Oeuvres de Turgot – 089 – L’impôt indirect

89. — L’IMPÔT INDIRECT.

Observations sur les mémoires récompensés par la Société d’Agriculture de Limoges.

[A. L., minute. — D. P., 312, avec changements.]

(L’avis ci-après, qui fut donné aux journaux du temps, indique les résultats du concours ouvert par la Société d’Agriculture de Limoges :

« La Société a reçu plusieurs pièces pour concourir au prix destiné par M. l’Intendant de la généralité de Limoges, au Mémoire dans lequel on aura le mieux démontré et apprécié l’effet de l’impôt indirect sur le revenu des propriétaires des biens-fonds. Quoique aucune de ces pièces n’ait paru donner la solution complète et rigoureuse du problème proposé, la Société a jugé que le Mémoire qui a pour devise : Brama assai, poco spera, e nulla chiede[1], en approchait assez pour mériter le prix qu’elle lui a adjugé. L’auteur est M. de Saint-Péravy, membre de la Société d’Agriculture d’Orléans.

Parmi les autres Mémoires envoyés sur ce sujet, il s’en est trouvé un qui avait pour objet de résoudre la question par des principes entièrement opposés à ceux du mémoire couronné. La Société a jugé que la manière dont l’auteur a présenté ses principes, et les vues ingénieuses qu’il a répandues dans son ouvrage, méritaient une distinction particulière. Ce mémoire a pour devise : Ne forte impleantur extranei viribus tuis, et labores tui sint in domo aliena : l’auteur ne s’est pas fait connaître. »

Guérineau de Saint-Péravy, petit poète agréable et auteur d’un Traité sur la culture des fleurs (1765) n’avait, en économie politique, que des connaissances superficielles et n’avait fait dans son mémoire, que paraphraser la Philosophie rurale du marquis de Mirabeau.

Il publia ce mémoire sous le titre : Mémoire sur les effets de l’impôt indirect sur le revenu des propriétaires des biens-fonds, qui a remporté le prix… 1768, in-12°. Du Pont a dit de cet ouvrage qu’il était regardé comme classique entre les économistes, malgré quelques exagérations qui ne devaient pas être attribuées à l’esprit juste et méthodique de l’auteur, mais à l’incertitude des bases de ses calculs. En réalité, les économistes y trouvèrent plus d’un défaut, comme on peut le voir plus bas.

Saint-Péravy écrivit plus tard un Essai sur les principes à adopter par les Etats Généraux (1789) et un Plan d’organisation sociale. Après une vie dissipée, il dut se réfugier en Belgique où il mourut.

L’auteur, auquel la Société d’Agriculture accorda une « distinction particulière », était De Graslin, né en 1727, ancien avocat au Parlement et receveur général des fermes à Nantes. Quoique imbu de nombreux préjugés, il était bien mieux préparé que son concurrent, à parler d’économie politique. Il publia son mémoire sous le titre : Essai analytique sur la richesse et l’impôt, où l’on réfute la nouvelle doctrine économique qui a fourni à la Société royale d’Agriculture les principes d’un programme qu’elle a publié sur l’effet des impôts indirects, Londres, 1767.

Dans le même temps, Graslin avait concouru (1766) pour un prix à la Société d’Économie et d’Agriculture de Saint-Pétersbourg sur la question de savoir s’il est plus avantageux à un État que « le paysan possède des terres ». Son mémoire obtint un accessit et fut publié en 1768 avec les autres mémoires allemands et français récompensé (in-8°, s. l. n. d.). Dans ce mémoire, Graslin soutint une sorte de théorie socialiste ; il ne repoussa qu’en pratique l’absorption de la propriété du sol par l’État ; il estimait finalement que les propriétaires devaient être tous des paysans et que la possession individuelle devait être limitée au champ qu’on pouvait cultiver soi-même.

Graslin est mort en 1790.

« Les adversaires des économistes, a dit Du Pont, regardèrent son ouvrage sur la Richesse, comme classique… Les deux ouvrages (récompensés à Limoges) avaient un défaut commun : celui de ne pouvoir être lus, ni l’un ni l’autre, sans travail ; ce qui tenait à la difficulté réelle du sujet, à l’embarras des calculs sur des matières dont les données ne sont nullement aisées à recueillir, et à une petite affectation de métaphysique que le hasard avait rendue tout à fait pareille dans les deux auteurs. »

Turgot, dont la Société d’Agriculture avait nécessairement adopté l’avis, avait prévu que le jugement mécontenterait, d’une part, les économistes, parce qu’une récompense était donnée à l’un de leurs adversaires, d’autre part, ces derniers, parce que Graslin, qui avait exposé une doctrine anti-physiocratique, obtenait une récompense médiocre pour un mémoire beaucoup plus intéressant que le mémoire couronné. Turgot avait envoyé un avis des résultats du concours aux Éphémérides du Citoyen. Ce journal ne dit mot de la récompense accordée à Graslin et ne parla que de Saint-Péravy :

« Cette entière et parfaite liberté, qui résulterait de la suppression de tous les impôts indirects et qui réduirait les revenus des souverains à une portion sagement fixée du produit net des terres, est l’objet d’un ouvrage de M. de Saint-Péravy, d’Orléans, composé sur les principes de la Science économique et qui vient d’être couronné par la Société d’Agriculture, de Limoges. Nous espérons qu’il sera bientôt public et nous en rendrons compte.

« Puisse la nation française, après avoir donné à toute l’Europe l’exemple d’affranchir les paysans serfs, lui donner encore celui de rompre les fers du système fiscal, aussi contraires à la liberté naturelle et plus préjudiciables aux progrès de la culture, à la puissance des rois, à la richesse des nations, à la propagation et au bonheur de l’espèce humaine ! »

Ce n’est que l’année suivante, en 1768, que les Éphémérides s’occupèrent du mémoire de Graslin, dans une lettre de Du Pont à Saint-Péravy, datée du 14 janvier, et où on lit :

« Vous me priez de vous envoyer le Mémoire qui a concouru avec le vôtre et que l’auteur avait modestement fait imprimer, comme il le dit lui-même, avant que cette patriotique et savante Compagnie (la Société d’Agriculture de Limoges) eût prononcé son jugement… C’est évidemment l’ouvrage d’un homme de beaucoup d’esprit, qu’une prévention, peut-être excusable par les circonstances… a égaré dès le premier pas… On ne peut lui contester d’être un penseur… Mais il faut convenir aussi qu’il a été étrangement prévenu et très peu attentif en lisant les auteurs qu’il a voulu combattre… Il a mieux aimé supposer au hasard qu’ils réduisaient la richesse au produit net du sol exclusivement… Vous vous récrierez qu’ils n’ont jamais avancé ce prétendu principe, ni rien qui en approche. Ils ont distingué des richesses foncières, des richesses mobilières, des richesses d’exploitation, des richesses de consommation subite, des richesses de jouissance durable, des richesses renaissantes, des richesses qui ne le sont pas… Vous direz qu’ils ont divisé les richesses renaissantes en richesses disponibles ou produit net et richesses essentiellement hypothéquées aux travaux de la reproduction ou frais et salaires annuels… Il continuera de vous dire que ce ne peut être que du principe, qu’il attribue aux philosophes économistes, qu’ils aient conclu que tous les impôts retombent directement ou indirectement sur le revenu des propriétaires des terres… Vous lui répliquerez qu’il prouve par là son ignorance absolue de la doctrine que ces philosophes ont exposée sur l’impôt, que cette doctrine se réduit à dire que la dépense perpétuellement renaissante de l’impôt ne saurait être constamment payée que par des richesses renaissantes…, que l’impôt ne doit donc être pris que sur le produit net dont la dépense est disponible, et n’est pas directement employée aux travaux de la reproduction…

« L’auteur prend à parti dans son titre une académie dont il a reçu des éloges ; il annonce, dans son avertissement, que lorsqu’il a été informé que la Société de Limoges s’était bornée à louer son Mémoire, au lieu de le couronner, il a retranché de cet ouvrage, après l’impression, les tournures respectueuses et décentes dont il est à tous égards convenable qu’un écrivain se serve en combattant les principes d’une compagnie savante qui doit le juger…

« Il prétend prouver que pour compléter tous les bons effets qu’il a tâché de voir dans la taxe sur les consommations, il faut encore une capitation que l’on réglera en raison de la dépense de chaque contribuable (de laquelle dépense, l’auteur entend apparemment qu’on obligera les particuliers à tenir et présenter les registres) et une taxe réelle, estimée à peu près au quinzième du produit total pour les terres qui rendraient 100 gerbes à l’arpent… Cette modique taxe serait environ deux fois plus forte que la taille actuelle…

« Vous devez au public, vous devez à l’honneur que vous avez reçu de justifier complètement l’arrêt qui vous l’adjuge ; vous devez prouver à vos concitoyens que si M… n’a pas eu le prix, c’est que son ouvrage n’en était pas digne. Vous devez développer les erreurs de ses principes et le danger de ses conséquences et, par un second ouvrage… suppléer au léger déficit que la Société de Limoges a paru trouver dans le premier en le couronnant. »

I. — SUR LE MÉMOIRE DE GRASLIN.

(La richesse. — Le libre échange. — La classe productive et la classe stipendiée. — La richesse disponible. — Les biens. — Les valeurs. — Les richesses. — Le produit net. — L’entrepreneur et le salarié. — La liberté du travail. — La richesse des nations. — Les salaires et l’impôt.)

