Oeuvres de Turgot – 059 – Modérations d’impôts

1763.

59. — MODÉRATIONS D’IMPÔTS[1].

Circulaire aux curés.

[D. P., IX, 444.]

(Modérations pour pertes de bestiaux. — Requêtes des paroissiens. — Modérations pour rentes sur les vingtièmes. — Difficulté des transmissions.)

Limoges, 22 janvier.

Persuadé, M., que MM. les curés ne se porteront pas, cette année, avec moins de zèle que l’année dernière à me faciliter les moyens de soulager ceux de leurs paroissiens qui essuieront des pertes de bestiaux, conformément à l’invitation que je leur en ai faite par ma lettre du 3 mai 1762[2], je joins à celle-ci de nouveaux états en blanc, en vous priant de vouloir bien les remplir comme ceux de l’année dernière.

Plusieurs de MM. les curés m’ont représenté qu’il serait moins embarrassant pour eux de ne m’envoyer ces états que tous les trois mois, et j’ai aussi éprouvé de mon côté que la trop grande multiplicité des états envoyés tous les mois donnait quelque embarras dans mes bureaux et rendait l’expédition plus pénible. C’est ce qui m’a déterminé à ne vous envoyer pour cette année que quatre états, dont chacun servira pour trois mois. Les noms des mois auxquels chacun de ces états est destiné sont imprimés en tête, et je vous serai obligé d’y faire attention pour ne les pas confondre.

Malgré ce changement, j’espère que vous aurez toujours soin d’inscrire sur votre état les pertes à mesure qu’elles arriveront. Cette attention est importante, parce qu’il est plus aisé de constater ces sortes d’accidents sur-le-champ qu’après quelques mois, et je ne puis trop vous recommander de prendre toutes sortes de précautions pour n’être point trompé. J’ai lieu de craindre que quelques-uns de MM. les curés n’aient eu un peu trop de facilité à s’en rapporter à la simple déclaration de ceux qui prétendaient avoir perdu des bestiaux. Je suis bien persuadé qu’aucun d’eux ne voudrait faire servir la confiance que je leur donne à favoriser qui que ce soit injustement, et à procurer des modérations à ceux dont la perte n’aurait pas été réelle. Quoique les modérations que j’accorde sur la capitation ne retombent pas immédiatement sur la paroisse, il est cependant vrai que l’imposition faite sur la Province doit remplir le montant de ces diminutions, et qu’ainsi la charge des autres contribuables est toujours augmentée, quoique d’une manière peu sensible. Cette raison seule suffit pour vous engager à redoubler de précautions, afin qu’on ne vous en impose pas ; la meilleure de toutes est celle que je vous ai déjà proposée dans ma lettre du 3 mai dernier, la lecture publique de vos états.

J’ai ajouté, dans les états que je vous envoie pour cette année, une nouvelle colonne dans laquelle je vous prie de marquer, à côté du nom de chaque particulier, l’article du rôle sous lequel il est taxé. Faute de cette précaution, il a fallu un temps infini, l’année dernière, pour former les états de modération que j’ai renvoyés à MM. les curés. On a perdu beaucoup de temps dans mes bureaux à feuilleter les rôles pour y trouver les noms de ceux qui se trouvaient compris dans les états, et l’expédition des modérations que j’avais promises en a été retardée de plusieurs mois. Avec l’attention que je vous demande et celle d’écrire les noms bien lisiblement, j’espère que les modérations suivront, cette année, la réception de vos états de plus près que l’année dernière.

Vous voudrez bien d’ailleurs vous conformer à ma lettre du 3 mai 1762, avec la restriction cependant de ne plus comprendre dans vos états les bêtes à laine. Je vous ai fait part, dans la lettre que j’ai jointe aux premiers états de modération que vous avez reçus[3], des motifs qui m’ont engagé à supprimer en même temps et la gratification pour la perte des brebis, et la taxe qu’il était d’usage d’imposer sur les propriétaires de cette espèce de bétail.

