Le débat méthodologique entre Carl Menger et les historicistes allemands

Le débat méthodologique entre Carl Menger et les historicistes allemands

Samuel Bostaph*

Traduit par François Guillaumat

Au cours[1] des trente dernières années,  la méthodologie, et les questions de méthode,  sont devenus une préoccupation importante des économistes de premier plan,  dans presque tous les domaines de leur discipline.  La plus grande attention semble se concentrer  sur la question du “réalisme” de la théorie économique et/ou du caractère suffisant  de ses “fondements” ou présupposés fondamentaux.

Les questions d’ordre général se rapportant au “réalisme” de la théorie économique,  et les critiques à l’encontre de son “irréalisme”,  ne sont pas nouvelles.  Au XIXe siècle,  l’école historiciste accusait l’école classique,  et les autrichiens à leur suite,  de produire des “dogmes irréalistes” et autres “fantasmes” déconnectés de la réalité empirique.

En réplique,  Carl Menger critiquait les historicistes pour leur incapacité à transcender cette réalité empirique même,  c’est-à-dire,  pour leur incapacité à traiter ce qu’il appelait la “réalité économique”.

La dispute entre les deux factions,  âpre et peu concluante,  est restée dans l’esprit des économistes comme la Methodenstreit (“Querelle des méthodes”). L’une de ses conséquences majeures  a été d’entretenir  la croyance apparemment très répandue comme quoi  les débats méthodologiques seraient,  au mieux,  stériles et sans issue et,  au pire, carrément contre-productifs.  Une telle opinion ne peut guère se traduire  par une vision optimiste des discussions et arguments actuels.

C’est le but principal de ce texte que de présenter une analyse de la Methodenstreit qui explique son caractère non concluant,  en même temps qu’il propose les moyens de la juger,  ainsi que des querelles similaires,  de manière plus constructive[2].  Ce qu’on espère  c’est qu’en le faisant,  on pourra dans une certaine mesure rétablir la réputation de la méthodologie  et placer les débats actuels  sous un jour plus favorable.

L’argument majeur de ce texte  est que c’étaient des positions épistémologiques opposées qui sous-tendent les questions méthodologiques et morphologiques  effectivement débattues par les parties prenantes à la Methodenstreit.

Malheureusement,  aucune des deux factions ne reconnaissait  clairement et explicitement que c’était dans l’épistémologie que se trouve la source de leurs opinions méthodologiques opposées.  C’est à cela qu’il faut  attribuer le caractère non concluant du débat  et l’accent mis  par les participants  sur des questions plus subsidiaires.

J’affirme alors que cette incapacité  à identifier l’aspect épistémologique du conflit a conduit les historiens de la pensée économique à des jugements  qui laissent à désirer en tant qu’explications de la valeur,  des sources et des principes fondamentaux  de la Querelle.

La Section 2  résume les aspects historiques de la Methodenstreit, spécule sur sa genèse, et prend note de ses conséquences historiques.

La Section 3  recense et résume les évaluations précédentes de la Querelle.

La section 4  présente une thèse nouvelle et originale sur les questions réellement en cause  entre les écoles historiciste et autrichienne,  et les conditions nécessaires de leur solution.

La Section 5 conclut par une brève évaluation  du rôle de Menger dans le débat.

2

La Methodenstreit se présente sous la forme d’un échange de publications entre Carl Menger (1840-1921)  et Gustav von Schmoller  (1838-1917).

En 1883  Menger, fondateur et principal porte-parole de l’école autrichienne de théorie économique,  lançait une attaque contre l’école historiciste allemande,  dont Schmoller était à l’époque  le chef et le principal porte-parole.

L’attaque était parue dans un essai sur les objectifs et la méthodologie appropriés des sciences sociales,  intitulé Untersuchungen über die Methode der Socialwissenschaften und der politischen Ökonomie insbesondere [“Recherches sur la méthode des sciences sociales et de l’économie politique en particulier” Menger, 1883].  Dans cet essai,  Menger ne présentait pas seulement ses propres opinions sur la nature,  les problèmes, les limites  et la méthodologie  appropriées à l’économie et autres sciences sociales,  il critiquait vivement celles de l’école historiciste.

Les historicistes furent loin d’accueillir avec gratitude  la publication de son essai par Menger.

Gustav Schmoller rendit compte du livre dans son périodique,  où il exprima une forte opposition  à des éléments-clés  de la position de Menger [Schmoller, 1883].

La réfutation de cette critique défavorable  prit alors la forme d’une série de 16 lettres à un ami, publiée sous le titre Die Irrthümer des Historismus in der deutschen Nationalökonomie [“Les erreurs de l’historicisme  dans l’économie politique allemande”  Menger, 1884].  Ces lettres étaient de nature très polémique et se composaient principalement d’une réaffirmation de la position de Menger  sur chaque question en litige,  agrémentées de quelques invectives choisies  à l’encontre de Schmoller[3].

Sans surprise,  Schmoller prit ombrage de la polémique de Menger au point de clore brutalement le débat  en refusant de rendre compte  de l’ouvrage,  et de renvoyer à Menger l’exemplaire de Die Irrthümer accompagné d’une lettre insultante  qui fut ensuite imprimée dans la revue de Schmoller.

En dépit de la brièveté du débat lui-même,  les publications spécifiques  dans lesquelles  celui-ci  fut menée  représentent bien plus qu’une simple différence d’opinion  sur les questions méthodologiques  entre les porte-parole  des deux écoles rivales.

Elles représentaient  une opposition fondamentale  entre deux tendances méthodologiques fondamentales,  l’approche historico-empirique  et l’approche abstraite-théorique.

La première attaque initiale de Menger était dirigée non pas contre Schmoller,  mais contre toute l’école d’économistes et d’historiens dont Schmoller se trouvait alors être le premier représentant.

Cette école — l’école historiciste —était née  en Allemagne dans les années 1840  avec Wilhelm Roscher,  et s’est prolongée  bien après le tournant du siècle.

Pour sa part,  l’école de Menger  — l’école autrichienne —  a commencé avec les premières publications de l’intéressé dans les années 1870  et existe toujours d’aujourd’hui sous la forme de la cinquième et de la sixième  génération de savants  [Dolan,  1976].

Si les historicistes  n’avaient pas été aussi critiques envers l’école classique  et si intolérants à l’égard de toute méthodologie de cette école  qu’ils interprétaient comme une illustration des “excès” de sa méthode déductive,  Menger aurait eu moins de raison d’ouvrir le débat par une attaque contre l’école historiciste en soi.  En outre,  l’animosité entre les membres de chaque école a persisté après l’issue officielle du débat en 1884,  et refait surface sous la forme de déclarations sporadiques, de critiques de livres,  et ainsi de suite,  pendant au moins  les deux décennies qui ont suivi.

Plus qu’un simple conflit entre deux savants,  la Methodenstreit représentait  un affrontement général  entre l’école historiciste allemande  et l’école autrichienne dans leur ensemble.

La genèse du conflit est loin d’être aussi facile à retracer que son dénouement.

La publication en 1871 des Grundsätze [Principes] de Menger avait reçu peu d’écho en-dehors de l’Autriche  [Menger,  1871] — et il a fallu attendre 79 ans pour qu’ils soient publiés en anglais.

