La jeunesse de Rand Paul

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Texte intégral du premier chapitre de Rand Paul ou le réveil de l’Amérique, par Benoît Malbranque, à paraître le 28 mai 2014. Voir ici

CHAPITRE 1 : ÊTRE JEUNE COMME LES AUTRES

Lake Jackson, TX — Les raisons du prénom Rand — Controverse sur son lieu de naissance — Le couple Ron Paul et Carole Paul — Leurs deux premiers enfants — L’installation au Texas — Un père comme modèle — L’éducation de Rand — Sa curiosité intellectuelle — Son tempérament et ses folies — Noze Brotherhood.

L’État du Texas, le deuxième du pays en termes tant de superficie que de population — il est plus vaste que la France et plus peuplé que l’Australie — reste pour nous autres Européens l’objet de nombreux fantasmes et préjugés. Nous croyons pouvoir y trouver le « cœur » de l’Amérique « profonde », alors que le Texas fut espagnol pendant deux siècles, puis mexicain, puis indépendant après la révolution texane de 1835, avant de sceller enfin son rattachement aux États-Unis d’Amérique à une date aussi tardive que 1845. Nous l’imaginons traditionnel, quand il est en réalité le deuxième État le plus riche d’Amérique, derrière la Californie. Nous l’associons spontanément aux armes, à la peine de mort, à Walker Texas Ranger et aux énormes steaks : il est en vérité tout autre.

Visitez donc Austin, une ville plus moderne que bien des capitales européennes, et vous comprendrez pourquoi Apple, Hewlett-Packard, Dell ou même IBM, s’y sont installés. Avancez même vers le sud, rapprochez-vous de la côte : vous rencontrerez Houston, la quatrième ville du pays derrière New York, Los Angeles et Chicago.

C’est pourtant dans un Texas plus modeste et plus tranquille que commencera notre histoire. Pour le trouver, il vous faudra sortir de Houston, emprunter la Texas State Highway 288, et rouler pendant près d’une heure en direction du sud.

C’est à quelque 80 km du géant Houston que vous trouverez la petite commune de Lake Jackson, dans le comté de Brazoria. Ce petit comté côtier du Golfe du Mexique, qui a vu sa population quadrupler en cinquante ans, tire son nom du fleuve Brazos, ou Brazos de Dios (littéralement les « Bras des Dieux » dans la langue espagnol), qui y prend sa source. Tout comme les esprits, qui n’y paraissent pas taillés tout à fait comme ailleurs, le comté de Brazoria lui-même n’a pas la forme droite et carrée de certains comtés du nord du Texas, ou de certains États américains, découpés à la règle, comme jadis l’Afrique, par quelques fonctionnaires bien à l’aise dans leurs bureaux.

Dans la banlieue cosy de Lake Jackson, la classe moyenne y est à son aise. La ville elle-même n’a que 26 000 habitants, quand Houston en compte 2,5 millions, San Antonio 1,3 million, et Austin 790 000. À Lake Jackson, l’air semble plus pur, les gens plus aimables, et le bonheur plus à portée de main.

En périphérie, les rues sont même nommées d’après des noms de fleurs ou de fruits. On compte ainsi la rue Clover (Trèfle), la rue Persimmon (Kaki), la rue Pansy (Pensées), et même la rue Rose Trail (Traînée de roses). Au milieu de ces rues si bien nommées, il s’en trouve une petite en forme de U, qui prend le nom de Blossom Street (rue Floraison). C’est là, au numéro 101, que vécut la famille Paul : Ron Paul, sa femme Carole, leur premier fils Ronald, leur fille Lori, et leur dernier venu, un petit garçon de 5 ans : Rand Paul.

Certains ont voulu voir dans son prénom peu commun une marque de l’estime portée par son père pour la romancière libérale Ayn Rand, l’auteur des romans We the Living (1936), The Fountainhead (1943) et surtout Atlas Shrugged (1954), et théoricienne de l’objectivisme. Il est certain que Ron a toujours vivement apprécié cet auteur. Dans une vidéo datant de 2007, on le voit discuter du sujet avec des étudiants de Darmouth. « Ayn Rand a eu une grande influence sur moi » concéde l’élu du Texas. Et pourtant il est établi que le prénom de son fils n’a rien à voir avec cette haute considération pour la romancière.

Tout d’abord, et c’est là certainement la preuve la plus importante, le vrai prénom du sénateur du Kentucky n’est pas Rand, mais Randal. Rand ne fut jamais qu’un surnom affectif, qui ne fut pas choisi par ses parents, mais dont l’affubla plus tard sa femme. Carole Paul, la mère de Rand, avait elle pris l’habitude de surnommer son fils « Randy ». Ce fut aussi le nom par lequel on l’appelait durant ses années d’études. Dès les premières semaines de leur relation, Kelley Ashby, que Rand finirait par épouser, troqua ce Randy qu’elle n’appréciait que modérément, contre le Rand qui lui restera dans la vie, et dans l’histoire. Le Sénateur du Kentucky raconta en effet :

« À l’époque où nous ne faisions encore que sortir ensemble, Kelley ne trouvait pas que ce prénom m’allait bien. Elle disait : « Tu n’as pas la voix d’un Randy ». Elle pensait que Randal était trop formel et se mit à m’appeler simplement Rand. J’aimais bien. Surtout, Kelley l’aimait bien, et donc ce fut une affaire réglée. À part certains de mes vieux amis d’université, qui me charrient encore sur mon changement de prénom, plus personne ne m’appelle Randy aujourd’hui. Beaucoup de choses ont changé quand j’ai rencontré Kelley, et la plus insignifiante fut mon prénom. »[1]

C’est au cours de la campagne pour le Sénat que Rand Paul eut pour la première fois à répondre à la question sur l’origine de son prénom. Il s’en amusa d’abord. « Il y a une partie de moi qui dit que je devrais expliquer les raisons de mon prénom Rand Paul, et une partie de moi qui s’est tellement amusée des histoires et controverses sur mon prénom que je devrais peut-être rester muet, parce qu’alors je pourrais continuer à voir toutes les histoires sur internet. »

