Dialogue entre un électeur et un candidat, par Gustave de Molinari (1855)

(Extrait de L’Économiste belge, n°1, 1855 ; republié dans le Journal des économistes, 15 février 1855)


Le candidat. Voulez-vous que le gouvernement s’occupe de l’éducation de vos enfants ?

Les électeurs. Sans aucun doute. Nous voulons qu’il distribue l’enseignement à pleines mains, qu’il subventionne grassement les universités, qu’il multiplie les athénées et les écoles primaires, qu’il organise l’enseignement professionnel, agricole, industriel et commercial.

Le candidat. Voulez-vous que le gouvernement construise des routes, des canaux, des chemins de fer et des télégraphes ?

Les électeurs. Oui, nous voulons qu’il ne laisse jamais chômer les travaux publics.

Le candidat. Voulez-vous qu’il protège l’industrie ?

Les électeurs. Assurément, nous voulons qu’il la préserve de la concurrence étrangère ; nous voulons aussi qu’il lui accorde des subventions et des primes ; nous voulons enfin que l’agriculture ne soit pas oubliée, que le gouvernement donne aux agriculteurs les moyens de drainer et de chauler leurs terres, qu’il encourage l’élève des bestiaux, des lapins et des vers à soie.

Le candidat. Voulez-vous qu’il protège les beaux-arts ?

Les électeurs. Comment donc ! mais c’est son premier devoir. Que deviendraient la peinture, la sculpture, l’architecture, la poésie et la musique, si le gouvernement ne s’en mêlait point. Nous retournerions à l’état sauvage.

Le candidat. Voulez-vous qu’il salarie les cultes ?

Les électeurs. Oui, certes. Nous ne sommes pas des mécréants, Dieu merci.

Le candidat. Voulez-vous qu’il diminue l’effectif militaire ?

Les électeurs. Nous prenez-vous pour des membres du congrès de la paix ? Nous voulons qu’il maintienne notre armée sur un pied respectable.

Le candidat. Voulez-vous qu’il réduise le budget de la bienfaisance ?

Les électeurs. Allons donc ! nous voulons, au contraire, qu’il s’occupe activement du bien-être des classes laborieuses, qu’il donne du travail aux ouvriers et qu’il pourvoie aux besoins de ceux qui ne peuvent travailler. Nous voulons qu’il institue des ateliers de travail, des caisses de secours et de retraites, etc., etc. ; en un mot, qu’il soit la Providence du peuple !

Le candidat. Fort bien. Nous sommes d’accord. Maintenant, que pensez-vous des impôts ?

Les électeurs. Nous voulons qu’on les réduise. À bas les gros impôts !

Le candidat. Vous avez raison. Les gros impôts sont insupportables. Lesquels voulez-vous réduire ?

Les électeurs. Tous. Et nous voulons qu’on supprime les octrois.

Le candidat. Permettez cependant. Vous voulez que le gouvernement vous donne de l’enseignement et des travaux publics, qu’il subventionne l’industrie et les beaux-arts, qu’il salarie le culte, qu’il répande à pleines mains le travail et les aumônes ; c’est-à-dire qu’il dépense beaucoup d’argent, à votre intention. Mais, d’un autre côté, vous ne voulez pas qu’il vous en demande. Comment donc s’y prendra-t-il pour maintenir ses budgets en équilibre ? Ce sera un problème difficile à résoudre, avouez-le.

Les électeurs. Eh ! parbleu, cela vous regarde. Nous ne vous nommons pas pour autre chose. Acceptez-vous, oui ou non, notre mandat ?

Le candidat. Vous avez raison. Vos arguments sont sans réplique. Nous sommes faits pour nous entendre. J’accepte de grand cœur votre mandat.

A propos de l'auteur

L’Institut Coppet est une association loi 1901, présidée par Mathieu Laine, dont la mission est de participer, par un travail pédagogique, éducatif, culturel et intellectuel, à la renaissance et à la réhabilitation de la tradition libérale française, et à la promotion des valeurs de liberté, de propriété, de responsabilité et de libre marché.

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