En Allemagne,  l’école historiciste croissait en influence  et devenait de plus en plus critique envers toute faction  qui eût la moindre affinité avec l’analyse théorique dans la tradition de ce qu’ils appelaient “le Manchestérisme”  [Manchestertum], ou qui en aurait seulement eu le goût.  En dépit des évidentes différences entre la méthodologie générale de Menger et celle de l’école classique anglaise,  la tare originelle d’être un système “abstrait-déductif” suffisait pour empêcher que son travail  fût pris en considération par l’école “plus avancée” ou “plus moderne”,  comme les historicistes  (et surtout Schmoller)  se considéraient eux-mêmes.

Cette situation-là  devait être insupportable pour Menger,  étant donné l’originalité et l’ambition  de son propre travail.  Il avait,  bien sûr,  conçu ses Principes comme la première partie,  généraliste,  d’un traité plus complet de théorie économique.

Cependant,  comme Hayek l’expliquait en 1934  [p.405] :

“…  Dans ces conditions,  il était des plus naturel pour Menger de considérer  qu’il était plus important de défendre la méthode qu’il avait adoptée  contre les prétentions de l’école historique  à détenir le seul moyen de recherche adéquat,  que de poursuivre le travail à partir des Grundsätze.”

Cela sera peut-être  plus évident si on examine  la manière  dont les journaux allemands de l’époque avaient rendu compte des Principes de Menger[4].

Au début des années 1870  en Allemagne,  on ne publiait que quatre revues professionnelles consacrées à l’économie :

les Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik [“Annuaires d’économie nationale et de statistique”];

la Vierteljahrschrift für Volkswirtschaft und Kulturgeschichte [“Trimestriel d’économie politique  et d’histoire des cultures”];

la Zeitschrift für die gesammte Staatswissenschaft [“Revue pour la science générale de l’état”] et

le Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft [Annuaire pour la législation, l’administration et l’économie politique”], connu sous le nom de Schmollers Jahrbuch [“L’Annuaire de Schmoller”] et organe de l’école historiciste.

De ces quatre-là,  seuls les trois premiers ont publié des comptes rendus des Principes [Jahrbücher, pp. 342-5 ;  Vierteljahrschrift, pp. 194-205 ; Zeitschrift, pp. 1834].

Le compte-rendu de la Zeitschrift passait à côté de l’idée centrale du livre,  tandis que celui de la Vierteljahrschrift ne faisait guère mieux,  tombant d’accord avec la méthode de Menger, mais ne trouvant aucune nouveauté dans sa théorie de la valeur.

Les Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik,  revue fondée en 1863  par l’historiciste Bruno Hildebrand  (et la meilleure des quatre), rendaient compte  des Principes en déplorant que des hommes jeunes  rédigent des manuels d’économie trop courts,  tandis que le Schmollers Jahrbuch, principal organe historiciste,  ne rendait pas du tout compte de l’ouvrage.

Menger devait forcément considérer son oeuvre  comme une contribution positive et supplémentaire à la recherche précédemment publiée en Allemagne.  N’avait-il pas dédié le livre à Wilhelm Roscher “avec mon estime respectueuse” et conclu sa “Préface” par l’hommage suivant ?

“Par conséquent, que cet ouvrage soit considéré  comme le salut amical d’un collaborateur en Autriche,  et comme un  faible écho des propositions scientifiques que l’Allemagne prodigue si abondamment aux Autrichiens que nous sommes  par les nombreux érudits remarquables  qu’elle nous a envoyés et par ses excellentes publications” [Menger, 1871, p. 49]

On peut imaginer  la frustration du jeune auteur à voir comment ses efforts étaient reçus (Menger n’avait que trente et un ans quand il a publié ses Principes).  Il était tout à fait compréhensible qu’il s’interrogeât sur les raisons d’une si mauvaise réception pour une œuvre si originale.

Non seulement cela mais,  compte tenu de ses propres fortes convictions concernant la méthodologie appropriée  à la construction de la théorie économique générale,  il avait suffisamment de raisons  pour publier ses idées  sous la forme d’un essai.

Il devait avoir encore d’autant plus de raisons de publier un tel ouvrage  après avoir conclu  que si ses Principes avaient été mal accueillis,  c’est parce que les historicistes n’accordaient  aucune légitimité à sa méthode  tout en étant incapables de reconnaître les limites de la leur.

Comme le remarque Hayek [1934, p. 405],

“…  il pouvait très bien penser que poursuivre  [ses travaux sur son traité de théorie économique]  serait un effort inutile  aussi longtemps que la question de principe n’aurait pas été tranchée.”

Quelles qu’aient été ses motifs,  en 1883  les Untersuchungen parurent,  et cette fois le Jahrbuch de Schmoller non seulement ne manqua pas de publier un compte-rendu,  mais c’est Schmoller lui-même qui l’écrivit.

Les questions de fond examinées par Schmoller et Menger dans le cadre du conflit entre leurs écoles comprenaient :

(l) les critères retenus pour désigner l’histoire économique,  la théorie économique, la politique économique,  l’économie publique,  et les statistiques comme autant de “branches” de l’économie ;

(2) la portée et les objectifs de chacune de ces “branches” ;

(3) l’utilité de la théorie comme explication des événements observés ;

(4) les conceptions collectivistes  contre les conceptions individualistes des phénomènes économiques ;

(5) la nature des institutions et de leur développement;

(6) la mesure dans laquelle les données historiques et statistiques,  par opposition à l’expérience de la vie quotidienne,  sont pertinentes pour les abstractions de la théorie économique;

(7) la question connexe de la pertinence pour la théorie économique  de la complexité de la nature psychologique de l’homme et l’impact de son contexte culturel sur elle,  et enfin

(8) le caractère “nécessaire”,  ou la nature en tant que cause,  des lois économiques,  ainsi que la possibilité et la nécessité  de mettre ces lois à ‘épreuve  (ainsi que de la théorie économique elle-même)  au moyen des données empiriques [Bostaph,  1976].

A l’époque,  la Methodenstreit était restée sans conclusion,  et les évaluations ultérieures  (qui seront présentées  dans la section suivante  du présent document)  par les historiens de la pensée économique  ont généralement été négatives.

En raison de son influence,  Schmoller s’est trouvé en mesure d’exclure tous les adhérents  de l’école autrichienne,  ainsi que la “méthode autrichienne”,  des postes universitaires en Allemagne [Mises, 1969].

Le reste de sa vie,  Menger fut principalement préoccupé par les questions soulevées lors de la querelle,  ainsi que d’autres considérations méthodologiques.  C’est à cela que l’on attribue  le fait  qu’il n’ait pas mené à bien la rédaction et la publication de son propre traité d’économie générale [Hayek, 1934, pp. 406, 415; 1968a, p. 460; 1968b, pp. 125-6].

3

Les jugements sur la valeur générale,  historique et méthodologique,  de la Methodenstreit publiés par les historiens de la pensée économique et d’autres  peuvent se diviser en trois catégories :

(1), ceux qui affirment qu’elle était en grande partie  une perte de temps précieux de la part des parties concernées [Wicksell,  1958 ;  Gide et Rist,  1948 ;  Schumpeter,  1954 ; Hutchison,  1953, 1973 ;  Seligman,  1962 ; Lekachman,  1959 ;  Newman,  1952; Landreth,  1976 ;  Ekeland et Hebert,  1975] ;

(2) ceux qui ne prennent pas position sur la valeur de la controverse elle-même, mais tentent simplement de l’esquisser  et de commenter ses enjeux et implications [Ingram,  1967 ;  Haney,  1949 ;  Rima,  1978 ;  Roll,  1974;  Oser Blanchfield,  1975],  et enfin

(3)  ceux qui signalent que cette controverse était importante et utile [Böhm-Bawerk, 1890 ;  Seager,  1893 ;  Hayek,  1968b].

