Paix et liberté : le programme politique de Frédéric Bastiat. Par B. Malbranque

Ce texte est l’introduction de la réédition du pamphlet Paix et liberté, ou le budget républicain de Frédéric Bastiat, qui vient de paraître aux éditions de l’Institut Coppet.


Paix et liberté : le programme politique de Frédéric Bastiat

par Benoît Malbranque

Pressé, par les nécessités de la lutte idéologique, à affronter en duel les principaux théoriciens de l’étatisme, du socialisme et du protectionnisme, Frédéric Bastiat n’a réservé qu’une place réduite à l’explication positive de ce que l’on pourrait appeler son programme. Cette pénurie étonne de la part d’un théoricien de l’abondance ; elle surprend surtout compte tenu du caractère novateur mais surtout radical de ses propositions et de ses idées.

Même dans La Loi, qui constitue peut-être son meilleur morceau, Bastiat n’a eu de cesse de revenir à la charge contre ses adversaires habituels, Louis Blanc, Rousseau, Proudhon, Lamartine, Mably, etc. En prenant à partie les fourriéristes, les proudhoniens, les socialistes, etc., il s’éloigne régulièrement de la marche de son propos.

Le pamphlet Paix et Liberté : le budget républicain fait figure d’exception. Politique étrangère, politique intérieure : c’est un programme libéral complet que nous propose Bastiat. Essayons ici d’en articuler les grandes lignes et d’indiquer sur quels fondements il repose.

Principes fondateurs

Le principe fondateur, le credo premier sur lequel Bastiat fait reposer tout son édifice intellectuel, c’est la liberté, c’est-à-dire « le franc exercice, pour tous, de toutes les facultés inoffensives »[1]. La liberté est juste, la contrainte est injuste ; la liberté est efficace, la contrainte est inefficace. La liberté, c’est l’intérêt du grand nombre, la contrainte, c’est l’intérêt du petit nombre.

La difficulté de la situation française vient de ce que les mérites de la liberté ne sont pas compris et qu’elle est repoussée d’instinct. « En France on n’aime pas la Liberté ; on n’aime pas à se sentir responsable de soi-même, on n’a pas confiance en sa propre énergie, on n’est un peu rassuré que lorsqu’on sent de toutes parts l’impression des lisières gouvernementales » note Bastiat avec une certaine résignation — et une certaine clairvoyance compte tenu des développements ultérieurs.

La reconnaissance du principe de la liberté, qui contient ceux de la propriété privée, de la responsabilité individuelle, et du gouvernement limité, conduit en droite ligne à un programme dont les contours sont assez simples. Laissons la parole à Bastiat :

« Que faut-il donc faire ?

Voici ma pensée. Je la formule dans toute sa naïveté, au risque de faire dresser les cheveux sur la tête à tous les financiers et praticiens.

DIMINUER LES IMPÔTS. — DIMINUER LES DÉPENSES DANS UNE PROPORTION PLUS FORTE ENCORE.

Et, pour revêtir cette pensée financière de sa formule politique, j’ajoute :

LIBERTÉ AU DEDANS. — PAIX AU DEHORS.

Voilà tout le programme. »

Le programme de Bastiat contient donc un aspect de politique intérieure et un aspect de politique extérieure, que nous pouvons présenter rapidement l’un après l’autre — ce découpage ne devant toutefois pas faire oublier que chez Bastiat, comme chez tout penseur conséquent, tout se tient, c’est-à-dire que politique intérieure et politique extérieure ne font qu’un.

Politique intérieure

À l’intérieur, Bastiat prône le désengagement de l’État. Cela signifie la réduction du périmètre d’intervention de l’État, qui laisse à l’initiative individuelle et au régime de la libre entreprise des domaines comme l’industrie, l’éducation, la santé, bref tout ce qui s’écarte des missions reconnues comme régaliennes.

Cette opération, qui vise à recentrer l’État sur sa mission, qui est de protéger la propriété et la liberté, et non de s’introduire à grand frais dans la production de biens et services, va de pair avec une réduction drastique des impôts. Pour cela, il faut d’abord vaincre des sophismes récurrents. Selon l’un d’eux, pour augmenter la recette du fisc, il suffit de prélever davantage, quitte à saigner la nation. Contre cette opinion, Bastiat prouve que « le fisc prospère par la prospérité des contribuables ». Avant Laffer et sa célèbre courbe, il signale bien l’effet des hauts impôts sur la recette : « Il arrive un moment où plus ils renforcent le chiffre de la taxe, plus ils affaiblissent celui de la recette. » Jamais à court de solutions faciles, les partisans de l’État obèse proposent de concentrer l’impôt sur la classe riche. La tendance remarquée par Bastiat ne s’observerait pas moins ; mais surtout, on a jamais vu et on ne verra jamais, dit-il, les contributions publiques provenir d’une manière significative de la classe riche seule : trop restreinte, trop capricieuse — l’émigration fiscale ne date pas d’aujourd’hui —, elle représente une ressource bien limitée. « La vérité est, et le peuple ne devrait jamais le perdre de vue, que la contribution publique s’adressera toujours et nécessairement aux objets de la consommation la plus générale, c’est-à-dire la plus populaire. C’est précisément là le motif qui doit pousser le peuple, s’il est prudent, à restreindre les dépenses publiques, c’est-à-dire l’action, les attributions et la responsabilité du gouvernement. »

Diminuer les impôts, diminuer les dépenses, c’est remettre l’État à sa juste place, c’est en finir avec les promesses irréalisables des politiciens et la spirale de déceptions et d’échecs qui suit toujours l’application de l’interventionnisme étatique.

Politique extérieure

Bastiat est un théoricien cohérent et conséquent. Les raisons de son opposition à l’État interventionniste à l’intérieur, il ne les oublie pas en passant les frontières par la pensée et en examinant le champ de la politique étrangère. C’est qu’il est trop conscient que l’expansionnisme et l’interventionnisme extérieur se lient, dans les faits, à un gouffre dans les finances publiques. « Montrez-moi, note Bastiat, un peuple se nourrissant d’injustes idées de domination extérieure, d’influence abusive, de prépondérance, de prépotence ; s’immisçant dans les affaires des nations voisines, sans cesse menaçant ou menacé ; et je vous montrerai un peuple accablé de taxes. »

L’usage de la contrainte, nuisible à l’intérieur, l’est tout autant à l’extérieur. En intervenant militairement au-delà de son territoire, dans des opérations qui n’étaient pas liées à la défense du territoire national, la France a semé des rancœurs, des discordes, des haines. L’influence de la France, soi-disant prétexte à beaucoup d’interventions, n’en ressort pas même gagnante : de quelle valeur est notre modèle de civilisation, de quelle valeur sont nos principes de liberté et d’égalité, si vous les foulons au pied en condamnant l’étranger à la servitude ?

Il faut donc en finir avec notre attitude menaçante, avec notre expansionnisme, écrit Bastiat. Cela passe par un désarmement massif et par l’établissement de relations libres, fraternelles et pacifiques avec les autres nations du globe.

Liberté au-dedans, paix au dehors : en peu de mots, voilà tout un programme politique, plein de cohérence et de profondeur, et surtout plein d’enseignements pour notre temps.

Benoît Malbranque

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[1] Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome IV, p.375-376

A propos de l'auteur

Benoît Malbranque est le directeur des éditions de l'Institut Coppet. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont le dernier est intitulé : Les origines chinoises du libéralisme (2021).

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