Supplément du Détail de la France

SUPPLÉMENT DU DÉTAIL DE LA FRANCE

 

Il est surprenant que dans les grands besoins qu’a présentement l’État de secours extraordinaires, les peuples faisant offre de les fournir dans le moment, au moyen de quelques accommodements, lesquels, sans rien déranger, n’exigent qu’un simple acte de volonté des personnes en place, et mettront ces mêmes peuples en un même instant en état d’y satisfaire, avec profit de leur part ; il est étonnant, dis-je, qu’on refuse d’accepter ces offres qu’après la conclusion de la paix, bien que ce soit l’unique moyen d’en procurer une très avantageuse. En sorte que, par une destinée jusqu’ici inouïe, ceux à qui il tombe en charge de payer se soumettent de le faire sans demander de délai, et les personnes qui ne doivent avoir d’autres fonctions que de recevoir exigent un terme et un délai fort incertains pour l’accepter. Outre cette situation monstrueuse, on peut assurer que la guerre étrangère coûte dix et vingt fois moins au royaume que les désordres intestins causés par les manières que l’on pratique pour recouvrer les fonds, afin d’y subvenir : en sorte que, mettant pour ainsi dire l’incendie dans toutes les contrées de la France, il est bien plus provisoire de l’arrêter que la guerre du dehors, dont, encore une fois, la conclusion avantageuse dépendra absolument de cette paix du dedans, qui se peut terminer à moins d’un mois ; et l’allégation de la guerre étrangère comme un obstacle au rétablissement de la félicité générale est la même erreur que si, le feu étant aux quatre coins d’une maison, on soutenait qu’il ne faut pas l’éteindre qu’un procès que l’on aurait, pour la propriété, en un tribunal éloigné, ne fût jugé ; c’est ce qui se verra mieux par un petit détail de cette guerre intestine, ou de cet embrasement du royaume, article par article.

Faut-il attendre la paix pour faire labourer les terres dans toutes les provinces, lesquelles, la plupart, demeurent en friche par le bas prix du blé, qui n’en peut supporter les frais, et on néglige pareillement l’engrais de toutes les autres : ce qui fait un tort de plus de cinq cent mille muids de blé par an à la France, et cinq cents millions de perte dans le revenu des peuples, par la cessation de la circulation de ce premier produit qui mène à sa suite toutes les professions d’industrie, qui vivent et meurent avec lui.

Faut-il attendre la paix pour un autre article, qui est une suite du précédent, savoir, pour faire payer les propriétaires des fonds par ceux qui les font valoir, desquels nul maître ne recevant rien, ou il ne fait nul achat dans les boutiques, ou, ne satisfaisant pas aux crédits précédents, les marchands sont obligés de faire banqueroute.

Faut-il attendre la paix pour faire cesser d’arracher les vignes, comme on fait tous les jours, pendant que les trois quarts des peuples ne boivent que de l’eau, à cause des impôts effroyables sur les liqueurs, qui excèdent de quatre ou cinq fois le prix de la marchandise, et dont le produit à l’égard du Roi, qui donne lieu à une pareille destruction, étant offert d’être payé au double d’une autre manière par les peuples, sans demander aucun délai, ce qui serait un quadruple profit de leur part, ils ne peuvent être écoutés, et on les renvoie à un autre temps, en soutenant qu’il faut attendre que toutes les vignes soient arrachées pour donner permission aux peuples de les cultiver ; ce qui serait entièrement inutile, et est la même chose que de faire venir un médecin pour guérir un homme qui serait mort.

Faut-il attendre la paix pour ordonner que les tailles seront justement réparties dans le milieu du royaume, et que l’on ne mette pas de grandes recettes à rien ou peu de chose, pendant qu’un misérable qui n’a que ses bras pour vivre, lui et toute une famille, voit, après la vente de ses chétifs meubles et instruments dont il gagne sa vie, comme on fait pour l’ustensile qui se règle sur le niveau de la taille, enlever les portes et les sommiers de sa maison pour satisfaire au surplus d’un impôt excédant quatre fois ses forces ? Monsieur de Sully, qui rétablit la France, l’ayant trouvée au point où elle peut être aujourd’hui, n’était pas persuadé que la guerre eût rien de commun avec ces règlements, puisqu’il fit une ordonnance en 1597 pour régler la juste répartition de la taille, ainsi que tous les autres désordres qu’il arrêta au milieu de deux guerres, l’une civile et l’autre étrangère, qui désolaient le dedans et le dehors du royaume d’une bien plus cruelle manière que ne peut être la conjoncture d’aujourd’hui ; et le tout fut si ponctuellement exécuté que le Roi et les peuples devinrent très riches, de très mal dans leurs affaires qu’ils étaient auparavant.