Les raisons avancées  pour envisager la Querelle comme une perte de temps “inutile” sont diverses.

Knut Wicksell considère le choix de la méthode  comme une question pragmatique,  qui ne valait pas une telle “vendetta d’auteurs” [Wicksell,  p. 193].

Charles Rist  montre clairement sa propre croyance dans une place pour la méthode historiciste  à égalité avec l’approche abstraite favorisée par l’école classique  (qu’il identifie aussi  à celle de Menger)  [Gide et Rist,  p. 400] .

Ben Seligman soutient ce statut des deux méthodes [Seligman, p. 274]

“… étant donné qu’il devrait y avoir assez de place  pour les deux approches  dans un domaine qui prétend traiter une société humaine en mouvement”,

de même Robert Lekachman  [Lekachman, p. 249]  parce que

“… certains problèmes se prêtent à une seule technique,  d’autres à ses concurrentes”,

et Harry Landreth [Landreth, p. 275],  car

“… Une discipline saine qui se développe appelle une diversité d’approches méthodologiques[5].”

Joseph A. Schumpeter  [Schumpeter,  p. 814],  considère que le conflit

“…  portait sur la priorité  et l’importance relative,  et aurait pu se régler  en permettant à chaque type de travail de trouver la place à laquelle son importance  lui donnait droit[6].”

Dans un article paru en 1973,  Terence W. Hutchison  identifie les différences entre les méthodes préconisées par les deux écoles  comme déterminées par les différences entre les centres d’intérêt étudiés par chacune.

Il affirmait que la méthodologie de Menger  était adaptée à l’étude de la microéconomie, tandis que celle des historicistes l’était à celle de la macroéconomie.

Ainsi,  la Methodenstreit était

“… un conflit d’intérêts quant au sujet le plus important et le plus intéressant à étudier[7].

Il concluait  que les deux méthodes devaient être combinés afin de trouver des réponses aux  questions économiques importantes dans tous les domaines.

Une version plus naïve de cette conclusion est celle de Philippe Charles Newman [Newman, p. 195] comme quoi

“…  la méthode inductive est un complément indispensable à la méthode déductive.”

En général,  les auteurs qui ne prennent pas explicitement position sur la valeur historique ou méthodologique de la Methodenstreit portent sur sa nature des jugements identiques  ou similaires à ceux que font ceux qui la dénigrent.

John Kells Ingram [Ingram, p.  235] conclut que les différences qui existaient entre les deux factions

“[Étaient] essentiellement des différences d’accent  [sur l’importance de la théorie et l’importance et celle des sciences économiques pratiques] motivées par des différences radicales de tempérament.”

Il affirme que la querelle  a servi à révéler des similitudes dans les conceptions de Schmoller et de Menger,  en ce que chaque méthode avait sa place,  et que chacune était essentielle  au développement  de la science économique.

Lewis Haney prétend que chaque méthode a sa place,  et affirme la nécessité de méthodes à la fois inductives et déductive,  tout comme Ingrid Rima  [Haney, p. 550 ; Rima, p. 177].

Caractérisant le déclenchement de la Methodenstreit comme

“un moyen par lequel la nouvelle théorie [de l’utilité marginale]  tentait de mettre au clair son propre esprit”,

Eric Roll soutient qu’en fait,  il n’y avait pas entre les deux factions de points de désaccord majeurs,  et qu’ils ont tous deux fini par le comprendre,  qui a entraîné le déclin de la controverse.

Plus précisément,  Roll expliquait [Roll, 1974 pp. 307-10]:

“Les deux méthodes qui s’opposaient n’étaient pas mutuellement exclusives,  et avaient  effectivement été utilisées conjointement par les plus grands des classiques.  Il y a clairement place pour de graves désaccords sur le choix des prémisses,  mais il est généralement admis que les prémisses qui sont au début du processus déductif sont elles-mêmes d’origine empirique.  Induction et déduction sont interdépendants “.

La même conclusion générale  caractérise le point de vue de Jacob Oser et William Blanchfield [Oser & Blanchfield, pp. 204-211].

Trois auteurs adoptent la position que la Methodenstreit valait le temps et les efforts qui lui furent consacrés.

H. R. Seager était étudiant à Berlin et à Vienne au début des années 1890,  et a étudié aussi bien avec Schmoller qu’avec Menger.  Quoiqu’il ne prenne pas position pour l’une  ni pour l’autre des parties à la querelle,  il soutient que c’est certainement le moment  (1893) de décider quelles sont les méthodes appropriées pour étudier quoi.  Le conflit avait donc “décidément une valeur scientifique”, parce qu’il a dissipé de nombreuses erreurs d’interprétation [Seager, p. 237].

Eugen von Böhm-Bawerk plaidait en faveur de la parité des deux méthodes,  assignant à chacun sa propre sphère d’intérêt  [Böhm-Bawerk, p. 256],  même s’il réservait à l’approche autrichienne la catégorie des problèmes théoriques [Böhm-Bawerk, p. 258].

Finalement, Friedrich A. von Hayek [Hayek, 1934, p. 406]  identifie l’accent mis par Menger sur la méthode d’analyse  “atomistique” et son…

“extraordinaire compréhension de la nature des phénomènes sociaux.

comme précieux résultats de la Querelle[8].

En général,  on peut voir que,  quelles que soient leurs différences quant à la fécondité de la Methodenstreit, la plupart des grands historiens de la pensée économique qui ont examiné ce différend  sont unis dans la conviction que les méthodes préconisées par les deux écoles sont, sinon complémentaires,  du moins d’importance égale quant à leur utilité pour la recherche.  D’après ce point de vue-là,  il y a certains problèmes économiques que l’on étudie mieux en se servant de la méthode “historique”,  tandis que d’autres exigent la “méthode abstraite-déductive”. Certains pourraient même bénéficier de l’utilisation conjointe  des deux méthodes.

En termes plus crus  (et plus simplistes),  l'”induction” et la “déduction” auraient leur place.

Accepter  cette position pourrait alors tout naturellement conduire (et,  dans certains cas,  a bel et bien conduit)  à un jugement négatif  sur la valeur d’une controverse entre des factions qui, apparemment,  n’auraient pas su se rendre compte de cette vérité simple,  et qui auraient chacune lutté sans relâche pour l’adoption exclusive  de sa méthode particulière dans la recherche économique.

En outre,  comme aucune des deux parties à la Querelle n’a été convertie à l’autre point de vue,  et comme elle a engendré pas mal d’antagonisme durable entre les deux écoles,  on a généralement,  sur ce seul motif,  considéré le débat comme contre-productif.

Ajoutez à cela une conviction que les questions en litige étaient mineures  ou non pertinentes, et/ou les positions  des adversaires très semblables  mais occultées par la rhétorique,  alors il n’est pas difficile d’accepter l’idée,  comme beaucoup l’ont fait,  que la controverse était un gaspillage d’énergie,  une dispute inutile.

Cependant,  pourquoi l’un des esprits théoriques les plus brillants de l’histoire de la science économique  (Menger)  aurait-il gaspillé son énergie  dans une vaine querelle?

