En 2002, Paul Krugman appelait à une bulle immobilière. En 2009, quand l’éclatement de cette bulle a créé une crise, il était un peu embêté. Il essayait de noyer le poisson en disant : Krugman a créé la bulle, Krugman est responsable du scandale Enron, etc. En fait, l’important n’est pas Krugman. L’essentiel, c’est que, comme le souligne Daniel J. Sanchez, ce sont les principes keynésiens de relance par la dépense qui ont conduit à une bulle, et à la crise. Et que ce sont ces mêmes principes qui sont appliqués pour, soi-disant, nous sortir d’une crise qu’ils ont causée.
Daniel J. Sanchez est éditeur du site Mises.org et directeur de la Mises Academy. Il est sur Facebook. Pour lui envoyer un message. Lire ses articles. Commenter son blog.
En 2009, Lew Rockwell a mis en ligne cette citation de Paul Krugman dans un éditorial paru en 2002 dans le New York Times :
Pour combattre cette récession la Fed a besoin d’une hausse importante des dépenses des foyers pour compenser la défaillance de l’investissement privé. [Ainsi] Alan Greenspan a besoin de créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq. (Krugman, 2002, appelant à une bulle immobilière)
[Ndt : le début des années 2000 avait vu exploser la bulle de la High Tech]
Qui plus est, en appelant explicitement à une nouvelle bulle, il anticipait de 6 ans « l’annonce » hilarante de The Onion « qu’une demande en faveur d’une nouvelle bulle pour les investisseurs était apparue depuis quelques mois, depuis que la bulle des prêts hypothécaires subprime avait éclaté et laissé le monde des affaires orphelin d’une bonne source de revenus factices ». Sauf que Krugman était sérieux.
La citation circulait dans la blogosphère, à tel point que Krugman y a réellement répondu sur son blog du New York Times :
Les gars, relisez encore une fois. Ce n’était pas une préconisation politique, c’était juste une analyse économique. Ce que j’ai dit c’était que le seul moyen pour la Fed de donner une impulsion serait de créer une bulle immobilière. Et c’est juste ce qui s’est passé.
Ainsi, d’un habile petit pas de deux, Krugman se décrit lui-même comme un docteur qui donne un bon diagnostic mais pas la désastreuse prescription. L’un de ses semblables a publié sur son blog que dire que Krugman a défendu ou causé la bulle immobilière était comme « dire que Nostradamus avait causé l’émergence du fascisme en Europe ».
Même l’économiste Arnold King s’est contorsionné pour interpréter l’éditorial sous un jour anodin :
Il n’était pas en train d’argumenter gaiement en faveur d’une bulle immobilière, mais il disait plutôt sombrement que la seule façon qu’il pouvait apercevoir une sortie de la récession serait qu’une telle bulle apparaisse.
Mark Thorton sur Mises.org poursuit avec une dévastatrice collection de citations de Krugman en 2001 qui documente de façon limpide son soutien à la stimulation d’une bulle immobilière. Le plus accablant dans cette collection est cette interview en 2001 par Lou Dobbs :
Entre-temps, la politique économique devrait encourager d’autres dépenses pour compenser la chute des investissements dans le monde des affaires. Des taux d’intérêt bas, qui favorisent les dépenses dans l’immobilier et d’autres biens durables, sont la principale réponse. [Les italiques sont de l’auteur]
Comment quiconque peut croire qu’il s’agit là de pures spéculations académiques, et non d’une recommandation politique pour artificiellement provoquer des dépenses immobilières ?
Ignorons les autres citations un moment, et jugeons juste d’après l’éditorial de 2002 : est-ce que Krugman soutient ou non le gonflement d’une bulle immobilière ? Tenant compte du fait que, même dans son blog quand il se défend lui-même, il affirme explicitement son opinion que « le seul moyen pour la Fed de donner une impulsion serait de créer une bulle immobilière », il y a seulement deux possibilités :
- Il ne soutenait pas le fait de provoquer une bulle immobilière, et il voulait que la Fed ne combatte pas la récession.
