Lettre de Dupont de Nemours à Nicolas Baudeau, 12 mars 1776

Malgré la présence de Turgot au ministère, l’année 1776 est, paradoxalement, une période de tensions et de crises permanentes pour le camp des physiocrates et de leurs affiliés. Quesnay mort, Abeille marchant son propre chemin, restent encore le marquis de Mirabeau, les abbés Baudeau et Roubaud, Dupont de Nemours, Lemercier de la Rivière, et de nombreux adeptes de second rang. Mais la nomination de Turgot, au lieu d’être une consécration et l’arrivée au pouvoir d’une école de pensée toute entière, fait des étincelles : Lemercier de la Rivière, dont les compétences étaient réelles, s’aigrit de s’être vu voler le poste ; Mirabeau signale que Turgot, par son caractère et sa maladresse (« un vrai casse-col », dit-il), n’est pas l’homme de la situation et il prévoit des désastres qui rejailliront sur le parti physiocratique. Dupont de Nemours seul est appelé aux côtés du ministre ; les autres sont de vieilles amitiés disgraciées. Nicolas Baudeau commet lui de multiples maladresses qui apparaissent comme des infidélités, et qui amènent Dupont à lui écrire la lettre inédite qui suit.

À qui revient le pouvoir de faire les lois ?

Pour répondre à la question de qui doit faire les lois, il est important de remarquer, rappelle Dupont de Nemours dans un écrit de 1789, que si on parle de lois contraires aux droits fondamentaux de l’homme, alors à proprement parler personne n’a le droit de les faire, et ce pouvoir ne peut être délégué à quiconque. « Dans l'origine des sociétés, écrit-il, les hommes ont eu des principes plus sûrs et des idées plus justes, que nous ne le croyons communément. Ils n'ont point dit LÉGISFAITEUR, ce qui aurait indiqué le pouvoir de faire arbitrairement des lois ; ils ont dit LÉGISLATEUR, porteur de loi, ce qui détermine que celui qui est chargé de cette fonction respectable, n'a d'autre droit que de prendre la loi dans le dépôt immense de la nature, de la justice et de la raison, où elle était toute faite, et de la porter, de l'élever, de la présenter au peuple. »

Correspondance physiocratique choisie (1767-1776)

Dans cette correspondance exceptionnelle et inédite, Pierre-Samuel Dupont (de Nemours) discute avec quelques-uns des principaux représentants de l’école physiocratique, Lemercier de la Rivière, Nicolas Baudeau, Louis-Paul Abeille, sur une période qui couvre près d’une décennie. De l’enthousiasme du voyage en Russie de Lemercier de la Rivière aux discordes internes, des opérations du ministère de Turgot à la stratégie de défense des idées de liberté en France, c’est toute la vie du mouvement physiocratique qui est éclairée d’une nouvelle lumière par ces documents.

Lettres à Karl Fredrik Scheffer

Dans cette correspondance inédite, Dupont de Nemours revient notamment sur l’activité, souvent vive, mais parfois aussi atone, de l’école physiocratique, en proie aux difficultés, faisant face à la censure et aux préjugés. Le bras droit de Turgot au ministère n’a pas longtemps l’occasion de remplir ses lettres d’enthousiasme. Très vite la réalité de la mise en retrait, du succès des opinions contraires, retrouve place dans ses lettres. Honnête et perspicace, Dupont offre un tableau précieux du développement de la pensée économique libérale autour des années 1760-1770.

Sur l’esclavage des noirs

En 1771, le physiocrate Dupont (de Nemours) profite de la circonstance d’une réédition d’un livre de Jean-François de Saint-Lambert, où il est question de l’esclavage des noirs, pour offrir aux lecteurs des Éphémérides du Citoyenune large critique argumentée de cette institution barbare et anti-économique. Après avoir cité très largement les critiques morales de Saint-Lambert sur l’esclavage, Dupont se livre à une analyse économique, pour prouver que l’esclavage est, non seulement une abominable injustice, mais aussi un procédé coûteux, qu’on remplacerait avantageusement par l’emploi d’une main-d’œuvre libre.

La sagesse de Marc-Aurèle

Quoique les physiocrates aient d’habitude peu goûté les manières violentes, emportées et barbares des anciens Romains, Dupont de Nemours marque dans cette recension son admiration devant les nobles pensées de l’empereur-philosophe Marc-Aurèle. Son livre, qu’il estime et qu’il connaît depuis longtemps, et que pour l’occasion il assure avoir relu avec plaisir cinq à six fois, représente une base philosophique et morale sur laquelle les physiocrates eux-mêmes doivent aujourd’hui construire, pour dépasser cet héritage sublime.

De la meilleure manière de délibérer et de voter dans une grande assemblée

Lorsque la première agitation révolutionnaire eût débouché sur l’organisation d’une assemblée nationale, les hommes qui avaient défendu la liberté dans l’abstraction et les théories étaient forcés de prendre un tour pratique et de faire œuvre désormais de législateurs. Dupont de Nemours y participa par ses propositions, comme celle-ci, toute technique, mais de grande conséquence, sur la manière de délibérer et voter. Car il est conscient qu’un système de discussion défectueux, où ceux qui n’ont rien à dire sont tout de même sommés de prendre la parole à tour de rôle sur chaque sujet, ou même une organisation maladroite de l’espace, comme une assemblée où certains ne peuvent être vus ou entendus, auraient des conséquences les plus graves.

L’enfance et la jeunesse de Dupont de Nemours racontées par lui-même

Sentant sa vie en danger, Dupont de Nemours rédigea ses Mémoires au milieu de la furie révolutionnaire. Un siècle plus tard, le texte fut imprimé par ses descendants, sans être mis dans le commerce. Voici aujourd'hui le texte intégral de ce document rare et très précieux, publié à partir du seul exemplaire connu qui ait subsisté en France.