L’auteur impute mal à propos[2] aux écrivains qu’il attaque de ne regarder comme richesse que le produit net du sol, c’est à-dire le revenu. Tout ce que produit la terre est richesse. Mais ces écrivains prétendent avec raison que la somme des richesses renaissantes d’un État se réduit à la somme des productions annuelles de la terre. Ces productions se divisent en deux parts, dont l’une est affectée à la subsistance et à la satisfaction des besoins du cultivateur, aux intérêts et au remplacement de ses avances, en un mot, à tout ce qui est nécessaire, de près ou de loin, à la reproduction de l’année suivante. Cette partie n’est aucunement disponible, et les impôts ne peuvent l’attaquer sans détruire la source des richesses, en altérant la reproduction. Mais, cette partie prélevée, le surplus que le cultivateur rend au propriétaire du sol forme le revenu de celui-ci, qui, n’étant point nécessaire à la reproduction de l’année suivante, est libre dans sa main, disponible et susceptible de partage entre le propriétaire titulaire, les décimateurs, le seigneur censier, l’État, etc.

L’auteur n’entend pas non plus la vraie distinction entre les deux classes laborieuses, dont l’une, appliquée immédiatement au travail de la terre, produit, ou si l’on veut ôter toute équivoque, recueille immédiatement toutes les richesses que la terre donne ; l’autre, ne recevant immédiatement rien que par le canal de ceux qui ont recueilli les fruits de la terre, mérite sa subsistance et la reçoit en échange de son travail, mais n’ajoute aucune richesse nouvelle à la somme des richesses produites par la terre seule.

Ce n’est pas toute richesse réelle qui peut payer l’impôt[3] ; il faut encore qu’elle soit disponible, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas nécessaire à la reproduction de l’année suivante, soit immédiatement, soit médiatement.

Les trois premières conséquences[4] se réduisent à la liberté indéfinie du commerce. Si cette liberté est une conséquence des principes que l’auteur combat, elle est d’ailleurs établie sur tant d’autres principes incontestables, que la certitude n’en dépend nullement du système qu’on embrasse sur la nature des richesses et du revenu. Il ne faut pas croire qu’en permettant de vendre et d’acheter ce qu’on voudrait et à qui on voudrait, on abandonnât pour cela toute industrie, et le raisonnement de ceux qui, pour faire peur de la liberté, supposent que les étrangers achèteront toutes nos matières premières, s’empareront de toute notre industrie, et feront tout notre commerce, est du même genre que celui des gens qui ont peur que la liberté de vendre notre grain aux étrangers ne nous fasse mourir de faim.

J’appelle biens (bona) tout objet de jouissance, de possession, ou de désir, de besoins[5]. J’appelle valeur (merces) toute chose susceptible d’échange et d’évaluation ; richesses (opes), tout bien commerçable, tout objet de jouissance qui a une valeur. Le revenu est la richesse que donne la terre au delà des frais et reprises de ceux qui la cultivent. L’eau est est un bien qui n’a point de valeur. Le travail a une valeur, et n’est point par lui-même un bien. Des grains, des étoffes, sont richesses. Ce qu’un fermier rend au propriétaire d’une terre, est un revenu.

Il suit de ces définitions que la production du sol, quand elle n’est qu’égale aux frais, est richesse, mais richesse non disponible ; richesse, et non revenu. Dans l’exemple cité du champ cultivé en lin, qui coûte cent livres au cultivateur, et qui ne lui rapporte que cent livres, ce lin est richesse et a, sans doute, comme toute autre richesse, son utilité ; mais il est évident qu’il n’y a aucun revenu, ni pour le propriétaire, ni pour l’État. Le cultivateur a retiré exactement sa nourriture et son vêtement, c’est-à-dire le salaire indispensable de son travail ; mais le champ n’a porté aucun revenu. Ce cultivateur ne donnerait pas un sou au propriétaire d’un pareil champ pour avoir la permission de le cultiver ; car il ne pourrait prendre ce qu’il donnerait que sur son nécessaire physique. Par la même raison, l’État ne peut rien retirer de ce champ, ni rien demander au cultivateur sans lui ôter de son nécessaire, et le réduire, par conséquent, à l’impossibilité de travailler. Si tous les champs d’un royaume étaient cultivés de la même manière, il est évident que l’État ne pourrait lever aucun impôt ; non, parce qu’il n’y aurait aucune richesse ; mais, parce qu’il n’y aurait aucun revenu, aucune richesse disponible ; parce que, la totalité de la production annuelle étant affectée au nécessaire physique de celui qui fait produire, tout ce qu’on pourrait prendre anéantirait la culture et la reproduction de l’année suivante.

Il est très vrai qu’à considérer les choses d’une manière vague[6], la subsistance du cultivateur faisant partie des frais, moins le cultivateur consomme pour lui-même et plus il reste de produit net. Il est certain que, si un fermier portait des habits de velours et sa femme des dentelles, il faudrait que cette dépense se retrouvât sur le produit de la terre en diminution de la portion du propriétaire. Mais, il ne s’ensuit nullement que la misère du cultivateur augmente le produit net. Il est, au contraire, démontré que les richesses des entrepreneurs de culture ne sont pas moins nécessaires que le travail même pour tirer de la terre une production abondante, puisque les plus fortes avances donnent les plus forts produits. Comme la fertilité de la terre est bornée, il y a sans doute un point où l’augmentation des avances n’augmenterait pas la production à proportion de l’augmentation des frais ; mais, jusqu’à présent, on est bien loin d’avoir atteint cette limite, et l’expérience prouve que là où les avances sont les plus fortes, c’est-à-dire là où les cultivateurs sont les plus riches, là est non seulement la plus grande production totale, mais le plus grand produit net.

La production étant supposée la même, plus la part du cultivateur sera petite, plus celle du propriétaire ou des autres copartageants du produit net sera considérable. Mais, si le cultivateur[7] n’avait pas un profit honnête et proportionné à ses avances, s’il n’était assez riche pour avoir droit à un gros profit par de grosses avances, la production ne serait plus du tout la même, et elle deviendrait d’autant plus faible que le cultivateur s’appauvrirait davantage ; au point que, passé à un certain degré de pauvreté, il n’y aurait presque plus de produit net. Il s’en faut donc beaucoup que les principes combattus par l’auteur contredisent le vœu que l’humanité dictait à Henri IV.

Au reste, l’auteur ne paraît pas ici avoir distingué l’entrepreneur de culture du cultivateur salarié, valet de charrue, homme de journée, qui travaille la terre de ses bras. Ce sont pourtant deux espèces d’hommes bien différents, et qui concourent d’une manière bien différente au grand ouvrage de la reproduction annuelle des richesses. L’entrepreneur de culture contribue à la reproduction par ses avances ; l’homme de peine y contribue par son travail, dont l’entrepreneur de culture lui paye le salaire. Il faut convenir que, plus cet entrepreneur donne de gages à ses charretiers, plus il paye cher la journée des moissonneurs et autres journaliers qu’il emploie, plus il dépense en frais, et que cette dépense est toujours en déduction du produit net. Qu’en conclure ? Cela n’est-il pas vrai dans tous les systèmes ? Y a-t-il un genre de travaux où les profits ne soient diminués par la cherté de la main d’œuvre ? Et y a-t-il de l’inhumanité à convenir d’une vérité qui n’a besoin que d’être énoncée pour être évidente ? Au reste, il y a entre les richesses produites, le revenu et les salaires, une proportion naturelle qui s’établit d’elle-même, et qui fait que, ni l’entrepreneur, ni le propriétaire n’ont intérêt que les salaires baissent au-dessous de cette proportion. Outre qu’en tout genre l’homme mal payé, et qui ne gagne pas, par son travail, une subsistance abondante, travaille moins bien, l’homme salarié, s’il gagne moins, consomme moins ; s’il consomme moins, la valeur vénale des productions du sol est moindre. Or, si lorsque le cultivateur paye ses ouvriers moins cher, il vend son blé moins cher, il est clair qu’il n’en est pas plus riche. La valeur vénale des productions du sol est, à production égale, la mesure des richesses recueillies chaque année par le cultivateur, et qu’il partage avec le propriétaire. La haute valeur vénale des denrées du sol et le fort revenu mettent le cultivateur et le propriétaire en état de donner de forts salaires aux hommes qui vivent de leurs bras. Les forts salaires, d’un côté, mettent les hommes salariés en état de consommer davantage, et d’augmenter leur bien-être : de l’autre, ce bien-être et cette abondance de salaires offerts encouragent la population ; et la fécondité appelle les étrangers, multiplie les hommes ; et la multiplication des hommes fait à son tour baisser les salaires par leur concurrence, tandis que leur nombre soutient la consommation et la valeur vénale. La valeur vénale des denrées, le revenu, le prix des salaires, la population, sont des choses liées entre elles par une dépendance réciproque, et qui se mettent d’elles-mêmes en équilibre suivant une proportion naturelle ; et cette proportion se maintient toujours lorsque le commerce et la concurrence sont entièrement libres.

L’unique conclusion pratique à tirer de tout ceci, c’est que les salariés doivent être entièrement libres de travailler pour qui ils veulent, afin que les salariants, en se les disputant lorsqu’ils en ont besoin, mettent un juste prix à leur travail ; et que, de l’autre, les salariants soient entièrement libres de se servir de tels hommes qu’ils jugeront à propos, afin que les ouvriers du lieu, abusant de leur petit nombre, ne les forcent pas à augmenter les salaires au delà de la proportion naturelle qui dépend de la quantité des richesses, de la valeur des denrées de subsistance, de la quantité des travaux à faire et du nombre de travailleurs, mais qui ne peut jamais être fixée que par la concurrence et la liberté.