Faut-il attendre la paix pour sauver la vie à deux ou trois cent mille créatures qui périssent au moins toutes les années de misère, de notoriété publique, surtout dans l’enfance, n’y en ayant pas la moitié, à cet âge, qui puisse parvenir en l’état de gagner leur vie, soit manque de lait dans les mères, faute de nourriture et par trop de travail ; ceux-mêmes d’un âge plus avancé n’ayant que du pain et de l’eau, sans lits, vêtements, ni aucuns remèdes dans leurs maladies ; on peut penser s’ils sont en état de satisfaire amplement à leur travail, qui est leur unique revenu, et si l’on en doit attendre une longue vie, périssant presque tous même avant que d’avoir atteint le milieu de leur carrière.

Faut-il attendre la paix pour la donner aux immeubles, ce qui se peut en un instant, le Roi déclarant qu’il se contentera désormais de subsides réglés, proportionnés aux forces de chacun des contribuables, ainsi qu’il se fait présentement en Angleterre, en Hollande, et dans tous les pays du monde, et même en France durant onze cents ans, et que l’on ne bombardera plus rien, surtout les charges, comme il est arrivé à une infinité de personnes ; ce qui faisant tout le vaillant d’un homme, le réduit à l’aumône, et mettant tous les autres possesseurs de semblables biens dans l’attente d’un pareil sort, les ruine presque également sans que le Roi reçoive rien, parce que cela leur fait perdre tout crédit, qui ne roulant que sur la solvabilité du sujet qui s’en sert, elle s’anéantit par la destruction du prix des fonds qu’il possède, tout comme dans une ville menacée de bombardement : quoique les maisons ne ressentent actuellement aucun mal, elles perdent neuf parts sur dix de leur valeur ordinaire, qu’elles reprennent aussitôt que cette crainte est passée. Ainsi on peut en un instant, par l’établissement d’une paix intestine, doubler et tripler le prix de tous les immeubles, et par conséquent le crédit, qui est la moitié, encore une fois, du revenu des peuples.

Faut-il attendre la paix pour mettre le Roi en état de payer les officiers à point nommé, afin que ceux-ci soient en pouvoir de faire leurs recrues dans les temps commodes, et de bonne heure.

Faut-il attendre la paix pour donner assez de secours au Roi, afin que par un engagement considérable on fasse des soldats volontairement, et que l’on ne mène pas des forçats liés et garrottés à l’armée, comme on fait aux galères, et même au gibet ; ce qui, au rapport de Monsieur de Sully dans ses mémoires, ne sert qu’à décourager les autres, décrier le métier et la nation, parce qu’ils désertent tous à la première occasion, ou meurent de chagrin.

Faut-il attendre la paix pour cesser de constituer l’État sous le nom du Roi, en sorte qu’après la fin de la guerre le paiement des intérêts de l’argent pris en rente coûtera plus aux peuples que l’entretien de la guerre, de façon que c’en sera une perpétuelle qu’ils auront à soutenir ?

Faut-il attendre la paix pour purger l’État des billets de monnaie, dont le déconcertement qu’ils causent dans le commerce coûte quatre fois plus par an que le prix des sommes pour lesquelles ils existent, c’est-à-dire quatre fois plus que la guerre étrangère, et le royaume s’en rechargeant par un juste partage sur la tête des particuliers et communautés, l’endos qu’ils y mettront, payable en quatre ans par quatre paiements différents, avec leurs intérêts, les feront circuler dans le trafic sans aucune perte du transportant ; et le rétablissement de la consommation, possible en trois heures par la simple cessation d’une très grosse violence à la nature, dédommagera au quadruple tous ces endosseurs de cette prétendue nouvelle charge, ainsi que la crue ou la hausse de la fourniture des besoins du Roi.

