Lettre sur les avantages du commerce des vaisseaux étrangers pour la voiture de nos grains (suite)

LETTRE SUR LES AVANTAGES DE LA CONCURRENCE DES VAISSEAUX ÉTRANGERS POUR LA VOITURE DE NOS GRAINS

« Lettre de M. Le Trosne, Avocat du Roi au Baillage d’Orléans, sur les avantages de la concurrence des Vaisseaux étrangers pour la voiture de nos grains ; en réponse à la Lettre de Quimper insérée dans la Gazette du Commerce des 23 Mars et jours suivants », Journal de l’Agriculture, du Commerce et des Finances, Juillet 1765, pp.45-143 ; suite août, p. 39-122


COMMERCE

Suite de la Lettre de M. LE TROSNE, Avocat du Roi au Baillage d’Orléans.

« Admettre la concurrence pour faire encore augmenter la valeur, c’est causer un double préjudice à la Nation : d’un côté, c’est arrêter par le haut prix l’exportation, qui nous enrichit en attirant l’argent des Étrangers ; de l’autre, c’est rendre le peuple victime d’une trop grande avidité. »

J’ai déjà réfuté plus d’une fois cette double objection ; je vais le faire encore par une réflexion importante.

Les gens qui ne voient que la superficie des choses, aperçoivent facilement le bénéfice que retire la Nation en vendant à l’Étranger pour 15 ou 20 millions de blés ; mais ils ont de la peine à concevoir qu’elle puisse s’enrichir par un surhaussement de prix sur le blé qu’elle consomme. Cet effet de l’exportation et la concurrence dans la voiture (qui est cependant le plus essentiel) ne leur paraît pas être pour une Nation un accroissement de richesses, parce que c’est à elle-même qu’elle paie sans rien recevoir de l’Étranger, et que ce qui est bénéfice pour une partie des Citoyens, devient dépense pour les autres. Mais il est facile de sentir l’importance de cette vérité ; elle dérive de ce principe si simple : Une Nation agricole ne subsiste que par son revenu, et son revenu ne consiste que dans le produit net de la vente de ses productions, déduction faite des frais de culture et de commerce. Les propriétaires reçoivent immédiatement le revenu des mains des Cultivateurs, et le distribuent par le moyen de leur dépense à tout le reste de la Nation ; et comme la quotité du revenu dépend de la valeur des productions, il est évident que toute augmentation de valeur devient accroissement de subsistance pour toute la Nation, et que toute diminution de valeur est un retranchement de subsistance, soit que cette diminution vienne d’impôts établis sur la consommation, d’obstacles mis au commerce, de privilèges exclusifs, de défaut de débouchés, etc.

En effet, il faut dans la société considérer tous les états comme vendeurs plutôt que comme acheteurs. Le propriétaire vend la fertilité de son fonds moyennant un revenu ; le Cultivateur vend son travail et l’emploi de ses richesses primitives d’exploitation, dont la terre doit lui payer l’intérêt, et de ses avances annuelles qu’elle doit lui restituer en entier ; l’Artisan vend son temps et son industrie, l’Artiste ses talents, le Fabricant ses peines et ses avances, le Commerçant ses soins, le Voiturier son travail, le Rentier l’usage de son argent, etc. Il est vrai que tous sont en même temps acheteurs ; mais le besoin de vendre est bien plus pressant que le besoin d’acheter, parce que pour pouvoir acheter, il faut avoir vendu précédemment, sans quoi les denrées seraient au plus vil prix, qu’on ne pourrait y atteindre. Tous les vendeurs, c’est-à-dire, toute la société a donc un intérêt sensible au bon prix des denrées ; car plus il y aura de valeur, plus la rentrée des avances sera assurée pour le Cultivateurs ; plus l’Agriculture sera florissante, plus le revenu sera abondant pour le propriétaire, plus sa dépense sera forte, plus il y aura de débit pour les ouvrages de main d’œuvre, plus il y aura d’occupation et de rétribution pour le commerce, de travail pour les Manufactures, de consommation en tout genre, de crédit dans l’État, de facilité pour la perception de l’impôt, de sûreté pour le paiement des rentes, de salaires et de moyens de subsistance pour tous ceux qui n’ont que leurs bras, de secours pour l’infirme et pour l’indigent : en un mot, plus il y aura de valeur, et par conséquent de revenu, plus tout le monde sera à son aise, et c’est là le nec plus ultrà du bien-être de la société, et du bonheur d’ici bas. Non seulement le prix de tout ce qui se vend augmente en proportion de la valeur des denrées comestibles ; mais tous les vendeurs sont plus assurés de trouver à vendre respectivement ce qui doit leur procurer leur subsistance : et ne voyons-nous pas tous les jours, que lorsque le blé et le vin sont à vil prix, on ne trouve point à s’en défaire, et qu’on vend facilement lorsque le commerce et la consommation ont mis l’enchère. Donc le haut prix des denrées est l’intérêt général et particulier de tous les citoyens, et n’est au désavantage de personne.

On opposera peut-être que l’abondance des denrées peut suppléer à leur valeur, et enrichir également une Nation ; mais l’expérience prouve au contraire : 1°. que l’abondance sans la valeur n’est qu’embarras, surcharge et pauvreté ; 2°. Qu’on ne peut parvenir à une abondance durable et soutenue que par une valeur constante. On ne peut pas dire non plus que lorsque la valeur, occasionnée par la liberté du commerce des principales denrées, telles que le blé et le vin, aura fixé l’abondance parmi nous, la quantité des denrées en fera baisser le prix, et nous fera retomber par un cercle inévitable dans la misère de l’abondance ; car l’effet de ces deux causes réunies sera de répandue une aisance générale dans la Nation, et de faire naître des hommes. En effet ils se multiplient facilement partout où ils trouvent à vivre facilement ; il se dispersent, ils disparaissent, ils périssent, et étouffent leur postérité là où manquent les moyens de subsistance. Le premier point est donc d’atteindre à la plus grande valeur possible par la plus grande liberté dans le commerce et la consommation des denrées de tout genre, afin de parvenir à l’abondance, 1°. des productions ; 2°. des hommes ; d’où suivra encore plus de consommation, encore plus de valeur, encore plus de richesses, encore plus de population, et ainsi à l’infini, si les choses créées n’avaient pas des bornes. Tel est le jeu de la circulation dans l’état prospère, état où se meut d’elle-même la machine économique, quand aucune cause étrangère ne vient la déranger, quand rien ne s’oppose à l’accroissement du revenu, à la liberté du commerce tant en dedans qu’en dehors, à la grande consommation des denrées, et à la culture de toutes les productions que le territoire pourrait fournir ; quant la propriété des richesses d’exploitation est aussi respectée que la propriété des terres, quand il n’y a point de charges indirectes qui retombent au double sur le revenu, etc. Au contraire toute suppression de productions, de valeur, de consommation, est une suppression de revenu, de richesses, de salaires, de population. 

Voilà, Monsieur, les preuves détaillées du principe que vous avez attaqué : voilà comment l’accroissement du revenu, produit par la valeur et la consommation intérieure, enrichit une Nation toute entière, en supposant qu’elle se paie tout à elle-même sans rien faire passer de ses productions à l’étranger. Le commerce extérieur ne doit être regardé que comme un supplément à la consommation intérieure ; c’est un moyen de plus de procurer la valeur, et d’obtenir tous les bons effets qu’elle produit. 

Auriez-vous encore, Monsieur, quelque doute sur la vérité capitale que je viens d’établir : en voici la dernière solution ; peut-être vous rendrez-vous à l’évidence du calcul.

Si le Cultivateur a 100 septiers de blé qui lui ont coûté 1 000 l. à tirer de la terre, et que le septier ne vaille que 10 liv. voilà, direz-vous, ses reprises assurées, il peut continuer son exploitation : non certes, car il ne pourra vendre même à 10 l. parce que personne ne pourra lui acheter ; et on ne pourra lui acheter, parce que le prix de sa récolte ne fournit aucun revenu disponible avec lequel on puisse payer la denrée. Il faut donc qu’il la garde, car vous ne prétendez pas qu’il vous la donne en aumône. Mais si elle lui reste, il n’y a plus de rentrée de ses avances ; il faut qu’il borne sa culture à sa propre consommation ; 1°. parce que personne ne peut lui acheter l’excédent ; 2°. parce que ne vendant plus, il est ruiné, privé des richesses d’exploitation, et réduit à ses bras. La Nation entière en serait réduite au même point ; car elle ne subsiste que par la dépense de son revenu ; et dès qu’il n’y en aurait plus, il faudrait périr ou travailler chacun personnellement pour sa subsistance.

Vous direz sans doute que je fais ici une hypothèse chimérique ; que nous avons vu le septier à 10 liv. et que la Nation a subsisté. Cela est vrai ; mais comment a-t-elle fait pour subsister ? Elle a vécu aux dépens des avances du Cultivateur, elle a partagé avec lui les 1 000 liv. qui devaient lui rentrer en entier pour le mettre en état de continuer une forte culture : ainsi elle a vécu sur le fond et non sur la partie disponible ; car il n’y a point ici de milieu (je vais faire voir dans la deuxième hypothèse comment cela arrive par gradation 😉 d’ailleurs il y a d’autres branches de produit que les grains, et le revenu tiré de ces autres productions a fourni une ressource.

