J’analyserai dans mes articles subséquents les arguments qu’il avance à cette fin). Ce n’est ainsi qu’aux deux tiers du papier que l’auteur entreprend de définir la notion de concurrence. Il le fait du reste en une seule phrase et sans essayer de justifier la définition proposée.

Avant de discuter la définition finalement retenue par l’auteur, disons un mot des acceptions généralement proposées. Celles-ci se rattachent à deux pôles. L’on peut définir la concurrence, d’une part, en recourant à la théorie de la concurrence pure et parfaite, et, d’autre part, en la décrivant comme la rivalité susceptible de s’exercer entre les entreprises intervenant sur un même marché[5].

Signalons tout de suite que ces deux pôles sont largement antagonistes. Le Prof. Hal Varian note en ce sens que « Pour les profanes, « concurrence » a une connotation d’intense rivalité. C’est pourquoi les étudiants sont souvent surpris que la définition de « concurrence » retenue par les économistes semble si passive : nous disons qu’un marché est parfaitement concurrentiel quand chaque firme postule que le prix de marché est indépendant de son propre volume de production »[6].

Toute la difficulté, pour le théoricien de la concurrence, consiste à trouver une définition qui, si elle était utilisée par les autorités de contrôle sans zèle excessif mais de manière cohérente, ne conduirait ni (i) à faire encourir une sanction pénale à 100 % des entrepreneurs, ni (ii) à dévaster l’économie. Ces exigences peuvent paraître élémentaires. Or, elles ne sont satisfaites par aucune des définitions généralement envisagées.

La concurrence dite pure-et-parfaite 

Examinons d’abord l’acception découlant de la théorie de la concurrence pure et parfaite (acception que le Prof. Combe n’adopte pas dans cet article). Celle-ci est bien connue. Dans ce paradigme, la concurrence est vue comme une situation dans laquelle le marché est si atomisé qu’aucune entreprise n’est individuellement en mesure d’exercer un effet sur les prix, de sorte que ces derniers s’échoueront au niveau des coûts de production marginaux.

Cependant, il est largement admis que, dans la réalité, toutes les entreprises fixent des prix supérieurs à leurs coûts marginaux. Richard Posner, après avoir énoncé que « Un monopoliste est un vendeur […] qui peut changer le prix auquel son produit se vendra sur le marché en changeant la quantité qu’il vend »[7], reconnaît ainsi que « même dans un marché hautement concurrentiel, avec beaucoup de vendeurs vendant un produit identique, chaque vendeur exercera une certaine influence sur le prix »[8]. Cette acception mène donc à la conclusion absurde que, dans le monde réel, toutes les entreprises sont des monopoles.

De surcroît, pour transformer l’économie réelle en concurrence pure et parfaite, il faudrait découper toutes les entreprises existantes en petits morceaux. Les avantages résultant des économies d’échelle étant ainsi annihilés, les coûts de production seraient si hauts que les consommateurs seraient vraisemblablement réduits à un niveau de vie misérable. La belle affaire, dans ces conditions, que les prix soient égaux aux coûts !

Cette acception ne satisfait donc pas les critères énoncés plus hauts. Certains économistes soutiennent qu’elle présente un grand intérêt du point de vue de la pure théorie (j’ai pour ma part quelques doutes), mais il est clair qu’elle n’a aucune utilité opérationnelle.

La concurrence comme processus de rivalité et de découverte : Hayek et Kirzner

Toutefois, ce n’est pas à cette définition que le Professeur Combe se réfère dans son article. L’auteur écrit en effet que :

La concurrence se définit comme un processus de rivalité entre entreprises, qui permet d’éviter le maintien ou la création de rentes injustifiées et qui simultanément récompense les plus méritants, en leur octroyant un surprofit temporaire.

Les lecteurs de Hayek et Kirzner doivent jubiler. L’analyse de la concurrence comme un processus de rivalité (et de découverte) est au cœur de la pensée de ces deux représentants majeurs de l’école autrichienne. Mais faudrait-il pour autant en conclure que le vice-président de l’Autorité de la concurrence (et l’Autorité avec lui) seraient devenus autrichiens ? Nenni.

Tout d’abord, la définition avancée ici par le Professeur Combe n’est pas réellement utilisée dans les contentieux[9]. En fait, dans la pratique, la notion de concurrence est employée sans que son sens ne soit défini. Par ailleurs, la Commission européenne fait simultanément allusion, dans ses diverses lignes directrices, aux deux conceptions antagonistes[10]. Il en résulte une incroyable cacophonie.

Mais laissons-là le droit positif. Demandons-nous seulement s’il serait opportun de consacrer cette acception. A première vue, celle-ci est extrêmement satisfaisante. Sans être parfaite, elle semble adéquatement capturer l’essence du phénomène étudié. De fait, des économistes aussi éminents que Hayek et Kirzner ne l’ont-ils pas employée ?