Quoique les frais de culture se dépensent dans l’État, il ne s’ensuit pas que l’État soit aussi riche quand les frais augmentent aux dépens du produit net. L’État n’a et ne peut avoir de force qu’à raison du produit net, parce que tout ce qui est nécessaire à la reproduction est tellement affecté aux besoins des particuliers qui travaillent à la faire naître, qu’il ne peut en être rien prélevé pour les dépenses publiques. Or, s’il ne peut y avoir de dépenses publiques, s’il n’y a point de forces communes pour employer à l’intérêt commun, il n’y a point d’État à proprement parler ; il y a seulement une contrée peuplée d’habitants qui naissent, vivent et meurent auprès les uns des autres. Les frais de culture restent dans l’État, dans ce sens qu’ils sont dépensés entre le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et la mer ; mais ils n’appartiennent, ni ne peuvent appartenir, à l’État, considéré comme un corps politique formé par la réunion des forces communes dirigées à l’intérêt commun. La comparaison de la mine d’argent, dont l’exploitation coûte 100 marcs et produit 100 marcs, est captieuse. Cette mine d’argent ne porte évidemment rien à son propriétaire, ni à l’entrepreneur qui la ferait exploiter pour son plaisir ; mais il est vrai qu’elle laisse dans l’État une valeur de 100 marcs, qui ne se consommant pas, augmente la somme des valeurs existantes dans l’État, jusqu’à ce que cet argent s’écoule par la voie des échanges au dehors. À cet égard, les richesses renaissantes du sol qui se consomment et se reproduisent annuellement, sont très différentes des valeurs non consommables qui circulent sans cesse sans jamais être détruites. Certainement, la somme des valeurs dépensées chaque année en frais de culture est entièrement consommée et détruite pour la subsistance des agents de la reproduction. Quant aux valeurs qui circulent sans se détruire, comme les produits des mines, la dépense des frais d’extraction ne les anéantit pas, et ne fait que les changer de mains. On peut donc dire ici que l’État a gagné 100 marcs, dans le sens qu’il existe 100 marcs de plus dans le pays. Mais quelle augmentation en résulte-t-il pour la richesse de l’État, considéré comme corps politique ? Aucune, sinon autant que l’existence de cette nouvelle valeur circulante peut augmenter la somme du revenu ou du produit net des terres, soit en augmentant les avances destinées à la reproduction ou au commerce, si cet argent est réservé pour former un capital et le verser dans un emploi profitable, soit en augmentant la valeur vénale des productions, si cet argent, porté immédiatement dans la circulation, est présenté dans les marchés aux achats courants des denrées, et en fait hausser le prix. Cette proposition est démontrable ; mais il faudrait, pour la bien éclaircir, développer le véritable usage de l’argent dans le commerce, et l’effet de son introduction plus ou moins abondante dans un État, soit que l’on considère cet État comme isolé, soit qu’on le considère comme environné d’autres États avec lesquels il a différents rapports de commerce et de puissance. Ces questions, qui n’ont jamais été bien développées, sont trop étendues pour être traitées ici. Je dirai seulement que l’auteur se trompe beaucoup en ne regardant l’argent que comme un gage conventionnel des richesses. Ce n’est point du tout en vertu d’une convention, que l’argent s’échange contre toutes les autres valeurs : c’est parce qu’il est lui-même un objet de commerce, une richesse, parce qu’il a une valeur, et que toute valeur s’échange dans le commerce contre une valeur égale.

L’auteur[8] propose contre les principes de ses adversaires une objection, qu’on peut réduire à ces questions : « Si l’industrie et le commerce ne produisent aucune richesse, comment les nations qui ne sont qu’industrieuses et commerçantes vivent-elles ? Comment s’enrichissent-elles ? Si l’impôt ne peut être pris que sur le produit net des terres, comment ces nations payent-elles des impôts ? Est-ce que l’industrie serait richesse dans un État commerçant, et ne serait pas richesse dans un État agricole? »

Il n’y a point de nations qui soient industrieuses et commerçantes par opposition à l’agriculture ; et il n’y a pas non plus de nations qui soient agricoles par exclusion de l’industrie

et du commerce. Le mot de nation n’a pas été jusqu’ici trop bien défini, parce qu’on a souvent confondu les nations avec les corps politiques ou les États.

Une nation est un assemblage d’hommes qui parlent une même langue maternelle. Ainsi, tous les Grecs étaient de la même nation, quoique divisés en une foule d’États. Les Italiens aujourd’hui forment une nation, et les Allemands une autre, quoique l’Italie et l’Allemagne soient divisées en plusieurs souverainetés indépendantes. La nation française n’était pas autrefois réunie en un seul corps de monarchie ; plusieurs provinces obéissaient à divers souverains, et tout ce qui parle français n’est pas même encore réuni au royaume de France[9].

Un État est un assemblage d’hommes réunis sous un seul gouvernement. Cette distinction n’est pas aussi purement grammaticale, ni aussi étrangère ici, qu’elle le paraît.

Ce nom de nation ne peut s’appliquer qu’à un grand peuple répandu dans une vaste étendue de pays qui fournit aux habitants de quoi satisfaire à leurs besoins. Le sol, par les travaux de l’agriculture, leur donne la nourriture et les matières premières de leurs vêtements ; l’industrie façonne ces matières premières et les rend propres à divers usages. Le commerce rapproche les consommateurs des producteurs, leur épargne la peine de se chercher réciproquement, leur assure de trouver la denrée dans le lieu et au moment où ils en ont besoin. Le commerce, comme dit très bien l’auteur du Mémoire, se charge des transports, des magasins, des assortiments et de l’attente. Les besoins réciproques des vendeurs et des acheteurs les engagent à se rapprocher, et ils doivent naturellement se rassembler dans les lieux de chaque canton les plus commodément situés, les plus habités, où les routes que chacun suit pour ses affaires particulières se croisent en plus grand nombre. Ces points deviennent naturellement les rendez-vous du commerce ; les habitations de ces entremetteurs s’y rassemblent ; il s’y forme des bourgs, des villes, où le concours des acheteurs et des vendeurs augmente d’autant plus, qu’ils sont de plus en plus assurés d’y trouver les occasions d’acheter et de vendre. Il s’établit ainsi partout différents centres de commerce plus ou moins rapprochés, et correspondant à ces districts plus ou moins étendus, à raison de l’abondance des productions du pays, de la population plus ou moins nombreuse, de la facilité plus ou moins grande du transport des denrées.

Les marchés établis dans les principaux lieux de chaque canton pour le commerce de détail et pour les objets de consommation journalière, forment comme un premier ordre de ces centres de commerce, dont chacun ne répond qu’à un district très borné. Il y a des denrées d’un usage moins général et moins fréquent, dont la consommation n’est pas assez grande pour qu’on puisse en établir la culture ou la fabrique dans chaque lieu particulier, avec un profit suffisant. La valeur de ces denrées est ordinairement assez forte sous un petit volume pour pouvoir supporter les frais d’un transport éloigné. Le commerce de ces marchandises se fait en plus grosses parties, qui sont ensuite distribuées aux détailleurs. Le même principe qui a fait établir, pour le commerce des denrées les plus communes, des marchés dans les lieux du concours le plus fréquenté, établit pour le commerce en gros des marchés d’un ordre plus élevé, qui répondent à un arrondissement plus étendu, où les marchandises se rassemblent de plus loin pour être distribuées plus loin. Ces grands marchés (emporia) sont précisément ce qu’on appelle des échelles de commerce, des entrepôts ; c’étaient les villes de ce genre qui, dans les siècles de la barbarie féodale, s’étant unies pour la défense commune, formèrent la ligue anséatique. Ces échelles de commerce sont toujours de grandes villes et, en tout cas, elles le deviendraient par le concours d’habitants que l’activité du commerce y attire. C’est la situation avantageuse des villes à la croisée, si j’ose ainsi parler, des grandes communications, au débouché des grandes rivières navigables, la bonté des ports, quelquefois l’industrie des habitants et l’état florissant de certaines fabriques, qui déterminent les grands entrepôts du commerce à s’y placer. C’est ainsi que Nantes est le débouché de la Loire, Rouen de la Seine, Bordeaux des provinces traversées par la Garonne et la Dordogne, les villes de Hollande et de Zélande, du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut ; Hambourg de l’Elbe, Venise du Pô. Tyr, Marseille, Carthage, Gênes, Cadix, n’ont eu pour elles qu’une situation maritime avantageuse. Lyon, Genève, Strasbourg, Orléans, Limoges, sont des entrepôts d’un ordre un peu inférieur. Dans toutes ces villes, le commerce, et le commerce de trafic, sont l’occupation dominante des habitants, et chaque ville répond à un district plus ou moins étendu de plusieurs cantons ou provinces dont elle est l’entrepôt, dont elle rassemble les productions, et auxquelles elle distribue leurs besoins. Le territoire et le commerce de ces villes d’entrepôt sont deux corrélatifs nécessaires l’un à l’autre, et la distinction du commerce des productions du sol et du commerce d’entrepôt ou de revendeur est nulle quand on parle de nations et de régions. Ce n’est pas que certaines villes et côtes maritimes, qui servent d’entrepôt à un commerce étendu, n’aient pu, par le hasard des circonstances, former de petits États politiques séparés du territoire dont elles sont l’entrepôt ; mais ce hasard n’a rien changé à la nature des choses. La Hollande, n’en sera ni plus ni moins le débouché du Rhin, de la Meuse, de l’Escaut et des canaux de la féconde Belgique ; elle n’en sera pas moins un lieu de commerce et d’entrepôt favorable pour tous les ports de l’Angleterre, de la France et des États du Nord et, par conséquent, aussi pour la plupart de ceux des autres pays qui veulent entretenir des relations et faire des échanges avec ces différents États, auxquels la Hollande est spécialement nécessaire.