C’est le propos de la section suivante du présent texte que de démontrer que de telles opinions  procèdent d’une évaluation superficielle du conflit,  et d’une compréhension inadéquate de ses origines  et de ses principes fondamentaux.

4

C’est Ludwig von Mises qui a récemment identifié la Methodenstreit comme un débat épistémologique né du rejet par Menger  des fondements épistémologiques de la méthodologie historiciste,  mais il concluait que la controverse [Mises, p. 27]

“… n’avait que peu contribué à l’éclaircissement des problèmes en cause.”

Schumpeter avait commencé dans la même direction, bien des années auparavant dans son Economic Doctrine and Method quand il notait que [Schumpeter, 1924, p. 169]

“…  des différences d’opinion épistémologiques  qui en elles-mêmes n’avaient  rien à voir avec la méthode de l’économie,  ont été entraînées dans la discussion ;  et pourtant,  celle-ci a sans aucun doute  contribué à éclaircir les points de vue.”

Malheureusement,  Mises n’a pas énoncé  ses motifs de sa conclusion  et Schumpeter a fini par accepter le point de vue  comme quoi le débat ne portait sur les priorités et les importances relatives.
Cette section résume une analyse récente de la Methodenstreit par le présent auteur,  qui identifie clairement sa nature comme étant à la racine une dispute épistémologique,  et qui déduit des écrits spécifiques  des parties à la querelle  les principales questions épistémologiques en cause,  ainsi que leurs positions sur ces questions[9].

La clé de la reconnaissance de la nature épistémologique de la Querelle se trouve dans les arguments concernant les trois dernières des huit grandes questions débattues (résumées à la fin de la section 2 ci-dessus).

En débattant des questions (6) et (7), ce que les historicistes et Menger faisaient en fait,  c’était débattre de la théorie des concepts.

L’interrogation sous-jacente à la question (6) était :  les concepts sont-ils

de simples étiquettes que l’on attache à des assemblages universels  qui sont sujets à modification suivant le caractère plus ou moins exhaustif  des données  dont on les tire (Schmoller),

ou s’agit-il de généralisations abstraites  seulement tirées de quelques cas qui sont d’application universelle (Menger) ?

Autrement dit,  pour la question (7),  est-ce que le concept désignant une entité complexe, comme l’homme,  doivent se référer à une énumération de toutes ses caractéristiques empiriques  et à les prendre toutes en compte lorsqu’on s’en sert dans la construction de la théorie (Schmoller) ?

Ou y a-t-il certaines caractéristiques centrales,  telles que “l’intérêt personnel”, que l’on peut souligner  sans priver la construction  et l’utilisation du concept de toute légitimité (Menger) ?

En ce qui concerne la question (8),  c’est une autre question  qui sous-tend la question ostensible : la question de la nature de la loi de causalité et son application aux lois et au raisonnement économiques.  Est-ce qu’une loi “empirique” affirme la même relation nécessaire qu’une loi “exacte” ou déductive (Schmoller),  ou y a-t-il  une différence de nature entre eux ? (Menger).

Dans ce cas,  quelle est la nature de la causalité?

C’est la position que chacune des factions avait sur ces questions épistémologiques qui les conduisait  à leurs positions méthodologiques et  les empêchait de se mettre d’accord sur la méthode.

J’entends démontrer que ce sont ces différences d’opinion  épistémologiques qui sous-tendent les critiques et insatisfactions méthodologiques  exprimées par chaque partie au litige,  c’est-à-dire  que ce sont des oppositions épistémologiques qui se sont traduites en conflits sur la méthode[10].  Certains textes à l’appui de cette thèse et d’autres qui s’y opposent à partir d’autres sources seront indiqués le cas échéant.

La convention est de diviser l’école historiciste allemande en “ancienne” et “nouvelle” école historique,  Wilhelm Roscher,  Bruno Hildebrand  et Karl Knies  étant identifiés comme appartenant à l’ancienne école,  Gustav von Schmoller étant le chef de file et porte-parole de la “nouvelle”.

En dépit du fait que l’ancienne et la nouvelle école historique  diffèrent à plusieurs égards (les plus importantes étant l’absence de toute croyance dans l’organicisme ni dans des lois “absolues” du développement économique  dans les écrits de Schmoller), elles étaient unies dans une orientation essentiellement empiriste .

En tant qu’empiristes,  la similitude entre elles  tient le plus fermement à leur argumentation  en faveur de l’application d’une “méthode historique” descriptive aux données de l’histoire  pour en tirer des lois économiques,  quoi qu’ils puissent avoir affirmé  quant à l’étendue ou la nécessité de ces lois.  Cela ne signifie pas qu’ils aient réellement  procédé à une telle mise en œuvre,  mais seulement qu’ils argumentaient  en faveur d’une telle approche.

Roscher affirmait chercher des lois absolues du développement économique dans des comparaisons inter-temporelles et inter-spatiales  entre les sociétés,  les processus sociaux,  et les institutions sociales.  Plutôt que l’étude du comportement économique individuel,  Roscher préconisait une approche “holistique”,  un examen par des études historiques comparatives du comportement économique national.

Hildebrand et Knies ne partageaient pas l’opinion de Roscher quant à la nature “absolue” des lois du développement ainsi obtenues,  mais ils ne rejetaient pas sa méthode empiriste et collectiviste.

Les lois du développement que Roscher  espérait tirer d’études historiques comparatives devaient être de nature différente des lois économiques  censées caractériser une “étape” donnée d’une certaine société.  Ces “lois à court terme” seraient relatives dans l’espace et le temps,  et ne pourraient pas prétendre à l’universalité.  Pour le court terme,  il y avait lieu  de décrire les processus “physiologiques” des économies particulières,  et de formuler des lois économiques “relatives”.

Cet emploi d’une approche empirique descriptive pour en déduire  des lois différant par leur degré de nécessité impliquait une incohérence épistémologique,  incohérence que Schmoller devait éviter plus tard[11].

Dans sa propre version de la “méthode historique”,  Schmoller niait totalement l’existence de lois non empiriques en économie,  c’est-à-dire l’existence d’aucune loi “absolue” du développement qui impliquerait  un degré de nécessité qu’on ne trouverait pas dans  les lois “relatives” ;  cependant,  ce sont les écrits de Schmoller qui contiennent les indices les plus importants  sur la théorie historiciste des concepts  et les énoncés les plus explicites quant à leur conception des rapports de cause à effet.

On peut reconstruire un cadre épistémologique raisonnablement cohérent pour l’ensemble de l’école historiciste  sur la base des écrits de Schmoller  qui explique les écrits de ses précurseurs et,  dans un sens,  leur apporte une cohérence qu’ils n’avaient pas réussi à égaler.  Il conserve également leur identification en tant qu’empiristes.

Schumpeter a justement qualifié la position historiciste de “collectivisme méthodologique” puisqu’elle se concentrait  sur les institutions et  processus sociaux qui mettent en œuvre  des collectifs d’individus  ainsi que leurs relations entre eux.

Roscher et l’école historique ancienne  étaient plus intéressés par l’étude d’ensemble de l'”organisme”social  et de son évolution,  tandis que Schmoller examinait les institutions et leurs relations réciproques,  ainsi que les processus sociaux  au sein de l’économie nationale.

Plus précisément, Schmoller plaidait pour l’observation,  la description,  la classification et la formation de concepts relatifs aux institutions sociales,  à leurs relations,  et aux rapports  de l’Etat avec l’économie.