A mon sens, cette acception est effectivement pertinente pour un usage descriptif. En revanche, s’il fallait l’employer dans le cadre normatif du droit de la concurrence (je doute fortement que cela ait été l’intention de Hayek et Kirzner), elle serait catastrophique.

A cet égard, il convient de rappeler que, du point de vue juridique, la concurrence n’est pas seulement un droit ; c’est avant tout un devoir[11]. Des entreprises privées peuvent être condamnées à payer une amende, leurs dirigeants jetés en prison, pour ne pas avoir voulu se concurrencer, ou pour ne pas s’être concurrencées avec suffisamment d’intensité. Or, est-il concevable de forcer des entreprises à rivaliser ?

Rivaliser, essayer de croître aux dépens des concurrents, chercher à les éliminer, est un composant essentiel d’une véritable économie de marché. Mais cela doit rester une liberté, et non devenir une obligation. En effet, la coopération est aussi importante que la compétition, et, au moins dans les économies libérales, il appartient aux entreprises, et non à des planificateurs centraux, de choisir l’équilibre adéquat entre ces deux méthodes d’action. Il serait donc inadéquat, en matière juridique, d’assimiler la concurrence à la rivalité.

Cette idée a été parfaitement exprimée par Frank Easterbrook, l’un des juges d’appel les plus cités des États-Unis :

Il n’y pas d’équilibre « correct » entre les transactions internes et externes. Il y a seulement un équilibre en constant déplacement, variant de firme à firme, de produit à produit, et de date en date, au fur et à mesure que se modifient les coûts respectifs des opérations internes et des opérations sur le marché. Si tous les montages économiques entraînent une dose importante de coopération, comment une autorité de concurrence pourrait-elle procéder ? A moins que l’autorité ne connaisse l’équilibre « correct » entre concurrence et coopération dans chaque marché, elle ne saura pas dans quelle direction aller […]. Une partie de la difficulté en antitrust provient de l’ambiguïté de ce que nous entendons par concurrence. L’antitrust vise à préserver la concurrence comme instrument permettant de créer de l’efficacité économique. Cependant […] la concurrence ne peut être définie comme l’état de rivalité maximale, puisque ce serait un mot d’ordre de désintégration[12].

Les implications de cette conception normative sont littéralement vertigineuses. Comme le soulignait énergiquement un autre magistrat américain, le regretté Robert Bork,

Notre société est fondée sur l’élimination de la rivalité, puisque cela est nécessaire à toute intégration ou toute coordination d’efforts économiques productifs et à la spécialisation de l’effort. Aucune firme, aucune société, aucune unité économique contenant plus d’une personne ne pourrait exister sans l’élimination de certains rapports de rivalité entre les gens. Prise sérieusement, [une telle conception] serait […] une prescription pour l’atomisation complète de la société. Une telle politique est impensable, bien-sûr, puisqu’elle conduirait non seulement à une pauvreté abjecte mais encore à la mort par inanition de millions de personnes. Nous pouvons postuler que le droit de la concurrence n’a pas vocation à placer les États-Unis dans une situation économique pire que celle du Bangladesh. Par conséquent, aussi longtemps que nous continuerons à assigner comme mission à l’antitrust la préservation de la concurrence, nous devrons être en garde contre l’identification (facile mais analytiquement désastreuse) de la concurrence avec la rivalité[13].

On pourrait néanmoins rétorquer que toute restriction de concurrence n’est pas nécessairement illégale. L’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne instaure en son paragraphe 1er une simple présomption d’illégalité. Or, le 3ème paragraphe de cet article prévoit une possibilité d’exemption. Pour en bénéficier, les entreprises doivent démontrer que les comportements qui leur sont reprochés ont pour effet de contribuer au progrès économique. C’est sur elles que repose la charge de la preuve.

Néanmoins, cette exemption n’est quasiment jamais accordée. De fait, personne – ni juge, ni bureaucrate, ni économiste, ni même les entreprises – n’est capable de déterminer objectivement si une pratique est ou non de nature à générer des gains nets d’efficacité. Une telle question, qui relève de la pure spéculation intellectuelle, ne peut raisonnablement être débattue dans un prétoire[14]. La croyance contraire résulte d’une « pretence of knowledge » et révèle une « fatal conceit » (on aura reconnu les expressions chères à Hayek).

En définitive, si les autorités de concurrence n’ont pas encore anéanti l’économie, c’est parce qu’elles ne prennent pas réellement leurs propres théories au sérieux. Elles suspendent une épée de Damoclès au-dessus de chaque entreprise, mais elles ne poursuivent qu’une infime partie des comportements qui, théoriquement, pourraient être punissables[15]. En d’autres termes, nous sommes sauvés par leur inconséquence.