Faut-il enfin attendre la paix pour cesser de vendre tous les jours des immeubles, surtout des charges, avec promesse qu’on en jouira tranquillement, et que ceux qui auront prêté leur argent pour cet achat auront un privilège spécial, et puis, quelque temps après, revendre ce nouvel effet à un autre sans nul dédommagement au premier acquéreur, non plus qu’au prêteur ; ce qui ôtant la confiance, qui est l’âme du trafic, rompt tout commerce entre le prince et ses sujets, et l’argent seul pouvant être à l’abri de pareils orages, est estimé l’unique bien, et comme tel resserré dans les cachettes les plus obscures qu’on peut trouver, avec une cessation entière de toute sorte de consommation dont cet argent est uniquement le très humble valet. C’est une très grande absurdité de chercher d’autre cause de la rareté que l’on en voit régner que cette même destruction de consommation, comme de nier qu’en la rétablissant, comme cela se peut en un moment, on le verra aussi commun que jamais, bien que, depuis un très long temps, on ne l’ait cherché que dans la destruction de la seule cause qui le fait marcher, savoir, encore une fois, la ruine de la consommation, par un marché ordinaire aisé à vérifier, c’est-à-dire vingt de perte par pur anéantissement, pour un que l’on faisait ou prétendait faire recevoir au Roi.

L’esprit le plus borné et le plus rempli de ténèbres qui fût jamais ne peut être assez aveuglé pour produire de pareils soutiens. Il n’y a que le cœur, au témoignage de l’Écriture sainte, lequel, quand il est une fois corrompu, un saint exprès revenu de l’autre monde pour le convertir n’en viendrait pas à bout. Ainsi, quoiqu’on va montrer qu’il est aussi certain que les peuples peuvent, par trois heures de travail de Messieurs les ministres et un mois d’exécution de leur part, sans rien déconcerter ni mettre aucun établissement précédent au hasard ; qu’ils peuvent, dis-je, fournir cent millions de hausse au Roi pour ses besoins présents, avec quadruple profit de leur part, et que l’on fasse cette preuve avec autant de certitude que si un ange le venait confirmer du ciel, on ne prétend pas, néanmoins, convertir un seul des cœurs corrompus, c’est-à-dire ceux en qui la destruction publique est le principe de la haute fortune : on ne s’adresse qu’aux esprits qui pourraient se laisser gâter par la contagion de sujets dépravés, et par conséquent suspects sur une pareille matière.

Voici comme on fait sa preuve tout à fait : qui est constamment vrai ne serait pas plus certain quand tous les saints du paradis le viendraient attester, et il est aussi véritable que la Seine passe dans Paris que si les anges en venaient rendre témoignage.

Il y a une seconde chose incontestable, savoir que tous les faits sur lesquels plusieurs s’accordent sans aucune convenance précédente entre eux, sont aussi indubitables que s’ils les voyaient de tous leurs yeux.

Tous les hommes raisonnables qui n’ont jamais été à Rome, ayant un peu de lumière, parieraient tout leur bien contre une pièce de trente sols qu’il existe au monde une ville de ce nom, parce que trop de gens l’ont dit et écrit, sans avoir concerté de mentir, pour que cela ne soit pas véritable ; outre que si quelqu’un voulait le contredire, on le traiterait de fou et d’extravagant.

