Estimation des richesses de l’Angleterre, par Vincent de Gournay (1753)

Estimation des richesses de l’Angleterre dans quatre époques
servant à en faire voir les progrès jusqu’à aujourd’hui, 1752-1753

par Vincent de Gournay

(Mémoires et lettres de Vincent de Gournay)


Estimation des richesses de l’Angleterre dans quatre époques servant à en faire voir les progrès jusqu’à aujourd’hui, tirée d’une brochure intitulée Essai sur la dette de la nation [par A. Hooke], 2e édition [1751]

État des fonds de l’Angleterre

En 1600

En argent monnayé                      L st.    6 500 000

En biens personnels[1]                                130 000 000

En fonds de terres                                    80 166 666

                                                                       216 666 666

En 1660

En argent monnayé                                  14 000 000

En biens personnels                                 280 000 000

En fonds, je dis valeur des fonds de terres                172 666 666

                                                                       466 666 666

 

En 1688 à l’avènement de Guillaume III

En argent monnayé                                  18 500 000

En biens personnels                                 370 000 000

Valeur des fonds de terres                     228 166 666

                                                                       616 666 666

 

En 1749

En argent monnayé                                  30 000 000

En biens personnels                                 600 000 000

Valeur des fonds de terres                     370 000 000

Montant des richesses actuelles de l’Angleterre     1 000 000 000

L’auteur prouve l’augmentation effective des richesses de l’Angleterre par quatre signes visibles, et dont on ne peut révoquer la vérité en doute.

1°. Par le bas prix de l’intérêt de l’argent et la facilité que l’on a trouvé à le réduire immédiatement après la guerre.

2°. Par l’augmentation de la marine tant royale que marchande, ce qu’il prouve ainsi :

            en 1660, la marine du Roi ne montait qu’à               62 594 tonneaux

            en 1688, elle était composée de                                  101 032 tonneaux

            en 1749, elle consiste en plus de                                 200 000 tonneaux

La marine marchande consistait,

            en 1660, en                                                                        500 000 tonneaux

            en 1688, on l’évaluait à                                                   800 000 tonneaux

            en 1749, on l’estime à                                                     1 600 000 tonneaux[2]

3°. L’augmentation du prix des maisons dans toute l’Angleterre, qui en 1660 ne se vendaient pas le denier 8, tandis qu’on a peine à en trouver actuellement au denier 12.

4°. L’augmentation du prix des fermages et de la valeur des terres, qui en 1660 valaient à peine en général le denier 18, tandis qu’aujourd’hui on n’en trouve point au-dessous du denier 22. Tous ces avantages, dit l’auteur, sont dus à l’augmentation de la navigation et du commerce qui continue à prospérer et à s’étendre.

Or, continue l’auteur, une nation dont le capital monte à 1 000 000 de livres sterling, et qui doit 80 000 000 l. st., ne doit pas la douzième partie de son capital, et attendu que ce capital étant toujours en mouvement, augmente au moins chaque année de 11 500 000 livres sterling, suivant un calcul que fait l’auteur. Il conclut qu’il ne doit pas être difficile d’éteindre en peu d’années le capital d’une dette de 80 millions sterling ; il finit par proposer des moyens pour cela.

Cette brochure a déjà été imprimée deux fois par ordre du ministère, et jusqu’à présent, il n’est pas venu à ma connaissance que les preuves qui y sont alléguées aient été combattues par le parti opposé.

Cette estimation actuelle des richesses de l’Angleterre peut donner lieu à un problème fort intéressant pour nous, savoir : Quel est actuellement le montant des richesses de la France ?

Dans le cas où le capital de la France excèderait beaucoup, comme on le croit, celui de l’Angleterre, il y aurait deux choses à examiner.

1°. Si ce capital quelconque de la France s’accroît chaque année à proportion que celui d’Angleterre.

2°. Dans le cas où le capital de la France n’accroîtrait pas chaque année par proportion à celui d’Angleterre, savoir quelles en sont les causes et ce qu’on pourrait faire pour qu’à l’avenir le capital de la France accrût non seulement par proportion à celui d’Angleterre, mais même davantage s’il est possible.

Il serait encore très intéressant d’examiner les progrès de notre marine marchande, si elle augmente ou si elle diminue, parce que c’est une preuve certaine de l’augmentation ou de la diminution de notre commerce.

__________________

[1] L’auteur fait entrer la valeur des maisons et des vaisseaux dans l’estimation des biens personnels.

[2] Sur cette estimation en évaluant les vaisseaux marchands anglais, tant grands que petits, sur le pied de 140 tonneaux chacun, cela donnera un produit de 11 428 vaisseaux marchands qui à raison de 14 hommes d’équipage font 159 992 hommes.

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