Si les 100 septiers se vendent 1 300 liv. à raison de 13 liv. le septier, voilà, après la rentrée des reprises du Cultivateur, 300 liv. de produit net à partager entre le Souverain et le Propriétaire, et par conséquent possibilité de vendre et d’acheter, possibilité de subsister, très étroite à la vérité, mais sans nuire au fond des avances. Qu’arrive-t-il ? Le propriétaire, qui pressé de tous côtés, ne songe qu’à accroître son revenu, sans songer si c’est aux dépens de la reproduction ; le Souverain dont les besoins sont urgents, dont les engagements ne souffrent ni retard, ni réduction, forcent de part et d’autre la main au Cultivateur. Celui-ci ne peut payer que 300 liv. suivant l’ordre immuable et naturel, qui veut que les frais soient prélevés sur le prix de la chose ; mais on exige davantage, parce que le besoin contraint d’intervertir cet ordre conservateur et gage de la reproduction : on porte la main sur le dépôt sacré des avances, on prend sur un fonds inaliénable de droit et inattaquable. Le Cultivateur est contraint de céder ou d’abandonner son atelier, et il aime encore mieux se ruiner insensiblement que de renoncer à l’état qui le fait vivre. Il espère toujours qu’une bonne année pourra lui rendre ses forces ; mais l’ordre physique, assujetti à des lois constantes, ne peut réparer les malheurs causés par le renversement de l’ordre économique. La reproduction diminue, la fécondité disparaît de dessus la terre avec les richesses d’exploitation ; la cherté qui succède ranime un peu les efforts du Laboureur, et recule le moment de sa perte.

Cependant, quoique la culture ne rende presque plus de produit net, et par conséquent soit nulle pour l’État, elle n’est point encore abandonnée. Le propriétaire, qui devrait être nourri et enrichi par le Cultivateur, vient à son secours, et s’épuise pour lui fournir quelques avances. Ils contractent ensemble une espèce de société, dans laquelle l’un met tout ce qui lui reste, ses bras et son travail, pour retirer une subsistance difficile et mal assurée ; l’autre apporte des fonds insuffisants dont il perçoit quelqu’intérêts. Ils partagent et se disputent entre eux une faible récolte, dont la moitié nourrit à peine le Métayer, qui souvent a recours à la portion du Maître, soit par emprunt, soit en lui dérobant ce qu’il peut en détacher, (car la probité est rarement compagne de la misère). Dans cet état la charrue ne donne presque plus de produit net, et n’est plus comptée pour rien. Tout le revenu consiste en quelques bestiaux achetés par le propriétaire, qui cherchent une subsistance difficile et rare sur un terrain immense et inculte destiné à leur nourriture, et qui y suffit à peine ; car c’est la charrue qui doit nourrir les troupeaux comme les hommes. Cependant la grande culture se soutient encore faiblement dans les cantons voisins des débouchés et de la grande consommation, parce que les frais de transport, étant moins considérables, y laissent un produit net : on y trouve même encore quelques Laboureurs aisés, et ce sont ceux qui ont eu la force de garder leurs grains dans les années où la misère de l’abondance les tenait à vil prix, et qui ont profité des chertés périodiques. Ceci n’est malheureusement point une supposition, c’est le tableau trop fidèle de l’état actuel de l’Agriculture en France : très peu de Laboureurs aisés, quelques cantons en grande culture, tout le reste en petite culture qui se soutient encore parce qu’elle est peu coûteuse, et qu’elle rend les frais ; et cela, faute de richesses d’exploitation, et originairement faute de valeur. L’exportation fera sans doute beaucoup de bien ; c’est la première des opérations nécessaires au rétablissement des forces de la Nation ; mais il faut ouvrir des débouchés, si on veut en étendre les effets. 

C’est donc le défaut de valeur qui réduit l’Agriculture dans cet état déplorable, et qui joint à d’autres causes dont il ne s’agit point ici, tarit dans la Nation la source des revenus, de l’impôt, des salaires et de la reproduction. Si par un effet de l’exportation pleine et entière (et elle ne sera telle que par la concurrence,) le septier monte à 18 liv. les 100 septiers fourniront une somme de 1 800 liv. dont 1 000 liv. pour les reprises du Cultivateur, et 800 liv. de produit net qui se partageront entre le Souverain et le Propriétaire, et qui mis par eux en circulation, se distribueront à toute la Nation.

Telle est, Monsieur la dernière preuve de la thèse que j’ai avancée, que tout accroissement de valeur est accroissement de revenu pour les propriétaires, et de subsistance pour tout le reste de la Nation. Les Citoyens instruits me reprocheront peut-être de m’étendre trop sur des vérités si simples et tant de fois rebattues ; mais je les prie de considérer que si elles leur sont familières, elles sont encore ignorées de bien des gens ; d’ailleurs tant qu’on les attaquera, il est indispensable de les défendre : peut-être qu’à force d’être répétées, elles seront si généralement répandues qu’elles ne trouveront plus de contradicteurs.

« À la bonne heure, admettons les Espagnols dans nos Ports, ce sont nos fidèles alliés et nos amis ; d’ailleurs il est juste qu’ils gagnent la voiture puisqu’ils nous achètent nos grains ; mais il est de la prudence d’écarter les Hollandais avec lesquels il n’y a rien à gagner, puisqu’ils veulent tout vendre et ne rien acheter ; car ils n’ont acheté et n’achèteront jamais nos grains, que lorsqu’ils seront à bas prix, ils préféreront ceux du Nord. (200) »

Vous consentez à admettre les Espagnols dans nos Ports, parce qu’ils sont nos amis, et que d’ailleurs ils sont acheteurs. Mais, Monsieur, tous ceux qui font valoir nos denrées sont nos amis, et les Hollandais le feront ainsi que le autres Nations, quand la concurrence sera établie. En vain dites-vous qu’il n’y a rien à gagner avec les Hollandais, parce qu’ils veulent tout vendre, et ne rien acheter. Mais les Hollandais sont un peuple de revendeurs, et comment voulez-vous qu’ils revendent, s’ils n’ont acheté auparavant. Aussi vous convenez qu’ils achètent les grains du nord pour les faire passer au midi. Ils vont les acheter, parce qu’on les admet, car tout pays leur est égal. Vous vous plaignez de ce qu’ils n’achètent nos grains, que lorsqu’ils les trouvent à bon marché : mais ils font en cela ce que font tous les Négociants du monde. Le Commerce n’affecte aucune Nation : il est au service de tous, et toujours dirigé par l’intérêt particulier. C’est là sa nature. Si les Hollandais ont acheté nos blés à vil prix dans des circonstances, et nous les ont revendus cher ensuite, ils ont fait leur métier de Marchands. À qui s’en prendre si nous avons été lésés ? À nous-mêmes. C’est l’effet des permissions passagères d’exporter. Tout le monde se presse de vendre dans la crainte de voir fermer les débouchés, et on vend à vil prix. Il survient une augmentation que la peur et l’opinion redoublent, l’étranger en profite, et vous fait suracheter vos propres denrées. Mais cela ne peut arriver tant que la liberté permanente de la sortie tiendra nos grains au taux du marché général. Les étrangers ne pourront jamais les acheter qu’au prix courant qui sera toujours favorable : et comme les Hollandais savent très bien calculer et ménager sur toutes les opérations du Commerce, ils préféreront souvent nos grains, même à plus haut prix que ceux du nord, à cause de la proximité du midi où se trouvent les débouchés.

En vérité, Monsieur, tout vous fait ombrage. Vous rejetez les Hollandais parce qu’ils n’achètent point (P. 200), vous les craignez parce qu’ils achètent trop (P. 206) ; que faut-il donc faire pour vous rassurer ? J’avais dit que sans l’exclusion les Hollandais feraient des achats considérables de blés en France, et établiraient des magasins dans nos Ports. Vous me répondez, je ne fais aucun doute de cette politique, peut-être même achèteraient-ils tous nos grains si on le voulait, pour nous les revendre ensuite à un prix exorbitant sans aucun risque ; car ils sont bien fins. Mais, Monsieur, acheter tous nos grains, vous m’avouerez que vous avez pris une petite partie pour le tout ; car il y a ici une hyperbole au moins de 48 cinquantièmes, et quelle somme immense ne faudrait-il pas pour exécuter une si belle spéculation ? Ce serait celle de celui qui voulait avaler l’eau de la mer pour mettre le poisson à sec. Cet homme-là aurait fait une belle pêche. Mais qu’en feraient-ils de nos grains ? Ils ne pourraient acheter qu’au prix commun de l’Europe ; et dès que leurs achats seraient considérables, le blé augmenterait : dès lors les autres Nations accourraient pour nous en vendre, et il baisserait. Les Hollandais ne pourraient donc nous revendre qu’au prix du marché général, et comme ils auraient acheté plus cher, ils seraient ruinés. Eh ! Monsieur, ne craignez rien. Les Hollandais savent très bien compter, et ne sont si dupes que vous le croyez.

« Il est donc à tous égards de l’intérêts de l’État d’insister sur une prohibition qui tend à relever notre Marine, et à faire revenir en France l’argent qui en est sorti pendant les dernières guerres ».

J’ai réfuté assez au long le sophisme dont s’est servi jusqu’ici la Marine marchande pour confondre son intérêt avec celui de l’État : je passe à l’autre membre de votre conclusion. 

N’accusez plus, Monsieur, les Spéculateurs agricoles de grossir les objets : car c’est bien l’exagération la plus outrée qui puisse se faire, que de nous donner la portion des salaires de la voiture que l’exclusion peut nous conserver, comme une ressource capable de faire rentrer en France l’argent que les dernières guerres en ont fait sortir. Je présente à l’État une autre ressource, c’est de tendre à l’accroissement de son revenu par la grande valeur de ses denrées ; c’est de n’envisager le commerce de revendeur que relativement au commerce de propriété, et de ne considérer le métier de Voiturier que comme un service nécessaire, mais dispendieux ; c’est de vendre beaucoup sans s’inquiéter si les Agents du commerce sont régnicoles ou étrangers ; c’est de se conduire et d’agir en toutes choses comme un propriétaire qui ne cherche que le bon prix dans la vente, et le bon marché dans ses achats, et qui sent que la concurrence la plus entière est le seul moyen d’obtenir l’un et l’autre. Telle est, Monsieur, la recette que je propose pour réparer nos forces épuisées ; telle est la route que j’indique pour rétablir, entretenir et conserver une Nation dans l’état de prospérité ; la liberté et l’immunité la plus entière au dedans et au dehors dans le commerce et la consommation. La Nation qui la première voudra faire usage de ce moyen, et secouer courageusement les malheureux préjugés qui s’y opposent, sera bientôt étonnée de sa prospérité. Mais que nous en sommes encore éloignés ! À peine avons-nous fait le premier pas : à peine avons-nous la force de sentir le poids de nos chaînes, et d’aspirer à la liberté !