Or on maintient que l’établissement de cent millions de hausse de la part des peuples, avec quadruple profit de leur part, possible en trois heures de travail et un mois d’exécution, a le même degré de certitude que cet exemple de Rome, attendu que tous les peuples non suspects sont prêts d’en signer la proposition aux conditions marquées ; et l’on soutient à même temps que si le Roi ordonnait à quelqu’un de mettre par écrit des raisons qui fissent voir l’impossibilité d’un pareil recouvrement, outre qu’il ne saurait par où commencer ou par où finir, il serait en horreur et à Dieu et aux hommes. Et la demande du délai jusqu’après la paix est un aveu pur et simple que la chose est très aisée, ou la contradiction impossible, puisque la paix ou la guerre étrangère n’ont nulle relation avec ce qui se passe au-dedans du royaume à l’égard des tributs : ainsi, c’est montrer grossièrement que, ne pouvant nier que les manières pratiquées mettent le feu aux quatre coins de la France, on souhaite seulement que l’on remette à l’éteindre jusqu’à la paix ; non, encore une fois, qu’elle ait aucun rapport à ces désordres, mais c’est parce qu’on espère par là obtenir un délai et que l’embrasement soit continué, attendu qu’on y trouve son compte et que l’on est un des incendiaires qui se font bien payer pour un pareil service. De si cruelles dispositions et de semblables énoncés ne sont pas surprenants dans la bouche des traitants, puisque c’est à l’aide d’une pareille politique qu’ils se procurent ces fortunes immenses qui font la ruine de l’État, s’étant fait donner deux cents millions depuis 1689 pour leur part, sans celle du néant, qui croissant sous leurs pieds, excède de dix et vingt fois ce que tant le Roi qu’eux reçoivent par un si funeste canal ; et même, de pareilles objections ou demandes de délai jusqu’à la paix pour arrêter de pareils désordres n’auraient pas également surpris dans la bouche des ministres auparavant 1661, parce que ou ils étaient traitants eux-mêmes, ou ils prenaient part dans tous les partis, comme il fut vérifié contradictoirement dans la Chambre de Justice ; ce qui était la même chose à l’arrivée de Monsieur de Sully au ministère, qui dit au roi Henri IV, ainsi que Monsieur Amelot dans une députation à la reine-mère, que les traitants, qui sont la ruine d’un État, n’avaient été inventés par les ministres que pour prévariquer, leur étant impossible de rien prendre dans les tributs réglés passant droit des mains des peuples en celles du prince, comme il se pratique dans tous les pays du monde, cette manière étant le tombeau du revenu, de la fonction et de l’autorité de ceux qui gouvernent, au lieu que, par les partisans, ils sont les maîtres absolus des biens de tout le monde, mettant un homme riche sur le carreau et le dernier des misérables dans l’opulence quand il leur plaît, et ne sont privés pour leur particulier de recevoir quelques sommes que ce puisse être qu’autant qu’ils les veulent refuser, n’y ayant d’autres bornes que celles que l’on peut attendre de leur modération ; comme, dis-je, c’était la situation des ministres auparavant 1661, la demande de délai pour changer des manières si déplorables n’eût pas surpris, parce qu’on l’eût regardée comme des lettres d’État de leur part pour se maintenir dans une si agréable situation à leur égard, quoique si funeste au Roi et aux peuples ; mais aujourd’hui et depuis 1661 que l’intégrité tout entière a succédé tout à coup dans le ministère, et sans aucun milieu, à une extrême prévarication, on ne peut qu’être surpris d’avoir vu trois fois un quadruplement de partisans et de manières désolantes, ainsi que la demande, aujourd’hui, d’un délai pour éteindre le feu qui est aux quatre coins du royaume, avec un refus de recevoir de la part des peuples tous les besoins du Roi, dans un temps qu’ils sont absolument nécessaires à la monarchie, parce qu’on ose appeler un renversement d’État la cessation du plus grand bouleversement qui fût jamais, qui, faisant une très grande violence à la nature, peut être arrêté en un moment avec beaucoup moins de dérangement qu’il n’y en eut lors de la capitation établie en 1695, au milieu de la guerre, et qui ayant promis la cessation des affaires extraordinaires, ce dessein fut éludé par ceux qui trompèrent Messieurs les ministres dans la répartition, l’ayant rendue ridicule, et par conséquent insuffisante à atteindre aux besoins du Roi, qui était bien leur intention ; ce qui n’arrivera pas dans celle qu’on propose puisqu’elle ira à plus de cent millions, avec quadruple profit de ceux qui paieront six fois leur cote précédente, et cela par la simple attention à ces articles, savoir, les blés et liqueurs, qu’ils ne soient plus en perte aux laboureurs et vignerons par rapport aux seuls frais de la culture, en sorte qu’on est contraint de les abandonner, comme on fait tous les jours, la juste répartition des tailles, et la cessation des affaires extraordinaires ; ce qui n’exige qu’un simple acte de volonté du Roi et de Messieurs les ministres pour finir une très grande violence qu’on fait à la nature, bien que la négligence de ces attentions coûte, de compte fait, plus de quinze cent millions de perte par an au royaume, depuis 1661 que l’intégrité est dans le ministère, les prévarications précédentes n’ayant rien produit de si funeste, mais bien le contraire, et tous les biens se trouvant doublés en 1661, ainsi que ceux du Roi, du prix qu’ils étaient trente ans auparavant. Ou si ce nombre de quinze cents millions étonne, on le prend d’une autre manière, et on maintient que sur quarante mille villes, bourgs et villages qu’il peut y avoir dans le royaume, il n’y en a aucun, l’un portant l’autre, qui n’ait perdu cinquante mille livres de revenu, tant en fonds qu’en industrie, ou plutôt dix et vingt fois davantage que ce que le Roi en tire par toutes sortes d’impôts, à le vérifier sur tel lieu que le parti contraire voudra choisir, sans qu’on en puisse accuser le manque d’espèces, qui sont aujourd’hui au double dans la France, comptant exactement ce qui est entré et sorti, de ce qu’il y en avait en 1661, que les quinze cents millions de rente existaient. Mais c’est que l’argent est devenu paralytique, et il avait des jambes de cerf en ce temps-là, qu’on lui peut redonner en un instant, ce qui est le seul principe de la richesse des peuples, et par conséquent de la fourniture des besoins du Roi, les tributs, comme toutes sortes de redevances, tirant leur qualité d’excès ou de modicité non de la quotité absolue des sommes que l’on demande, mais de la valeur des fonds dont on les exige, et la vigueur de ceux-ci n’est qu’à proportion de la vente des denrées qu’ils produisent ; ce qui pouvant, encore une fois, être doublé en France en un moment, on en voit les conséquences, qui sont la rapidité du cours de l’argent, comme l’eau du torrent après qu’une digue qui la retenait au milieu d’une descente est levée ; et la même absurdité, par erreur au fait, qui se rencontrerait dans l’objection que cette eau ne pourrait couler dans la vallée, après l’enlèvement de la digue, qu’une guerre étrangère ne fût terminée, se trouve pareillement dans l’allégation des personnes qui prétendent qu’il faut attendre à la fin de cette même guerre pour voir marcher la consommation, bien que les causes violentes qui l’arrêtent puissent être ôtées en un moment, et en quelque temps que ce soit.