Or, comme le notait encore Robert Bork, « Que le principe n’ait pas été mené à sa conclusion logique ne le rend pas intellectuellement plus respectable et ne l’empêche pas de semer le chaos partout où il est appliqué »[16].

La concurrence comme liberté ou absence de traitement de faveur par l’État selon Murray Rothbard

C’est pourquoi, si l’on veut trouver une définition normative satisfaisante de la notion de concurrence, il faut abandonner Hayek et Kirzner et se tourner vers Murray Rothbard.

Celui-ci se référait parfois expressément à la notion hayékienne de « concurrence-rivalité »[17]. Cependant, pour formuler ses recommandations normatives, il préférait s’appuyer sur les travaux des grands juristes anglais des XVIIème et XVIIIème siècles, et définir simplement le monopole (l’absence de concurrence) comme l’octroi de droits exclusifs par l’Etat[18] (« concurrence-liberté »). Mais, pourrait-on objecter, si le droit de la concurrence ne permet plus de maltraiter les entreprises privées, à quoi sert-il ?

Pour conclure sur ce point, je pense avoir démontré que l’acception du terme « concurrence » que le Professeur Combe emploie dans son article n’est absolument pas adaptée à un usage normatif. Cependant, dans l’univers juridique parallèle où évolue le droit de la concurrence, il y a bien peu de chances que cette critique, serait-elle entendue, suscite une quelconque réaction. Il est même permis de penser que l’obscurité est entretenue à dessein. « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens », n’est-ce pas ?

Au demeurant, le Tribunal de l’Union européenne a clairement laissé entendre, dans un récent arrêt Microsoft, qu’il ne se considérait plus lié par les exigences étriquées de l’État de droit :

[L]’utilisation des concepts juridiques indéterminés au sein d’une disposition n’empêche pas l’établissement de la responsabilité du contrevenant. Comme le souligne la Commission, s’il n’en était pas ainsi, une violation des articles 101 ou 102 TFUE, rédigés eux-mêmes à l’aide de concepts juridiques indéterminés, tels que la distorsion de la concurrence ou l’« abus » d’une position dominante, ne pourrait donner lieu à une amende avant l’adoption d’une décision préalable établissant l’infraction[19].

A suivre…

[1]     J’ai adressé une copie du présent article au Professeur Combe afin de recueillir ses commentaires. Il a émis une critique qui ne m’a pas paru justifiée. Afin de préserver la confidentialité d’une correspondance privée (la discussion ayant pris fin un peu brusquement, je n’ai pas été en mesure de demander au Professeur Combe la permission de citer les termes de sa réponse), je m’abstiendrai toutefois d’en divulguer le contenu. En revanche, j’invite instamment M. Combe à reprendre la discussion dans la section « commentaires » du présent billet ou à publier un nouvel article (que, si besoin est, l’Institut Coppet se fera sans doute un plaisir de diffuser) afin de défendre ou préciser ses analyses. 

[2]     Le malade imaginaire, acte III, scène 3.

[3]     Arrêt du Tribunal de l’Union européenne, 12 juin 2014, affaire T?286/09, Intel.

[4]     Alfonso Lamadrid, « The ultimate competition law quiz », Chillin’Competition, 20 septembre 2013 – 7 octobre 2013, lien. (Ma traduction.)

[5]     Il est aussi fréquemment fait référence à la notion de « concurrence praticable » (workable competition). Cependant, c’est là botter en touche : comme le note l’OCDE, « Aucun consensus ne s’est établi sur ce en quoi consiste la concurrence praticable, mais tous les organes qui administrent le droit de la concurrence emploient en pratique une version ou une autre de ce concept » (OECD, Glossary of Statistical Terms, « Workable Competition », lien). (Ma traduction.)

[6]     Hal R. Varian, Intermediate Microeconomics, W. W. Norton & Company, 2010, p. 396. (Ma traduction.)

[7]     Richard Posner, Antitrust Law, The University of Chicago Press, 2001, p. 9. (Ma traduction.)

[8]     Idem, pp. 9-10. (Ma traduction.)

[9]     Il aurait d’ailleurs été très opportun que le Professeur Combe cite, afin de justifier son affirmation, les décisions de justice, documents officiels et ouvrages de doctrine qui auraient recours à cette définition.

