Oeuvres de Turgot – 165 – Les douanes et le commerce extérieur

1774

165. — LES DOUANES ET LE COMMERCE EXTÉRIEUR[1]

1. Arrêt du Conseil modifiant les droits sur les fers-blancs.

[Recueil des Édits, 2e sem. 1774. — D.P., VII, 55.]

23 octobre.

Sur ce qui a été représenté au Roi, étant en son Conseil, que l’Arrêt du 3 juillet 1692, qui a fixé à vingt livres les droits d’entrée des barils de fer-blanc de 450 feuilles doubles venant de l’étranger et du baril à simple feuille à proportion, n’ayant désigné aucune marque distinctive par laquelle on pourrait reconnaitre le fer-blanc double et le fer-blanc simple, il en est résulté des difficultés dans différents bureaux d’entrée, relativement à la perception de ces droits ; que ces difficultés étant préjudiciables aux manufactures de fer-blanc du Royaume, en ce que presque la totalité des fers-blancs doubles venant de l’étranger acquittent seulement le droit imposé sur les simples, par la difficulté qu’ont les employés des fermes de distinguer les uns d’avec les autres, il serait de la justice de S. M. de faire cesser cet abus, en établissant un même droit par quintal sur ces deux espèces de fer-blanc indistinctement et dans l’intérêt de nos manufactures nationales, et S. M. voulant faire connaître ses intentions à cet égard ; vu sur ce, le Mémoire des Fermiers généraux et l’avis des députés au Bureau du commerce ; … le Roi … ordonne qu’à l’avenir et à compter du jour de la publication du présent arrêt, les fers-blancs en feuilles doubles ou simples venant de l’étranger acquitteront indistinctement, à toutes les entrées du Royaume, quatre livres par quintal[2], au lieu des droits auxquels ils avaient été assujettis par l’Arrêt du 3 juillet 1692.

2. Lettre à Berlin au sujet d’une demande d’établissement d’un droit sur le charbon.

[A. N., F12 151.]

29 novembre.

J’ai reçu, M., les deux lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire les 12 septembre et 6 de ce mois avec le Mémoire et la Requête qui y étaient joints, par lesquels les Srs Stuart et Kesling demandent, soit une récompense, soit à être autorisés à percevoir, pendant 10 ans, 30 sols sur chaque voie de charbon de terre du Royaume, pesant 3 milliers, pour les récompenser de la découverte qu’ils ont faite de la manière de préparer ce charbon, pour être employé à la fonte et forge du fer.

Le charbon de terre, dont on ne saurait trop encourager l’exploitation en France, étant une matière d’une nécessité indispensable pour un grand nombre de nos fabriques, il serait contraire aux principes d’une bonne administration de la surcharger d’un droit tel que celui dont il est question, surtout pour un prétendu secret qui déjà est connu et qui se trouve dans les Mémoires de feu M. Jars[3]. D’ailleurs, il résulterait indubitablement de l’augmentation du prix que ce droit mettrait à ce charbon, l’inconvénient de faire donner la préférence à celui de l’Angleterre, dont il serait fort à désirer qu’on pût entièrement se passer.

Ces considérations vous feront sans doute juger qu’il n’est pas possible d’avoir égard aux demandes des Srs Stuart et Kesling.

3. Lettre au Comte de Tonnerre au sujet d’une demande d’interdiction de la sortie des peaux de chevreaux.

[A. N., F12 151.]

30 septembre.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire en m’envoyant un exemplaire d’un Mémoire des gantiers de Grenoble sur la nécessité de défendre la sortie des peaux de chevreaux et d’agneaux mégissés et sur le bien qui résulterait de l’entrée de ces mêmes peaux venant de l’étranger.

Je me suis fait rendre compte des raisons alléguées dans ce Mémoire pour appuyer la demande qui en fait l’objet et j’ai vu qu’il y aurait beaucoup d’inconvénients à changer ce qui s’est pratiqué jusqu’à présent relativement au commerce. J’en ai rendu compte au Roi et S. M. a jugé qu’il n’était pas possible d’avoir égard à la démarche des gantiers.

4. Lettre à l’Intendant de Bordeaux sur la pêche de la morue.

[A. N., F12 151. — Foncin, 577.]

(Notification d’un Arrêt du Conseil permettant aux armateurs de faire venir du sel du Portugal et d’Espagne).

Fontainebleau, 6 novembre.

Sur les représentations qui ont été faites au Roi, par les armateurs pour la pêche de la morue, sur le haut prix des sels dans les marais salants du Royaume, et sur le besoin indispensable qu’ils avaient de cette denrée pour une branche de commerce aussi importante, S. M. s’est déterminée à rendre un Arrêt du Conseil qui permet aux armateurs qui font la pêche de la morue d’en faire venir du Portugal et d’Espagne, sur des vaisseaux français seulement, pour la salaison de leurs morues et pour les armements de leurs pêches, le tout, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné.