Je termine cette réfutation par une erreur généralement répandue dans votre lettre, et qui vous est commune avec bien des gens ; c’est que vous n’envisagez que l’argent, lorsque vous parlez de l’intérêt d’une Nation, sans apercevoir combien une Nation, qui serait réduite à cette richesse fictive, serait pauvre et misérable, et par quelle voie celles qui ne possèdent point de mines, peuvent introduire l’argent chez elles. Mais, Monsieur, l’argent est ce dont il faut le moins s’occuper, non qu’il ne soit nécessaire pour faciliter les échanges, et animer la circulation, mais parce qu’il y en a toujours assez chez une Nation riche par l’abondance et la valeur de ses productions. En effet l’argent doit être considéré ou comme richesse, ou comme signe : comme richesse, on ne peut l’avoir sans l’acheter avec d’autres richesses, et il coûte tout ce qu’il vaut : comme signe, il n’est qu’un ustensile de commerce qui sert à solder les achats et les ventes, qui n’a d’autre utilité que cet emploi de convention, qui n’est d’aucun usage dès qu’il n’est pas mis en mouvement par le commerce, qui n’est rien par lui-même, mais qui a la faculté d’exprimer tout par équivalent, comme une glace qui dans un appartement offre aux yeux l’image de tous les objets qui sont placés devant elle.

Partout il y a des richesses réelles, une grande valeur et une grande facilité dans la consommation, il y a toujours assez d’argent, et il suffit à tout ; car il se présente aussitôt que le besoin d’acheter concourt avec celui de vendre. Il s’en faut beaucoup que la masse du numéraire soit égale dans une Nation à la masse des productions annuelles ; et il n’est pas même nécessaire que la somme d’argent soit égale à la somme du revenu, et qu’elle augmente dans la même proportion. Dans une Nation, qui se verrait sur le champ délivrée des obstacles qui s’opposent au commerce et à la consommation intérieure, et qui, par la plus heureuse révolution qui se puisse imaginer, passerait ainsi de l’état de gêne et de prohibition à l’état de liberté, les richesses réelles doubleraient avec une promptitude surprenante ; les progrès de sa prospérité sembleraient tenir du miracle, sans que la masse du numéraire fût augmentée d’un seul marc d’argent ; il paraîtrait beaucoup plus commun, et il n’y en aurait point davantage : c’est que la rapidité plus grande double l’effet sans multiplier la somme. L’argent, qui n’est que l’entremetteur des échanges, se représente plus souvent pour remplir sa fonction de signe, et solder les achats qui sont plus fréquents, en raison de l’aisance générale et de la consommation : il ne fait que glisser d’une main dans l’autre sans s’arrêter un instant. Souvent même il ne peut suffire à la célérité qu’on exige de lui ; on trouve sa marche trop lente, son poids trop embarrassant, son transport trop incommode ; on lui substitue un représentant, le papier, qui, lorsque le crédit est entier, remplit la même fonction, et devient le signe d’un signe ; au lieu que, lorsque la circulation se ralentit, l’argent disparaît, il devient rare sans que la masse en soit diminuée, parce qu’il s’arrête où il ne devrait faire que passer.

Voilà vos principes, Monsieur, voici les miens ; car quoiqu’ils se trouvent répandus dans mes observations : je suis bien aise de les mettre en ordre.

I. Les Cultivateurs à la vérité ne forment qu’une partie de la Nation[1], mais leur intérêt joint avec celui des propriétaires avec lesquels ils composent une société indissoluble, est l’intérêt de la totalité d’une nation agricole. 1°. Parce que c’est le Cultivateur qui fait naître les productions, non seulement pour lui, mais pour toute la société. 2°. Parce que l’excédent des productions par delà les frais appartient au propriétaire, et se distribue par son canal à tout le reste de la Nation.

II. Une Nation agricole n’a d’autre revenu, que celui qu’elle le tire de son territoire ; cette source est unique : et d’où pourrait-elle en tirer une autre ? Du Commerce ? Il ne crée rien, il ne fait que donner le mouvement aux productions déjà créées. Considéré en lui-même, il ne présente que des frais, des salaires, des rétributions, des dépenses inévitables, mais stériles. Il peut enrichir des Particuliers, et de petites Nations qui ne sont que des comptoirs de Marchands assemblés ; mais non une grande Nation agricole, à qui il faut une subsistance plus assurée et plus abondante, et elle ne peut la trouver que dans la dépense de son revenu.

Des loyers de maisons : mais c’est un fonds stérile, et objet de dépense pour le revenu, bien loin d’être une cause de revenu.

Des rentes : ce n’est qu’un agiotage, un revirement inutile, et, à le bien prendre, funeste quand on le multiplie.

De l’industrie ? Il n’y a point ici de création, mais un simple changement de forme : il y a à la vérité accroissement de valeur, mais non pas produit net ; car cet accroissement a coûté 1°. La subsistance des Ouvriers ; 2°. La rétribution du Fabricant ; et tout cela est payé par ceux qui possèdent le revenu, ou qui en ont reçu des parcelles ; et bien loin d’être un revenu par soi-même, c’est une manière de le dépenser, et manière stérile, puisqu’elle n’est pas productive.

III. Quoique le commerce et l’industrie ne soient pas des sources directes de revenu, cependant ils contribuent à son abondance et à sa reproduction, chacun en leur manière ; le commerce, parce qu’il fait valoir les denrées, dont le superflu serait inutile aux endroits de la production ; l’industrie, parce qu’elle approprie les denrées à la consommation, la facilite, et disperse en plus de mains le revenu qui ne peut être trop partagé, et qui ne se reproduit que par la dépense que l’on fait. L’industrie n’est donc pas cause première de revenu, mais cause seconde, par le moyen de la consommation de ses agents ; or les agents de l’Agriculture sont également utiles par leur consommation ; mais leur travail reproduit directement, 1°. Leur dépense, 2°. Un excédent qui est le patrimoine de la société. 

L’industrie a sans doute encore l’utilité de pourvoir à nos besoins ; mais je ne la considère ici que relativement au revenu.

IV. Puisqu’une Nation agricole n’a d’autre moyen de subsistance que son revenu territorial, il est bien important pour elle que ce revenu soit considérable ; car le Cultivateur vivre toujours bien, ou mal ; la dernière gerbe sera de droit pour lui : mais nous ne pouvons vivre qu’après lui, et de ce qu’il peut nous fournir[2].

V. Or la quotité de la somme totale des richesses renaissantes, dont le revenu national est la partie disponible, dépend non seulement de l’abondance, mais principalement de la valeur des denrées[3].

VI. Donc bien loin de redouter la valeur des denrées, une Nation agricole ne doit rien désirer davantage ; car c’est le seul moyen de multiplier son revenu[4].

VII. Donc une Nation agricole a le même intérêt que celui des Cultivateurs et des Propriétaires : Aussi l’État n’est proprement composé que des Cultivateurs, propriétaires des richesses productives, et des Propriétaires du fonds, distributeurs du revenu ; toutes les autres classes sont dans l’État, mais sans en être les parties constitutives : elles sont accessoires des deux premières[5], salariées et stipendiées par elles : elles doivent donc leur être subordonnées, non seulement parce qu’il est dans l’ordre, que l’accessoire soit subordonné au principal, mais aussi parce que leur intérêt légitime et bien entendu ne peut se trouver que dans la pleine et entière prospérité des deux premières classes ; car les classes stipendiées et dépendantes ne tiennent leur subsistance que des classes productive et propriétaire ; elles ne peuvent participer aux richesses renaissantes que par leur canal, et par le moyen de la dépense de ces deux classes : donc l’intérêt de la Nation entière est unique.

VIII. Donc une Nation agricole ne doit envisager le commerce que par rapport à la valeur des denrées, car c’est ainsi que l’envisage un propriétaire : donc il est de son intérêt de multiplier par la concurrence le nombre de ceux qui la servent[6].

IX. Donc une Nation agricole agit contre les lois de sa constitution, en privilégiant ses Négociants contre les Négociants étrangers, soit  pour le commerce, soit pour la voiture, comme si le domicile de ces utiles agents changeait quelque chose à la nature de leurs services ; comme si la Nation avait d’autre intérêt que celui de vendre[7].

X. Donc une Nation agricole ne doit point envisager le commerce par rapport à la rétribution, ni par rapport aux salaires[8] ; car les frais du commerce sont pour elle articles de dépense et non de produit : ils sont bénéfice pour les agents du commerce ; mais les agents du commerce faisant partie des classes salariées, l’intérêt particulier qui leur fait désirer le monopole et l’exclusion, n’est pas et ne peut être celui de la Nation ; car il y est directement contraire.

XI. Donc la distinction[9] des territoires qui partage l’univers entre les Nations, la différence qui se trouve dans leurs lois, leurs usages et leur gouvernement civil, ne les rend point étrangères les unes aux autres par rapport au commerce.