[10]    Prenons par exemple les Lignes directrices sur les restrictions verticales de 2010. Au paragraphe 127 de ce document, les fonctionnaires de la Commission paraissent assimiler la concurrence à la rivalité entre entreprises. Ils semblent en outre la distinguer des effets sur l’efficacité économique. Ils énoncent en effet que « L’accord vertical ne peut pas éliminer la concurrence effective, en supprimant l’ensemble ou l’essentiel des sources existantes de concurrence réelle ou potentielle. La rivalité entre entreprises est un moteur essentiel de l’efficience économique, notamment par des gains d’efficience dynamiques sous forme d’innovations. En son absence, l’entreprise dominante ne sera pas suffisamment incitée à continuer de réaliser des gains d’efficience et à les répercuter. En l’absence de concurrence résiduelle et de menace prévisible de nouvelle entrée sur le marché, la protection de la rivalité et du jeu de la concurrence prime sur les gains d’efficience possibles ». Or, au paragraphe 102 de ce même document, la Commission écrit au contraire que « Pour que des accords verticaux restreignent la concurrence par leur effet, ils doivent affecter la concurrence réelle ou potentielle dans une mesure telle que l’on puisse s’attendre, avec un degré de probabilité raisonnable, à des effets négatifs sur les prix, la production, l’innovation ou la variété et la qualité des biens et des services sur le marché en cause ». Si un accord anticoncurrentiel se définit comme celui qui restreint la concurrence de telle manière (ou à un tel degré) que des effets négatifs sur les prix en résulteront, qu’est-ce que la concurrence elle-même ? Est-ce la rivalité ? Dans ce cas-là, il faudrait soutenir qu’un accord qui restreint la rivalité sans produire d’effets négatifs sur les prix n’est pas restrictif de concurrence, ce qui serait contradictoire. L’on pourrait alors songer à définir la concurrence comme la dose de rivalité qui maximise l’efficacité/le bien-être. Mais dans cette hypothèse, le deuxième élément de la définition énoncée au paragraphe 102 serait redondant. La position de la Commission est donc contradictoire, presque schizophrénique.

[11]    C’est une simplification que de parler de « devoir » de (se) concurrencer. En effet, d’une part, ce « devoir » est en principe soumis à certaines conditions pour exister. D’autre part, le droit de la concurrence instaure certaines interdictions de (se) concurrencer (lesquelles sont parfois décrites comme une interdiction de porter atteinte à une « situation de concurrence effective »). Par « devoir » de (se) concurrencer, j’entends donc, plus largement, toutes les formes que prend le pouvoir des autorités de concurrence d’enfreindre les droits de propriété des entreprises et de leur imposer sous peine de sanction la façon dont elles doivent se comporter.

[12]    Frank H. Easterbrook, The Limits of Antitrust, Texas Law Review, Volume 63, Number 1, août 1984, pp. 2 et 13. (Ma traduction.)

[13]    Robert Bork, The Antitrust Paradox – A Policy at War with Itself, The Free Press, 1993, p. 58. (Ma traduction.)

[14]    Comme le note le Professeur Nemo à propos d’une autre branche du droit qui soulève des problèmes similaires (à savoir, l’arsenal anti-discrimination), « N’ayant pas de critères proprement juridiques et rationnels pour juger les affaires qu’on leur soumet, [les juges] ne peuvent juger selon la démarche d’expertise qu’on attend d’eux et ne peuvent se prononcer, on l’a dit, que selon leurs préférences idéologiques. En effet, trancher la question de savoir si [une telle pratique] est de nature à causer un mal à une catégorie sociale, alors qu’il n’y a aucune façon d’établir rationnellement et de façon documentée l’existence d’un tel lien causal, cela supposerait au moins que le juge ait de hautes compétences en sciences sociales, qu’il soit par exemple un profond sociologue, un économiste émérite, un éminent historien, un philosophe génial, un moraliste accompli. Même dans cette hypothèse, il ne pourrait donner qu’un avis d’intellectuel, qui n’aurait de valeur qu’indicative, alors que le droit pénal a besoin de preuves » (Philippe Nemo, La régression intellectuelle de la France, Texquis, 2011, p. 62).

[15]    Deux techniques sont utilisées pour ce faire. Soit les autorités de régulation font simplement usage de la prérogative qui leur est reconnue de décider de l’opportunité des poursuites. Soit elles prennent des « règlements d’exemption par catégorie », lesquels prévoient que le bénéfice de l’exemption est accordé de manière générale (i.e., sans que les conditions aient à en être vérifiées au cas par cas) à toute une catégorie d’accords.

[16]    Robert Bork, The Antitrust Paradox, précité, p. 165. (Ma traduction.)

[17]    V. Murray Rothbard, Power and Market, in Man, Economy, and State, Ludwig von Mises Institute, 2009, p. 1118. Pour étayer son affirmation selon laquelle « [La concurrence] est un processus par lequel les entreprises et les individus offrent des biens sur le marché sans recourir à la force », l’auteur renvoie en note de bas de page à un ouvrage de Hayek (« F.A. Hayek, Individualism and Economic Order (Chicago: University of Chicago Press, 1948), chap. V »).

[18]    V. Murray Rothbard, Man, Economy, and State, précité, p. 669.

[19]    Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne, 27 juin 2012, affaire T?167/08, Microsoft, paragraphe 91. Cité dans Nicolas Petit, Droit européen de la concurrence, Montchrestien, 2013, p. 271.