Cependant, il comprit vite que les allégations pouvaient aussi lui être néfastes, car Ayn Rand jouit aux USA d’une vraie popularité au sein des groupes conservateurs, mais est aussi vue comme une extrémiste par beaucoup de démocrates. Ainsi, en 2009, au cours de sa campagne dans le Kentucky, Rand Paul émit une vidéo expliquant les raisons de son prénom. « Je ne fus pas appelé d’après Ayn Rand, même si j’ai un sacré respect pour elle. »

Ron Paul a aussi clarifié les choses plusieurs fois : « Ma femme avait le privilège de choisir le prénom des enfants » expliqua-t-il. Et pour répondre plus précisément à la controverse sur Ayn Rand, il ajouta : « Son prénom n’est pas choisi d’après Ayn Rand. Son prénom est Randal malgré ce qui a été répandu sur Internet. Son surnom à la maison fut Randy et il est devenu Rand après être devenu médecin. » [2]

Une autre légende, moins tenace mais parfois défendue dans la presse politique et les blogs, prétend que Rand Paul serait né au Canada, à l’instar de son concurrent républicain le sénateur texan Ted Cruz. Récemment, cette hypothèse a reçu une certaine publicité et même l’apparence de la vraisemblance, après un échange de Rand avec la presse, au cours duquel cette question fut évoquée. La réaction du sénateur du Kentucky fut très vive, d’une part en raison de la fausseté des allégations, de l’autre en raison de la vigueur des efforts faits pour le décrédibiliser et l’écarter dans sa route vers la Maison Blanche. Il est à rappeler en effet que pour être élu président des États-Unis, il est nécessaire d’être né sur le territoire américain ? d’où les incessantes polémiques autour du certificat de naissance de Barack Obama, que d’aucuns prétendent né au Kenya. Dans le deuxième article de la Constitution américaine, on lit en effet : « Nul ne pourra être élu président s’il n’est citoyen de naissance, ou s’il n’est citoyen des États-Unis au moment de l’adoption de la présente Constitution, s’il n’a trente-cinq ans révolus et ne réside sur le territoire des États-Unis depuis quatorze ans. »

C’est l’animateur David Gregory qui porta la charge sur ce sujet. Rand Paul répondit d’abord calmement aux rumeurs : « Ce sont des folies. Je suis né à Pittsburgh, en Pennsylvanie. » Mais l’animateur ne se satisfit pas de cette réponse pourtant claire, et expliqua les raisons de ses doutes : les services des douanes canadiennes affirment avoir autorisé le 5 janvier 1963 Ron Paul et son épouse Carole à entrer en voiture sur le territoire canadien. « C’est deux jours avant votre naissance, Sénateur. Êtes-vous né au Canada ? » a alors insisté David Gregory. « J’aime Toronto, répondit Paul. Ils ont de l’excellent bacon, de bons joueurs de hockey sur glace… ? Mais Sénateur, poursuivit l’animateur, nous avons un certificat de naissance qui indique qu’un Randall Paul est né au Winnipeg’s Grace Hospital le 7 janvier 1963… ? Écoutez, rétorqua Paul visiblement agacé, le Sénateur Cruz est né à Calvary ou ailleurs au Canada, mais moi, je suis né à Pittsburgh. ? Mais nous avons l’annonce d’une naissance dans la Winniped Tribune, continua Gregory… ? Pittsburgh ! Pittsburgh ! Pittsburgh ! lança enfin le Sénateur. Je suis né à Pittsburgh. Pittsburgh comme dans Pitts-Burg ! » Vif, l’échange se termina sur cette réaction.

En vérité, Rand naquit lors d’une semaine où la famille Paul était sur le départ. Établis alors à Détroit, dans le Michigan, ils quittèrent le nord pour rejoindre le Texas où Ron était appelé après son enrôlement dans l’armée. Après un bref passage au Canada, le couple voyagea en direction du sud. Le 7 janvier, ils s’arrêtèrent à Pittsburgh en Pennsylvanie, la ville natale de Ron. C’est là que naquit Randal, troisième enfant de Ron et Carole Paul.

Le petit garçon fut la source d’une grande fierté pour un couple déjà modèle. Carole Paul, née Carolyn Wells le 29 février 1936, et Ronald Ernest Paul, né le 20 août 1935 à Pittsburgh, s’étaient rencontrés au cours de leurs années passées au lycée. Carole avait d’abord remarqué Ron près d’une piste d’athlétisme, quand l’un de ses amis lui montra du doigt ce jeune garçon, alors très bon athlète, en train de s’entraîner.Leur relation amoureuse commença en 1952, lorsque Carole cherchant un cavalier pour la fête donnée en l’honneur de ses 16 ans, jeta son dévolu sur Ron. [3] Elle l’invita, et le jeune homme accepta. Plus de 60 ans plus tard, le couple coule des jours heureux.

À l’été de l’année 1956, tandis qu’ils déjeunaient ensemble dans un parc, Ron demanda à Carole de l’épouser. Âgés de 20 ans pour Carole, et de 21 ans pour Ron, ils se marièrent le 1er février 1957 à la Dormont Presbyterian Church de Pittsburgh, devant plus de 300 convives. Le Dormont New Century accueillit la réception tenue de l’honneur des jeunes mariés, qui firent leur première danse sur le titre « When I fall in love » de Doris Day. Après une célébration fort réussie, le couple partit en lune de miel à Durham, en Caroline du Nord. [4]

Les deux premiers enfants du couple, Ronald (Ronnie) Paul Jr., et Lauri Paul, aujourd’hui Lauri Pyeatt, sont nés à Duke, où leur père faisait ses études de médecine.