Il considérait  son travail descriptif comme la préparation nécessaire pour décrire l’essence “générale” des phénomènes économiques,  ou théorie générale.

Cependant Schmoller,  dans sa recherche de “l’essence” des phénomènes spécifiques,  souhaitait que l’on décrive toutes les caractéristiques dans la mesure du possible.  Plus complète était la description,  et plus précis et représentatif  il considérait le concept d’un phénomène.  L'”essence” devait s’obtenir d’un résumé de toutes les caractéristiques de l’ensemble des entités,  et non d’une prise en compte ou d’une perception d’une caractéristique fondamentale et déterminante.

Schmoller peut donc plus utilement s’identifier comme un “nominaliste”  dans sa théorie des universaux,  même s’il est difficile d’imaginer un nominaliste moins cohérent et plus porté sur la recherche[12].  C’est que les “essences” de Schmoller sont quasi encyclopédiques, alors que la plupart des nominalistes  trouveraient inutile  une telle exhaustivité.

La notion de causalité chez Schmoller,  comme sa notion des concepts,  est descriptive ;  c’est celle d’une uniformité dans la succession,  observée et vérifiée empiriquement.

Pour Schmoller, l’essence d’un concept  est sujette à modifications à mesure qu’augmente le nombre des existants auxquels  elle s’applique. Etant donné que toute théorie de la causalité postule implicitement une théorie des concepts,  il s’ensuit que les relations causales  entre les existants  doivent également apparaître comme dépendantes du contexte de l’expérience où celles-ci  se produisent, à toute personne convaincue que les concepts sont contingents — si celle-ci est cohérente.

Par l’examen de l’expérience en utilisant la méthode comparative,  Roscher avait espéré distiller,  sous la forme de lois du développement,  des généralisations à partir des uniformités de succession dans les phénomènes.  Cependant,  Roscher s’attendait à ce que ces lois-là soient  “absolues”,  alors que les lois que Schmoller recherchait,  il ne les envisageait pas de la sorte.  Non,  il limitait son attention sur la découverte de lois économique empiriques “à court terme”.

La notion de causalité qui traduit le mieux les lois relatives “à court terme” recherchées par l’ancienne école historiciste  ainsi que les lois empiriques que Schmoller recherchait, est celle de David Hume.  C’est Hume  qui a le premier proposé l’explication de la relation de cause à effet  comme une simple uniformité  dans la succession.  Dans cette théorie-là,  les événements sont perçus,  soit simultanément  soit successivement.

Tout ce qu’on entend par causalité,  c’est que les événements ont été perçus comme succédant l’un à l’autre,  et non qu’on aurait perçu aucune espèce de lien intrinsèque ou nécessaire les liant entre eux.  Ce seraient les processus de la pensée humaine qui interprètent cette séquence comme une relation de cause à effet.

Ainsi,  la nécessité serait quelque chose qui n’existe que dans l’esprit,  et non dans les objets.

Ce doit être à cette “nécessité intérieure” de la pensée que Schmoller se référait  quand il affirmait  que les lois empiriques obtenues par la “méthode historique” comportaient le même degré de nécessité que les lois obtenues par la méthode “exacte” ou abstraite et déductive de Carl Menger[13].

De même que les “essences” des concepts de Schmoller sont sujettes à révision  à mesure que l’on observe des caractéristiques additionnelles des phénomènes en cause  avec le passage du temps ou d’une culture à l’autre  (de sorte que ses concepts dépendent du contexte pour leur contenu),  de même les relations de causalité que l’on perçoit (c’est-à-dire, les lois économiques)  sont sujettes à changement  à mesure que de nouvelles explorations des  phénomènes empiriques révèlent des influences apparentes autres que celles identifiées auparavant. Etant donné que chaque contexte empirique se distingue des autres  à certain(s) égards(s),  il n’y aurait pas de concept  ni de relation conceptuelle qui soient véritablement universels.  Tous seraient relatifs au contexte dont on les a déduites[14].

La conception schmollérienne de la causalité  est donc strictement empirique,  et pleinement compatible avec sa théorie des concepts[15].

A la différence des historicistes,  qui ne parlaient que d’une seule méthode applicable  à l’économie,  Carl Menger soutenait qu’en économie,  il y a plusieurs méthodes utiles pour la recherche. En économie,  les méthodes de l’histoire sont différentes de celles de la théorie,  lesquelles diffèrent à leur tour de celles de la politique économique.

Si c’est le cas,  c’est parce que la nature formelle de la connaissance dans chacun de ces domaines est différente,  comme le sont les buts que l’on cherche à atteindre.

Il expliquait que le but de l’histoire économique  est de décrire la nature individuelle et les relations singulières entre les phénomènes économiques ;  cependant,  afin de résumer et à généraliser au fil du temps, l’histoire doit envisager les phénomènes économiques collectivement (par opposition à l’examen singulier d’un individu) .

La théorie économique,  en revanche,  cherche à découvrir la nature générale des phénomènes économiques et leurs relations générales.

Collectif et général, par conséquent, ont une signification totalement différente, et la prise en compte  des phénomènes collectifs  et des phénomènes généraux ne s’applique chacune qu’à des branches différentes de la science économique.

Menger tenait que,  dans la recherche de la nature et des liens généraux des phénomènes économiques,  la théorie économique pouvait employer deux approches différentes :  l’approche “exacte” et l’approche “réaliste empirique”.  L’une et l’autre donnent de la théorie économique,  mais diffèrent dans le caractère plus ou moins “absolu” à attribuer à leurs résultats.

En raison du processus cognitif qui conduit à les identifier,  les régularités dans la coexistence et succession des phénomènes  découvertes par l’approche “exacte” n’admettent aucune exception.  Afin d’identifier ces lois “exactes”,  il faut d’abord établir ce qui constitue des phénomènes typiques.

Ainsi, la préoccupation première de Menger était la théorie des concepts,  ou idées universelles.

Pour Menger,  l’identification d’une forme ou type empirique  était l’identification d’une caractéristique essentielle à la définition ou “essence” des phénomènes individuels,  qui permet de les reconnaître comme représentatifs de ce type.

La conception de l’essence chez Menger était donc différente de celle de Schmoller.  Dans sa solution au problème des universaux,  Menger, peut utilement s’identifier comme un réaliste “modéré” ou “aristotélicien[16]“.  Menger cherchait les “plus simples” éléments de tout le réel,  les essences,  la nature (das Wesen) de ce réel.

Dans son approche exacte,  il utilisait un processus d’abstraction des phénomènes individuels du monde empirique pour découvrir leur essence,  les isoler,  puis employer  les “éléments simples” ainsi obtenus pour en déduire

“…  comment des phénomènes plus complexes se développent à partir  des éléments les plus simples,  y compris  non empiriques,  du monde réel“[17].

Schumpeter a qualifié cette approche d'”individualisme méthodologique”.

L’objet des considérations épistémologiques de Menger,  le fond de sa pensée,  était les caractéristiques essentielles des individus  et la manière d’utiliser ces caractéristiques sous forme d'”éléments simples”  pour expliquer comment des phénomènes plus complexes naissent des phénomènes individuels.

On ne peut pas,  en toute justice,  appeler cela une méthode a priori, car elle commence par  les “éléments les plus simples” qui sont tirés  de la réalité empirique par le processus mental de formation des concepts  et ne sont  pas simplement supposés a priori.

Menger cherchait  non seulement la connaissance générale illustrée par des types, mais aussi illustré par des relations caractéristiques.