- Ils soutenait le fait de provoquer une bulle immobilière.
Quiconque quelque peu familier de l’attitude de Krugman envers l’activisme de la Fed devrait savoir que la proposition n°1, que Krugman soutenait une politique d’inaction, est absurde. Ainsi, et spécialement après avoir rapporté les différentes citations rassemblées par Mark Thorton, le verdict penche sans appel en faveur de la proposition n° 2.
Et que penser de ses protestations, basées sur un effet de style et l’emphase, destinées à noyer le poisson, selon lesquelles il n’a pas causé la bulle immobilière, encore moins le scandale Enron ou l’assassinat de Kennedy ? Le personnage évite volontairement le point d’achoppement. Ce qui est accablant dans ces citations, ce n’est pas qu’il ait nécessairement causé quoi que ce soit. Ce qui est dévastateur à propos de celles-ci c’est qu’elles exposent la banqueroute intellectuelle de ses principes économiques. Ceux qui le regardent comme un sage en économie devraient réaliser que les principes néo-keynésiens qui l’ont conduit à préconiser aujourd’hui des baisses de taux d’intérêt agressives, et d’énormes dépenses publiques, sont les mêmes principes qui l’ont conduit à préconiser une bulle immobilière à l’époque. Donc les conclusions et les prescriptions politiques qu’il en déduit sont tout simplement aussi complètement erronées aujourd’hui qu’elles l’étaient alors.

Paul Krugman
Le premier éditorial de Krugman peut être déformé, sous une forme de contorsion intellectuelle, si on le veut bien, en quelque chose qui semble bénin. La seconde vague de citations est plus difficile à déformer (ce qui ne veut pas dire que les plus fervents dévots de Krugman ne s’y essaient pas). La tactique la plus désinvolte des apologistes de Krugman est de se référer uniquement au plus déformable des éditoriaux, celui de 2002, et d’ignorer complètement les citations de 2001. Mais, même cette approche, si elle est acceptée, n’aide pas Krugman, car l’éditorial de 2002 est suffisamment accablant par lui-même, une fois qu’il a été démontré que les interprétations bénignes des apologistes de Krugman sont un non-sens.
Une des critiques exposées est que cette citation présentée plus haut omet le contexte, qui montre que Krugman citait « simplement » quelqu’un d’autre :
Pour combattre cette récession la Fed a besoin d’une hausse importante des dépenses des foyers pour compenser la défaillance de l’investissement privé. [Ainsi] Alan Greenspan a besoin de créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq.
La dernière phrase citée en entier :
Et pour faire cela, comme l’a établi Paul McCulley de Pimco, Alan Greenspan a besoin de créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq.
« Citation détournée de manière partisane » dénoncent les apologistes. Mais pointons le projecteur un peu plus loin, et ajoutons encore plus de contexte en incluant la totalité du paragraphe, et celui qui le précède :
Il y a quelques mois, une large majorité des économistes du monde des affaires se gaussaient des inquiétudes à propos d’une rechute, un « double dip », un second épisode de récession. Mais il y avait une poignée d’économistes résolument iconoclastes parmi eux, dont le plus notable est Stephen Roach de Morgan Stanley. Comme je l’ai dit et répété dans ces colonnes, les arguments de ceux qui crient à une rechute, un double dip, font largement sens. Et leur histoire paraît maintenant plus plausible que jamais.