Ronnie, le plus ancien, fit ses études à l’Université du Texas, où il brilla autant par son sérieux dans les études en génie chimique, que par son talent en natation (il remporta le championnat lycéen du Texas en nage papillon). Après une carrière passée en grande partie à la Dow Chemical Company, il est désormais à la retraite. Avec sa femme Peggy, il a eu trois enfants : Laura, Lisa, et Linda, âgées respectivement de 27, 25 et 23 ans.

Quant à Lori Paul, la première fille de Ron et Carole, elle a épousé Tom Pyeatt et en a eu cinq enfants : Vicki, Valori (qui a travaillé activement pour la campagne de Ron Paul en 2012), Matt, Mark, et Michael.

Encore en bas âge, après avoir quitté Duke, Ronnie, Lori et leurs parents vécurent à Détroit dans le Michigan, pendant un an, car Ron travaillait à l’Hôpital Henry Ford. Carole travailla dans une école de danse pendant cette année. Peu de temps après, Ron s’engagea dans l’armée et devint médecin de l’air. Lui et sa nouvelle famille durent déménager à San Antonio, au Texas. Peu avant, ils mirent au monde leur troisième enfant : Randal. Enfin, après San Antonio, ils retournèrent à Pittsburgh, afin que Ron Paul exerce comme obstétricien et gynécologue à l’hôpital Magee-Women.

Finalement, après de nombreux périples, la famille Paul retourna au Texas en 1968. Un poste d’obstétricien venait miraculeusement de se libérer dans le comté de Brazoria. La vie souriait à la famille Paul, qui s’installa donc à Lake Jackson. Ils firent l’acquisition d’une ferme, construisirent une grande piscine, et investirent dans une maison au bord de la plage. [5] C’était une époque de bonheur et d’insouciance.

La famille Paul, au cours de ces aventures, continuait à croître en nombre. En janvier 1963 était d’abord venu Rand. Vint ensuite Robert, qui devint un grand admirateur du mouvement politique de son père. Sportif comme le reste de la fratrie, Robert a remporté le championnat lycéen de baseball au Texas en 1984, et fut quater back pour l’équipe de football. Comme plusieurs membres de la famille, dont Rand, Robert a suivi des études de médecine et est devenu docteur. Avec sa femme Monica il a eu deux enfants : Robert et Katherine, tous deux excellents athlètes comme leur père et leur grand-père.

Enfin est venue une deuxième fille, Joy. Après des études de médecine, elle est devenue obstétricienne-gynécologue, comme son père, et a participé à l’accouchement de près de 4,000 bébés, égalant du même coup le record de Ron. Elle a épousé Andy LeBlanc, un ingénieur de la Dow Chemical Company, avec qui elle a eu cinq enfants : une fille, Bonnie, et quatre garçons, Benjamin, Paul, Luke, et John David.

En tout et pour tout, Ron Paul a eu cinq enfants, et compte à ce jour dix-huit petits-enfants.

Aux dires des principaux intéressés, c’est-à-dire leurs enfants eux-mêmes, le couple Paul semble avoir exercé avec une grande responsabilité sa lourde tâche de parents. Participant de l’enthousiasme général à ce sujet, Rand ira jusqu’à écrire : « Je n’aurais pas pu espérer meilleurs parents que Ron et Carol Paul. » [6]

Il est un point sur lequel ce jugement mérite d’être précisé, c’est que si Rand eut toujours pour sa mère la plus ardente admiration, c’est surtout son père qui exerça une influence sur lui.

Ron Paul a en effet de tout temps exercé une grande influence sur ses enfants. Il a même, bien que tout à fait involontairement, tracé par son exemple le chemin qu’empruntera Rand après lui, tant dans le domaine de la politique que dans celui de l’activité médicale : comme son père, Rand suivit des études de médecine et devint docteur, bien que dans une autre spécialité.

Comme son père, également, Rand Paul et ses deux frères furent très sportif dès leur jeunesse. Au sein du Lycée Brazoswood, Rand s’engagea dans beaucoup d’activités sportives, rejoignant notamment l’équipe de football et l’équipe de natation. Lui et ses frères participèrent ensemble aux compétitions de natation et brillèrent tous les trois au championnat lycéen du Texas. « Je n’étais pas aussi bon qu’eux, confiera Rand avec modestie, mais j’eus des résultats au-dessus de mes capacités. » [7]

Ron Paul avait été, et était encore un grand sportif. Durant ses études, il avait été particulièrement brillant dans les épreuves de sprint, et, d’une manière générale, pour la course sur piste. Il remporta plusieurs récompenses. Lors du championnat de Pennsylvanie, il remporta la première place au 200m, la seconde au 400m, et la troisième au 100m — ou, pour être précis, sur les distances de 220 yards (201,168m), 440 yards (402.336m) et 100 yards (91.440m). Suite à ces exploits, l’Université de l’État de Pennsylvanie lui proposa une bourse d’étude pour poursuivre une carrière dans l’athlétisme. Blessé au genou après un banal match de football, Ron décida de décliner l’offre. « Je n’étais pas certain de pouvoir être au niveau réclamé par cette bourse d’étude » se souviendra-t-il des années plus tard. [8]

Plus que l’importance du sport, Ron Paul témoigna durant toute sa vie à ses enfants l’importance d’avoir des principes et de les suivre constamment. Mieux : il tâcha à chaque occasion d’illustrer ce conseil par son comportement. Partout, toujours, il tenait à prouver à ses enfants qu’on pouvait rester ferme sur ses convictions, et qu’il n’y avait rien à gagner à les trahir.