Lorsque vous recevrez les ordonnances de modération, je vous prie de continuer à faire marquer les solvit sur le rôle en votre présence, soit par des croix suivant l’usage des collecteurs, soit en écrivant à la marge du rôle le montant des modérations. Je sais que plusieurs des collecteurs sont dans l’usage de n’écrire les reçus à compte qu’à la fin du rôle ; mais il vaut beaucoup mieux qu’ils soient écrits à la marge de la cote du contribuable, et j’ai fait laisser exprès une très grande marge dans les rôles de cette année. Les collecteurs ne doivent faire aucune difficulté de prendre pour comptant mes ordonnances de modération, et de rembourser ceux qui auraient déjà payé toutes leurs impositions. J’ai pris des arrangements pour que MM. les receveurs des tailles ne fassent aucune difficulté de leur en tenir compte.

J’espère que vous voudrez bien aussi vous charger, comme par le passé, de m’envoyer les requêtes de ceux de vos paroissiens qui auront quelque chose à demander, et les détourner de me les apporter eux-mêmes. Je vous serai obligé de faire attention à ce que, dans toutes celles où il s’agira des impositions, l’article du rôle soit toujours indiqué. Je tâcherai d’y répondre le plus promptement qu’il me sera possible ; mais il arrive souvent que je suis obligé de les renvoyer, ou aux commissaires des tailles, ou aux subdélégués, ou à d’autres personnes pour me procurer des éclaircissements : il ne faut pas pour cela imaginer que je ne les aie pas reçues ou qu’elles aient été oubliées.

Par rapport à celles qui concernent le vingtième en particulier, quelque diligence que je désirasse apporter à les expédier, les éclaircissements que je suis obligé de prendre me forcent quelquefois à les garder beaucoup plus longtemps que je ne voudrais. Il y en a plusieurs, telles que les demandes en modération qui ont pour motif des accidents extraordinaires, comme grêle, incendies, etc., et les demandes en déduction pour des rentes dues à gens de mainmorte, lorsqu’elles sont présentées pour la première fois et qu’il est d’usage d’envoyer au Conseil, ce qui retarde nécessairement la décision. Je fais cette observation pour prévenir la juste impatience qu’on a ordinairement de recevoir une réponse à ses demandes, et en même temps pour engager à se pourvoir très promptement et, s’il est possible, aussitôt après qu’on a connaissance de sa cote. Quoique j’aie retardé jusqu’à présent l’arrêté des comptes de 1760, afin de pouvoir rendre justice, sur cette année, pour les doubles emplois que la vérification des commissaires des tailles ne pouvait manquer de faire découvrir, cette circonstance extraordinaire ne tirera point à conséquence ; et, lorsque tout rentrera dans l’ordre accoutumé, les comptes du vingtième seront arrêtés avant la fin de la seconde année. Or, il n’est plus possible d’accorder de modérations sur les années dont les comptes sont une fois rendus.

Plusieurs personnes, faute d’être instruites des principes, me présentent des requêtes inutiles, ou omettent de joindre à celles qui sont justes les pièces nécessaires pour me mettre à portée de leur rendre la justice qui leur est due, ce qui oblige à répondre par des interlocutoires qui retardent beaucoup la satisfaction qu’elles attendent. Cette observation regarde surtout les requêtes par lesquelles on me demande des déductions pour différentes rentes qu’on est chargé de payer sur son bien. Je crois utile, pour prévenir ces inconvénients, d’entrer ici dans quelques détails relativement au cas où l’on peut se pourvoir pour obtenir des déductions sur ses vingtièmes, et aux pièces qu’il est nécessaire de joindre.

L’on n’accorde jamais aucune déduction pour rentes dues à des particuliers. Si ce sont des rentes seigneuriales, elles ont dû diminuer l’appréciation du fonds faite par les contrôleurs, et elles ne sont imposées que sur la tête de ceux qui ont droit de les percevoir ; si ce sont des rentes secondes ou des rentes constituées, on est en droit de retenir les vingtièmes par ses mains, et dès lors il n’est dû aucune déduction. Les conventions particulières, par lesquelles on aurait renoncé au droit de retenir les vingtièmes, ne changent rien à cette règle, parce que, si un particulier a renoncé volontairement au droit que la loi lui donnait, le Roi n’est pas obligé de l’en dédommager.