5. Lettres patentes exemptant du droit d’aubaine les natifs de 23 villes impériales.

[Recueil des Édits, 2e sem. 1774. — D. P. VII, 77. — D.D, II, 399.]

Fontainebleau, 7 novembre.

(Une ordonnance de Charles VI de 1386 portait qu’en quelques lieux que fussent situés les biens des aubains (étrangers ayant passé un an et un jour sur les terres du seigneur) ils appartenaient au Roi. Diverses dispositions atténuèrent le droit d’aubaine : en 1608, pour les Génevois qui mouraient en France ; ensuite pour les étrangers qui introduisaient en France une industrie nouvelle.

Choiseul fit supprimer le droit d’aubaine par des traités particuliers avec diverses puissances de l’Europe qui, en réciprocité, l’abolirent chez elles pour les Français. Des lettres patentes avaient ratifié des conventions de ce genre avec la principauté de Neufchâtel, le Grand-Maître de l’Ordre teutonique, le Prince de Nassau, les États généraux des Provinces-Unies (Hollande).

Les lettres patentes de novembre abolirent le droit d’aubaine pour les villes impériales ci-après : Schweinfurt, Rothenbourg sur le Tauber, Wendsheim, Goslar, Mulhausen en Thuringe, Gemund en Souabe, Diberach, Weil, Wangen, Phullendorf, Zell en Souabe, Ravensburg, Wimpfen, Weissenbourg en Franconie, Giengen, Kempten, Ysni, Kaufbeuren, Leutkirch, Ahlen, Buchau, Buchorn et Bopfingen.

Ces lettres, contresignées par La Vrillière, visées par Miromesnil, mais à la préparation desquelles Turgot prit part, établirent, dans chacun des pays, le traitement mutuel le plus favorable pour les personnes et pour le commerce des citoyens et sujets de l’autre pays, et le droit réciproque de recueillir toutes les successions, testamentaires ou non, mobilières ou immobilières, à la seule réserve d’un droit d’1/10 sur le capital, droit que les villes impériales avaient désiré conserver et qui fut, en conséquence, établi en France sur les successions ou legs des citoyens ou sujets de ces villes.

Turgot pensait, d’accord avec Vergennes, qu’il serait avantageux à 1a France d’abolir, pour tous les pays, le droit d’aubaine dont l’effet était d’empêcher l’établissement dans notre pays d’ouvriers, d’artisans, de capitalistes et de négociants et de repousser même les particuliers riches qu’attirait la douceur de nos mœurs, de notre société et de notre climat. En raison de ces avantages, Turgot aurait voulu que l’abolition fût faite par une loi générale sans s’inquiéter de la réciprocité ; Vergennes, fidèle aux vieux préjugés diplomatiques, voulait, au contraire, se servir de l’abolition du droit comme d’un appât pour obtenir des autres nations des avantages commerciaux. À l’époque où l’on se trouvait, l’abolition aurait été particulièrement utile ; elle aurait ramené des protestants en France et y aurait appelé des ouvriers d’Angleterre. Dans ce pays, le droit d’aubaine n’existait pas, mais la crise causée par la Révolution d’Amérique en faisait sortir les ouvriers. (Du Pont, Mém.).

D’après l’abbé de Véri, l’abolition totale fut approuvée dans le Conseil peu de temps après le renvoi de Turgot. Vergennes la suspendit ensuite et Maurepas n’insista pas. Necker reprit plus tard les idées de Turgot, mais le droit d’aubaine ne fut aboli que par la loi du 6 août 1790.

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[1] On trouve aux Archives Nationales (F12 151) et dans d’autres dépôts les pièces suivantes :

Entrée.

13 septembre. — Lettre au Ministre des affaires étrangères rejetant une demande de suppression des droits sur les fils de lin, faite par l’ambassadeur de Berlin. (En l’absence de négociations pour un traité de commerce, l’examen de cette demande isolée aurait des inconvénients).

25 octobre. — Arrêt du Conseil exemptant de droits les couperoses venant de l’étranger. [A. Gironde, C. 64. — Foncin, 118)

12 novembre. — Lettre à Auguste Laurent, fabricant d’étoffes à Amiens, lui refusant une exemption de droits d’entrée.

Sortie.

30 septembre. — Lettre à intendant de Caen accordant une permission d’exporter des marrons et des châtaignes. [A. Calvados, C. 2055]

8 septembre. — Lettre au Ministre de la marine au sujet de la disparition de drap envoyé à Rome par un fabricant de Sedan.

Confiscations.

31 août. — Lettre au Ministre des affaires étrangères et à l’Intendant d’Amiens au sujet d’une confiscation d’étoffes prohibées à la halle foraine d’Amiens. (Le demandeur est débouté par Arrêt du Conseil).

[2] Le quintal de cent livres poids, soit 50 kilogrammes.

[3] Métallurgiste, mort en 1769. ·

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