Avoir ainsi des avantages locaux, c’est avoir une sorte de privilège exclusif par rapport aux lieux moins heureusement situés. En raison de ce privilège naturel, et qui alors n’est pas injuste, on peut recevoir, même avec économie pour ceux qui les payent, des salaires qui excèdent les besoins de ceux qui les gagnent, surtout si ces derniers ont la sagesse de vivre avec épargne, comme font aussi les Hollandais.

Il en résulte que les peuples qui sont dans ce cas amassent aisément, par l’excès de leurs salaires sur leurs besoins qu’ils savent restreindre, des capitaux qui font baisser chez eux l’intérêt de l’argent et leur assurent par là un nouveau titre de préférence, une nouvelle augmentation de salaires. C’est sur ces salaires, supérieurs à leurs besoins, que les Hollandais peuvent acquitter leurs dépenses publiques et continuer de s’enrichir.

Ils n’ont point produit ces salaires, ni les richesses qui les payent ; ils les ont légitimement gagnés par leur travail, que leur situation a rendu à la fois lucratif pour eux, utile à ceux qui l’emploient ; ils les ont gagnés comme les commissionnaires de nos grandes villes gagnent le leur.

Dans les pays riches et civilisés, les savants illustres, les grands médecins, les grands artistes, les grands poètes et même les grands comédiens, peuvent gagner aussi d’honorables salaires, vivre dans l’aisance, supporter des dépenses considérables, exercer la bienfaisance, amasser des capitaux. Personne ne pense qu’ils aient produit aucune de ces richesses qu’il acquièrent, dont ils disposent, que leur transmettent — qui ? les propriétaires des terres ; lesquels les tiennent — de qui ? des cultivateurs, des avances et du travail de la culture : avances, travail dont la marche ne peut être gênée ni interrompue sans destruction, et c’est dans cette dernière maxime que consiste, comme je l’ai déjà dit, la théorie de l’impôt.

L’auteur, et ceux qui partagent son opinion, insistent et reprennent : « Puisqu’il y a des gens qui gagnent de forts salaires, ils peuvent donc payer l’impôt : vous convenez que les Hollandais en payent qui soutiennent leur république. Pour que cet impôt ne soit point arbitraire et se proportionne à peu près, aux facultés, ne convient-il pas qu’il soit levé sur les consommations ? »

À cela je réponds :

1° Que les Hollandais ajoutent le besoin qu’ils ont de payer l’impôt à leurs autres besoins, auxquels doivent pourvoir les salaires que leur payent les autres nations ; de sorte que, sauf la portion qui pèse directement sur le territoire de la Hollande, ce sont les autres nations qui payent l’impôt de cette république.

2° Qu’il est impossible de faire payer aux consommateurs non propriétaires l’impôt sur leurs consommations, parce que, dès qu’on l’établit, ils sont forcés, ou de restreindre leurs consommations, ou de diminuer le prix qu’ils peuvent offrir des productions qu’ils consomment, et que l’une ou l’autre mesure rejette cet impôt sur les producteurs et les vendeurs de ces productions.

3° Que le prix des salaires considérables, comme celui des salaires médiocres, est réglé par la concurrence, et ne peut donc être entamé sans que le salarié s’en dédommage ; car sans cela, il refuserait son travail ou le porterait ailleurs.

À quoi il faut ajouter, 4° que, si l’on veut mettre l’impôt sur les consommations précieuses des salariés riches, il ne rend presque rien, parce que le nombre de ces riches salariés est toujours très petit. Et que si, pour en augmenter la recette, on le fait porter sur les consommations communes, il devient très disproportionné aux salaires, presque nul sur ceux des salariés qui font de gros gains, accablant, au moins passagèrement et jusqu’à ce qu’ils aient pu s’en faire rembourser, sur ceux des pauvres salariés qui exécutent les travaux les plus pénibles et les plus utiles, parmi lesquels se trouvent naturellement tous les salariés directs de l’agriculture, qui forment la plus grande partie de la population : ce qui renchérit inévitablement les frais de culture ; ce qui est la manière la plus onéreuse de rejeter l’impôt sur les propriétaires, la plus ruineuse pour les capitaux consacrés à la culture dans les pays où les terres sont affermées, celle qui fait le plus promptement abandonner les terres médiocres, qui diminue ainsi le plus inévitablement les subsistances de la population, et qui conduit le plus rapidement une nation à la misère.

II. — SUR LE MÉMOIRE DE SAINT-PERAVY.

(Les nations commerçantes et les nations agricoles. — Les emprunts. — Colbert. — La circulation entre les trois classes. — Effet des impôts sur les rentes et des lois sur l’intérêt de l’argent. — Impôt sur les maisons. — Rapport du taux de l’impôt sur les consommations aux risques de fraude. — La ferme générale. — Concentration de l’argent à Paris. — Constitution des épargnes. — La valeur.)

Voyez, sur ce qui est dit de la différence des petits États revendeurs aux grands États agricoles[10], l’observation sur le mémoire (de Graslin). Les détails dans lesquels on est entré pourront servir à distinguer ce qu’il y a de vrai et ce qu’il y a de faux dans cette manière d’envisager ces différentes constitutions d’États.

La funeste invention des emprunts[11] tient à la manie qu’on a de dépenser plus qu’on n’a, et quelqu’eut été le système d’impositions adopté par les souverains de l’Europe au dernier siècle, l’ambition de Louis XIV et des autres princes n’en eut pas moins occasionné des guerres acharnées et poussées jusqu’à l’épuisement. Avec la manie de la guerre qui agite encore les souverains et même les peuples, on se bat tant qu’il reste des forces ; quand on a épuisé son revenu, on emprunte, et on emprunte tant qu’on trouve des prêteurs. Or, on trouve des prêteurs tant qu’on a des revenus à engager. Un propriétaire de terres et un souverain se ruinent, exactement de la même manière, en dépensant chaque année plus que leur revenu, et en empruntant jusqu’à concurrence de l’engagement de leur revenu. La nature de ce revenu est ici une circonstance absolument indifférente.

La seule différence entre le particulier et le souverain est la ressource qu’a celui-ci de faire banqueroute en conservants son fonds et son revenu. Je suppose qu’au lieu de faire les premiers emprunts pour soutenir la guerre, on eut mis en impôts les sommes qu’on empruntait, on eut dépensé d’abord le produit des impôts et on aurait été bientôt réduit à emprunter. Tous les abus dont on se plaint ici sont une conséquence inévitable de la faculté illimitée d’augmenter les dépenses.

On prête ici à Colbert[12] bien des vues et des raisonnements sur les manufactures auxquels il n’a probablement jamais pensé.

Ces deux propositions[13] : — 1° que la classe propriétaire dépense la moitié de ce qu’elle reçoit en achat de denrées à la classe productive et l’autre moitié à la classe industrieuse en achats d’ouvrages de main-d’œuvre ; — 2° que la classe des cultivateurs ne dépense que le quart de ses reprises en ouvrages de main-d’œuvre ; — ne peuvent être regardées que comme des hypothèses arbitraires qu’on peut employer dans des formules de calculs, mais dont on ne peut jamais tirer de conclusions entièrement précises. La proportion entre les différents objets de dépense de chaque classe est trop variable pour qu’on puisse jamais la calculer avec certitude. Mais les suppositions peuvent toujours être employées utilement et servir à donner une idée plus nette de la marche de la circulation. Ici, l’on commence à raisonner et à calculer, d’après une supposition qu’on a déjà mise en principe.

L’incertitude de cette supposition n’affaiblit point ce qui a été dit précédemment pour démontrer que l’impôt indirect retombe entièrement sur les propriétaires, parce que cette vérité ne résulte que de l’impossibilité d’entamer les avances et les salaires des classes cultivatrice et industrieuse, qui n’ayant rien de gratuit, ne peuvent payer qu’aux dépens des propriétaires, les seuls qui recueillent la portion disponible des fruits, cette portion gratuite que la terre rend au delà du travail. Mais, dans ce qui va suivre, l’on cherche à apprécier la surcharge de l’impôt indirect par l’effet que doit produire la diminution des avances, et comme on part, pour calculer cet effet, de la proportion supposée de 2 à 5 entre les avances annuelles et la production totale, il est nécessaire d’examiner cette supposition[14].

Je veux accorder que cette proportion a été établie sur le calcul exact des avances et des produits de quelques fermes en grande culture, dans un pays fertile, dont l’auteur, ou ceux qui lui ont fourni des Mémoires, ont été à portée de s’assurer. Mais on n’est pas en droit de tirer de ce calcul particulier aucun résultat général ; il ne faut qu’un peu de réflexion pour sentir qu’il ne peut y avoir de proportion constante entre les avances et les produits. Les avances, qui ne sont qu’une dépense, n’ont par elles-mêmes aucune fécondité ; elles n’ont pas même cette fécondité de convention que le taux courant des stipulations d’intérêt donne à l’argent prêté. Si 20 000 livres mises en rente rapportent 1 000 livres, l’on en peut conclure que 40 000 livres en rapporteront 2 000. Mais, de ce que 2 000 livres d’avances annuelles, mises dans une ferme, rapportent 5 000 livres de productions, l’on ne peut en conclure que 2 000 livres employées sur un autre terrain donneront également 5 000 livres, ni que 4 000 livres employées dans la même ferme donneront 10 000 livres de production.