XII. L’accroissement du revenu, ou du produit net, est la fin de l’exportation, et le motif qui a porté la Nation à la solliciter, et le Souverain à l’accorder[10]. Mais il y a encore bien des gens qui n’ont pas compris en quoi consistent les effets et les avantages de cette opération.

XIII. L’exportation est une branche de commerce très étendue, propre à faire entrer dans le Royaume des sommes considérables, à multiplier les salaires dans les ports, sur les rivières, etc. Si on ne l’envisage que sous ce point de vue, on ne voit que le moindre de ses avantages.

XIV. L’exportation ne doit pas précisément être recherchée comme fin, mais comme un moyen nécessaire pour faire monter les grains au prix du marché général ; pour donner au blé qui se consomme dans le Royaume une valeur constante, et soutenue par le moyen du blé qui sort, au niveau duquel se met naturellement celui qui reste ; pour empêcher les funestes variations de prix qui sont inévitables dans un Pays de prohibition[11] ; en un mot, pour procurer au revenu territorial un accroissement fixe et durable : et qui dit accroissement de revenu, dit accroissement d’occupation, de travail, de salaires, de subsistance pour le peuple, de consommation des denrées, de valeur, de reproduction de richesses, d’aisance, de population, etc.

XV. Le prix commun auquel l’exportation doit porter nos grains, n’est pas et ne peut être un prix de cherté : c’est celui que vaut le blé dans les principaux marchés de l’Europe, et auquel il peut être acheté et envoyé aux endroits où il manque, avec un bénéfice au-delà des frais de voiture[12].

XVI. Il n’y a point de marchandise qui soit moins en état de blé de supporter le renchérissement du fret, parce qu’il n’y en a point qui soit à aussi bas prix relativement à son volume et à son poids. Les autres marchandises à poids égal étant plus précieuses, offrent à poids égal un plus grand bénéfice à faire, et e bénéfice permet au Négociant de payer le fret plus cher que ne peut le faire le Marchand de blé, dont le gain est beaucoup plus borné relativement au poids[13].

XVII. Les frais de transport sont si considérables, qu’ils forment un très grand obstacle à la sortie[14] ; ils ne la permettent que lorsqu’il y a ailleurs une cherté assez grande : ils l’arrêtent dès que le prix vient à diminuer chez l’étranger, ou à augmenter chez nous[15] ; ce qui doit rassurer les plus timides sur la crainte d’une sortie trop abondante, et faire sentir l’avantage qu’il y a à diminuer les frais.

XVIII. L’obstacle que les frais apportent à la sortie, est le même pour toutes les Nations commerçantes : il établit entre elles un niveau parfaitement égal, lorsque le fret est chez elles au même prix, sauf la différence de l’éloignement : à cet égard la France a l’avantage d’être la plus proche du Midi, où se trouvent les débouchés.

XIX. Mais il est constant que le fret est plus cher en France qu’il ne l’est chez plusieurs Nations étrangères[16] : donc la France réduite à sa marine marchande, a du désavantage vis-à-vis des autres Nations ; car 1°. Elle perd sur le produit net de la vente de ses grains, l’excédent du surplus de frais qu’elle fait pour les voiturer ; 2°. Elle perd, parce que la faculté d’exporter a moins d’étendue pour elle que pour les autres Nations.

XX. Il est un moyen simple de rétablir le niveau en notre faveur ; mais il n’en est qu’un, c’est d’admettre la concurrence des Étrangers pour la voiture : car plus il se présentera de Voituriers, moins elle sera chère.

XXI. L’exclusion au contraire autorise le monopole, et favorise le Voiturier régnicole au préjudice de la Nation[17] : car il ne faut pas perdre de vue, qu’il s’agit de l’intérêt de la Nation toutes les fois qu’il s’agit de gagner ou perdre sur la quotité du revenu.

XXII. Or l’exclusion porte atteinte à la valeur des grains, et par conséquent au revenu, de deux manières : 1°. En diminuant la quantité possible de l’exportation et de la vente des grains. En effet, maintenir la cherté du fret par le moyen de l’exclusion, c’est mettre à la sortie des bornes plus étroites qu’elle n’en aurait dans l’état de concurrence : fermer ses ports aux Étrangers, c’est se réduire à ses Voituriers ; or on fait plus d’ouvrage en 20 qu’en 10, lorsqu’il y a de l’ouvrage pour tout le monde : exclure les Étrangers de la voiture, c’est écarter la concurrence des acheteurs ; car les Étrangers achèteraient, et établiraient des magasins en France, s’ils avaient la liberté d’enlever[18]. Or c’est la concurrence dans les achats, qui fait la vente libre, et le bon prix.

XXIII. 2°. L’exclusion porte atteinte à la valeur et au revenu, par cela seul qu’elle augmente les frais ; car tout ce qui est en frais est en perte sur le produit net[19].

XXIV. La concurrence, en multipliant les achats et la sortie, et en diminuant les frais, ferait augmenter la valeur des grains dans nos ports, et par conséquent dans tout l’intérieur du Royaume, par la raison que le prix de l’intérieur se règle sur le prix des ports : la perte que nous cause l’exclusion est donc sensible. Le bénéfice d’une partie des salaires du fret, qu’on manquera de gagner, considéré en somme, est peut-être dans la proportion d’un à trente avec le bénéfice qui résulterait de la concurrence ; considéré en lui-même il ne peut souffrir aucun parallèle, parce que toute accrue de valeur est un gain direct au profit du produit net : toute dépense en voiture est stérile, et se fait au dépens du produit net[20].

XXV. Pour conclure en deux mots : l’intérêt d’une nation agricole consiste dans l’accroissement de son revenu par le moyen de la valeur. La concurrence dans le nombre des Acheteurs et des Voituriers est un moyen de procurer plus de valeur. Donc la concurrence est conforme au véritable intérêt d’une Nation agricole : donc l’exclusion y est contraire. Or nul intérêt ne peut militer contre celui-là ; car ce serait l’intérêt d’une partie contre l’intérêt du tout.

Vous voyez, Monsieur, que nos principes ne s’accordent pas plus ensemble que l’affirmation et la négation ; aussi je ne conçois pas comment dans votre première lettre du 5 Janvier, vous avez pu applaudir à mes 22 propositions[21] (sauf la dix-huitième sur la concurrence, que vous avez attaquée 😉 car j’y ai établi les mêmes principes qu’aujourd’hui, et j’espère bien n’en pas changer : j’ose dire que, si vous les avez approuvés alors jusqu’au point de défier le plus déterminé Sophiste de les contredire, c’est que vous ne les aviez pas saisis. Je suis d’autant plus fondé à le croire, que dans votre dernière lettre, vous entreprenez de vous en servir pour me combattre (P. 189) ; mais, Monsieur, ces armes-là m’appartiennent, vous ne pouvez les manier sans vous blesser : vous ne pouvez vous les approprier sans vous reconnaître vaincu : tâchez donc plutôt de les briser, si la vérité peut jamais l’être. Mais si la lumière de la vérité vous a frappé ; si j’ai été assez heureux pour vous la présenter avec l’éclat qui lui convient, payez-lui avec plaisir le tribut que lui doit un cœur aussi droit que le vôtre, lorsqu’il la découvre. 

Au reste je ne suis point étonné de vos principes ; j’ai trouvé dans mon chemin bien des gens de votre avis sur la question principale : quelques uns se sont rendus à mes raisons ; d’autres ont persisté. Il faut du temps à la lumière pour pénétrer de toutes parts :  les vérités que j’établis blessent bien des préjugés reçus ; elles combattent de front des notions ordinaires, des opinions anciennes ; elles sont encore trop neuves pour être admises sans contradiction, et les conséquences qui en résultent sont des fruits qui ne sont peut-être pas encore mûrs pour nous. Que de contradictions l’exportation n’a-t-elle pas éprouvées ! Combien n’a-t-il pas fallu écrire sur cette matière, prouver, calculer, réfuter pour parvenir à dissiper les ténèbres ! Le Souverain n’attendait, pour l’accorder, que le vœu général de la Nation éclairée sur ses intérêts.

Il en sera de même des autres principes de la science économique, sur la constitution d’une Nation agricole, sur ses intérêts par rapport au commerce et à l’industrie, sur la source de son revenu, de ses richesses et de sa puissance, sur la réciprocité du commerce sur la valeur des denrées, sur la consommation, sur le luxe, sur la distribution des dépenses, sur les salaires, sur le danger des impôts indirects, etc. À force d’être discutés et contredits, ils s’étendront et fructifieront ; car la contradiction fait l’office de la culture, qui en déchirant la terre, la rend féconde. Il faut avoir fait une étude suivie de ces principes pour en saisir l’enchaînement ; et peu de personnes ont eu jusqu’à présent le loisir de le faire. Sully, le Grand Sully les sentait, et les suivait par la seule force de son génie, sans en avoir dans l’esprit le système développé d’une manière didactique ; mais depuis lui la trace en était perdue.

Ne croyez pas au reste, Monsieur, que je m’attribue l’honneur d’avoir découvert ces principes : je sais à qui cette gloire appartient : et dans la note même d’où sont tirées mes 22 propositions, je lui rends l’hommage qui lui est dû : ce serait à lui à prendre la plume pour défendre la cause que je soutiens ici, et à éclairer la Nation sur cette question importante. Mais il l’a fait en établissant des principes si féconds et si fertiles, qu’ils serviront éternellement à décider toutes les questions économiques. Content de sa gloire, et craignant même son éclat, il voit avec plaisir les Citoyens qu’il a instruits, faire usage des armes qu’il leur a mises à la main, et soutenir des combats dont tôt ou tard les succès doivent tourner à l’avantage de la patrie. 