Ainsi, en 1976, lorsqu’il engagea le jeune docteur Jack Pruett pour l’aider à gérer son cabinet, il lui exposa ses conditions : ne pas réaliser d’avortements, ne pas recevoir des fonds du Medicare ou Medicaid — équivalents américains de la Sécurité sociale —, et surtout, prendre en charge les femmes dans le besoin autant que possible, quitte à recevoir quelques produits alimentaires pour tout payement. [9]Quand l’année fut bonne, et dégagea un surplus de 60 000 dollars, le père de Rand proposa à son associé d’investir dans l’or, ce qu’ils firent. Suivant le conseil de Ron, ils achetèrent des Krugerrands, des pièces d’or sud-africaines. « Nous les avons payées 132 dollars chacune. Aujourd’hui elles valent environ 2000 dollars » se réjouira plus tard Pruett dans le New York Times. [10]

Au sein de son cabinet médical, Ron Paul restait le même homme qu’il était à la maison, et qu’il allait être devant les caméras de télévision et devant les électeurs. Passionné d’économie, celui qui centrerait bientôt ses meetings de campagne sur les questions monétaires, la Réserve fédérale et l’étalon-or, remplissait son cabinet d’ouvrages économiques, et recommandait même des lectures à ses enfants.

Sans doute pour cette raison, toute la famille se trouva bientôt acquise à la cause du libertarianisme. « C’est ce qu’il y a de plus incroyable à propos de notre famille, c’est que nous nous soutenons tous les uns les autres à 100%, racontera Lori, l’une des petites-filles de Ron Paul. Chaque membre de la famille est pleinement derrière mon grand-père, et nous sommes tous adeptes du message de gouvernement limité, de libre choix, de liberté, et retour au rôle premier que nos Pères Fondateurs avaient en tête pour le gouvernement de notre nation. » [11] Ronnie, le plus âgé des enfants de Carole et Ron, renchérira même : « Une fois que vous avez découvert le dérèglement de notre politique monétaire, il n’y a pas d’autre option. Nous considérons que voler le peuple n’est pas une bonne chose, que vous soyez l’Etat ou que vous ayez un masque sur votre visage. » [12]

Malgré cette unanimité vraiment touchante quand on comprend qu’elle est sincère, ils furent assez peu nombreux, pourtant, les enfants de Ron Paul qui ont suivi la voie paternelle du point de vue politique : Rand constitue même l’exception. Pour autant, la trajectoire du père fut très largement suivie d’un point de vue professionnel. En aucun cas ce père partisan du libre choix ne força ses enfants à poursuivre la carrière médicale : ce fut une sorte de passion de famille, une de celle qu’on ne s’explique pas sauf à avoir vécu au sein du même cocon familial. Parmi les fils, Robert et Rand firent des études de médecine et devinrent l’un généraliste, l’autre ophtalmologiste. L’une des filles, Joy, suivit même parfaitement le père et se fit obstétricienne-gynécologue.

Dans l’exercice de la pratique médicale, Ron Paul communiqua quelques conseils à ceux de ses enfants qui avaient choisi d’en faire leur carrière. En particulier, il insista sur le devoir de refuser les paiements que ses patients effectuaient avec Medicare ou Medicaid, considérant qu’il s’agissait là d’argent issu de l’exercice d’une coercition, de l’argent volé, d’une certaine façon.

Son fils Rand se conforma à ce conseil, et à la plupart des recommandations de son père en matière de pratique médicale — bien que la gynécologie diffère grandement de l’ophtalmologie, l’éthique et les valeurs à suivre étaient les mêmes selon Ron.

En matière de politique, en revanche, Rand écouta d’une oreille plus critique les propositions de son père. En ce sens, il offrit une nouvelle illustration de cette vérité que les idées changent souvent en passant les générations. À la même époque, David Friedman, le fils de l’économiste libéral Milton Friedman, développait les idées de son père sur un plan radicalement nouveau, celui dit de l’anarcho-capitalisme. Quand Milton Friedman critiquait l’inefficacité de l’État, et la supériorité du marché libre sur les différentes formes d’interventionnisme public, il limitait encore son propos : les fonctions régaliennes, police, justice, armée, restaient des prérogatives de l’État, ainsi que l’éducation (à travers le « chèque éducation ») et divers autres aspects de la vie publique. [13] David Friedman refusa lui d’admettre que l’État, moins efficace par nature que des entreprises privées opérant sur un marché libre, doive se voir confier un quelconque rôle. Dans The Machinery of Freedom, il défendra donc l’idée d’une dénationalisation complète des missions régaliennes, et expliquera comment peuvent fonctionner des entreprises privées sur le marché de la sécurité, de la justice et de l’armée. [14]

Rand Paul ne suivit pas cette démarche radicale, mais il prit soin, comme David Friedman, de ne jamais considérer les idées défendues par son père comme des vérités inattaquables. Il sentit même que c’était là se conformer à la volonté de Ron, qui l’avait toujours élevé dans le souci de la critique et dans la recherche de la vérité. « Si je suivait aveuglément mon père sans poser de questions et sans différences d’opinion, je serais moins digne d’être le fils de mon père, et non l’inverse. » [15]Rand avait donc fait sienne la leçon donnée par son père : qu’il faut être un individu unique, critique envers les faits et les idées qui nous entourent.

C’était là un principe d’éducation que Ron avait rendu très clair. Il s’était aussi donné comme règle de respecter les choix de ses enfants.

D’une manière générale, on peut même dire que Ron était assez permissif, bien qu’il dira que « nous ne disions pas aux enfants qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient. » [16] Ni Ron ni sa femme Carole ne croyaient trop à l’efficacité d’être excessivement strict, et ne pensaient pas que la supervision constante des faits et gestes de ses enfants par leurs parents était désirable ni pour les premiers ni, naturellement, pour les seconds.

Il s’était contenté de donner comme règle à ses enfants : « Soyez sages et restez polis. » [17] Ce fait fera croire à beaucoup que Ron Paul fut un père « cool », ce que son fils Rand refusera toujours d’admettre.