9 Réponses

  1. Benjamin

    Bonjour,

    Vos articles sont toujours aussi passionnants et source d’inspiration. Dommage de voir un tel refus de discuter sur le fond de la part de notre autorité de la concurrence.
    Je ne suis pas juriste mais dans mon métier, le critère de la part de marché dépassant ou non les 50% semble revenir constamment. Ce critère doit bien sûr s’accompagner de la définition du “marché”, désigné d’ailleurs sous le terme de “marché pertinent”. Par exemple la France, mais pourrait être également “les grandes villes de plus N logements” versus le reste de la France, cette définition géographique se recoupe avec une 2° définition de marchés reposant sur les différentes technologies utilisées par les entreprises en concurrence (ex : marché des mobiles versus marché du fixe dans les télécoms).
    Ce critère me semble reprendre ce qui est évoqué par F Hayek, à savoir que l’état doit agir comme pour le code de la route : des lois stables, et une intervention uniquement en cas (par exemple) de dépassement de vitesse. En bref, si aucun acteur ne dépasse les 50 % de part de marché, ceux-ci restent libre de “jouer” comme ils veulent (on parle alors de “régulation symétrique”) , l’état n’intervenant que si un acteur dépasse les 50 %, devenant alors dominant on bascule alors en “régulation asymétrique” où ce dominant se trouve soumis à des règles particulières destinées à garantir qu’il n’abusera pas de sa position.
    Ce système qui semble relativement de bon sens et propre à développer globalement l’économie en évitant les interventions désordonnées et intempestives d’un état, n’est pas évoqué ici ?
    Cordialement

    Répondre
  2. Colin

    Bonjour,

    Je vous remercie pour votre commentaire.

    Je n’ai pas évoqué dans mon billet le « système » que vous mentionnez, parce que, à ma connaissance, personne ne prône de définir la concurrence par référence à un critère de part de marché.

    Néanmoins, ce type de critère est employé pour une question proche, celle de la caractérisation d’une « position dominante ».

    Votre question est donc intéressante, et, pour y répondre, je voudrais développer deux arguments.

    1° Tout d’abord, la condition de « stabilité » de la règle (la « sécurité juridique ») est nécessaire mais non suffisante. Par exemple, si l’Etat décidait d’interdire de dépasser 20 km/h sur autoroute, l’on aurait bien une règle stable. Serait-elle opportune pour autant ? Certainement pas.

    De la même façon, même à supposer que le critère de la part de marché de 50% soit « objectif », la légitimité des « règles particulières » que l’Etat déciderait d’appliquer aux entreprises dépassant ce seuil ne serait pas ipso facto justifiée.

    Ainsi, une règle qui interdirait aux entreprises d’aller au-delà de 60 % des parts de marché serait certainement nuisible.

    Vous suggérez par ailleurs de mettre en oeuvre « des règles particulières destinées à garantir [que l’entreprise dominante] n’abusera pas de sa position ».

    Il y a là un double postulat : (i) qu’une entreprise ne disposant pas de prérogatives de puissance publique pourrait « abuser » de sa position et (ii) que le régulateur pourrait effectivement concevoir et appliquer des règles permettant de prévenir les « abus ».

    Selon moi, ces deux postulats sont erronés.

    Une entreprise ne peut « abuser » de sa position sans s’engager dans des comportements qui sont déjà prohibés par le droit commun (violence, dol). La raison en est que, dans toute transaction commerciale, les parties estiment ex ante pouvoir bénéficier de l’opération.

    Par ailleurs, et cela va à l’encontre du second postulat, l’Etat est totalement incapable de concevoir des « règles » pour « fine-tuner » le marché.

    Les commandements formulés par le droit de la concurrence contemporain ne peuvent s’analyser comme des règles, puisqu’ils sont dépourvus de généralité et d’abstraction ; en réalité, le droit de la concurrence équivaut peu ou prou à donner carte blanche à des bureaucrates pour sanctionner des entreprises selon leur fantaisie.

    2° En tout état de cause, le critère des 50 % de parts de marché n’a rien d’objectif. Ainsi que vous le signalez à juste titre, avant de calculer des parts de marché, il faut déterminer le marché pertinent. Or, les frontières d’un marché pertinent sont extrêmement subjectives. (V. ci-après).

    Il n’y a pas de comparaison possible entre une limite de vitesse et un seuil de parts de marché : alors que la première peut être mesurée scientifiquement à l’aide de radars, le second relève essentiellement de la fantaisie des juges.

    Au demeurant, les limitations de vitesse sont elles-mêmes une exception au droit commun. La règle normale est de laisser les individus se comporter comme ils l’entendent et de les sanctionner seulement quand ils portent atteinte à l’intégrité corporelle ou aux droits de propriété des tiers.