On ne peut guère avoir, Monsieur, de dispute plus complète que la nôtre, et plus parfaitement contradictoire. Chacun de nous regarde ses principes comme indubitables, et les a fait valoir de son mieux ; cela est dans l’ordre :  mais je crois du moins avoir cet avantage, c’est que j’ai toujours marché sur la même ligne. Depuis mes 22 propositions, qui ont fourni l’occasion de la dispute jusqu’à présent, je n’ai rien avancé qui ne soit exactement conforme à mes principes, et qui n’entre dans leur enchaînement : aussi avez-vous prudemment fait dans votre réponse de me les nier tous, sinon directement, du moins en substance, en en établissant de contraires, et de rétracter ainsi l’approbation que vous leur aviez donnée trop facilement dans votre lettre du 5 Janvier dernier. Au moyen de cette précaution, rien ne devait vous écarter de votre route, et vous pouviez suivre à perte de vue le fil de vos conséquences, sans craindre l’écueil des contradictions. Cependant je crois vous y avoir surpris plus d’une fois ; et il est de mon devoir de vous en avertir, parce que dans cette dispute nous faisons de part et d’autre profession d’agir avec franchise, et de ne rien perdre de nos avantages.

Permettez donc que je vous mette sous les yeux les contradictions qui m’ont le plus frappé. 

Vous convenez que l’intérêt de la Nation entière, est que le prix du blé se soutienne au taux du marché général ; il n’y est pas encore assurément (car le septier devrait valoir 18 liv.) et vous dites que la plus légère augmentation sur le prix actuel écraserait le peuple. Pour sauver la contradiction, vous avancez que le quintal vaut 7 à 8 liv. dans l’intérieur à Paris, à Orléans, etc. il ne vaut et n’a valu que 6 liv. 3 ou 4 sols jusqu’au premier Avril dernier.

Je remarque encore ici une contradiction : vous n’auriez pas dû m’accorder que l’intérêt de la Nation est de voir ses blés monter au prix commun de l’Europe ; car c’est sans y penser admettre la concurrence. Elle ne peut avoir d’autre effet que de faire monter le blé à ce prix, et sans elle nous ne pouvons y atteindre. Vous voyez, Monsieur, combien il est dangereux de passer quelque chose à son Adversaire.

Vous applaudissez à la concession de l’exportation, et vous prenez son avantage le plus essentiel pour un inconvénient, en craignant toute augmentation dans le prix : c’est applaudir et blâmer tout à la fois.

Vous voulez qu’on exporte beaucoup et toujours, sans que le blé enchérisse : c’est vouloir la cause sans l’effet.

Vous portez l’ambition jusqu’à exporter plus que les autres Nations, et vous redoutez la concurrence, qui seule peut augmenter notre exportation : c’est vouloir l’effet sans la cause.

Vous consentez la concurrence dans le prix, et vous refusez la concurrence dans la voiture, qui seule peut procurer une pleine concurrence dans le prix : c’est encore l’effet sans la cause. 

Vous désirez même la concurrence dans le prix, et la participation au taux du marché général, et vous nous conseillez de vendre moins cher que les autres Nations, et au Laboureur de lâcher la main le plus qu’il pourra : c’est vouloir le pour et le contre.

Vous tremblez pour la subsistance du peuple à la plus légère augmentation, et vous craignez en même temps que les Étrangers ne nous apportent du blé, s’il renchérissait chez nous ; c’est crier à la faim, et refuser du pain ; mais c’est crier de peur, car il n’y a pas matière.

Vous déplorez l’état de notre Marine marchande, et vous soutenez qu’elle a suffi pour enlever notre dernière récolte, et que notre dernière exportation a été immense : il est donc inutile de préjudicier au revenu de la Nation pour lui procurer un encouragement. 

Vous vous opposez à la concurrence, qui est le seul, vrai et légitime moyen de modérer le fret, et vous proposez d’en faire taxer le prix par Messieurs les Intendants : croyez-vous que la Marine vous sache bon gré du projet ; croyez-vous qu’elle préférât l’un à l’autre ?

Vous attaquez le calcul de M. de la Chalotais, et le résultat de votre argument conduit à ce même calcul : c’est nier pour avouer ensuite, mais c’est que la valeur relative du marc d’argent n’était point entrée dans vos calculs.

Vous dites qu’il faut exclure les Hollandais, parce qu’ils n’achèteront jamais en France, que lorsque le blé sera à vil prix ; et comme il n’y sera plus, la conséquence est, qu’il faut les exclure par la raison qu’ils n’achèteront jamais nos blés. Vous dites ensuite qu’il faut les exclure, parce qu’ils sont bien fins, et qu’ils pourraient bien tout acheter : c’est vouloir tout garder et vendre beaucoup ; c’est …… j’avoue que je ne puis trop définir ce que c’est ; mais cela ressemble bien à la querelle du loup et de l’agneau.

Je termine, Monsieur, par une dernière contradiction qui me touche personnellement : vous avez la bonté en finissant, de rendre justice à mon amour pour le bien public, et à mon zèle patriotique : je ne puis que vous en témoigner ma reconnaissance, et vous assurer, ainsi que j’ai fait en commençant, que je vous crois animé du même motif. Mais, Monsieur, dois-je regarder cet éloge comme un compliment dicté par la politesse, ou comme un sentiment bien sincère de votre part, lorsque dans la même page vous me faites la grâce de me mettre au nombre de ces Philosophes dont le monde entier est la patrie, et que vous m’accusez de méconnaître les devoirs de Citoyen en favorisant les Étrangers au préjudice de mes Compatriotes. Je vous l’avoue, Monsieur, les compliments qui suivent n’ont point effacé dans mon esprit l’impression que m’a faite cette imputation. En effet ce reproche doit être sensible à tout homme qui aime sa patrie, et plus encore à un homme connu pour l’aimer passionnément. Mes preuves sont faites à cet égard dans la petite sphère de ceux dont j’ai l’honneur d’être connu ; et si les écrits peuvent être regardés comme un témoignage des sentiments, prenez la peine, Monsieur, de lire l’ouvrage dont les 22 propositions que vous citez sont une note : vous jugerez si c’est celui d’un Philosophe indifférent. 

Vous pouvez, Monsieur, m’arguer tant qu’il vous plaira sur mes principes (car vous devez les trouver très faux) ; vous pouvez m’imputer un défaut de lumières (quoique l’étude suivie que j’ai faite de la science économique, me porte à croire que j’en ai acquis quelque connaissance) mais soyez, je vous prie, persuadé qu’on peut, avec un égal attachement pour la patrie, prendre parti pour ou contre dans la question présente. Tout dépend de la manière dont on envisage les choses. Je pense que la concurrence doit être admise, par le même principe qui nous a fait désirer l’exportation ; que par la même raison que nous laissons avec plaisir passer aux Étrangers une partie de nos grains, afin de leur donner une valeur constante, nous pouvons aussi pour leur procurer encore plus de valeur, admettre les Étrangers à la voiture. Il est vrai que la première opération attire leur argent, au lieu que la concurrence nous met dans le cas, non de leur en payer, mais de leur laisser passer une partie du fret. Tout ceci git en calcul Il s’agit de savoir s’il n’y a pas infiniment plus de bénéfice pour nous à abandonner une portion du fret, qu’à vouloir tout faire par nous-mêmes. Je crois voir cet avantage dans la concurrence, et c’est ce qui me la fait désirer pour le bien de la patrie. Vous croyez l’exclusion plus utile, et vous la soutenez ; je ne le trouve pas mauvais, je le trouve même très bon, car vous avez élevé une question importante à éclaircir ; vous m’avez fourni l’occasion de la discuter, et vous avez ouvert une carrière, dans laquelle plusieurs Citoyens pourront me suivre[22]. Le public va être en état de juger sur le vû des moyens respectifs ; le procès sera instruit sous ses yeux ; ses regards doivent nous animer, et nous soutenir dans la dispute : battons-nous donc loyalement, attaquons avec force, repoussons avec vigueur ; nous l’avons fait l’un et l’autre, et c’est le droit de la guerre. Mais de grâce, ne mettons rien de personnel dans cette dispute, car il ne doit point y en avoir. À mon égard, je vous proteste que la différence des opinions ne prendra jamais rien sur les sentiments d’estime et de respects avec lesquels j’ai honneur d’être, etc.

Note sur la page 90 du Journal du 15 Juillet 1765.

* Il n’est point étonnant que les Anglais soient forés de recourir à tous les expédients possibles, la quantité de leurs Vaisseaux de Guerre excédant de beaucoup leurs forces réelles. Mais ils sentent tout l’inconvénient qu’il y a a à déranger leur commerce par la soustraction des Matelots, et il n’est rien qu’ils ne fassent pour l’éviter. Une Nation plus puissante par elle-même, et qui se servirait de toutes ses ressources, pourrait se dispenser de recourir aux même expédients.

Addition à la Lettre de M. le Trosne, page 92 du Journal du 15 Juillet, à la fin de l’alinéa qui finit par ces mot …… et par conséquent la reproduction.

On opposera peut-être qu’il est plus avantageux de classer tous les Matelots indistinctement, et d’en prendre le nombre nécessaire pour chaque expédition, sans s’inquiéter s’il en reste suffisamment pour le commerce ; que par ce moyen l’État est déchargé de leur solde lorsqu’il n’a pas un besoin actuel de leurs services, qu’en temps de paix il est inutile et coûteux d’entretenir le même nombre de Matelots sur les Vaisseaux de Roi ; que d’ailleurs la Marine marchande est nécessaire pour les former, etc.

Toutes les objections qu’on peut faire à cet égard, sont tirées de l’économie qu’on cherche à mettre dans cette dépense, plutôt que d’une nécessité absolue ; elles sont prises de notre police actuelle, plutôt que d’une impossibilité inhérente à la nature même des choses ; la difficulté disparaît : mais sous quelque point de vue qu’on les envisage, elles ne seront jamais assez fortes pour prouver qu’il soit indispensable de préjudicier au revenu de la Nation, et que l’épargne qu’on peut trouver par ce moyen soit une raison suffisante, d’un côté pour nuire au commerce par l’enlèvement de ses Matelots ; de l’autre, pour favoriser le Marchand régnicole par l’exclusion de la Navigation étrangère.