 Cependant, si l’éducation ne fut pas extrêmement stricte, Ron prêta tout de même une grande attention à l’inculcation de certains principes. « On enseignait aux enfants Paul la valeur de l’argent, racontera Rand. Nous étions sensés travailler dur et nous n’obtenions pas d’argent sans cela. Nous n’avions pas d’argent de poche. Je devais toujours tondre des pelouses — notre pelouse, la pelouse du voisin, la pelouse des amis de mes parents, la pelouse des voisins des amis de mes parents, n’importe quelle pelouse, je la tondais. À l’époque où j’étais au lycée, c’est dans un mini-golf que j’ai trouvé mon premier emploi, ce qui était génial parce que je pouvais rester dehors tard puisque mes parents ne savaient pas vraiment à quelle heure ferme un mini-golf. » [18]

Les parents Paul exigeaient aussi de leurs enfants qu’ils se comportent en individus responsables. Heureusement, ils le firent tous, notam-ent Rand, qui, comme le dira sa mère « était quelqu’un qui s’occupait lui-même de ses problèmes. » [19]

Indépendant, Rand Paul l’était donc tout autant dans sa vie quotidienne que sur le plan des idées. Il est pourtant assez intéressant pour nous de nous arrêter sur les années de la formation intellectuelle du jeune homme.

Le premier point qu’il convient de mentionner, et qui ressort de tous les avis portés sur le Rand des jeunes années, est sa remarquable curiosité intellectuelle, une curiosité évidemment entretenue et développée par son père.

Dès son plus jeune âge, Rand s’intéressa aux questions politiques, et se forma sur ces questions sans que son père s’en rende bien compte. Sentant plus tard cet intérêt croître chez son jeune fils, Ron l’accompagna autant que possible, en proposant des lectures et en discutant avec lui sur les sujets qui leur tenaient tous les deux à cœur. Ainsi Rand se mit-il à lire des ouvrages d’économie, recommandés par son père. Pour ses 17 ans, il reçut comme cadeau d’anniversaire une collection de romans d’Ayn Rand, qu’il dévora avec une extrême avidité, ainsi qu’il l’affirmera plus tard. [20]

Ron Paul répondait immédiatement aux demandes de lecture de Rand et précédait d’ailleurs ainsi avec tous ses enfants. Il les encourageait à approfondir l’étude des questions qui les intéressaient afin qu’ils se forgent une plus sûre conviction. « Je venais avec une question, racontera Ronnie, le grand frère de Rand, et mon père me disait : ?Tiens, lis ce livre? ou ?Voici le livre par lequel j’ai commencé quand je me suis posé la première fois ces questions.? » [21] C’est de cette façon que Rand reçut de son père des livres d’économie, notamment ceux de Murray Rothbard, des ouvrages de théorie monétaire, ou, ainsi que nous l’avons dit précédemment, des romans d’Ayn Rand. « Je me suis mis à lire de nombreux économistes autrichiens partisans du marché libre, racontera Rand, des économistes tels que Ludwig von Mises, Friedrich A. Hayek (La Route de la Servitude de Hayek est une lecture essentielle pour tout conservateur sérieux), et Murray Rothbard. » [22]

Murray Rothbard eut selon Rand une influence toute particulière sur sa formation intellectuelle. Étoile montante du mouvement libertarien, Rothbard représentait un horizon intellectuel indépassable pour beaucoup de jeunes adeptes, dont Rand était. La fascination du jeune Rand fut aussi boostée par une rencontre dont il se souviendra toujours avec quelque mélancolie : « Lorsque j’étais jeune j’eus la chance de rencontrer Murray Rothbard. Au début des années 1980, il venait à Washington DC pour donner une conférence devant des collègues de mon père. J’eus le privilège de le conduire à l’aéroport et ce fut une merveille d’avoir l’occasion de ce moment rien que tous les deux. » [23]

Durant ses années de lycée, Rand devint un grand fan d’un groupe de rock nommé Rush, parce que les paroles de certaines chansons, à tendance libertarienne, faisaient écho à ses propres conceptions politiques. L’un de ses amis de lycée, Gary L. Gardner Jr., témoignera de ce goût précoce et bien compréhensible eu égard à la destinée future du jeune homme : « De cette époque, confiera-t-il, je me souviens d’avoir été dans un bus de l’équipe de natation et qu’une chanson de Rush fut diffusée. Je pense que c’était la chanson « Trees ». Et Rand me dit : “Mon dieu, écoute les paroles de celle-ci, c’est certain, ces gars ne peuvent être que conservateurs.” » [24] Cette chanson, dont les paroles sont reproduites plus loin, avec une traduction, raconte en effet l’histoire d’une forêt dans laquelle les arbres se disputent pour obtenir de la lumière, et dans laquelle le problème se règle par une loi qui s’assure, par l’usage de la force d’une hache, que tous les arbres restent égaux.

Ayant aperçu, s’étant étonné, et plus encore s’étant enthousiasmé de l’intérêt porté par son jeune fils Rand pour les débats d’idées, Ron abreuva sa soif étonnante par des flots généreux de discussions intellectuelles. La plus jeune des filles, Joy, se souviendra de l’époque de leurs grands débats passionnés : « Mon père et Rand débattaient de grandes questions philosophiques pendant des heures », racontera-t-elle plus tard au New York Times. [25]

Ce goût, qui s’était affirmé très tôt, n’attendait qu’à être validé par un père bienveillant pour s’épanouir pleinement. « Dans ma jeunesse, écrira Rand, quand des gens venaient à la maison et se mettaient à parler politique, je me sentais tout le temps très à l’aise avec ces discussions d’adulte. Quand j’étais plus petit, je me contentais d’écouter, mais en grandissant, je devins pressé de participer. » [26] Et en effet, à peine sorti de l’enfance, Rand manifesta le plus grand des intérêts pour les activités politiques. Quand son père se faisait interviewer par téléphone, le petit Randy n’était jamais bien loin, lui si curieux de ce que son père pouvait avoir à dire, et de ce qu’il pensait sur les grandes questions qui les fascinaient l’un comme l’autre.

