À Messieurs les électeurs de l’arrondissement de Saint-Calais (Sarthe) (18 février 1839)

Gustave de Beaumont, À Messieurs les électeurs de l’arrondissement de Saint-Calais (Sarthe) (18 février 1839).


À MM. LES ÉLECTEURS DE L’ARRONDISSEMENT DE SAINT-CALAIS (SARTHE).

Messieurs,

Si j’avais pu balancer à solliciter vos suffrages, le souvenir encore tout récent des témoignages de confiance et d’estime que, lors des dernières élections, j’ai reçus d’un grand nombre d’entre vous, aurait suffi pour faire cesser aussitôt mon hésitation. Je dois à ceux qui se sont exposés à succomber avec moi dans une première lutte, de me remettre à leur disposition, le jour où un nouveau combat se prépare. Je le dois surtout, lorsque dans le souvenir même de notre défaite, qui ne fut point sans honneur, ils aperçoivent aujourd’hui des chances légitimes de succès.

Je vous ai, Messieurs, exposé une fois mes sentiments et mes principes ; je n’ai donc point à les reproduire ici. Je n’aurais besoin de faire une profession nouvelle que si j’avais changé, et je suis resté le même.

Je me suis présenté à vous comme étranger aux passions et aux exagérations des partis ; tel j’étais, tel je suis encore. Je vous ai dit que j’étais indépendant de caractère et de position. Je le suis vis-à-vis du pouvoir, je le suis vis-a-vis des partis ; je ne cesserai jamais de l’être. Je ne veux ni mouvement rapide en avant, ni marche rétrograde : point de révolution ; point de guerre ; assez de commotions ont ébranlé la France, qui a besoin de paix et de repos.

Mais il s’agit aujourd’hui de savoir si la tranquillité de la France, que nous voulons maintenir, il s’agit de savoir si les institutions constitutionnelles que nous possédons, que nous voulons conserver, sont mieux défendues par les partisans exaltés du pouvoir, que par ses amis sincères mais désintéressés ; 

Il s’agit de savoir lesquels soutiennent le mieux le gouvernement : de ceux qui louent aveuglément tous ses actes, même ses erreurs ; ou de ceux qui, en adoptant ce qu’il fait de bien, combattent ses fautes et ses égarements ;

Il s’agit de savoir si la France trouvera dans l’application loyale de sa constitution le bien-être et la prospérité dont elle peut, dont elle veut jouir ; ou si elle sera exposée à de nouveaux troubles, par l’imprudence de ceux qui faussent l’esprit de ses institutions ;

Il s’agit de savoir si c’est bien comprendre les intérêts du gouvernement que de disputer au pays sa part légitime d’intervention dans les affaires ;

Il s’agit de savoir si ce n’est pas compromettre les droits du pouvoir que de contester les droits du pays ;

Il s’agit de savoir si l’on ne peut gouverner que par la corruption, ou si au contraire ce n’est pas la corruption qui rend le gouvernement impossible en le déshonorant ; 

Il s’agit de savoir si les véritables amis du gouvernement sont ceux qui pour seconder ses intentions, croient légitimes toutes les manœuvres et toutes les intrigues ; ou bien ceux qui pensent que la première condition de tout appui prêté au pouvoir est de ne rien faire qui ne soit conforme aux lois de la morale et de l’honnêteté ; 

Il s’agit de savoir si les partisans éclairés du gouvernement sont ceux qui entraînent la France dans un abîme de dépenses et de charges toujours croissantes, dont on ne peut sans effroi contempler le progrès ; ou si au contraire, ce ne sont pas ceux qui voudraient retenir le gouvernement sur cette pente funeste, et le forcer à des économies qu’il ne fait pas spontanément ;

Il s’agit de savoir si l’on peut, sans péril, laisser se grossir un budget qui, au milieu d’une paix profonde, dépasse l’énorme chiffre de onze cents millions ; ou si, au contraire, il n’est pas urgent de mettre un terme à la prodigalité des deniers de l’État.

Telles sont, Messieurs, quelques-unes des questions qui seront résolues par votre vote.

Messieurs, je ne m’abuse pas assez pour me croire capable de remplir dans toute leur étendue les obligations qui me seraient imposées par votre mandat ; mais ce que je puis vous assurer, c’est que si vous me l’accordiez, je me dévouerais tout entier à son accomplissement. Né dans cet arrondissement, appelé par tous mes sentiments, par mes habitudes et par mes intérêts à y passer ma vie, j’ai, pour souhaiter d’en être le député, des motifs particuliers qui ne me porteraient point à désirer de même d’être le représentant l’un autre. Ce que j’ambitionne, c’est bien moins la députation en général que l’honneur de représenter mes compatriotes. 

Certain de n’avoir employé pour le succès de mes vœux aucun moyen indigne de vous, Messieurs, et de moi-même, j’attends avec confiance l’issue de cette nouvelle lutte, doublement heureux, si je réussissais, d’avoir pu mériter vos suffrages, et de ne les devoir qu’à vos consciences.

Veuillez agréer, Messieurs, l’assurance de la considération avec laquelle je suis 

Votre très humble et très obéissant serviteur,

GUSTAVE DE BEAUMONT.

Saint-Calais, 18 février 1839.

A propos de l'auteur

Gustave de Beaumont est resté célèbre par sa proximité avec Alexis de Tocqueville, avec qui il voyagea aux États-Unis. Son œuvre, sur l'Irlande, les Noirs-Américains, ainsi que ses nombreux travaux académiques et politiques, le placent comme un auteur libéral sincère et généreux.

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