    Je me permets à cet égard de vous renvoyer à ce que j’ai écrit ailleurs sur cette question (voir le ) :

    //aquoisertledroitdelaconcurrence.wordpress.com/2014/10/01/la-concurrence-dans-la-distribution-les-regles-et-le-juge-reponse-a-mme-irene-luc/

    Colin

    Répondre
    • Benjamin

      Bonjour,

      Je précise que je ne suis pas juriste, mais de profil “business man” qui, confronté à ces questions, tente de comprendre le “pourquoi” des multiples règles ou normes que les pouvoirs publics nous imposent…
      Vous soulignez que la sécurité juridique, venant de la stabilité des règles est nécessaire mais non suffisante. Nous sommes d’accord, mais le vécu est que cette stabilité n’existe pas, bien au contraire… la seule vertu de la règle des 50% (idiote à priori nous en sommes d’accord) serait au moins d’avoir une règle compréhensible, claire et stable. Mais comme je le disais (et vous de même), on tombe immédiatement dans l’hyper-complexité de la définition du marché concerné dit “pertinent” et par conséquent… dans l’instabilité permanente.
      Cela pour deux raisons : les évolutions naturelles des marchés de plus en plus rapides (produits ou services concernés, surtout dans les secteurs technologiques… mais quel secteur n’est pas “technologique” aujourd’hui ?) d’une part, et d’autre part dans l’évolution des acteurs de ces marchés dans un monde, qu’on le veuille ou non, ouvert et mondial.
      Un exemple : Microsoft est donné comme très au-delà de 50% de part de marché sur les systèmes d’exploitations. Oui mais il y a quelques années, les tablettes et surtout smartphones sont apparus, et là Microsoft est un acteur marginal. De quel marché parle-t-on alors en matière de système d’exploitation ? D’autant plus que la frontière entre PC, tablette et smartphone devient de plus en plus floue et mouvante… Faut-il embaucher une armée de fonctionnaire pour redéfinir sans cesse ces marchés et essayer de définir des parts de marchés supposées ? Faut-il embaucher des philosophes pour résoudre la question (philosophique)de ce qu’est un smartphone versus un PC ?
      Dernier point très important :
      1) quelle unité de compte utiliser pour définir les % de parts de marchés ? Il souvent d’usage de voir nos régulateurs utiliser des nombres de PC (oui mais un smartphone ressemble de plus en plus fonctionnellement à un PC, et à l’inverse les PC comporte maintenant souvent une carte SIM 4G… enfin on voit des tablettes avec clavier détachable… qui seront PC à un moment et tablette à un autre… ou encore des smartphone de grande taille ressemblant furieusement à une petite tablette…);
      2) ils peuvent utiliser des euros ou dollars (oui mais quelle est la quote-part du prix (prix ou coûts d’ailleurs ???) du système d’exploitation Windows dans un PC ? d’Androïd (gratuit qui plus est !) dans un smartphone ?). Même avec une armée de fonctionnaires très intelligents toutes ces questions deviennent inextricables… et au mieux inutiles mais le plus souvent nuisibles car arbitraires : on est bien dans le “donner carte blanche à des bureaucrates pour sanctionner des entreprises selon leur fantaisie”.
      On rejoint ici F Hayek sur la question de l’hyper-complexité de l’économie et la présomption fatale (ici des régulateurs), et également L Von Bertalanffy (Autrichien ayant lui-aussi fuit les nazis, ils se connaissaient bien) sur la “Variété Requise” (définie mathématiquement depuis la Théorie de l’Information avec Shannon et Kolmogorov par le nombre d’états différents que peut prendre un système). Dans mon exemple :
      – quel système (à découper arbitrairement dans le monde réel) prendre en compte ? = quel marché pertinent ?
      – Comment mesurer la “Variété Requise” (et surtout la piloter… ce qui suppose en passant que le pilote ait lui-même une “Variété Requise” alias capacité de traitement/d’intelligence supérieure) = comment compter les % de parts de marchés et avec quelle unité de compte et par quelle armée de fonctionnaires qui même très intelligents ne le pourront pas…
      Problème : nos régulateurs sont souvent des cartésiens scientiste (à nouveau refer Hayek et Von Bertalanffy) pour qui le monde est intrinsèquement simple, et que l’on peut découper en petites parties séparées sans problème.
      Nous sommes donc je pense d’accord.
      Au plaisir de vous lire !

      Répondre
      • Colin

        Bonjour,

        1° Je pense effectivement que nous sommes dans une très large mesure d’accord.

        Le désaccord résiduel tient à ce que, en raison votre « profil ‘business man’ », vous tenez pour acquise la régulation sectorielle qui vous concerne, et que vous vous demandez : étant donné qu’elle existe, comment l’améliorer ? ou, plus exactement, comment la rendre moins nocive ?