On déduit le vingtième pour les rentes constituées dues aux maisons religieuses et aux gens de mainmorte ; mais il est nécessaire que ces rentes soient constituées avant l’édit du mois d’août 1749, ou que la constitution ait été autorisée par des lettres-patentes, parce que, toute nouvelle acquisition étant interdite aux communautés par cet Édit, elles n’ont aucune exemption de vingtième pour les rentes qu’elles auraient acquises depuis l’interdiction : par conséquent, les débiteurs sont en droit de se retenir le vingtième, sauf leurs conventions particulières que la loi ne connaît pas.

Les constitutions pour les dots des religieuses, les pensions viagères aux religieux ou religieuses, ne sont point comprises dans cette limitation, et ceux qui doivent ces rentes ou pensions obtiennent une déduction proportionnée sur leurs vingtièmes.

La première fois qu’on se pourvoit, il est nécessaire de joindre le titre constitutif de la rente ou pension, ou bien une copie en forme ou collationnée par un subdélégué, le Conseil exigeant cette pièce pour accorder la déduction. Dans la suite, et lors qu’une fois on a obtenu cette déduction, il suffit de joindre chaque année à sa requête une quittance de l’année pour laquelle on demande la déduction ou, à défaut de quittance, un certificat qui constate que la rente est toujours due et n’a point été remboursée.

Vous me ferez plaisir d’instruire de ces règles ceux qui auraient de semblables requêtes à me présenter, et qui s’adresseraient à vous.

Quelques-uns de MM. les curés m’ont fait part de différentes levées de droits qui se font dans les campagnes à différents titres, et qui ne regardent point les impositions ordinaires. Il se peut qu’il y en ait quelques-unes d’autorisées ; mais il se peut aussi que quelques particuliers abusent de la simplicité des paysans pour leur extorquer de l’argent qu’ils ne doivent pas, ou pour s’en faire payer plus qu’il ne leur est dû. Le vrai moyen de découvrir ces sortes d’exactions, et d’en arrêter le cours, est de bien avertir les paysans de ne jamais donner d’argent à ces sortes de gens sans en avoir une quittance. Si celui qui exige cet argent ne veut pas donner de quittance, c’est une preuve qu’il demande ce qui ne lui est pas dû, ou qu’il demande plus qu’il ne lui est dû. S’il donne la quittance, il vous sera aisé de m’en envoyer une copie, en me rendant compte du fait, et j’aurai soin de vérifier si les droits qu’on veut lever sont légitimes ou non.

Je sais que, malgré les soins qu’on prend dans mes bureaux pour faire parvenir à MM. les curés mes lettres, ils les reçoivent quelquefois bien tard ; il y a même eu, dans les envois de ma lettre du 3 mai et des états qui l’accompagnaient, quelques omissions auxquelles il est très difficile d’obvier, sans une connaissance plus exacte de la situation de chaque paroisse et de l’adresse de chaque curé, que je n’ai pu jusqu’ici me procurer.

L’on n’avait point dans mes bureaux une liste exacte de tous les curés dont les paroisses s’étendent dans cette généralité. Les premiers envois ont été faits d’après les assiettes qui servent au département de la taille, et l’on ne trouve dans ces assiettes que les noms des collectes, et non ceux des paroisses. Quelques-unes de ces collectes contiennent plusieurs paroisses, quelquefois aussi une seule paroisse renferme plusieurs collectes ; d’autre fois, une collecte est formée de plusieurs villages dépendant d’une seule ou de différentes paroisses ; il y a aussi quelques collectes qui ne sont que des enclaves de paroisses situées dans une autre élection ou même dans une autre généralité. Dans tous ces cas, il aurait été nécessaire d’envoyer à chaque curé autant d’états qu’il a dans sa paroisse de collectes ou de parties de collectes différentes, afin qu’on pût remettre à chaque collecteur l’ordonnance de modération qui concerne les villages de sa collecte ; et, lorsque les collectes sont composées de différentes paroisses, il aurait fallu envoyer à chacun des curés un état pour y comprendre les pertes arrivées dans les villages de chacune des collectes qui dépendent de sa paroisse.

