La mode physiocratique au XVIIIe siècle, par M. de Vaublanc (1774)

En route pour Metz en 1774, le comte de Vaublanc est surpris par les discussions économiques qu’il entend dans la voiture populaire qui l’y transporte. « C’était à la mode, dit-il. Tout le monde était économiste. » [Les physiocrates se faisaient alors appeler les « économistes », tout court, quoiqu’il y eût en France d’autres économistes qui ne faisaient pas partie de leur groupement.]

Mémoires de M. le comte de Vaublanc, Paris, 1857, p.61-62


CHAPITRE III.
Départ de l’École Militaire. — Arrivée au régiment. — Tenue militaire ; toilette des officiers et des soldats. — Dégoût causé par les minuties. — Le duc de Glocester à Metz. — Anecdotes.

Lorsque je sortis de l’École Militaire, je fus reçu chez un oncle qui demeurait à Paris ; c’était le plus honnête homme et le meilleur parent. Mon régiment était à Metz ; il me dit que, pour m’y rendre, il fallait retenir une place à une voiture qu’on appelait le Coche. Lorsque j’appris qu’en marchant du matin au soir elle ne faisait que dix lieues par jour, toujours au pas de ses lourds chevaux, je demandai vainement à mon oncle de me laisser faire la route à pied : je verrais les provinces, les villes, que je traverserais. Je me faisais une image charmante de cette manière de voyager ; j’en ai toujours eu la même idée, et c’est elle sans doute qui me détermina si promptement à voyager ainsi pendant la Terreur, résolution qui m’a sauvé. Qu’on se figure l’ennui d’une lourde voiture qui semblait ne devoir jamais arriver. Je faisais bien la plus grande partie de la route à pied ; mais ce n’était pas la même chose que si, dans une entière liberté, j’avais pu m’arrêter où j’aurais voulu et visiter ce que je voulais voir.

Je fus très étonné de rencontrer dans une voiture si populaire un comte, colonel à la suite d’un régiment de hussards ; j’avais aussi pour compagnon un ecclésiastique. Le colonel et lui ne cessaient de parler économie politique : c’était alors la mode ; tout le monde était économiste, et les mille absurdités que débitait cette secte s’enfonçaient dans toutes les têtes. Tout est mode en France ; on était devenu grave et penseur ; on ne s’entretenait que de philosophie, d’économie politique, surtout d’humanité, et des moyens de rendre heureux le bon peuple. Ces deux dernières choses étaient dans toutes les bouches ; on aurait bien étonné tous ces discoureurs en leur disant : « Dans peu d’années tout sera détruit par vos belles maximes, et la France sera couverte de prisons et d’échafauds sanglants. »

A propos de l'auteur

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