Les dépenses de la culture consistent à donner aux terres les préparations les plus propres à les rendre fécondes. Or, il s’en faut beaucoup que le succès de ces préparations, dont dépend la production, soit proportionné à la dépense : l’intelligence du cultivateur rend la même dépense plus ou moins productive, suivant qu’il l’applique d’une manière plus ou moins appropriée à la nature du sol et à toutes les circonstances de la saison. Si l’on donnait à une terre légère autant de labours qu’à une terre forte, on dépenserait davantage, et peut-être recueillerait-on moins. Si le système de Tull a quelque vérité, on peut gagner sur la production en économisant beaucoup sur la semence ; alors les avances annuelles diminueront, et la production augmentera. La production suppose des avances ; mais des avances égales dans des terres d’une inégale fécondité donnent des productions très différentes, et c’en est assez pour faire sentir que les productions ne peuvent être proportionnelles aux avances ; elles ne le sont même pas, placées dans le même terrain, et l’on ne peut jamais supposer que des avances doubles donnent un produit double. La terre a certainement une fécondité bornée, et en la supposant labourée, fumée, marnée, fossoyée, arrosée, sarclée autant qu’elle peut l’être, il est évident que toute dépense ultérieure serait inutile, et que telle augmentation pourrait même devenir nuisible. Dans ce cas, les avances seraient augmentées sans que le produit le fût. Il y a donc un maximum de production qu’il est impossible de passer, et lorsqu’on y est arrivé, les avances non seulement ne produisent pas 250 p. 100, mais ne produisent absolument rien.

En accordant à l’auteur du Mémoire que, dans l’état de la bonne culture ordinaire, les avances rapportent 250 p. 100, il est plus que probable qu’en augmentant par degrés les avances, depuis ce point où elles rapportent 250 p. 100 jusqu’à celui où elles ne rapporteraient rien, chaque augmentation serait de moins en moins fructueuse. Il en sera, dans ce cas, de la fertilité de la terre comme d’un ressort qu’on s’efforce de bander en le chargeant successivement de poids égaux. Si ce poids est léger et si le ressort n’est pas très flexible, l’action des premières charges pourra être presque nulle. Quand le poids sera assez fort pour vaincre la première résistance, on verra le ressort céder d’une manière sensible et se plier ; mais, quand il aura plié jusqu’à un certain point, il résistera davantage à la force qui le comprime, et tel poids qui l’aurait fait plier d’un pouce ne le fera plus plier que d’une demi-ligne. L’effet diminuera ainsi de plus en plus. Cette comparaison n’est pas d’une exactitude entière ; mais elle suffit pour faire entendre mon idée et comment, lorsque la terre approche beaucoup de rapporter tout ce qu’elle peut produire, une très forte dépense peut n’augmenter que très peu la production.

Si, au lieu d’augmenter les avances par degrés égaux au-dessus du point où elles rapportent le plus, on les diminue au contraire, on doit trouver le même changement dans la proportion. Il est non seulement très concevable, mais il est certain que de très faibles avances donnent un profit beaucoup moindre que des avances très fortes, et cela dans une proportion bien plus grande que celle des avances. Si 2 000 francs rapportent 5 000 livres, 1 000 francs n’en rapporteront peut-être pas 1 500 et 500 francs ne rapporteront pas 600.

La semence, jetée sur une terre naturellement fertile, mais sans aucune préparation, serait une avance presque entièrement perdue. Si on y joint un seul labour, le produit sera plus fort ; un second, un troisième labour pourront peut-être, non pas doubler et tripler, mais quadrupler et décupler le produit qui augmentera ainsi dans une proportion beaucoup plus grande que les avances n’accroissent, et cela, jusqu’à un certain point où le produit sera le plus grand qu’il soit possible, comparé aux avances.

Passé ce point, si on augmente encore les avances, les produits augmenteront encore, mais moins, et toujours de moins en moins jusqu’à ce que, la fécondité de la nature étant épuisée et l’art n’y pouvant plus rien ajouter, un surcroît d’avances n’ajouterait absolument rien au produit.

J’observerai, en passant, que ce serait une erreur d’imaginer que ce point, où les avances rapportent le plus qu’il est possible, soit le point le plus avantageux où la culture puisse atteindre, car quoique de nouvelles augmentations d’avances ne rapportent pas tout à fait autant que les augmentations précédentes, si elles rapportent assez pour augmenter le produit net du sol, il y a de l’avantage à les faire, et ce sera toujours de l’argent très bien placé. Si, par exemple, on suppose, avec l’auteur, que les avances annuelles d’une bonne culture rapportent 250 p. 100, une augmentation qui rapporterait 225 p. 100 serait encore infiniment profitable. Car, l’intérêt des avances primitives et la rentrée des premières avances annuelles étant déjà prélevés sur les 250 p. 100, et ce prélèvement laissant encore un produit net très honnête, si l’on prélève sur le produit des nouvelles avances 100 pour leur rentrée annuelle et 10 pour les intérêts de la première mise, qui devient une augmentation des avances primitives, dont les avances annuelles de la première année font toujours partie ; si donc on prélève ces 110 p. 100 sur les 225 produits par les nouvelles avances, on aura un produit net de 115. p. 100 ; c’est plus que ne donnaient les 250 p. 100 des premières avances. Car, sur ce produit, il faut prélever, suivant les calculs de l’auteur, 100 pour la rentrée des avances annuelles, 10 pour l’intérêt de la première mise de ces avances et 40 pour l’intérêt des autres avances primitives, ce qui ne laisse que 100 de produit net.

Je me suis étendu sur la discussion de ce point, parce qu’il est important de ne pas se livrer trop facilement à l’espérance d’apprécier avec une entière précision la dégradation des produits par la diminution des avances, lorsqu’elles sont entamées par l’impôt indirect. Ici, les calculs de l’auteur paraissent porter sur une base fausse, puisqu’il suppose que la reproduction est toujours aux avances dans la proportion de 5 à 2, et calcule sur ce pied la diminution des produits. Il est évident, par ce qui a été dit ci-dessus, que l’effet destructif de la diminution des avances doit être moindre lorsque la culture est au delà du point où les avances rapportent le plus qu’il est possible. Si, au contraire, cette diminution ne commence qu’au point où les avances donnent le plus grand produit, la dégradation doit être plus grande ; mais au-dessous, il doit aussi y avoir un point où la dégradation des avances ne diminue la production que dans une moindre proportion encore. En un mot, la dégradation des avances doit diminuer la production dans le même rapport que l’accroissement graduel des avances l’avait augmentée.

Le principe fondamental du Mémoire, que les reprises du cultivateur ne peuvent être entamées, et qu’il ne peut diminuer ses avances sans diminuer la production, est incontestable ; mais la mesure précise de cette diminution ne paraît pas pouvoir être exactement fixée.

Le rentier[15] est un marchand d’argent. La rente est le prix du capital. Le capital ne rapportant point par lui-même, mais seulement en vertu de la convention des contractants, un impôt sur les rentes est exactement semblable à tout impôt sur les marchandises. Si vous prenez une partie du prix de quelque marchandise que ce soit, il est évident que vous empêchez ce prix de baisser au profit de l’acheteur de tout ce que vous demandez au vendeur. C’est donc l’acheteur, lequel est ici en dernière analyse le propriétaire des fonds, qui paye l’impôt sur les rentes. L’application de ce raisonnement aux faits paraît quelquefois les démentir au premier coup d’œil par l’influence qu’a, dans cette matière, l’autorité de la loi du Prince qui fixe mal à propos l’intérêt de l’argent, l’opinion encore très répandue que ses lois obligent la conscience. Mais il faut observer que l’effet de la loi du Prince sur l’intérêt de l’argent est toujours de le soutenir à un taux plus haut qu’il ne le serait sans loi. Il en est de cette loi comme de toute autre taxe sur les marchandises, qui haussent toujours le prix ou interrompent le commerce.

Lorsque le souverain taxe les rentes, la loi a tout son effet sur les stipulations anciennes, et comme le prêteur ne peut exiger le remboursement, il n’a aucun moyen de se dédommager. Quant aux nouveaux contrats qui se passent après la loi, si les prêteurs subissent la loi de l’impôt, c’est une preuve que le taux légal de l’intérêt était au-dessus du taux naturel ; si le taux légal était trop bas, les prêteurs, ou éluderaient la loi par des conventions particulières, ou cesseraient de prêter.

Si l’ordre naturel, la liberté entière, la concurrence qui en résulte, avaient lieu pour le commerce d’argent, les raisonnements que fait ici l’auteur seraient aussi vrais dans la pratique qu’ils le sont dans la théorie.

Il est certain que les maisons[16] ne produisent aucun revenu qui puisse être regardé comme un nouveau revenu dans l’État. Leur loyer est évidemment une pure dépense qui, comme toutes les autres, est payée du produit des terres. Je crois cependant que les maisons doivent être taxées, non à raison de la valeur des bâtiments, mais à raison de la valeur du terrain qu’elles occupent et qu’on ne met en maisons que parce qu’il rapporte davantage de cette manière que d’une autre.