Si l’on ne s’est point exactement conformé à cet ordre dans les premiers envois, et si même on ne s’y conforme pas entièrement dans celui-ci, c’est faute de connaissances suffisantes, et je prie les curés de vouloir bien, en me donnant sur cela celles qui me manquent encore, me mettre à portée de réparer les omissions qui ont pu être faites par le passé, et de n’en plus faire à l’avenir.

Je vous serai donc obligé, M., en cas que votre paroisse s’étende dans différentes collectes, de vouloir bien m’en instruire en m’envoyant l’état de tous les villages dont la paroisse est composée, et distinguant ceux qui appartiennent à chaque collecte. Si votre paroisse s’étend dans plusieurs élections ou dans plusieurs généralités, il sera nécessaire de distinguer pareillement les villages qui appartiennent à chaque élection ou à chaque généralité, et de marquer dans quelle élection on dans quelle généralité est situé le chef-lieu ou l’église. S’il se trouvait dans la collecte qui porte le nom de votre paroisse quelques villages qui n’en dépendissent pas, vous voudriez bien aussi m’en donner l’état et m’indiquer la paroisse dont ils dépendraient. Il ne vous en coûtera rien de joindre à ce détail le nom du diocèse et celui de la juridiction dont dépend votre paroisse, et je vous en serai obligé.

Instruit de ces détails par ceux de MM. les curés à qui cette lettre parviendra, il me sera facile de reconnaître si j’ai omis de l’envoyer à quelques-uns, ou si je ne leur ai pas envoyé autant d’états en blanc qu’il leur en aurait fallu, et je ferai sur-le-champ réparer ces omissions.

Le retard de l’envoi de mes lettres vient aussi de la rareté et du peu de sûreté des occasions qu’on a pour les envoyer : la poste ne va pas partout ; d’ailleurs, le port de mes lettres pourrait être quelquefois dispendieux pour MM. les curés, et mon intention n’est pas que la correspondance que j’entretiens avec eux leur soit onéreuse.

Jusqu’à présent, je me suis servi de la voie de MM. les receveurs des tailles, qui remettent aux collecteurs, lorsqu’ils vont à la recette, mes paquets pour MM. les curés. Cette voie n’est, je le sens, ni aussi prompte, ni aussi sûre que je le désirerais. Je puis encore adresser mes paquets aux subdélégués chacun pour leur canton ; mais souvent, quoique plus voisins des paroisses de leur subdélégation, ils ont moins d’occasions que les receveurs des tailles d’y envoyer des paquets. Je continuerai donc à me servir de la voie des receveurs des tailles, à moins que MM. les curés ne m’en indiquent une autre plus prompte et plus sûre, en me donnant une adresse dans quelque lieu à portée d’un subdélégué où je puisse leur faire tenir mes lettres. Si vous en avez une à m’indiquer, je vous prie de me le mander en m’accusant la réception de celle-ci et des états qui y sont joints.

P. S. — Je vous serai obligé de continuer à mettre sur l’enveloppe des lettres et des états que vous m’adresserez le mot bureau, et de prévenir vos paroissiens d’en faire autant, à moins que ces lettres ne continssent quelque chose de secret.

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[1] On trouve aux Archives de la Haute-Vienne (C. 98, p. 78) une circulaire de Turgot aux receveurs des tailles du 21 juin 1763, relative à des pièces à fournir et qu’il serait sans intérêt de reproduire.

[2] Voir ci-dessus, p. 169.

[3] Circulaire du 28 septembre 1762, p. 177.

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