En effet, pourquoi un État ne pourrait-il pas habituellement entretenir des Matelots à son service, les former et les exercer, comme il entretient et forme des Troupes de terre ? n’en a-t-il pas également besoin pour sa défense ?[23] Pourquoi ne pourrait-on plus faire aujourd’hui ce qui s’est pratiqué avec succès chez plusieurs Nations ?

La République Romaine, qui jamais n’a cultivé le commerce, qui n’a considéré la Marine que relativement à la guerre, n’a-t-elle pas eu des Flottes formidables ; n’en a-t-elle pas imposé aux Carthaginois, qui dès la fin de la première Guerre Punique avaient déjà perdu l’Empire de la mer ? Rome a donc trouvé moyen d’avoir des Matelots sans avoir de Navigation marchande. Et quelle disproportion dans les ressources de ces deux Républiques rivales, s’il était vrai que les forces d’une Nation sur mer dépendissent de l’étendue de son commerce et du nombre de ses Vaisseaux marchands ! L’histoire même de l’Angleterre nous fournit un trait remarquable et très propre à faire voir qu’on peut, sans le concours du commerce, établir une forte Marine militaire. Dans le milieu du dixième siècle, où certainement la Navigation marchande ne fleurissait pas en Angleterre, Edgard ce Roi pacifique, mais persuadé, que pour être à l’abri des entreprises étrangères il faut en imposer par l’appareil de ses forces, Edgar construisit et soutint une Marine puissante, et afin de pouvoir exercer ses Matelots, et montrer sans cesse un armement formidable à ses ennemis, il eut toujours trois Escadres sur ses Côtes, et leur ordonna de faire de temps en temps le tour de ses États[24]. Mais sans aller chercher des exemples si éloignés, la Marine marchande était elle donc aussi nombreuse, le commerce était-il aussi étendu qu’il l’est aujourd’hui, lorsque Louis XIV créa en France une Marine Royale ? Les efforts qu’il fit tiennent presque du prodige, vû la rapidité du succès ; et il le dut aux sommes qu’il y employa et à la manière dont il fut servi, plutôt qu’au secours que lui fournit la Marine marchande. Il l’eût bientôt épuisée, s’il eût pris chez elle tous les Matelots dont il eut besoin.

Ces exemples montrent que, partout où on le voudra, on peut avoir une Marine militaire, et un Corps suffisant de Matelots, indépendamment du concours de la Navigation marchande. Si celle-ci paraît fournir une facilité de plus, il faut considérer en même temps, que si elle forme des Matelots, ils lui sont nécessaires, et ne peuvent lui être enlevés sans nuire au commerce ; qu’ainsi il faut en avoir assez pour servir à la fois l’une et l’autre Marine, non seulement en temps de paix, mais aussi en temps de guerre, et par conséquent en former et en entretenir habituellement de part et d’autre le nombre nécessaire : en effet, si en temps de paix la Marine royale veut s’en décharger en cessant de les occuper et de les payer, leur nombre restera toujours insuffisant : il sera toujours relatif et borné à l’emploi que le commerce peut lui fournir ; et il devrait être assez grand pour servir en même temps et le Commerce et les Vaisseaux de guerre ; sans quoi l’une et l’autre Marine ne pourront être servies qu’alternativement, et au préjudice l’une de l’autre. Peut-être dira-t-on qu’en temps de guerre la Navigation marchande emploie moins de Matelots et peut en fournir une partie à la Marine royale, sans faire tort au commerce qui se trouve resserré. Mais une Nation, qui a des forces maritimes assez étendues pour protéger son commerce, continue de le faire en temps de guerre, et le Commerce alors a d’autant plus besoin de Matelots, qu’il est exposé à en perdre tous les jours ; d’ailleurs les Armements en course fournissent un nouveau genre d’occupation pour un nombre considérable de Matelots.

Je ne prétends pas proposer ici un projet de réforme ; j’ai voulu seulement faire voir qu’il n’y a aucune connexité nécessaire entre les deux Marines ; qu’il est très possible d’établir une Marine militaire sans l’entremise de la Navigation marchande, puisqu’on l’a fait plusieurs fois, et qu’on ne peut, sans déranger le Commerce, se reposer sur lui du soin de former et d’entretenir les Matelots. Si donc l’on continue d’argumenter de notre Police actuelle, je répondrai que c’est argumenter d’un usage qu’on peut changer quand on le voudra ; qu’on doit convenir que c’est un inconvénient d’être obligé de dépendre de la Navigation marchande pour avoir des Matelots ; mais que ce serait le rendre bien plus préjudiciable qu’il n’est en lui-même, que de se croire forcé à borner par l’exclusion le commerce des denrées, pour procurer par cette voie l’accroissement des Matelots ; que s’il n’y avait que ce moyen pour en augmenter le nombre, il voudrait encore mieux en avoir moins que de restreindre l’exportation : qu’au reste avant la dernière guerre nous ne manquions pas assurément de Matelots, quoique l’exportation des grains ne fût pas permise. Malgré le nombre si considérable de ceux que nous avons perdus en 1755, notre Marine royale a été très bien servie en 1756 : elle commençait même à être formidable, et a eu le succès le plus brillant. Nos revers subséquents ne peuvent être attribués qu’à un enchaînement d’évènements malheureux : mais en peu d’années nous aurons réparé nos pertes sans qu’il soit besoin d’employer l’exclusion. Nous avons sans doute intérêt d’accroître le nombre de nos Matelots, mais c’est par l’augmentation du commerce en lui-même qu’il faut y travailler, comme je le dirai dans un instant, et non par une opération qui ne peut que préjudicier à la valeur des denrées et au revenu de la Nation.

 

 

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[1] Mon Adversaire prétend que les Cultivateurs ne composent pas la dixième partie de la Nation ; il n’entend parler sans doute que des Cultivateurs de grains, mais il se trompe encore de beaucoup : il y a certainement plus de la moitié de la population occupée à la culture en général ; quelques auteurs instruit estiment qu’elle emploie les quatorze vingtièmes du peuple. Or la culture des grains étant la plus étendue, il est facile de sentir combien l’évaluation de mon Adversaire est éloignée de la réalité.

Au reste, plus la culture est riche, et moins elle emploie d’hommes ; et c’est dans cette épargne que consiste en grande partie l’avantage de la grande culture. Je n’étais point instruit de la question qui s’agite actuellement sur la différence qui se trouve entre l’une et l’autre culture : je viens d’apprendre qu’elle s’est élevée au sujet de la quatrième de mes vingt-deux propositions, que voici : La grande culture exige de fortes avances, et donne un grand produit ; la petite culture en exige moins, mais ne rend presque rien ; donc elle est plus coûteuse. On a attaqué dans la Gazette du Commerce du 2 Octobre 1764 cet axiome reconnu si avantageusement par l’excellente ouvrage de l’exportation et importation des grains, a cru devoir prendre la défense de ma proposition dans une lettre imprimée à Soissons en 1765 ; et la dispute n’est point encore terminée.

[2] En quelque genre que ce soit, on n’obtient rien sans dépenses. Il en coûte des frais considérables pour tirer les productions du sein de la terre, pour les récolter, pour les conserver, pour leur procurer la valeur, et les voiturer dans les lieux où se trouve le débit favorable. Tous ces frais sont des avances à faire, qui sont prises sur le produit total avant de pouvoir calculer le produit ; car il ne consiste que dans la somme qui reste après le remboursement de toutes les dépenses nécessaires. Ce n’est pas que la portion des productions dont le prix est employé au remboursement des frais de culture et de commerce ne fasse partie des richesses de la nation, puisqu’elle est le patrimoine des Cultivateurs et des Agents du commerce, et qu’elle sert à entretenir le fonds des avances de la culture et des agrets du commerce ; mais cette portion ne forme point un revenu disponible ; elle a une destination certaine, et qu’on ne peut déranger sans porter atteinte à la reproduction.

[3] Il n’y a donc d’opérations vraiment et généralement utiles que celles qui tendent à favoriser le débit et la valeur des denrées, d’où dépend la quotité du revenu ; et il ne s’agit pour cela que d’établir une liberté et une immunité entière au dedans et au dehors, dans le commerce et dans la consommation. Lorsque nous y serons parvenus (et nous n’avons encore fait qu’un pas) tout le reste ira de soi-même, et il n’y aura plus d’autre régime que celui de l’ordre naturel.

[4] Donc c’est manquer tous les principes que de mettre en opposition ces deux intérêts et de dire, il suffit que le laboureur soit remboursé de ses avances. Car s’il ne fait que les retirer, où est le produit net, qui doit faire subsister toute la nation à commencer par le Souverain.