Le point essentiel est que la récession de 2001 n’était pas une chute typique de la période d’après guerre, quand la Fed augmentait les taux d’intérêt et qui s’interrompait par une simple rapide reprise de l’immobilier et des dépenses de consommation quand la Fed baissait à nouveau les taux d’intérêt. Ici c’est une récession d’avant guerre, un réveil difficile provoqué par une exubérance irrationnelle. Pour combattre cette récession la Fed a besoin d’une hausse importante des dépenses des foyers pour compenser la défaillance de l’investissement privé. Et pour faire cela, comme l’a établi Paul McCulley de Pimco, Alan Greenspan a besoin de créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq. [Les italiques sont de l’auteur]
Ainsi le premier paragraphe introduit les « iconoclastes de la rechute (du double dip) » et établit clairement que lui, Krugman, est d’accord avec eux. Le second paragraphe souligne alors le « point essentiel » de ceux qui penchent en faveur d’une rechute, avec lequel il est d’accord, encore une fois. Et ce point essentiel en question est que « pour combattre cette récession la Fed a besoin d’une hausse importante des dépenses des foyers. »
Krugman poursuit alors en disant comment la Fed devrait nécessairement atteindre son but, moyen qu’il approuve à nouveau ; il dit qu’il est nécessaire de combattre la récession par l’augmentation des dépenses des foyers, qu’Alan Greenspan a besoin d’impulser en créant une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq. En écrivant, « comme l’a établi Paul McCulley de Pimco », Krugman n’est pas en train de citer quelqu’un d’autre, il utilise les termes d’une autre personne pour exprimer sa propre opinion.
Une autre protestation est que Krugman avait dit que la bulle immobilière ne marcherait pas, puisque plus tard dans l’éditorial il a écrit :
À en juger par un récent témoignage remarquablement enjoué de M. Greenspan, il pense encore qu’il peut réussir. Mais la boule de cristal du président de la Fed s’est obscurcie dernièrement ; rappelons comment il pressait le Congrès de baisser les impôts pour éviter le risque d’un excédent budgétaire excessif ? Et un regard sérieux aux derniers chiffres n’est pas encourageant.
Mais cette protestation ignore complètement le fait que lorsque Krugman a écrit dans cet éditorial,
En dépit des mauvaises nouvelles, la plupart des commentateurs, comme M. Greenspan, restent optimistes.
et
Mais, à part comme un vœu pieu, je ne peux seulement pas comprendre les motifs de cet optimisme. Qui, exactement, est sur le point de dépenser plus ? [Les italiques sont de l’auteur]
Il était clairement en train de caractériser une bulle immobilière comme un objet de désir, qu’il pense que ce soit possible ou non. En d’autres mots, au mieux, Krugman peut être interprété comme disant que ce serait une grande chose que Greenspan réussisse à créer une bulle immobilière, mais que lui, Krugman, doute qu’il soit capable de réussir cette prouesse digne de valeur.
Ainsi il devrait être clair que l’initiative par la Fed d’une bulle immobilière dans le but de provoquer « une hausse importante des dépenses des foyers » était pour Krugman une situation optimale, qu’il ait pensé ou non que cela soit faisable à l’époque. Étant donné les conséquences que la bulle immobilière a finalement entraîné, cela devrait être suffisant pour faire en sorte que le public cesse d’écouter ce type.

La Réserve fédérale, la banque centrale américaine
Une autre question est : comment voyait-il la Fed provoquer une situation optimale ? Il a répondu lui même à cette question dans une interview en 2002 avec Lou Dobbs (Qui peut être trouvée ici) :
Des taux d’intérêt bas, qui encouragent les dépenses immobilières et d’autres biens durables, sont la principale réponse.[Les italiques sont de l’auteur]
Ce qui nous amène au point clef que tous les apologistes de Krugman ignorent de façon flagrante : à savoir qu’il serait surprenant qu’un authentique économiste keynésien comme Krugman (il a écrit de manière extensive sur ce qu’il a appelé « la grandeur de Keynes ») ne défende pas une bulle immobilière pour remplacer la bulle internet, puisque cela cadrerait parfaitement avec la doctrine keynésienne. En tant que keynésien, Krugman devait vouloir des taux d’intérêt plus bas (il le voulait réellement, comme il l’a révélé dans les précédentes citations). Pour citer Keynes lui-même :
Le remède au boom n’est donc pas la hausse mais la baisse du taux de l’intérêt ! Car il se peut que cette dernière permette à l’état qu’on nomme « boom » de durer. Le vrai remède au cycle économique ne consiste pas à supprimer les booms et à maintenir en permanence une semi-dépression, mais à supprimer les dépressions et à maintenir en permanence une situation voisine du boom. (Théorie Générale, p. 322 ; les italiques sont de l’auteur, mais le point d’exclamation est de Keynes lui-même.)