Il est physiquement impossible que l’impôt sur les consommations[17] soit gradué sur la disproportion entre le superflu et le nécessaire. L’impôt sur les consommations a un maximum qu’il ne peut passer, et ce maximum est déterminé sur le plus ou le moins de facilité de la fraude. Les risques de la fraude s’évaluent comme les risques de la mer, et l’on sait que l’on fait assurer la contrebande. Si l’impôt sur une marchandise est de 15 p. 100 et si le risque de la contrebande n’est que de 10 p. 100, il est évident que l’on fera passer presque tout en fraude, et que l’impôt produira d’autant moins au gouvernement. Or, plus les marchandises sont précieuses, plus elles ont de valeur sous un moindre volume, plus la fraude est facile. Il est plus aisé de cacher pour 20 000 livres de dentelles que pour 20 livres de blé ; il faut donc diminuer le droit à proportion de ce que la denrée a plus de valeur, et les dépenses des riches sont précisément les moins chargées. Tous les droits excessifs ne peuvent être levés que par la voie de la vente exclusive ; mais les maux de ce genre d’impôt sont innombrables, et les effets qu’il produit, par le dérangement du commerce et par le renversement de toutes les notions morales dans l’esprit du peuple, sont plus funestes encore que ceux qu’il produit en qualité d’impôt indirect, et qui lui sont communs avec tous les autres impôts sur les consommations.

Je ne sais s’il est absolument impossible au Gouvernement de connaître exactement les produits de la ferme. Dans une régie aussi vaste, aussi compliquée, où autant d’intéressés ont droit de se faire rendre compte des profits qu’ils partagent, il est impossible que les fermiers n’aient pas des registres très en règle et le gouvernement peut toujours se les faire représenter.

C’est certainement un mal qu’une très grande partie des dépenses des particuliers se fasse dans la capitale[18] ; mais cet inconvénient n’est point particulier aux profits de la ferme. Ceux des receveurs généraux qui proviennent de l’impôt direct, ceux des gagistes et des pensionnés du gouvernement, les revenus de tous les grands propriétaires, se dépensent tous dans la capitale. C’est un grand mal, mais qui tient plus au système général du gouvernement qu’à la nature de l’impôt indirect.

Il semble que l’auteur envisage ici[19] comme un mal, qu’une partie des profits des fermiers soit mise en réserve pour former des capitaux, et que l’argent qu’ils ont perçu ne soit point rendu à la circulation. Laissons là les fermiers ; et considérons la chose en général.

L’auteur et quelques autres des écrivains économiques semblent supposer que la totalité des revenus doit nécessairement être reversée immédiatement dans la circulation, sans qu’il en soit mis aucune partie en réserve pour former un capital pécuniaire, et que, s’il en était autrement, la reproduction souffrirait. Il s’en faut bien que cette supposition soit vraie ; pour en sentir la fausseté, il suffit de réfléchir sur l’influence des capitaux dans toutes les entreprises lucratives de culture, d’industrie, de commerce, et sur l’indispensable nécessité des avances.

Qu’est ce que ces avances, et d’où peuvent-elles provenir, sinon des épargnes du revenu ? Il n’existe de richesses que les produits de la terre ; les avances ne peuvent donc s’accroître que par la réserve d’une partie de ce que produit la terre et d’une partie de ce qui n’est point affecté indispensablement à la reproduction. Il n’importe que cette portion soit mise en réserve par l’entrepreneur des classes laborieuses ou par les propriétaires. Les entrepreneurs, dans le premier cas, réservent sur leurs profits et se forment des capitaux qu’ils emploient à augmenter leurs entreprises ; mais, il faut pour cela, que leurs profits soient un peu plus considérables que ce qui est indispensablement affecté à la reproduction de l’année suivante, ce qui arrive de deux façons : 1° parce que, outre la rentrée annuelle et le remplacement de leurs avances, outre le salaire de leur travail et leur subsistance, ils ont encore droit à un intérêt de leurs avances égal à ce que leur produirait le même capital employé de toute autre manière et sans travail de leur part, soit en acquisition de biens-fonds, soit en prêt à rente ; 2° parce que le défaut de concurrence pour les entreprises met les entrepreneurs dans le cas de faire des profits plus considérables que ne l’exige la continuation de leur entreprise, et sur lesquels ils peuvent épargner beaucoup chaque année. Ces profits sont une portion du produit net que l’entrepreneur s’approprie, au delà des reprises qui lui sont indispensablement dues aux dépens de la part du propriétaire. L’effet immédiat de l’épargne est l’accumulation des capitaux mobiliers ; et ces capitaux ne s’accumulent que dans la vue de se procurer un revenu ou profit annuel, ce qui ne se peut qu’en employant ce capital. L’effet de cette accumulation est de baisser l’intérêt de l’argent prêté, d’augmenter la valeur vénale des biens-fonds, de diminuer les reprises nécessaires des entrepreneurs en tout genre et les frais de toutes les entreprises, de rendre profitables et, par conséquent, possibles, des entreprises qui ne l’étaient pas, d’augmenter la somme des avances en tout genre et d’augmenter en proportion la somme des entreprises et des produits.

De tous les emplois de l’argent, celui qui exige le moins de peine de la part du capitaliste, c’est le prêt à rente ; le second dans cet ordre de la commodité, est l’acquisition des terres : mais celui-ci est le premier dans l’ordre de la sûreté. Il n’y a que l’espérance d’un profit plus considérable qui puisse engager le possesseur d’un capital en argent à l’employer dans des entreprises incertaines et laborieuses. Le taux de l’intérêt de l’argent prêté est donc la première mesure donnée, le paramètre (si j’ose ainsi parler) d’après lequel s’établit la valeur vénale des fonds et les profits des avances dans les entreprises de culture, d’industrie et de commerce. Il est inutile de déclamer contre les rentes et leurs inutiles possesseurs : tant que cet emploi de l’argent, c’est-à-dire tant que le besoin d’emprunter existera, il aura la préférence, parce qu’il est dans la nature des choses qu’il l’ait. Ce n’est que le surplus qui servira à vivifier, par les avances, les entreprises laborieuses. C’est le lit du Nil, qui doit nécessairement se remplir avant que l’inondation se répande sur les campagnes et les fertilise. Il ne faut pas se plaindre que l’eau coule dans ce lit, car la loi de la pesanteur l’y détermine nécessairement. Il faut encore moins se plaindre de ce que les eaux se sont accumulées, car sans cette accumulation les campagnes ne seraient point arrosées. Le vrai mal est que ce lit soit creusé au point d’absorber la plus grande partie des eaux ; le mal est que le gouvernement, par ses emprunts multipliés, présente sans cesse à l’argent un emploi avantageux au possesseur, et stérile pour l’État ; le mal est que, par cette opération ruineuse, il concoure avec le luxe des particuliers, pour soutenir l’intérêt de l’argent à un prix haut en lui-même, plus haut que chez les nations étrangères. Mais ce mal une fois existant, ce n’est pas moins un bien que les possesseurs ou les copartageurs du revenu de l’État ne le dépensent pas tout entier, et en réservent chaque année pour le convertir en capital, puisque le bas intérêt de l’argent et toutes ses conséquences avantageuses résultent de la quantité de capitaux offerts par les prêteurs comparée avec la quantité de demandes des emprunteurs. Si la totalité du produit net avait toujours été dépensée chaque année sans aucune réserve, jamais la masse des avances, je ne dis pas de la grande culture, mais de la culture la plus faible, n’aurait pu se former ; jamais ces avances ne pourraient augmenter ; la chose est de toute évidence[20].

Mais, dit-on, l’argent n’étant point rendu à la circulation, diminue les valeurs vénales et, par contre-coup, les reprises des fermiers qui, lorsqu’ils vendent moins cher qu’ils n’ont dû compter, payent le prix de leur bail en entamant leurs reprises.

À cela, quatre réponses :

1° Cet argument prouverait trop, car il prouverait que la totalité de l’argent perçu par les propriétaires à titre de revenu doit toujours retourner immédiatement entre les mains du cultivateur, et c’est ce qui est absolument faux. Les partisans de la Philosophie rurale en conviennent eux-mêmes, lorsqu’ils soutiennent avec tant de force l’indifférence absolue de ce qu’on appelle la balance du commerce soldée en argent. Car certainement si, par le solde de la balance, il s’écoule chaque année chez l’étranger une partie de l’espèce pécuniaire qui circulait dans l’État, la totalité de cette espèce ne reviendra pas se mesurer dans la circulation avec les denrées produites par le cultivateur ; et, suivant la pensée de l’auteur, les denrées baisseront de prix. Cependant l’auteur est persuadé que rien n’est plus indifférent que la manière dont se fait ce solde en argent.

2° Chaque année, la masse de l’or et de l’argent circulant dans l’univers s’accroît par le travail continuel des mines. L’argent que les mines donnent se répand d’abord dans l’État où les mines sont situées. Il faut, ou qu’il y reste dans la circulation, ou qu’il y soit mis en réserve par les entrepreneurs, ou qu’il  en sorte pour être échangé contre des denrées. L’argent mis en réserve, dans le fait, ne tarde pas à rentrer bientôt dans la circulation, et il est dans la nature des choses que l’argent des mines sorte de chez le peuple propriétaire des mines pour s’échanger contre des denrées étrangères ; car, s’il restait dans le pays, les denrées augmenteraient si prodigieusement de prix, et l’argent s’avilirait si fort, que 1° les mines cesseraient de présenter un profit suffisant aux entrepreneurs pour balancer les frais d’exploitation, et la production nationale, manquant de valeur cesserait bientôt ; et que 2° la différence du prix entre les denrées étrangères et les denrées du pays serait bientôt si forte que, malgré toutes les prohibitions du gouvernement, l’intérêt de chaque citoyen consommateur se réunirait avec celui des vendeurs étrangers pour forcer toutes les barrières que les préjugés de l’administration voudraient opposer à la sortie de l’argent.