[5] Je parle ici des classes salariées en général, et non de telle ou de telle classe en particulier. Prises ensemble, leur intérêt commun est inséparables, parce que la somme des salaires qui circule dans une nation est déterminée par la somme du revenu ; de manière qu’on ne peut provoquer l’industrie et le commerce qu’en augmentant la masse des productions, en procurant la valeur et l’accroissement du revenu ; car tout est par l’ordre naturel subordonné à cet intérêt général. Si par des moyens contraires à ce but unique on cherche à favoriser quelques classes salariées prises séparément, on y parviendra peut-être ; mais ce sera au préjudice du tout. C’est ainsi, par exemple, qu’on peut en provoquant le luxe, favoriser tel genre de manufacture ou de commerce, ou privilégier tel fabricant contre les autres ; ce n’est plus alors un gain, c’est une perte, dont peut-être on ne s’apercevra pas, parce qu’on est préoccupé d’un objet particulier, mais qui n’en est pas moins réelle. Ainsi on peut par l’exclusion procurer un plus grand bénéfice au Voiturier national ; mais ce ne peut être qu’au préjudice du commerce de la nation, de la valeur et du revenu. La source de cette erreur pratique vient de ce qu’on confond aisément l’intérêt du Commerçant avec celui du commerce en lui-même. Cependant l’un n’est point l’autre : l’intérêt de tel Négociant en particulier est le sien et n’est que le sien. Celui de tous les Négociants régnicoles pris ensemble, quoique plus général, n’est point encore toujours celui de la nation ; car en fait de commerce extérieur les régnicoles ne sont pas les seuls agents nécessaires d’une nation : s’ils prétendent avoir seuls le droit de la servir, s’ils sollicitent quelqu’opération contraire à la liberté ; ce n’est plus intérêt légitime, c’est cupidité ; et cette cupidité est directement contraire à l’intérêt d’une nation, qui quelque sophisme qu’on oppose au contraire, consistera toujours dans la liberté la plus étendue.

[6] N’est-il pas sensible qu’il est de l’intérêt d’un canton fertile en productions de trouver à sa proximité un marché considérable, où la quantité d’acheteurs met l’enchère à sa denrée, et qu’il est peu important pour lui de vendre à un régnicole ou à un étranger, et de voir sa denrée enlevée par l’un ou par l’autre : tout ce qui le touche est de vendre à bon prix, et il trouve cet avantage dans la concurrence des acheteurs et dans la facilité des débouchés. Il semble que les objets changent de nature à nos yeux lorsque nous les voyons en grand ; mais l’intérêt d’une nation agricole est précisément le même que celui de ce canton particulier.

[7] Cette vérité si simple a le sort de bien d’autres qu’on est sûr de ne pouvoir avancer sans s’exposer à la contradiction. Que n’a pas fait l’intérêt particulier pour l’obscurcir ? il y a tellement réussi qu’elle passera pour un paradoxe dans l’esprit de bien de lecteurs ; il faut en quelque sorte avoir du courage, non pour se livrer à l’étude de la science économique (c’est une des sciences les plus satisfaisantes par la certitude et la fécondité de ses principes) mais pour oser publier les vérités qu’elle enseigne.

[8] Une nation marchande n’envisage le commerce que par rapport aux salaires et à la rétribution, et elle agit en cela conformément aux lois de sa constitution. Sans s’attacher à aucune nation en particulier, elle les sert toutes à la fois, et ne se détermine que par le profit. Une nation agricole doit traiter le commerce comme il traite lui-même toutes les nations, le regarder du côté de l’utilité qu’elle en tire, ne favoriser aucuns Négociants en particulier, mais les admettre et les inviter tous à faire valoir ses denrées ; car c’est par sa profession et non par son domicile qu’un Négociant doit être considéré.

[9] C’est sur ces principes qu’est établie la réciprocité du commerce entre les nations. Celle qui la première a porté atteinte à la liberté fondée sur l’avantage commun, s’est constituée dans un état habituel de guerre avec les autres peuples, et a donné l’exemple le plus funeste. Les autres se sont crus forcées de le suivre, elles ont usé de représailles et n’ont pas senti qu’elles ne pouvaient le faire sans se nuire à elles-mêmes. C’est ainsi que le commerce a été resserré et étranglé de toute part : c’est ainsi que toutes les frontières se sont hérissées de prohibitions et d’impôts répulsifs. On conçoit aisément que l’intérêt des nations consisterait dans réciprocité la plus libre : (mon adversaire en convient, page 215) mais il n’est presque personne qui sente combien une nation agirait utilement pour elle-même en ouvrant tous ses ports au commerce, et en fixant la liberté de son territoire indépendamment de la conduite des autres nations.

[10] Si on examine les choses avec attention, on reconnaîtra que l’effet de la liberté du commerce n’est pas tant de renchérir beaucoup de blé, que de lui donner une valeur uniforme ; de manière que le prix ordinaire et habituel n’excédera tout au plus que d’un sixième le prix commun de vingt années dans l’état de prohibition. Nous avons vu par une triste expérience que dans un pays fermé au commerce le prix du blé varie depuis 10 liv. jusqu’à 25 liv. le septier, espèce de désordre qui empêche d’établir une proportion certaine entre le produit des récoltes et le prix des baux, qui détruit la relation qui doit être entre les salaires et la valeur des denrées, qui trouble les combinaisons les plus essentielles, qui dérange tout l’ordre économique, et ne laisse rien de fixer dans la rentrée des avances du Cultivateur, dans les revenus des propriétaires, ni dans les moyens de subsistance pour le reste de la nation.

[11] Un des grands avantages de la liberté du commerce, c’est de rapprocher la trop grande différence qui se trouvait entre le prix commun du vendeur et celui de l’acheteur, et d’enrichir le cultivateur sans augmenter le prix commun du blé. Le vendeur faute de débouchés vendait à très bas prix dans les années abondantes : il vendait cher à la vérité dans les années de disette, mais il avait peu à vendre. Le consommateur à qui il faut tous les ans la même quantité, achetait année commune l’une dans l’autre le blé à trente sols plus cher par septier, que ne le vendait année commune le cultivateur. La différence de prix ne sera plus guère que de dix sols, de manière qu’il se trouvera vingt sols d’accrue au profit du revenu sans aucune augmentation réelle. Voyez-en la preuve détaillée dans le mémoire de M. Dupont, page 40.

[12] Le prix de la revente chez l’étranger dans lequel entrent les frais de transport n’est point le prix commun de l’Europe ; car il est sensible que s’il y a cherté en Espagne, le prix de l’Espagne n’est pas le prix commun du marché général, puisque c’est un prix de cherté, et que le prix commun est un prix soutenu très éloigné de la cherté. Le prix commun est donc celui auquel le blé se vend dans les principaux marchés de l’Europe : et ce prix commun est plus fort pour les nations qui exportent à moindres frais.

[13] Supposons que le prix du fret soit de vingt-quatre livres par tonneau, cette somme est moins sensible lorsqu’elle est distribuée sur une valeur de 500 livres ou de 1 000 livres, que lorsqu’elle porte sur une valeur de 150 ou 160 livres qui est le prix commun du tonneau de blé. Donc si jamais il fut nécessaire d’admettre la concurrence pour faire baisser le fret, c’est dans la voiture des grains.

[14] On n’a point assez d’idée des frais qu’occasionne le transport du blé à une certaine distance. Sans entrer ici dans un détail qu’il serait facile de se procurer, je me contente de présenter ici le résultat des frais faits pour envoyer d’Orléans seulement à Bordeaux vingt tonneaux de blé en Avril 1764. Ce résultat pourrait n’être pas tout à fait le même aujourd’hui, parce que le prix du fret est sujet à varier. Mais les frais d’envoi sont montés alors à plus de 1 200 livres, y compris le paiement du droit d’entrée à Bordeaux, qui à 15 s. par septier monte à 132 liv. et des autres droits qui se perçoivent sur la route d’Orléans à Bordeaux. L’achat de la première main à Orléans à 130 liv. le tonneau était de 2 600 livres ; de sorte que les frais montaient à près de la moitié de la valeur première : il est facile de concevoir par là combien les frais apportent d’obstacle à la sortie, et combien il serait intéressant de les diminuer 1°. Par la concurrence, 2°. Par la suppression de tous les droits.

[15] Pour peu que le blé augmente chez nous, on diminue chez l’étranger, l’exportation est arrêtée sur le champ. Les frais élèvent aussitôt une barrière insurmontable ; ainsi le concours de deux causes opposées conspire à mettre des bornes à la sortie. D’un côté, dès que le blé est cher chez l’étranger, tout le monde y porte, et il ne tarde pas à baisser le prix ; cherté fait abondance il y a ordinairement de la perte pour ceux qui arrivent les dernières. D’un autre côté, les enlèvements font peu monter le blé aux endroits des chargements ; et dès qu’il est à un certain prix, il devient trop cher pour soutenir les frais du transport, et il s’arrête. Telles sont les bornes que la nature des choses et la liberté du commerce mettent à l’exportation sans qu’il soit besoin de l’influence du gouvernement. C’est ainsi que l’eau d’un canal supérieur coule dans le bassin d’une écluse et l’emplit avec plus ou moins de dépense, suivant la différence plus ou moins grande qui se trouve entre le niveau du canal supérieur et celui de l’inférieur.

[16] D’un côté il est certain en général que les Hollandais naviguent à bien moindres frais que nous, et ce bon marché vient de plusieurs causes qui sont particulières : le fur de l’argent, qui est très bas chez eux, d’une part facilite les entreprises, et de l’autre les forces et les accoutume à se contenter d’un moindre bénéfice que nous ; ils cherchent une grande partie de leurs profits dans l’extrême frugalité avec laquelle ils vivent, et dans l’économie sur toutes les parties de la navigation. D’ailleurs la marine étant leur héritage, leur patrimoine et leur moyen de subsistance, le nombre de leurs Vaisseaux est très considérable. Or en tout genre c’est la quantité qui décide du prix. Il est donc certain que les Hollandais naviguent à meilleur marché que les autres Nations, ces raisons s’appliquent en partie à l’Angleterre, et font que la Navigation est moins chère que la nôtre.