Lorsque Ron décida de se présenter à ses toutes premières élections — c’était pour un poste de membre du Congrès, en 1974 — Rand insista pour participer. À peine âgé de 11 ans, il fit du porte à porte pour inciter ses voisins à voter pour son père, candidat pour le parti républicain. Convaincu du bien-fondé de sa démarche, il alla jusqu’à insister auprès de ses frères et sœurs pour qu’ils l’accompagnent. À peine revenu de ces missions de militantisme en famille, Rand était le seul qui prenait le temps d’étudier les sondages et les statistiques démographiques pour guider son père.

Cela ne surprit personne, en réalité, lorsque, à l’âge de la maturité, ce jeune militant de la liberté, lecteur passionné d’Ayn Rand et grand connaisseur de l’École Autrichienne d’économie, se mit tout à coup à faire de la politique et à vouloir se faire élire. Son père racontera que le caractère de son jeune fils permettait parfaitement de l’anticiper. « Tout le monde disait toujours : ?Si quelqu’un doit se présenter à une élection, ce sera Rand.? » [27]

Cette disposition très particulière, Rand la devait certainement pour beaucoup à son tempérament et à sa curiosité naturelle, qu’il assouvissait avec des études approfondies, quand beaucoup à son âge se contentent d’une vue superficielle avant de se forger un avis sur les grandes questions du monde.

Par le soin constant et sans cesse renouvelé apporté par son père, Rand avait progressé d’une façon sensible dans la quête de la vérité, seul objectif digne de la réflexion intellectuelle. Conscient que ses idées n’étaient pas parfaitement en phase avec l’opinion commune, il n’en sera ainsi pas déboussolé pour autant. « Peut-être cela me vient-il de mon père, écrira-t-il, mais je me suis toujours senti très à l’aise avec le fait d’être un homme indépendant et d’avoir une philosophie conser-vatrice non traditionnelle. » [28]

Plus tard, son père fit même davantage : en luttant de manière dévouée pour les idées de liberté et pour le respect de la constitution ; en fournissant, avec ses nombreuses campagnes électorales, des occasions à son jeune fils de parfaire son propre engagement politique et de faire l’expérience de ce qui reste, pour un homme politique, l’exercice ultime ; en attirant, surtout, des centaines de milliers de supporters dévoués autour de son nom, Ron porta sur ses épaules le destin politique du plus prometteur de ses fils.

Bien conscient de cela, Rand admettra et avouera toujours l’importance de son père dans sa jeune carrière politique : « La popularité dont jouit mon père et l’influence qu’il a ont été une aide considérable pour ma carrière politique. Je ne pense pas que j’aurais pu devenir Sénateur sans lui, mais pendant la plus grande partie de ma vie, et cela est vrai également pour ma vie politique, je n’ai jamais été dépendant de mon père — ce qu’il n’aurait de toute manière pas accepté. » [29]

Parler de Rand Paul comme un jeune homme brillant, passionné par les questions politiques et économiques, et affuté à la rhétorique poli-tique, présente certainement une image flatteuse. Elle ne serait fausse et malhonnête que si nous passions sous silence le tempérament un peu rebelle du futur sénateur du Kentucky. Ainsi elle ne sera pas négligée.

En se proposant de l’exposer, nous ne pensons pas faire offense à l’homme politique, ni même à l’homme tout court. En parler nous permet même de nous le rendre plus vrai, et donc plus aimable. Cela nous fournit aussi l’occasion de clarifier l’un des thèmes qui servit d’attaque contre sa personne. En juillet 2010, peu avant son élection au poste de sénateur pour le Kentucky, une controverse était née autour d’un groupe à l’identité trouble et aux activités sulfureuses, que Rand avait rejoint durant ses années d’études.

Créé en 1926 à l’Université de Baylor, que Rand rejoindrait en 1967, ce groupe était intitulé NoZe Brotherhood. Avant d’être associé à des activités de contestation et de provocation, il avait d’abord constitué une blague : un jeune homme nommé Leonard Shoaf venait d’entrer à l’Université, et ses amis plaisantèrent sur le fait que son nez, qui était en effet plus grand que la moyenne, l’était tellement qu’il pourrait se former un club autour de lui. Ainsi naquit Nose Brotherhood.

Au fil des années, ce qui fut jadis une plaisanterie entre amis se constitua en groupement organisé. Le groupe se mit à se positionner contre la mentalité pieuse et sérieuse de l’université. Les nouveaux membres, dont l’identité, d’abord libre, finira par devenir confidentielle, se faisaient élire et intégrer dans la communauté en suivant des procédures étonnamment bien définies. Ils se retrouvaient ensuite ou pour fumer, ou pour discuter, ou pour préparer la publication humoristique du groupe, intitulée The Rope.

Cette publication, inaugurée en 1954, fut une réponse à l’existence du journal officiel de l’Université de Bayle, intitulée The Lariat. Dans The Rope étaient publiées des tirades humoristiques contre le conservatisme des mœurs, le respect de l’autorité, mais plus encore contre la religiosité de l’établissement universitaire. Dans un article intitulé « Fishy Bibles », nous lisons l’histoire d’un Californien de 83 ans qui avoue être le véritable auteur de la Bible : « je l’ai écrit comme une blague » raconte l’homme. Ces textes provocateurs n’étaient bien évidemment pas du goût de l’administration de l’université.

Le groupe Nose Brotherhood fit également parler de lui par des actes de provocation et de vandalisme. Un jour, le groupe fit lâcher près de 4 000 balles de ping-pong dans la chapelle de l’université. Une autre fois, ils y lâchèrent un âne. Certains membres s’amusèrent également à repeindre en rose — c’était la couleur du groupe — certaines constructions de l’université, comme la fontaine, ou du matériel, tel que les sièges de toilette. Ces provocations servaient parfois l’objectif principal du groupe, qui était de se moquer de la religion. C’est ainsi que la statue de Jésus-Christ présente sur le campus disparut un jour, et qu’on trouva à la place cette note : « De retour dans trois jours », un moyen de moquer la résurrection du Christ.