L’argent que les États propriétaires des mines tirent du sein de la terre s’introduit, par le solde en argent de la balance du commerce, dans les États qui vendent leurs denrées aux propriétaires des mines. Il faut raisonner de cet argent introduit par le commerce dans l’État commerçant, comme de celui qui a été tiré immédiatement des mines dans l’État possesseur des mines. L’argent, devenu commun, enchérit les denrées ; bientôt, elles ne peuvent plus être données au même prix à la nation qui solde en argent, et des nations où l’argent est plus rare obtiennent la préférence. La nation, qui avait acquis la surabondance d’argent, est elle-même obligée de tirer une partie de ce qu’elle consomme de nations plus pauvres en argent. Ainsi, l’argent se répand peu à peu dans toutes les nations à raison de leur proximité plus ou moins grande du pays où sont les mines, et à raison de l’époque plus ou moins ancienne où elles ont commencé à entrer dans le système, ou, si l’on veut, dans la grande société des nations policées et commerçantes ; enfin, à raison de ce que leur constitution et leur législation intérieure sont plus ou moins favorables à l’accroissement des productions et à l’activité du commerce. Du Pérou et du Brésil, l’or et l’argent passent en Espagne et au Portugal ; de là, en France, en Angleterre, en Hollande, puis en Allemagne et dans les pays du Nord. On sait que l’or et l’argent sont encore assez rares en Suède pour que le cuivre y ait la fonction de monnaie, comme dans les premiers temps de la république romaine, où le mot œs signifiait ce que signifie aujourd’hui le mot argent, dans l’usage ordinaire du commerce et de la vie civile.

Les mines ne cessant de fournir chaque année un nouvel accroissement à la masse des métaux précieux, il en résulte que, depuis le pays où ces mines s’exploitent jusqu’aux dernières régions qui participent le plus tard et dans la plus petite portion à la distribution annuelle qu’en fait le commerce, il n’en est aucune qui, dans l’ordre naturel des choses, et abstraction faite des dérangements que peuvent occasionner les dépenses excessives au dehors, la guerre, les fausses opérations du gouvernement, n’éprouve chaque année un accroissement dans la masse de son pécule circulant.

Dans l’espèce d’échelle que forment ces États plus ou moins riches en argent, ceux dont la situation est la plus heureuse, la plus près de l’état de pleine prospérité, sont ceux où l’abondance et la valeur de l’argent sont dans le degré mitoyen où les porterait l’équilibre parfait, si l’argent pouvait à la longue se trouver universellement répandu sur toute la terre à proportion de la somme des productions annuelles de chaque canton. Le cours naturel que le commerce donne à l’argent tend à ce niveau universel ; mais il est impossible qu’il y arrive jamais tant que les mines ne seront pas épuisées, c’est-à-dire tant qu’elles fourniront assez abondamment pour payer les frais d’exploitation, avec un profit suffisant pour déterminer les entrepreneurs à en faire les avances ; car, c’est là le dernier terme de leur exploitation, et non pas leur épuisement physique.

Dans cet état de niveau, le commerce se réduirait entre toutes les nations à l’échange en denrées, et il n’y aurait aucune balance effective. Les nations qui sont aujourd’hui dans l’état mitoyen, qui ne sont ni surchargées, ni dénuées d’or et d’argent, sont à peu près dans le même cas, et le solde en argent de la balance du commerce y est nul, parce qu’elles en rendent autant aux nations qui en ont moins, qu’elles en reçoivent de celles qui en ont plus.

Revenons à la question de la nécessité de faire revenir au cultivateur tout l’argent qu’il a donné : je dis que, si la quantité d’argent retiré par l’épargne de la circulation immédiate est inférieure ou même n’est pas supérieure à la quantité d’argent introduite chaque année dans la circulation par la voie du commerce, les denrées conserveront leur valeur vénale, les cultivateurs emploieront à la reproduction autant d’argent que l’année précédente, et il n’y aura aucun dépérissement de richesses ; l’épargne ne nuira donc ni à la reproduction, ni au revenu. Non seulement elle n’y nuira pas, mais elle en procurera l’augmentation, puisque son effet est toujours, en dernière analyse, d’augmenter la masse des capitaux et la somme des avances, et de baisser l’intérêt de l’argent. Si elle retirait véritablement de la circulation l’argent qu’elle met en réserve, elle empêcherait l’augmentation des denrées résultante de l’introduction de l’argent, conserverait à la nation la faculté de vendre ses denrées superflues à l’étranger possesseur d’argent, le sauverait de la nécessité d’acheter chez l’étranger moins pécunieux les choses nécessaires à sa consommation, que ses propres ouvriers ne pourraient plus lui fournir à un aussi bas prix. Lors même que l’effet de l’épargne n’est pas de retirer l’argent de la circulation, elle compense, par le bas prix de l’intérêt de l’argent et par la diminution des reprises indispensables des entrepreneurs, l’augmentation de la main-d’œuvre résultante de l’augmentation de la valeur vénale des denrées. Elle ôte à la surabondance d’argent tous ses inconvénients, pour ne lui laisser que ses avantages. Qui ne sait qu’en Hollande la cherté des salaires suffirait pour anéantir le commerce, si le bas intérêt de l’argent, et l’activité qui en est la suite, ne compensaient pas et au delà cette cause ?

3° Je suppose, pour un moment, que l’épargne ait pour effet immédiat de retirer l’argent de la circulation, et de baisser la valeur vénale au préjudice du cultivateur, je dis que, s’il résulte de cette épargne une augmentation d’avances, et que, de cette augmentation d’avances, il en résulte une plus grande production, ou, si l’on veut, une diminution des frais annuels, en sorte que la diminution de la valeur vénale, résultante du peu d’argent retiré de la circulation, est plus que compensée par le nombre des choses vendues, ou par une moindre valeur fondamentale[21] de chaque chose vendue, alors il y a un grand avantage à mettre de l’argent en réserve. Or, il y a grande apparence que l’augmentation des avances fait beaucoup plus de bien, que la légère diminution des valeurs vénales occasionnée par l’épargne ne peut faire de mal. Cette diminution sera toujours très légère, si la libre exportation continue de faire participer nos productions au prix du marché général. Peut-être que l’augmentation de production occasionnée par la mise de nouvelles avances opérerait encore plus efficacement l’abaissement des valeurs vénales. Mais les remèdes à cet inconvénient sont dans cette même communication avec le marché général, dans la variété des productions dont le sol est susceptible, parmi lesquelles le cultivateur peut choisir celles dont le débit est le plus avantageux, et préférer les chardons au froment, s’il y trouve son avantage, enfin, dans l’accroissement de population, suite naturelle de l’abondance des productions.

4° C’est très gratuitement qu’on suppose que l’épargne diminue les valeurs vénales, en retirant de la circulation les sommes mises en réserve. Elles y rentrent presque toutes sur-le-champ ; et pour en être convaincu, il ne faut que réfléchir sur l’usage qu’on fait de l’argent épargné : ou on l’emploie en achats de terre, ou on le prête à intérêt, ou on l’emploie en avances dans des entreprises lucratives de culture, d’industrie, de commerce. Il est évident que ce dernier genre d’emploi fait rentrer de suite les capitaux dans la circulation, et les échange en détail contre les instruments, les bestiaux de labour, les matières premières et les salaires des ouvriers, l’achat des marchandises qui sont l’objet du commerce. Il en est de même des deux autres emplois. L’argent de l’acquéreur d’un bien-fonds passe au vendeur ; celui-ci vend ordinairement pour faire une acquisition plus utile ou pour payer des dettes, et c’est toujours à ce dernier objet que va le prix de la vente ; car, si le premier vendeur achète un autre fonds, ce sera le vendeur de celui-ci, ou, si l’on veut, un troisième qui ne vendra que pour se libérer ; si ce sont des dettes criardes, voilà l’argent redépensé et rejeté dans la circulation. Si ce sont des dettes portant intérêt, le créancier remboursé n’a rien de plus pressé que de prêter de nouveau son argent. Voyons donc ce que devient l’argent prêté, ce qu’en fait l’emprunteur.

Les jeunes gens de famille dérangés et les gouvernements empruntent pour dépenser, et ce qu’ils dépensent rentre à l’instant dans la circulation. Quand ils sont plus sages, ils empruntent pour s’arranger, pour payer les dettes exigibles, pour rembourser les créances qui portent un intérêt trop fort. Quelques personnes empruntent pour compléter le prix des acquisitions qu’elles veulent faire en biens-fonds, et cet objet d’emprunt rentre dans ce que j’ai dit plus haut de l’emploi d’argent en acquisition de fonds, savoir : que cet argent, à la seconde ou troisième main, retourne à la circulation en se redistribuant dans le commerce. Quant aux emprunts des entrepreneurs, manufacturiers, commerçants, on sait bien qu’ils sont versés sur-le-champ dans leurs entreprises, et dépensés en avances de toute espèce.

Il suit évidemment de ce détail que l’argent épargné, accumulé, mis en réserve pour former des capitaux, n’est point enlevé dans la circulation, et que la somme des valeurs pécuniaires, qui se balance dans le détail du commerce avec les autres valeurs pour en fixer le prix, n’en est ni plus ni moins forte.

Dans une nation où l’agriculture, l’industrie et le commerce fleurissent, et où l’intérêt de l’argent est bas, la masse des capitaux est immense, et il est cependant notoire que la masse de l’argent mis en réserve dans les caisses est très médiocre ; presque tous les capitaux existants sont représentés par du papier qui équivaut à l’argent, parce que les effets qui répondent de leur solidité équivalent à l’argent. Mais il n’y a véritablement d’argent dans les caisses que la quantité nécessaire pour pouvoir faire les payements journaliers qu’exige le cours du commerce. Il se fait quelquefois des mouvements de plusieurs millions, sans qu’il y ait un sac d’argent déplacé. La quantité de cet argent qui circule, pour ainsi dire, en grosses masses, est donc très bornée, toujours proportionnée au degré d’activité du commerce, aux mouvements qu’il donne à l’argent, toujours à peu près la même.