Ces relations caractéristiques, ou liens généraux entre les phénomènes économiques,  pouvaient être découvertes en tant que lois exactes au sens absolu du terme. Une loi exacte,  ou de causalité,  était l’énoncé absolu  d’une nécessité à laquelle,  soulignait Menger,  on ne pouvait,  en raison des “lois de la pensée”,  imaginer aucune espèce d’exception. Dans l’épistémologie aristotélicienne,  c’est conformément à ces lois que toute la pensée se développe : elles sont connues respectivement comme “la loi de l’identité”, la “loi de non-contradiction”, et la “règle du tiers exclu.”

Cependant, elles ne sont pas  seulement des lois de la pensée, ce sont des lois de la réalité,  ce sont des affirmations à propos du réel,  car c’est dans le réel qu’on les appréhende.  Elles sont l’appréhension d’une nécessité dans l’être des choses et sont donc métaphysiques, ou ontologiques.

En outre,  la loi de causalité se déduit de la loi de l’identité.  Le lien de causalité est réel  et doit s’identifier  entre des choses déterminées dans l’existence,  qui ont une nature déterminée.  Appréhender la relation de cause à effet,  c’est appréhender  cette relation  au moyen des choses déterminées de la relation  dont l’action la produit.  Pour seulement avoir un effet,  les choses déterminées doivent absolument  agir conformément à leur nature,  et doivent  nécessairement produire des effets  conformes à cette nature.

En identifiant l’essence  ou “éléments simples” des phénomènes économiques,  Menger identifiait  la nature selon laquelle il pensait que ces phénomènes doivent absolument opérer.  Ce qu’il faisait,  c’était rendre possible l’identification des lois de causalité  qui lient certains phénomènes à d’autres  ou qui montrent comment des phénomènes économiques plus complexes se constituent à partir des plus simples.

Les références de Menger à la “réalité économique abstraite” comme le domaine de l’approche “exacte” n’étaient pas une référence  à une autre dimension de la réalité, mais à la nécessité révélée dans les liens entre les choses  et inhérente à leur nature.

Bref,  parce que sa conception de la réalité était aristotélicienne,  il pensait que,  dans la réalité,  c’est en fonction de leur nature  et dans des relations”caractéristiques” que les entités opèrent.  Ainsi,  le concept d’une entité,  s’il incarne l’essence de cette entité  comme manifestation d’un certain type,  traduira sa nature.

Un raisonnement qui se sert de ces “éléments conceptuels simples” en sera un qui se développe  selon le principe comme quoi les entités agissent conformément à leur nature,  et qui va construire (déduire) des systèmes conceptuels de causalité  correspondant à la causalité du monde empirique.

C’est ainsi que les lois causales conceptuelles ou “théoriques” sont des lois du réel.

Menger concluait que la méthode exacte identifiait

“… dans les phénomènes  des lois qui ne sont pas seulement absolues,  mais qui,  d’après nos lois de la pensée  ne peuvent tout simplement pas se penser  autrement que comme absolues[18].”

On pouvait  aussi, affirmait Menger,  découvrir des relations caractéristiques  en tant que lois empiriques au sens “réaliste-empirique”.  Une loi empirique est un condensé des régularités observées dans la coexistence et la succession des phénomènes réels.  En raison même de sa nature empirique,  on peut non seulement lui penser des exceptions,  mais encore s’y attendre.  Etant donné qu’elles ne dépendent que de l’observation,  on ne peut identifier que les régularités effectives  qui appartiennent à des formes empiriques observées.  Rien ne garantit que ces régularités soient “absolues” ni (pour reprendre la formule habituelle qui implique la causalité) que ce seraient des “lois de la nature”qui n’admettent aucune exception. Elles correspondent uniquement  à ce qu’on a observé.

Aucune question de relations intrinsèques,  ni par conséquent de causalité,  n’est impliquée dans la connaissance  des régularités observables  dans la coexistence et la succession des phénomènes économiques  que décrivent ces lois.

Ce que ces lois empiriques sont authentiquement,  c’est une “connaissance historique” du réel.

Elles incarnent et résument  toutes les influences présentes  dans les phénomènes économiques réels,  ce qui signifie qu’elles incluent la “totalité,  et toute la complexité” des phénomènes empiriquement observés,  pas seulement leur nature générale ou “essence”.

Il s’ensuit qu’elles sont modifiées  par les changements au cours du temps  et qu’elles varient d’une culture à l’autre.

Dans la mesure où l’école historiciste  limitait ses efforts de recherche  à l’emploi d’une forme collectiviste ou une autre de la méthode “réaliste empirique” – ce que Menger considérait qu’était leur “méthode historique”,  celle-ci devait les conduire à trouver une confirmation de leurs attentes  quant à la relativité des lois économiques.

Menger rejetait entièrement toute tentative pour vérifier les lois issues de la première méthode de recherche par les moyens de l’autre,  c’est-à-dire pour tenter d’amender des lois “exactes” par la recherche “réaliste-empirique”  ou de placer cette dernière – produit d’une méthode “historique” —  au-dessus de la recherche exacte.

C’était,  disait-il,  comme si on tentait  de mettre à l’épreuve les principes de la géométrie en mesurant des objets réels.  Par exemple,  aucune masse de séries chronologiques de données de prix ni de quantités ne pourrait réfuter la loi “exacte” de la demande.

De même,  Menger estimait que toute tentative pour déduire une théorie exacte ou générale de l’économie d’une étude de l’histoire économique était le produit d’une incapacité à reconnaître les différences fondamentales soit entre la discipline de la “théorie économique” et celle de l'”histoire économique”  soit,  ce qui est équivalent,  entre les méthodes exacte et “réaliste empirique”.

Pour lui,  c’était la théorie exacte qui  permet de comprendre l’histoire et le développement économiques,  alors que l’approche “réaliste-empirique” se borne à en rendre compte  de façon passive.  Les lois “réalistes-empiriques” n’étaient donc pas des “lois” dans le même sens que le sont les lois “exactes” de la théorie économique[19].

Il n’est pas difficile de comprendre le rejet par les historicistes de la théorie universaliste déductive  impliquée par l’approche exacte de Menger,  étant donné la force de leur parti pris  empiriste  et leur rejet fondamental,  au-delà de ce qu’exigeait la nécessité pratique,  de toute abstraction  à partir de la complexité empirique des phénomènes économiques  — tels qu’ils se produisent  dans leurs contextes sociaux spécifiques.

L’emploi par Menger de l'”élément simple” de l’intérêt personnel  serait “irréaliste” du point de vue de quelqu’un  qui tient les raisons d’agir dans l’économie pour innombrables dans n’importe quel contexte empirique,  et qui envisage toute théorie comme enracinée dans un contexte empirique.

De même,  l’approche mono-causale de Menger passerait pour aberrante aux yeux de toute personne  qui conçoit les phénomènes observables  comme le produit d’innombrables influences dans leur contexte empirique  et qui considère que toute théorie,  toutes les relations causales,  s’enracinent dans un contexte empirique.

Les historicistes rejetaient l’universalité de la théorie économique parce qu’ils croyaient que la théorie doit être empiriquement descriptive d’un contexte social donné. Lorsque le contexte social changeait,  la théorie devait nécessairement changer.