Au cours des années 1960, Nose Brotherhood se radicalisa. Les actes de provocation, et même de vandalisme, s’accrurent, jusqu’à ce qu’en 1965 l’administration de Bayle ne décide d’interdire le groupe. « Ils se sont moqués non seulement de la religion baptiste, mais du christianisme et de Jésus-Christ » écrira Herbert Reynolds, le président de l’université, dans les colonnes du Lariat. Le groupe fonctionna alors de manière illégale, et fit évoluer son nom de Nose à NoZe, sans doute pour accompagner cette mutation.

C’est en 1967 que Rand Paul rejoignit l’Université de Bayle, deux ans après l’interdiction, et surtout deux ans après que, par voie de conséquence, l’identité des membres soit devenue secrète. Il n’est donc pas possible d’affirmer clairement que Rand se soit mêlé à ce groupe, ni, s’il l’a fait, de mesurer la portée de son engagement. Selon le témoignage de certains étudiants, qui étaient à Bayle en même temps que Rand, ce dernier aurait bel et bien été un membre du groupe, mais aurait été peu actif tant dans la préparation des actes de provocation ou de vandalisme que dans la publication du journal The Rope. Certainement, Rand n’était pas tendre en privé avec le christianisme. Selon William John Green, à l’époque membre de NoZe, « Randy fumait de l’herbe et se moquait des croyants. Aucun d’entre nous ne l’a jamais entendu faire un sermon en faveur de la religion. » [30] Cependant, ce même jeune homme affirmera que Rand ne participait pas beaucoup à l’écriture de The Rope, ce qui permet de supposer que s’il fut un participant, il ne fut jamais l’un des leaders du groupe.

On raconte cependant un épisode précis dans lequel Rand est intervenu, et qui fit naître de nombreuses critiques à son endroit. La scène se déroula à l’université de Bayle, dans l’une des chambres étudiantes situées sur le campus. Elle fut décrite aux médias par une camarade de classe de Rand, restée volontairement dans l’anonymat. Cette jeune femme aurait vu Rand pénétrer dans sa chambre accompagné d’un ami. Les deux hommes lui auraient ensuite lié les mains, avant de la contraindre à fumer de la marijuana puis à se prosterner devant une fausse idole appelée ‘Aqua Buddha’. Cet évènement fut pour la première fois raconté par le magazine GQ, en aout 2010, puis repris par de nombreux médias, qui parlèrent de séquestration et de kidnapping. Cette exagération a poussé la jeune femme à préciser son récit quelques jours plus tard. Dans le Washington Post du 11 août, elle précisa que les deux hommes étaient ses amis, et qu’elle les a laissés volontairement entré. Elle les a suivi volontairement car cette fausse séquestration était comme un jeu. « Je me suis laissé faire parce qu’ils étaient des amis à moi, affirma la jeune femme. Il y avait un degré implicite de coopération dans toute cette affaire. J’avais l’impression de me faire bizuter. » [31]

L’affaire sortit au grand jour à l’occasion de la campagne sénatoriale dans le Kentucky. L’opposant de Rand, le démocrate Jack Conway, l’accusa de ne pas être en phase avec les valeurs des habitants de l’État du Kentucky. Il fit mention de ces faits controversés lors des débats organisés entre les deux candidats, et fit même diffuser une publicité de campagne centrée exclusivement sur cet élément.

Dans la publicité, on entend que Paul était membre d’une société secrète qui se moquait de la religion en qualifiant la Bible de fumisterie, une société qui se fit bannir de l’Université pour ses attaques répétées contre le christianisme. La publicité mentionne aussi, bien sûr, l’affaire de la jeune femme, et pose cette question : « Pourquoi Rand Paul a-t-il un jour attaché une femme et l’a forcé à se prosterner devant une fausse idole en disant que son Dieu était ‘Aqua Buddha’ ? »

Pour terminer, des questions sont posées sur les propositions du candidat sur le sujet religieux, et notamment une : Rand est favorable à la fin des subventions fédérales pour les Églises. Cette position lui est reprochée, tandis qu’elle fait grand sens. Voici quelle est l’idée défendue par Rand : « Je pense que cette sorte d’argent [les subventions aux organisations religieuses] pollue en quelque sorte la mission d’une organisation purement chrétienne, ou musulmane, ou autre, quelle qu’elle soit, et cela rend plus obscure la séparation entre l’Église et l’État, qui devrait vraiment exister. Nous ne devrions pas envoyer de l’argent public dans les églises. Nous devrions laisser les églises réaliser le travail de charité, ce travail qui est formidable, mais nous ne devrions pas les corrompre avec de l’argent public. » [32] C’était donc déformer profondément l’idéal de Rand Paul que de l’accuser d’être anti-chrétien, quand son seul désir est en réalité de protéger l’Église de la main corruptrice de l’État fédéral.

Au cours du débat télévisé entre les deux candidats, la discussion a dès le départ été porté sur le sujet de l’appartenance de Rand Paul à cette société secrète — Conway prétextant que « les valeurs sont importantes » pour attaquer son adversaire sur ce terrain. Rand répondra en niant les allégations de kidnapping et s’offusquera qu’un débat politique puisse arriver sur un terrain aussi peu approprié : « Vous ne faites que mentir et mentir, parce que vous avez honte de vos positions, affirma Paul d’un ton assuré. Vous rabaissez l’État du Kentucky. »

Jesse Benton, porte-parole de la campagne de Rand, s’indigna du tour pris par la campagne sénatoriale entre les deux camps : « Maintenant les démocrates viennent déterrer des articles vieux de 30 ans, qui ne sont même pas attribués à Rand ? Ils doivent voir comment le programme gauchiste de Jack Conway, avec l’assurance santé obligatoire, les plans de sauvetage, et les augmentations d’impôt, est accueilli dans le Kentucky, et ils sont vraiment désespérés. » [33]

Il est vrai que l’affaire était assez ridicule. Malheureusement pour le candidat démocrate, la vigueur de sa campagne négative contre son adversaire se retourna finalement contre lui, les électeurs y voyant un moyen de s’éloigner des vrais sujets.