Je crois avoir montré deux choses : l’une, que quand l’épargne retirerait l’argent de la circulation, elle ne serait pas pour cela seul une chose mauvaise ; l’autre, que dans le fait l’épargne ne retire point véritablement de la circulation l’argent qu’elle met en réserve.

Le résultat de cette longue note est que les réserves et les amas d’argent que font les fermiers de l’impôt indirect ne sont point un mal par eux-mêmes, et ne doivent point être comptés parmi les inconvénients de ce genre d’impôt. Les profits excessifs sont sans doute un mal, parce qu’ils sont pris sur le peuple, et que, n’entrant point dans le trésor du Prince, ils mettent celui-ci dans la nécessité d’augmenter l’impôt. C’est un mal que ces profits se dépensent à Paris, comme c’est un mal que tous les gros propriétaires dépensent leur revenu à Paris. Mais c’est un bien que les fermiers n’en dépensent en détail qu’une partie.

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[1] Désire beaucoup, espère peu, ne demande rien.

[2] Essai analytique, p. 5 : « La richesse élémentaire, vue uniquement et exclusivement dans le sol producteur et restreinte même au produit net du sol, c’est-à-dire tous frais prélevés, est la base du nouveau système de l’économie politique. De là cette distinction des hommes en classe productive et en classe stérile. »

[3] Essai analytique, p. 8 : « La richesse réelle pouvant seule payer l’impôt, il est indispensable de bien connaître en quoi consiste et entre les mains de qui est cette richesse. »

[4] Essai analytique, p. 9 : « J’opposerai les vrais principes à ceux sur lesquels a été édifié un système aussi séduisant qu’il serait dangereux, et peut-être funeste dans ses conséquences pratiques. — Quelques-unes de ces conséquences sont : 1° de vendre directement à l’étranger les matières premières qui servent d’aliment à nos manufactures ; 2° d’admettre en toute liberté les marchandises fabriquées à l’étranger ; 3° de lui abandonner le fret et tout ce qui est purement travail et industrie ; 4° enfin, de charger les terres seules de tout l’impôt de la nation. »

[5] Essai analytique, p. 24 : « Les richesses sont constamment toutes les choses destinées à satisfaire nos besoins, de quelque nature que soient ces choses et de quelques sources qu’elles viennent. » — p. 69 : « L’air, la lumière et l’eau sont des objets biens réels de besoins et conséquemment sont de vraies richesses. » — p. 11 : « Je supposerai un paysan qui a employé toute sa vie à cultiver du lin dans un champ qui lui appartient, qui n’a retiré chaque année de son labeur que 100 livres et qui a dépensé chaque année aussi 100 livres… Dira-t-on qu’il serait égal pour l’État que l’homme et le champ n’eussent jamais existé, parce qu’il n’y a point eu de produit net ? »

[6] Essai analytique, p. 13 : « La dépense du cultivateur, ainsi que tous les frais de culture, ne diminuent rien de la richesse de production du sol, quant à l’État, parce que, de tous ces frais, il n’y a rien de perdu pour l’État. »

[7] Essai analytique, p. 12 : « Si la richesse de l’État, considérée dans la production du sol, n’était que le produit net, elle dépendrait en grande partie de la dépense plus ou moins resserrée des cultivateurs. Il y aurait d’autant plus de richesse dans l’État, que les cultivateurs seraient réduits à une vie plus dure et plus misérable ; j’en appelle au meilleur des rois, à Henri IV. »

[8] Essai analytique, p. 14.

[9] Voir ci-dessus : Lettres à Du Pont de Nemours, p. 513.

[10] Mémoire sur l’Impôt indirect, p. 20, note : « C’est pour n’avoir jamais étudié la différence de constitution et d’intérêts des petits États républicains composés de comptoirs de revendeurs que la sagesse de leur conduite a produit l’égarement des grandes puissances agricoles. »

[11] Mémoire, etc., p. 24.

[12] Mémoire, etc., p. 30, note.

[13] Mémoire, etc., p. 33 et s.

[14] Dans le Mémoire, etc., imprimé, on lit en note, p. 60 : « Quand on prend le rapport des avances annuelles avec la reproduction dans la raison de 2 à 5, on ne prétend pas établir un principe général… On a saisi la proportion la plus commune dans les pays de grande culture. »

[15] Mémoire, etc., p. 65. « Les rentes sont des branches parasites par lesquelles s’extravase la sève qui vivifie les trois classes de l’État. »

[16] Mémoire, etc., p. 68. « Une maison est aussi stérile que de l’argent. »

[17] Mémoire, etc., p. 71.

[18] Mémoire, etc., p. 103.

[19] Mémoire, etc., p. 106.

[20] Du Pont a fait à ce sujet les réflexions ci-après :

« Il y a sur ce point quelque légère différence, et encore plus apparente que réelle, entre ce que dit M. Turgot et ce que pensait M. Quesnay.

« La grande nécessité d’épargner sur les revenus, et même autant qu’il serait possible sur les salaires, pour concourir à la formation des capitaux, ne saurait être contestée. Mais la manière de faire ces épargnes n’est pas indifférente.

« Si elle se fait par thésaurisation, elle apporte quelque dérangement à l’ordre naturel des distributions, et quelque diminution dans le prix des productions, partant dans l’intérêt de les multiplier et d’en étendre la culture. — C’était l’opinion de M. Quesnay.

« Mais, si les économies sont faites par l’emploi de l’argent à de nouveaux travaux utiles, comme la fabrication d’objets de jouissances durables, tels que des maisons, des meubles, des étoffes, surtout des plantations, des dessèchements, des directions d’eaux plus avantageuses, ou des prêts bien entendus à ceux qui font de l’argent ces profitables usages, l’argent est dépensé, les récoltes débitées à profit, et cependant les richesses accumulées et les capitaux formés.

« Lorsque les cultivateurs et, avant eux, les chasseurs ou les pêcheurs, ont épargné, ce qui certainement, et comme le remarque très bien M. Turgot, a causé la première stabilisation de richesses, la première formation de capitaux, ce n’était pas en gardant de l’argent, car il n’y avait alors aucun argent en circulation ; mais les chasseurs ont amélioré et multiplié leurs armes, les pêcheurs leurs canots et leurs filets, les pâtres et les cultivateurs leurs bestiaux ou leurs bâtiments ; tous, leurs divers effets mobiliers ; et c’est ce qu’ils font encore aujourd’hui. C’est même ce qui fait que les économies les plus profitables de toutes à la société sont celles des cultivateurs, parce que leur plus forte partie est en bétail. — Quand l’argent s’est introduit et quand il a pris la qualité de monnaie, il a été un effet mobilier de plus et très utile, parce qu’il a facilité les échanges, et aussi les très petites économies, qui contribuent à la formation des capitaux, comme les ruisseaux à celle des rivières.

« M. Quesnay a toujours reconnu les avantages de ces petites économies préliminaires et indispensables, avant que l’on puisse trouver, à l’argent qu’elles rassemblent, un emploi actif, soit productif, soit au moins transformateur d’un travail soldé en objets d’une jouissance prolongée.

« Il n’a blâmé que la thésaurisation qui empêcherait le débit de quelques productions ou en diminuerait le prix, et qui obligerait, pour maintenir ou rétablir la circulation, d’acheter à l’étranger plus de métaux qu’il n’en serait nécessaire, si les petites économies elles-mêmes étaient promptement consacrées à des emplois d’où résulterait du travail et de la consommation utile, et surtout si elles étaient presque de suite consacrées à un travail productif, tel que celui de la culture ou des autres exploitations qui font naître ou procurent des richesses nouvelles.

« M. Turgot dit avec raison qu’il faut des économies, sans quoi les capitaux ne pourraient pas se former ; et M. Quesnay, avec non moins de raison, qu’il ne faut pas de thésaurisation, sans quoi les capitaux seraient formés plus tard et moins utilement, attendu qu’il en résulterait un retard dans le travail et du désavantage dans le débit. »

[21] On distingue deux sortes de valeurs : la valeur fondamentale, et la valeur vénale. La valeur fondamentale est ce que la chose coûte à celui qui la vend, c’est-à-dire les frais de la matière première, intérêt des avances, salaires du travail et de l’industrie. La valeur vénale est le prix dont l’acheteur convient avec le vendeur. La valeur fondamentale est assez fixe et change beaucoup moins que la valeur vénale. Celle-ci ne se règle que sur le rapport de l’offre à la demande ; elle varie avec les besoins, et souvent la seule opinion suffit pour y produire des secousses et des inégalités très considérables et très subites. Elle n’a pas une proportion nécessaire avec la valeur fondamentale, parce qu’elle dépend immédiatement d’un principe tout différent ; mais elle tend continuellement à s’en rapprocher, et ne peut guère s’en éloigner beaucoup d’une manière permanente. Il est évident qu’elle ne peut rester longtemps au-dessous ; car, dès qu’une denrée ne peut se vendre qu’à perte, on cesse de la faire produire jusqu’à ce que la rareté l’ait ramenée à un prix au-dessus de la valeur fondamentale. Ce prix ne peut non plus être longtemps fort au-dessus de la valeur fondamentale, car le gros prix, offrant de gros profits, appellerait la denrée et ferait naître une vive concurrence entre les vendeurs. Or, l’effet naturel de cette concurrence serait de baisser les prix et de les rapprocher de la valeur fondamentale.

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