Pour sa part,  Menger refusait  d’accorder  le statut de théorie à part entière  à aucune généralisation tirée d’une méthode historique,  parce qu’il en tenait pour des conceptions,  pour des théories de la causalité  différentes de celles de l’école historique.

L’essence des phénomènes économiques dont il s’occupait,  était “atomiste” ou “individualiste” et non “collectiviste” ;  elle était ce qui fait un individu  le représentant d’une catégorie,  et ne dépendaient  pas du contexte social pour leur contenu. Pour lui,  les concepts collectifs des historicistes n’étaient pas des types, mais des assemblages d’individus.  Ils n’étaient pas généraux. Par conséquent,  il n’avait rien à faire  d’une approche “holistique” et contextuelle.

Menger refusait d’accorder le statut de causalité aux régularités empiriques des historicistes parce qu’il pensait  que c’est transcender l’expérience que d’affirmer qu’un phénomène observé empiriquement suit “nécessairement” un autre phénomène observé empiriquement. Seule l’approche exacte,  avec sa causalité “intrinsèque”,  peut transcender l’expérience de cette manière.  Par conséquent,  il rejetait implicitement la théorie “non-intrinsèque”  de la causalité qui était celle de l’école historiciste.

On peut donc voir,  à la lumière de ce qui précède,  que la Methodenstreit s’enracinait dans des positions épistémologiques opposées  qu’aucun effort d’imagination ne permettrait d’appeler des produits complémentaires. Par conséquent,  il n’est pas surprenant que Schmoller et Menger  n’aient accordé  aucune valeur aux points de vue l’un de l’autre.

Malheureusement,  ni l’un ni l’autre n’avait clairement conscience de la nature épistémologique des questions qui les  séparaient,  ni n’identifiait clairement la position de l’autre faction comme déterminée par des considérations épistémologiques.  C’est à  cela  que l’on peut attribuer le caractère non concluant du débat,  et la préoccupation pour des questions plus subsidiaires de la méthodologie et de la morphologie de l’économie qui a induit en erreur les historiens de la pensée économique[20].

Une nette identification  de leurs différences épistémologiques  aurait pu se traduire par moins d’efforts gaspillés,  grâce à une discussion des questions qui sous-tendaient les points en litige apparent.

Il ne s’agit pas de dire  qu’il y aurait aucune certitude que ces problèmes eussent été résolus, mais au moins le débat aurait été limité à une sphère relativement limitée de sujets au lieu de parcourir tout le champ des sciences sociales et naturelles,  comme il avait malheureusement tendance à le faire.

Finalement,  des différences d’opinion épistémologiques aussi fondamentales sont tellement irréconciliables  que ce pourrait être vraiment trop demander à des parties non spécifiquement formées à la philosophie que de régler des disputes qui les mettent en œuvre : on pourrait plus utilement l’abandonner aux philosophes.  Le plus grand service que l’on puisse rendre aux parties à la Querelle est alors de se borner à identifier comme épistémologique l’origine de leur différend,  et de garder l’espoir.

Et il n’y a aucune raison de supposer que ce service-là  serait moins utile aux participants  à une discussion actuelle qu’il ne l’aurait été pour ceux qui prirent part à la Methodenstreit[21].

5

On peut désormais identifier, dans les jugements antérieurs sur la Methodenstreit, un certain nombre d’erreurs  dues à l’incapacité à identifier la querelle  comme fondamentalement épistémologique.

L’argument comme quoi les deux méthodes n’auraient pas été “exclusive l’une de l’autre”,  comme quoi l’induction et la déduction seraient interdépendants,  passe à côté du débat de fond.  L’opposition entre l’induction et la déduction n’a jamais vraiment été en cause entre les parties concernées.

On pourrait admettre que,  dans la construction habituelle de la théorie générale,  on emploie en même temps des procédures “inductives” et “déductives”,  c’est-à-dire que l’on induit des principes de la réalité empirique,  pour ensuite s’en servir dans une argumentation déductive.

Quel qu’ait pu être leur point de vue là-dessus,  il y avait une différence significative dans la façon  dont chaque faction de la Methodenstreit envisageait  la conception des prémisses  et la déductions des lois de la causalité économique.

Seule la méthode “exacte” de Menger  était intransigeante dans sa conception de la loi économique comme déductive à l’origine,  à partir de prémisses “induites”.

Alors que l’historicisme envisageait  les concepts et les lois économiques  comme une manière de résumer les expériences accumulées.

L’opinion comme quoi les deux méthodes seraient “tout aussi nécessaires”  à la profession des économistes dans son ensemble n’indique pas  clairement ce pour quoi elles sont nécessaires.

Pour sa part, Menger n’avait certainement pas été si ambigu. Il soutenait qu’une “méthode historique” n’est pas la bonne manière  de construire la théorie économique,  si l’on veut que cette théorie ait une portée générale.

Pour lui,  en revanche,  la méthode exacte  ne serait pas applicable à l’écriture de l’histoire (même si les résultats de celle-ci, sous la forme de la théorie générale, le seraient).

Dire que ces deux méthodes sont d’égale importance  tout en ne disant pas  pourquoi elles devraient l’être  est laisser la question sans solution franche.

On peut faire une critique semblable à l’affirmation selon laquelle  certains problèmes relèvent d’une certaine technique et d’autres à une autre.

La conclusion comme quoi les différences entre la position des historicistes  et celle de Menger seraient mineures par rapport à leurs points communs semble tout à fait dépourvue de fondement.

Les différences (entre présupposés épistémologiques)  étaient si importantes que si le débat s’est emballé et,  plus que probablement, s’il n’a pas été résolu,  c’est parce que l’origine fondamentale du désaccord  était demeurée non identifiée et (substantiellement) non traitée par les deux factions.

Or,  les questions épistémologique en cause  sont d’une importance cruciale pour quiconque entend être conscient de ses propres choix méthodologiques.  Dépenser du temps sur de telles considérations ne saurait passer pour un gaspillage,  puisque c’est à une vie entière d’efforts gaspillés qu’un mauvais choix peut (éventuellement) conduire. C’est dans ce sens que le débat était important et digne d’intérêt.

Alors que l’incapacité à traiter des “bonnes” questions  a bel et bien conduit à une relative perte d’un temps précieux  dans un exercice de frustration mutuelle aussi peu concluant que véhément. Dans quelle mesure ce temps a été perdu  est difficile à évaluer,  étant donné l’importance du sujet.

Pour ce qui est de la seule contribution de Menger à ce débat,  il n’y a aucune espèce de difficulté à reconnaître que ses contributions  fondamentales  à la méthodologie témoignent de la même puissance intellectuelle et originalité de la pensée que sa contribution à la théorie économique proprement dite.

En plus de ses autres vertus,  Carl Menger:

(l) avait exposé  ses présupposés épistémologiques et prescriptions méthodologiques plus précisément  et plus longuement  que pratiquement tout autre théoricien de l’économie  avant ou après lui  (Ludwig von Mises étant certainement une exception des plus bienvenue à cette généralisation);

(2) a délibérément tenté d’élaborer une théorie économique  consciente de sa propre méthode,  et

(3) a inauguré  la tradition de l’individualisme méthodologique,  dont un nombre croissant d’économistes en viennent à croire qu’elle bel et bien l’approche méthodologique générale épistémologiquement légitime et potentiellement la plus productive de la théorie économique.

Pour ces seules raisons,  on a de bonnes raisons de se réjouir que Menger ait été attiré dans une Methodenstreit et qu’il ait publié son point de vue méthodologique et épistémologique.  On peut seulement regretter que ses travaux de recherche sur ces thèmes plus tard dans sa vie n’aient pas été publiés.