Surtout, il est un fait assez évident, et c’est que l’appartenance au Noze Brotherhood (qui d’ailleurs n’est pas véritablement prouvée) ne signifiait pas que Rand, dans sa jeunesse, ait eu des sentiments anti-chrétiens, qu’il ait cultivé une haine de la religion, ou même qu’il ait été un mauvais croyant. Son appartenance à ce groupe signifie simplement qu’il avait l’esprit critique, qu’il aimait la provocation et refusait le respect aveugle de l’autorité.

Au lieu de fonder ou de rejoindre les nombreux groupes étudiants chrétiens, religieux, ou même conservateurs, comme c’était l’usage quand on était le fils d’un homme politique républicain, Rand Paul fit le choix de Noze, un groupe provocateur. Si cela prouve donc quoi que ce soit à propos de cet homme, c’est qu’il a le sens de l’humour et aime être créatif, innovant et anticonformiste. Certains journalistes, prenant la défense de Rand Paul devant une attaque déplacée et excessive, firent valoir que cet élément était plus de nature à bénéficier au candidat républicain qu’à lui être néfaste :

« Ce que cette affaire enseigne, écrivit Jason Zengerle pour The New Republic, c’est que contrairement à de nombreux hommes politiques qui disent être non-conformistes, Paul l’est bel et bien. Tout au long de sa vie, d’abord en tant qu’étudiant à Baylor, ensuite en tant qu’ophtalmologiste proscrit qui essayait de faire sécession de l’organisation professionnelle principale dans sa spécialité, afin de protester contre ses règles d’admission, et finalement en tant que candidat pour le Sénat, qui se présenta contre l’avis de l’appareil du Parti républicain du Kentucky au cours de la primaire, Paul a prouvé un manque de respect profond pour l’autorité et les institutions. En cela, il est très différent de beaucoup de sénateurs américains. Et si Rand Paul parvient jusqu’à Washington, il est évident qu’il montrera une attitude identique. » [34]

En allant plus loin, on pourrait même ajouter qu’il est rassurant de s’apercevoir qu’à la fin d’une campagne de décrédibilisation de Rand Paul, les équipes de son adversaire démocrate ne sont parvenus qu’à trouver ce fait pour effectuer leur charge critique. C’est ce qu’affirmera Kevin D. Williamson : « Si le pire qui puisse être raconté sur Rand Paul est qu’il a été jadis un adolescent rebelle avec un sens de l’humour légèrement déplacé, alors Rand Paul est probablement l’homme politique le plus irréprochable au Sénat depuis Charles Sumner. » [35] Voilà un compliment bien vigoureux, quand on sait que Sumner siégea au Congrès américain au cours des années 1860 !

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[1]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, pp.25-26

[2] Steven Nelson, « Rand Paul wasn’t named after Ayn Rand, Dad Confirms », US News, 23 août 2013

[3] Carol Paul, « The Ron Paul I know », LewRockwell.com, 14 décembre 2007

[4] Sheri & Bob Stritof, “Carol and Ron Paul Marriage Profile”, About.com

[5] David M. Halbfinger, “Ron Paul’s flinty worldview was forged in early family life”, New York Times, 5 février 2012

[6]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.21

[7]Ibid.

[8]Allen G. Breed, “In third White House bid, Paul’s message the same”, Yahoo News, 10 décembre 2011

[9]David M. Halbfinger, “Ron Paul’s flinty worldview was forged in early family life”, New York Times, 5 février 2012

[10]David M. Halbfinger, “Ron Paul’s flinty worldview was forged in early family life”, New York Times, 5 février 2012

[11]Vicky Pyeatt, “The First Family?”, DailyPaul.com, 24 avril 2007

[12] Mark Leibovich, “For Paul family, libertarian ethos began at home”, New York Times, 5 juin 2010

[13]Cf. notamment Milton Friedman, Capitalisme et liberté, Leduc, Paris, 2010

[14]David Friedman, The machinery of freedom [1971], Open court, 1989

[15]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.22

[16] Mark Leibovich, “For Paul family, libertarian ethos began at home”, New York Times, 5 juin 2010

[17]Ibid.

[18]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.22

[19] Mark Leibovich, “For Paul family, libertarian ethos began at home”, op.cit

[20]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.24

[21]Sam Tanenhaus & Jim Rutenberg, “Rand Paul’s mixed inheritance”, New York Times, 25 janvier 2014

[22]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.25

[23]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.25

[24] Sam Tanenhaus & Jim Rutenberg, “Rand Paul’s mixed inheritance”, New York Times, 25 janvier 2014

[25]Mark Leibovich, “For Paul family, libertarian ethos began at home”, New York Times, 5 juin 2010

[26]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, p.22

[27] Mark Leibovich, “For Paul family, libertarian ethos began at home”, New York Times, 5 juin 2010

[28]Rand Paul, The Tea Party goes to Washington, Center Street, 2011, pp.24-25

[29]Ibid., pp.22-23

[30]Matt Taibi, “Rand Paul’s bizarre college fraternity”, Rolling Stone, 21 octobre 2010

[31]Greg Sargent, « Exlusive: Rand Paul’s accuser clarifies ‘kidnapping”, Washington Post, 11 août 2010

[32] Rand Paul dans l’émission “Kentucky Tonight”, 20 juin 2008

[33]Ben Smith, « Rand Paul’s college group mocked Christians », Politico, 10 décembre 2010

[34]JasonZengerle, « The Most Despicable Ad of the Year », New Republic, 19 octobre 2010

[35] Kevin D. Williamson, “Good for Rand Paul”, National Review, 18 octobre 2010

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