        De votre point de vue, la fixation de seuils de parts de marché constituerait une amélioration relative qui, quelque limitée qu’elle soit, est toujours bonne à prendre.

        A l’inverse, comme je ne travaille pas dans un secteur technologique particulier, je ne vois pas la régulation comme un fait inaltérable. Ma critique est « externe ». Mon but est donc de déterminer si la régulation est ou non justifiée.

        Comme la fixation de seuils de parts de marché me semble n’apporter qu’une sécurité insignifiante et insuffisante, j’en déduis que les minimas syndicaux de l’Etat de droit ne sont pas satisfaits, et j’en conclus que la régulation devrait être abolie.

        Cela dit, les deux types de critiques (externes et internes) ne s’excluent pas mutuellement. Il est possible de prôner l’abrogation du dispositif réglementaire, et, à titre subsidiaire, de préconiser l’instauration de seuils de parts de marché, même si l’on sait que les mérites de cet outil sont très limités.

        Il me semble néanmoins – et c’est là un autre point de désaccord résiduel – que, bien que vous voyiez les seuils de marché comme des outils très imparfaits, vous continuez tout de même à surestimer leur utilité.

        A mes yeux, sauf à s’arrêter à la surface des choses, les seuils de marché n’ont même pas la vertu de constituer « une règle compréhensible, claire et stable ». A vrai dire, un de leurs vices est de procurer au public un faux sentiment de sécurité et d’objectivité.

        2° Les parts de marché sont généralement calculées en chiffre d’affaires et non en volume, ce qui doit effectivement poser des problèmes quand une partie des substituts sont gratuits. Je ne sais pas quelle est la « solution » utilisée en pratique dans ce genre de situation.

        L’imputation d’une quote-part du prix constitue également une question épineuse. Dans ses lignes directrices sur les accords de coopération commerciale (je ne sais pas si les mêmes principes s’appliquent à la réglementation spécifique de votre secteur), la Commission européenne écrit (à l’égard des coopérations en matière de R&D) que « Si la R&D concerne un important composant d’un produit final, le marché en cause pour l’appréciation sera non seulement le marché de ce composant, mais également le marché du produit final existant. À titre d’exemple, si des constructeurs automobiles coopèrent pour la R&D d’un nouveau type de moteur, le marché automobile peut se trouver affecté par cette coopération. Cependant, le marché des produits finals n’est un marché en cause aux fins de l’appréciation que si le composant visé par ces efforts de R&D est techniquement ou économiquement un composant essentiel de ces produits finals et si les parties à l’accord de R&D détiennent un pouvoir de marché pour ce qui est des produits finals » (§ 115) et que « Dans le cas des marchés de technologies, une façon de procéder consiste à calculer les parts de marché sur la base de la part de chaque technologie dans les redevances totales provenant de concessions de licences, qui représente la part d’une technologie sur un marché où différentes technologies concurrentes sont concédées sous licence. Cette façon de procéder peut toutefois se révéler purement théorique et très peu pratique [sic !], en raison de l’absence d’informations claires sur les redevances, du recours à des licences croisées exemptes de redevance, etc. Une autre approche consiste à calculer les parts détenues sur le marché de technologies sur la base des ventes de produits ou de services comportant la technologie concédée sous licence sur les marchés de produits situés en aval. Avec cette approche, toutes les ventes sur le marché de produits en cause sont prises en considération, que le produit comporte ou non une technologie concédée sous licence » (§ 125).

        3° Vous semblez penser que les juristes comprendraient mieux que vous les tenants et aboutissants des régulations imposées par les pouvoirs publics. Si je peux vous assurer (ou peut-être vous effrayer…), les juristes ne comprennent absolument rien à ces choses-là … Même au plus haut niveau, le degré d’ignorance est affolant.

        En fait, il y a deux genres de juristes (et, d’ailleurs, d’économistes) : ceux qui ne comprennent pas et en sont conscients, et ceux qui ne comprennent pas mais croient comprendre. L’on pourrait dire d’eux ce qu’un personnage de Molière disait des médecins de son temps : « [I]l y en a parmi eux, qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire, dont ils profitent, et d’autres qui en profitent sans y être ».

        4° Vous vous êtes référé à Hayek à plusieurs reprises. Hayek est pour moi une source d’inspiration extrêmement fertile. Il émet quantité d’idées géniales ; je le cite d’ailleurs très souvent dans mes billets. L’idée de « présomption fatale », que vous mentionnez, est une clé pour comprendre le monde d’hier comme d’aujourd’hui.

        Néanmoins, Hayek a aussi ses faiblesses ; c’est pour ça que je lui préfère (et de loin) Ludwig von Mises. Le premier manque de cohérence. Par exemple, je suppose que vous savez qu’il n’était pas opposé à toute forme de droit de la concurrence. Or, cette position est (entre autres) fort difficilement compatible avec l’importance primordiale qu’il accorde par ailleurs aux principes de la rule of law.

        Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande la lecture de l’article d’Ellen Frankel Paul intitulé « Hayek on Monopoly and Antitrust in the Crucible of United States v. Microsoft » (lien : //www.law.nyu.edu/sites/default/files/ECM_PRO_060889.pdf).

        Cordialement,
        Colin

  3. Benjamin

    Bonjour,
    Encore merci pour vos réponse… même si à l’évidence vos compétences juridiques dépassent de très loin les miennes.
    Sur votre point 1 :
    Rassurez-vous je ne défends pas l’approche de la régulation par les 50%… pas plus qu’un naufragé ne défendra la planche en bois à laquelle il s’agrippe, ledit naufragé préférant sans aucun doute se retrouver au sec sur la terre ferme plutôt que balloté par la toute-puissance de vagues d’une eau glacée. Je traduis : les 50% de parts de marchés sont une apparence de planche de salut devant la toute-puissance de régulateurs qui ont le pouvoir d’infliger des pénalités énormes aux entrepreneurs. Mais, comme on l’a vu cette planche part en morceaux sur la question de la définition des marchés pertinents, car il y a quantités d’exemples possibles où l’on s’aperçoit que cette définition est impossible et donc relève de l’arbitraire et est instable. Notamment, il assez étonnant d’observer cette instabilité se manifester au gré des faits divers, des déclarations politiques ou des campagnes de presses lancées par tel ou tel lobby ou autres manifestations ou encore tel effet de mode… On arrive alors à des modifications de ces définitions sans aucune base logique, ce qui était logique une année ne l’étant plus la suivante sans qu’il soit possible d’observer de réelles évolutions des conditions entre acteurs… On peut même observer de véritables refus de justifier tel ou tel définition, le régulateur ayant de toutes manières raison.
    Je ne me demande donc pas comment l’améliorer ou la rendre moins nocive… mais plutôt comment y survivre, comment continuer à investir dans une instabilité permanente, arbitraire et illogique.
    Le lien que vous donnez : //aquoisertledroitdelaconcurrence.wordpress.com/2014/10/01/la-concurrence-dans-la-distribution-les-regles-et-le-juge-reponse-a-mme-irene-luc/ fourni un bel exemple sur la taille des producteurs qui, on le voit bien, relève de la pétition de principe (favoriser les petits producteurs) mais sans savoir finalement pourquoi, sans analyse ou justification économique. Ainsi (je cite) : « ainsi de réorganiser au moins une partie de la société sur la base du statut plutôt que du contrat, n’a pas de contenu intellectuel discernable. […] il faut une sensibilité extrêmement peu sophistiquée pour percevoir le distributeur comme si oppressé que les tribunaux auraient à réécrire le contrat pour lui. Bien-sûr que le distributeur, comme tout le monde, voudrait gagner davantage. Mais cette question doit être réglée par la négociation, pas par une action fondée sur le droit de la concurrence. ».
    Or certaines industries ont besoin de producteurs de grande taille pour assurer des productions industrielles et faire baisser les coûts, à l’inverse d’autres industries peuvent avoir besoin de petits producteurs spécialisés dans une série de productions à faibles quantités. Or on voit souvent des politiques décréter arbitrairement que « petit = innovant » par exemple (sans connaître rien au secteur dont il parle, en mode présomption fatale) alors qu’il est possible dans certaines activités de voir des PME disparaître dans l’incapacité de s’adapter/innover et à l’inverse de grande entreprises être les seules capables d’investir dans la R&D…. ou bien l’inverse selon les moments et/ou les secteurs. Bref, ne serait-il pas mieux de laisser lesdits secteurs s’auto-organiser (retour à la systémique et au concept d’auto-organisation spontanée) ?
    Sur votre point 2 : « Cette façon de procéder peut toutefois se révéler purement théorique et très peu pratique [sic !] » résume bien je pense le propos !
    Sur votre point 3 : vraiment très inquiétant ! Mais je suis d’accord que lorsque l’on voit se qui sort d’un « règlement de différent » entre deux entreprises auprès de l’ADLC, on sent que finalement un tout autre jugement aurait pu en sortir. Les juristes de chaque entreprise ayant eu chacun d’excellents arguments pour démontrer la justesse de leur cause.
    Sur votre point 4 : j’ai en effet beaucoup lu Hayek (après bien d’autres lectures dont Bertalanffy, Popper, H.A. Simon avec la très instructive rationalité limitée, Von Foerster, etc…), mes lectures de Von Mises sont partielles mais en priorité haute. Il m’avait semblé aussi que Hayek avait changé d’opinion au cours du temps sur certains sujets, mais n’est pas la rançon probable des idées géniales ? Je vais m’empresser de lire le pdf que vous avez mis !
    Bien cordialement.

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