Quand on dit cent millions d’augmentation dans les revenus du Roi en un instant, ce n’est pas cent millions d’espèces de nouvelle fabrique, comme au Pérou ; c’est cent millions de pain, de vin et de viande, et des autres denrées qui, étant le seul soutien de la vie, le sont pareillement des armées, lesquelles seront fournies au moyen de dix millions seulement, et même moins, qui faisant dix voyages et dix retours des mains des peuples en celles du prince, enfanteront cette livraison de denrées dont il se perd tous les jours dix fois davantage, tant excrues qu’à excroître, pendant que d’un autre côté ces dix millions, qui ne marcheront jamais que par l’ordre de la consommation, résident des années entières dans des retraites dont toutes les machines du monde ne les peuvent tirer ; toutes les mesures même que l’on prend ne servent qu’à les y enfoncer davantage, au lieu qu’en un instant, on les peut mettre, ainsi que tout le reste, en mouvement ; ce qu’on offre à la garantie des peuples, qui vaut beaucoup mieux que celle des traitants, dont on ne congédiera pas un des ordinaires, quand on aura expédié des sauf-conduits pour en faire les propositions et l’acceptation en même temps de la part des peuples, n’y ayant qui que ce soit, non intéressé à la cause des désordres, qui ne donne avec plaisir et profit les deux sols pour livre de son revenu pour être payé du surplus exactement ; ce qui n’est pas, à beaucoup près, présentement, et ce qui est immanquable par les manières marquées, qui accommodent bien mieux le soutien de la guerre que la pratique du contraire, comme on fait tous les jours.

A propos de l'auteur

Personnage haut en couleur, mais à l'esprit brillant, Pierre de Boisguilbert mérite le titre de fondateur de l'école française d'économie politique. Par sa critique des travers de l'interventionnisme et sa défense du laissez faire, il a fourni à ses successeurs un précieux héritage.

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