Précis manuscrit, joint à une lettre du 4 septembre 1698

Précis manuscrit, joint à une lettre du 4 septembre 1698

 

… Le pays devient inculte, ce qui a enlevé la moitié des biens de la France, et ce qui augmente tous les jours, de façon que la misère est extrême par la campagne et souvent dans les villes. …En pareil espace, on rétablira l’agriculture et le commerce, ce qui fournira sur-le-champ plus de trois cents millions de rente à la France, arrêtera toute misère et donnera l’abondance.
La famine fait mourir une infinité de personnes tous les sept ou huit ans, et de misère au moins 500 000 personnes par an. On maintient et on fera voir à l’œil qu’il n’y aura jamais famine.
Le Roi n’a que cent douze ou cent quinze millions de rente. On donnera dans le moment dix millions de rente au Roi plus qu’il n’a de revenu, vingt millions dans un an, quarante dans deux ans, et cent millions dans trois ans.
Sa Majesté doit plus de 50 millions de rente, tant en gages d’officiers que rentes constituées. L’article précédent fait voir que l’acquit des dettes de Sa Majesté, sans rien faire perdre à personne, devient non seulement possible, mais même très aisé.

Pour produire un si heureux changement, souhaité, demandé et même proposé par tous les peuples de la France, ce qui en rend la rejection digne de pitié, il n’est point nécessaire de faire de miracle ni de mouvement à l’égard du Roi ni des peuples, mais seulement de cesser de renverser le sens commun comme on fait depuis 40 ans.

Tout gouvernement qui fait demeurer les terres en friche, oblige d’arracher les vignes, ruine le commerce domestique et étranger, oblige les peuples de périr de misère ou de se retirer ailleurs, est un renversement de la raison. Le gouvernement des finances depuis 40 ans produit cet effet, donc il est un renversement de la raison et du sens commun par erreur au fait, à quoi les plus grands hommes ont été sujets dans tous les siècles. La première proposition n’a pas besoin de preuve, et pour la seconde, il ne faut que jeter les yeux sur ce qui se passe en général et en particulier.

À l’égard des tailles. La mesure de la hausse des tailles est jusqu’à ce que le taillable cesse de bien labourer ou laisse la terre en friche.

Des aides. La mesure de la hausse des aides est jusqu’à ce que les vignes et les arbres soient arrachés et qu’on ne boive que de l’eau.

Des douanes et droits de passage. La mesure de la hausse des douanes et passages est jusqu’à ce que le commerce du dedans et du dehors soit abandonné.

Des droits sur les charges et administrations de justice. Et la mesure de la hausse des droits sur les charges est jusqu’à ce qu’on abandonne de demander justice, comme on fait présentement, y ayant 38 droits nouveaux depuis la guerre sur la justice, lesquels, bien loin d’avoir apporté de l’argent au Roi, ont diminué les anciens droits, qui sont les contrôles, les amendes et formules, du double de ce que le Roi a reçu de cette nouveauté si préjudiciable à ses peuples, ce qui est commun à tous les autres droits, d’abîmer 20 fois autant de biens que ce qu’ils font recevoir au Roi.

Toute objection que l’on pourrait faire contre la promesse que l’on fait de tout rétablir en deux heures par la simple publication de deux édits, sera montrée tenir visiblement d’un renversement de raison ou d’un intérêt personnel, d’une façon aussi claire qu’il est aisé de faire voir que la Seine passe dans Paris ; mais ce serait pareillement renoncer au sens commun de s’adresser à MM. les ministres des finances pour un pareil ouvrage, puisque la raison ne permet point de supposer qu’un homme couvert d’applaudissements de la part de son prince puisse lui aller apprendre qu’il est dans une méprise continuelle, ce qui rend ses peuples très misérables et lui très mal servi, que le moyen de tout rétablir est de renverser tout ce qu’il a fait, de le laisser sans fonctions, l’empêcher d’être maître à l’avenir des biens de tout le monde, et détruire entièrement un peuple de partisans qui formaient toute sa cour et tous les agréments de son emploi, quoique les plus grands ennemis du Roi et des peuples ; sans parler qu’il est bien vérifié par des pièces authentiques que depuis 1583, temps de la naissance des partis, jusqu’en 1660, les ministres et principales personnes de la Cour ont été, de par sous-main, dans toutes les affaires qui se sont faites, et qu’aujourd’hui les partis les plus désolants sont dirigés par des bureaux composés de Messieurs les conseillers d’État et maîtres des requêtes, qui tirent des appointements réglés de ces affaires, ce qui ne les rend pas fort disposés à prêter leur ministère pour leur suppression. On laisse à juger si les personnes de piété qui sont à portée d’avertir le Roi de ces désordres, qui peut seul y apporter du remède, sont disculpées devant Dieu de renfermer tous leurs efforts à en parler à Messieurs les premiers ministres, ce qui ne fait que leur donner moyen de se précautionner contre un mouvement qui les perdrait de biens et de réputation.

A propos de l'auteur

Personnage haut en couleur, mais à l'esprit brillant, Pierre de Boisguilbert mérite le titre de fondateur de l'école française d'économie politique. Par sa critique des travers de l'interventionnisme et sa défense du laissez faire, il a fourni à ses successeurs un précieux héritage.

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