Pour rester conforme à ses principes keynésiens, Krugman se devait de bien accueillir la bulle immobilière, puisque selon lui :
- c’était un bon moyen de réussir à provoquer sa tant souhaitée « hausse importante des dépenses des foyers », et
- c’était le résultat probable de la prescription keynésienne des taux d’intérêt bas.
Maintenant jetons un coup d’œil sur quelques preuves encore plus directement accablantes du caractère pro-bulle de l’économie selon Krugman. Plus haut, j’ai souligné que dans un éditorial de 2001, il était implicitement en accord avec l’appel facétieux de The Onion en faveur d’une nouvelle bulle pour remplacer l’ancienne. Dans un brillant commentaire laissé sur le propre blog de Krugman (que vous pouvez encore lire), un certain « M Ingelmo » révèle qu’en 2009, Krugman était explicitement d’accord avec l’article de The Onion.
M. Krugman,
Je ne sais pas si vous étiez aussi sur la butte herbeuse, mais vous étiez certainement en Espagne en mars, discutant avec le plus fervent de vos admirateurs, le Premier ministre M. Zapatero, et interviewé par la télévision publique espagnole.
Puisque de nos jours une vidéo a plus de poids qu’un millier de mots, permettez moi de vous citer en disant : « les gars, regardez par vous-même ». Le programme traite d’un autre sujet, l’innovation, et il est en espagnol (désolé), donc allez directement au passage de 35 secondes, 2 minutes et 50 secondes après le début de la vidéo. Sous la traduction espagnole, je suis sûr que vous serez capable d’entendre les paroles originales en anglais. Tout à fait éclairant :
« Pour être honnête, une nouvelle bulle aujourd’hui nous aiderait beaucoup même si nous la paierons plus tard. C’est vraiment le bon moment pour une bulle…
Il y avait un titre dans un journal satirique aux États-Unis l’été dernier qui disait : « La nation exige une nouvelle bulle dans laquelle investir ». Et c’est tout à fait vrai. »
//www.rtve.es/mediateca/videos/20090502/innovar-para-salir-crisis-informe-semanal/495712.shtml
Pas une préconisation politique ? Juste une analyse économique ? C’est ainsi que cela sera considéré par tous vos défenseurs et commentateurs ici ? Personnellement, j’adore les mots « nous la paierons plus tard » ; sommes nous en train de payer aujourd’hui pour la précédente bulle, préconisée en 2002, ou peut-être pas encore assez, M. Krugman ?
Si les États suivent ce qui, de votre part, « n’est-pas-une-préconisation-politique-juste-une-analyse-économique » (ce qui semble au moins certain avec le nôtre), quand finalement cette nouvelle bulle ainsi créée éclatera et que nous serons « en train de payer pour elle » dans quelques années, qu’écrirez-vous dans votre blog alors, M. Krugman ? »
Mais peut-être que la principale leçon à tirer de tout cela, qui est implicite dans les citations de Krugman, est qu’un gros doigt accusateur est pointé directement (et à juste titre) sur la Réserve fédérale. Krugman lui-même mettrait en cause d’autres facteurs pour expliquer la crise actuelle. Mais si :
- comme n’importe qui sain d’esprit le reconnaîtra avec du recul, la bulle immobilière a été désastreuse pour l’économie,
- comme Krugman lui-même l’a établi, la Fed peut provoquer une telle bulle en baissant les taux d’intérêt, et
- comme le montrent les statistiques publiques, la Fed a drastiquement baissé les taux d’intérêt durant la période qui a précédé la bulle immobilière, et pendant la bulle elle-même.
Alors, compte tenu de quelques principes économiques en voie de disparition, Krugman a en fait raison : il devrait accuser la Fed de la crise actuelle.
Vu comment tournent les choses, les apologistes de Krugman ne devraient pas demander plus de contexte pour ses célèbres citations, puisque cela ne sert qu’à mettre encore plus en lumière combien sont rétrogrades ses doctrines économiques et ses prescriptions.