D’un autre côté, il est également certain, que si ces raisons influent sensiblement sur le prix de la voiture chez une Nation, et la rendent plus ou moins chère en général relativement au prix d’une autre Nation, cette différence disparaît à l’égard de plusieurs Vaisseaux de différentes Nations, qui se trouvent en concurrence dans un même port ; il n’est point alors question du prix particulier à chaque Nation : tout cède à la raison prépondérante de la concurrence ; ou bien si un Vaisseau se donne à moindre prix que les autres, c’est qu’il est pressé de partir, ou que sa route le porte dans l’endroit pour lequel on lui offre de la voiture. Mais en général, le prix est le même pour tous les Vaisseaux qui se rencontrent dans un même port. C’est ainsi que les eaux réunies de deux fleuves se mêlent, se confondent, et perdent la différence relative de leur vitesse. 

En lui-même le fret n’a point de prix déterminé ; il se règle sur le besoin et les circonstances ; il baisse ou renchérit suivant la demande : c’est un marché relatif au moment. 

Il faut conclure de ces réflexions, 1°. Que le fret, considéré de Nation à Nation, peut être plus cher chez l’une que chez l’autre ; 2°. Mais qu’il est le même pour les Vaisseaux de plusieurs Nations qui se trouvent dans un même port ; 3°. Que le fret n’ayant rien de fixe par lui-même, mais étant sujet comme tout autre marché à varier suivant la demande, le seul et vrai moyen de le faire baisser, est d’admettre la concurrence la plus entière ; car si la quantité de ceux qui ont besoin de voiture, influe sur le fret à l’effet de le renchérir ; la quantité de Vaisseaux qui sont à louer dans un même port, influe sur le fret à raison de le réduire ; et quelque soit  le nombre des Vaisseaux marchands dans une Nation, il n’approchera jamais de celui que la concurrence peut procurer ; 4°. Que si les Étrangers sont exclus de transport d’une marchandise en particulier, leur concurrence cessant en cette partie, la voiture renchérit nécessairement, non seulement pour le transport de cette marchandise, mais aussi dans toutes les parties du commerce surtout lorsque la branche réservée est considérable. Car alors le nombre des Voituriers diminue, les Vaisseaux exclus n’influent plus sur le fret à l’effet de le réduire, et les Régnicoles s’en prévalent pour se faire payer plus cher. La concurrence des Étrangers dans les autres branches, pourrait, non pas rétablir le niveau naturel en faveur du commerce de la Nation, mais du moins arrêter en partie les effets de l’exclusion, et les rendre moins sensibles : mais si cette concurrence est chargée d’un impôt mis sur la navigation étrangère, elle n’est plus pleine, entière et libre ; l’Étranger est forcé de se rédimer de cette impôt sur le prix de la voiture, ou s’il ne peut soutenir la concurrence du Régnicole privilégié, l’impôt devient pour lui une exclusion positive, dont le Régnicole profite pour être le maître du prix, et faire seul le cabotage : c’est ainsi que les frais du commerce augmentent au détriment de la valeur première, qui est le seul et grand intérêt d’une Nation. 

Il faut entendre suivant cette note, ou même réformer sur elle ce que j’ai dit de la cherté de notre fret dans plusieurs endroits du premier Journal, notamment pages 53 et 74.

[17] On oppose à cette vérité le principe général qu’il vaut mieux faire son ouvrage soi-même, que d’en laisser faire une partie aux autres. Ce principe est bon en lui-même, mais il n’est souvent qu’une pure affaire de calcul : il reçoit application lorsqu’on peut tout faire soi-même sans inconvénient, et sans perdre d’un côté plus qu’on ne pourrait gagner. En effet ce serait une économie mal entendue que celle d’un laboureur qui voudrait faire sa moisson tout seul avec ses domestiques, qui manquerait le moment favorable de la récolte et retarderait ses autres ouvrages. Pour choisir une comparaison plus analogue à la matière présente, croit-on qu’une Province fertile en vins, telle que l’Orléanais, par exemple, entendît ses intérêts et fît une bonne opération de défendre la sortie de ses vins par tout autre voiturier que par ceux qui sont domiciliés de la Province, et ce dans l’intention de leur conserver tous les salaires de la voiture, qui sont en effet très considérables, et qui procurent une consommation très étendue en bien des genres : on lui répondrait, mais le bien général de la Province exige la plus grande liberté dans les communications ; l’intérêt des propriétaires doit l’emporter sur celui des voituriers, et leur intérêt est de dépenser moins en frais de voiture pour avoir plus de produit net, vos voituriers vont se prévaloir de l’exclusion pour vous faire la loi, vous payerez la voiture plus chère, et vous perdrez une partie de la valeur en surhaussement de frais de commerce. D’ailleurs vous manquerez mille occasions de vendre, les voituriers étrangers qui vous apportent des marchandises ou qui traversent votre Province chargeraient des vins au retour. Les autres Provinces gênées par cette prohibition s’approvisionneront d’un autre côté ; et que diriez-vous, si usant du droit de représailles, et repoussant votre acte ennemi par une hostilité du même genre, elles défendaient à vos voituriers l’entrée de leur territoire ; jugez vous-même qui serait le plus puni, ou d’elles qui faute de vos vins en trouveraient aisément ailleurs, ou de vous qui ne pourriez plus vendre. C’est à peu près de cette manière que le commerce est traité de nation à nation.

[18] Les étrangers, principalement les Hollandais qui sont un peuple de revendeurs, feraient des achats en France et établiraient des magasins s’ils avaient la liberté de venir charger chez nous. Souvent ils trouveraient plus d’avantage à prendre des grains en France, soit pour leur consommation, soit pour leur commerce, que d’en aller chercher à Dantzig, sur tout depuis la nouvelle douane que le Roi de Prusse vient d’établir et qui gênera le commerce de cette Ville. Souvent aussi la préférence de nos blés entrerait pour eux dans des arrangements de voyages et dans des combinaisons d’épargne sur les envois et les retours. Mais achèteront-ils jamais nos grains sans pouvoir les voiturer ? Notre ambition doit-elle aller jusqu’à voiturer des grains achetés par les étrangers, et dont la sortie n’aurait pas eu lieu sans la concurrence. 

Si ce sont des salaires que nous recherchons par le moyen de l’exclusion, nous devons sentir que si nous en perdons d’un côté, nous en regagnerons d’un autre, parce qu’un bâtiment étranger ne peut entrer dans nos ports sans y répandre de l’argent et y faire une dépense dont on aurait été privé si on avait refusé de l’admettre ; car les étrangers, comme les régnicoles ne peuvent faire un changement sans employer des bras et fournir du travail.

[19] Le commerce est un service public, nécessaire mais dispendieux. Son effet est de procurer la valeur. C’est donc pour son effet qu’une nation agricole doit le rechercher, et non pour les frais qu’il occasionne ; au contraire son service sera d’autant plus utile qu’il sera moins coûteux.

En effet, toute espèce de valeur ne contribue par au revenu. Il dépend uniquement du prix originaire de la première vente. Ce prix est si simple unique, et passe directement et tout entier de la main de l’acheteur dans celle du vendeur. Mais le prix de la revente est composé 1°. Du prix originaire, 2°. De la rétribution du commerçant, 3°. Du montant des frais de transport, commission, douanes, impôts. Ces deux derniers articles qui augmentent le prix relativement au consommateur, n’ajoutant rien à la valeur primitive de la chose, sont pour le moins étrangers au revenu. Ils ne présentent qu’un remboursement d’avances qui ont été faites, de rétribution et de faux frais. La France vend à l’Espagne pour 100 000 l. de blé pris sur le lieu de la production. Les frais de voiture, tant par mer que par terre font que cette même quantité de blé arrivée à Cadix revient à 150 000 liv. Les 50 000 liv. de frais qui sont entrés dans le prix de la revente ne tournent point au profit des vendeurs originaires. C’est un objet de dépense causé par l’éloignement. La nation qui a vendu ne retire donc de net que le prix de la première vente : elle est donc intéressée à la réduction des frais de commerce, car ils se font au préjudice de la valeur première, et ce qu’on peut en retrancher est un gain pour elle.

[20] Ce que dit M. de la Chalotais à l’occasion du petit impôt mis à la sortie de nos blés s’applique avec bien plus d’étendue à la cherté du blé causée par l’exclusion.

L’augmentation des frais de transport, dit-il, fait perdre à la nation des revenus considérables, et détruit nécessairement sa concurrence avec les autres nations.

Cette phrase dit tout en deux mots ainsi que la précédente, les plus petits droits sur les ventes ou sur les achats (car cela est égal) sont un impôt qui en fait tarir la source : or qu’importe que les achats et les ventes soient gênés par un impôt, ou par la cherté de la voiture, l’effet est le même, ce qui prouve que tout impôt mis sur la voiture étrangère est mis sur la nation au profit du voiturier régnicole.

[21] On les a insérées dans la Gazette du Commerce du 4 Septembre 1764.

[22] Il est à désirer que ceux qui font d’un sentiment contraire sur tous les principes économiques, veuillent bien prendre la peine de faire valoir leurs opinions ; c’est le seul moyen d’éclaircir les matières. Dans la grande dispute de l’exportation, on a publié de notre côté des ouvrages sans nombre ; nos Adversaires se contentaient de beaucoup parler sans écrire, il semblait qu’ils n’osassent se compromettre : à peine a-t-on vu quelques-unes de leurs objections paraître dans la Gazette du Commerce ; il a fallu saisir les autres dans les conversations. N’est-ce pas se méfier de sa cause, que de n’oser la défendre. Il faut espérer qu’il n’en sera pas de même de la question présente, et sur celles qui peuvent s’élever sur la liberté du commerce et de la navigation en général.

[23] On donne des congés de semestre aux Soldats, ne pourrait-on pas de même en donner successivement aux Matelots, et ne leur payer alors que la moitié solde ? Ils profiteraient de ces congés pour servir sur les Vaisseaux marchands, s’exercer, et gagner quelques salaires de plus.

[24] Histoire d’Angleterre par M. Hume.

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