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L’article a été réimprimé,  avec des modifications mineures,  comme “Die Schriften von K. [sic] Menger und W. Dilthey zur Methodologie der Staats-und Sozialwissenschaften”,  in Gustav von Schmoller,  Zur Litteraturgeschichte der  Staats- und Sozialwissenschaften, Leipzig,  Duncker & Humblot,  1888  réimpression,  Bibliography and Reference Series,  N°169,  New York :  Burt Franklyn,  1968.

Les numéros de page figurant dans les références à cet article proviennent de l’édition de 1968.  Cependant,  les numéros de page correspondants de la version de 1883 sont indiqués entre parenthèses pour comparaison.

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* Western Maryland College.  Je tiens à remercier C. Addison Hickman et Laurence S. Moss pour leurs précieuses critiques d’une version antérieure du présent document.

[1] Atlantic Economic Journal : Carl Menger and Austrian Economics,  T. 6 N° 3,  septembre 1978.

[2] Pour une discussion détaillée de la question de l’origine des différends méthodologiques entre économistes  (et,  par implication,  entre tous les chercheurs en sciences sociales)  et une présentation de ce qui est nécessaire pour résoudre ces différends,  voir [Bostaph,  1977].

[3]  Menger justifie le niveau scientifique relativement faible de ses commentaires et l’emploi fréquent d’arguments ad hominem contre Schmoller  en faisant valoir que,  lorsque les savants comme lui se font attaquer par un “ignorant”  (Schmoller),  ils doivent profiter de l’occasion pour s’adresser à son public et à ses pairs – à avoir au public profane,  au niveau qu’ils sont capables de comprendre.  Voir [Menger,  1884,  p. 2].

[4] Ce qui suit se fonde sur les informations publiées par [Howey].

[5] On n’est pas sûr de savoir à quelle “méthode” Landreth se réfère.

Il cite une différenciation de la théorie à partir de l’histoire,  la déduction à partir de l’induction,  la construction de modèles abstraits à partir de la collecte de données statistiques,  sans lier rigoureusement chacune à une faction donnée de la Methodenstreit,  ni indiquer clairement en quoi chacune constitue une méthode opposée à l’autre.

Cela pourrait bien rendre compte de son apparente incapacité à reconnaître les différences entre la méthodologie de Menger et celle de Jevons et Walras,  avec lesquels il le fourre sans esprit critique aucun.

[6] Pour autant que les historicistes soient concernés,  Schumpeter se réfère uniquement à leur “nouvelle” école.  Il ne considère pas que l’ancienne école historiciste ait effectivement été une “école” au sens de “phénomène sociologique déterminé”.

Cf. à cet égard [Schumpeter,  1954,  pp. 808-9]

[7] [Hutchison,  1973,  p. 34].  Malheureusement,  Hutchison interprète comme une confirmation de sa  propre conclusion  (à lui,  Hutchison)  un commentaire fait par Menger en 1894  comme quoi la différence entre les deux écoles se fondait sur une vision différente des objectifs de la recherche.

Menger voulait probablement dire que la méthode historique était utile à certaines fins  (l’histoire et autres études empiriques,  dans la mesure où on les mènerait  en se servant de  la théorie générale appropriée)  tandis que la méthode de l'”isolement” était le moyen de construire une telle théorie.

Si Menger avait voulu dire que la méthode historique pouvait servir si peu que ce soit à la construction d’une théorie générale  (macro ou autre),  il aurait renié une décennie de ses propres affirmations à l’effet du contraire.

[8] Cf. [Hayek,  1973,  pp. 8-9].

[9] [Bostaph,  1976.] La multitude des sources utilisées et leur identification correcte ne permettent pas ici de donner des références spécifiques.

Les lecteurs intéressés peuvent se référer à la thèse elle-même pour un détail de ces références particulières,  et pour la justification de l’interprétation qu’en donne le présent document.

C’est un texte qui traite également d’autres aspects de la Methodenstreit non mentionnés ici en raison de contraintes d’espace.

[10] On trouve dans [Bostaph,  1977] une discussion de la relation générale entre épistémologie et méthodologie,  et de la manière dont on peut examiner les conflits méthodologiques  une fois qu’on la connaît.

[11] On trouve dans [Bostaph,  1976,  chapitre II]  des références détaillées sur l’école historique ancienne et une justification de l’interprétation qui précède.

[12] Le nominalisme tient que les concepts sont des noms appliqués à des phénomènes existentiels après que des hommes ont arbitrairement choisi certaines caractéristiques de ces phénomènes pour les désigner à l’avenir.

Seul le nom est universel,  les phénomènes ne le sont pas.

Identifier Schmoller comme  nominaliste concilie sa position sur la théorie des universaux avec celle sur la nature de la causalité,  qui semble totalement nominaliste.

Pour un argument comme quoi l’historicisme incarnerait en fait l’essentialisme “méthodologique” d’Aristote,  voir [Popper].  Il se peut que Popper ait décrit comme “essentialistes” les éléments hégéliens  de l’approche des anciens historicistes (Roscher,  en particulier)  sans pour autant caractériser l’école historique dans son ensemble. Malheureusement,  il s’identifie aucun membre particulier de l’école historique.

[13] [Schmoller,  1883,  p. 280 (978).]  La transmission de l’épistémologie de Hume à l’école historiciste s’est faite,  plus que probablement,  par l’intermédiaire de John Stuart Mill.

Schumpeter affirme [1954,  p. 540]  que

“… Roscher se donnait beaucoup de mal pour exprimer son accord avec la méthodologie de J. S. Mill.”

Cf. [Roscher,  pp. 105-6].

L’influence de Hume sur Mill est spécifiquement mentionnée dans [Windelband,  p. 635 ;  Jones,  p. 635 ;  Jones,  p. 164].  Schmoller aussi parle en bien de Mill  [Schmoller,  1883,  p. 281 (979)].

Néanmoins,  l’identification comme humienne de l’épistémologie historiciste dans le présent document repose sur la similitude des points de vue exprimés  et non sur aucun travail de “détective” historique.

[14] Les points de vue méthodologiques de Schmoller  sur l’utilisation des statistiques  justifient ces conclusions  quant à ces conceptions de la causalité.

Pour Schmoller,  la science des statistiques  était l’outil approprié pour examiner et identifier les relations effectives qui sont présents dans le contexte de chaque expérience.

Elle fournit des explications causales  et rend possible la mesure du degré d'”influence” des “causes essentielles et contributives”.  Cf. [Schmoller,  1893,  p. 37].

[15] On trouve dans [Bostaph,  1976,  chapitres IV et VI] des références détaillées ainsi qu’une justification pour l’interprétation qui précède de la position de Schmoller.

[16] Le réalisme modéré,  ou aristotélisme,  soutient que les concepts sont formés par l’intuition mentale de la pure essence  des phénomènes existentiels à partir des phénomènes eux-mêmes,  où les essences sont en quelque sorte manifestes.

Après avoir conclu ma propre recherche,  c’est avec beaucoup de plaisir  que j’ai trouvé dans les travaux d’Emil Kauder une identification de l’épistémologie de Menger comme étant aristotélicienne :  Cf. [Kauder,  1958,  pp. 413-25 ; 1965,  pp. 97-100].  Kauder identifie non seulement Menger,  mais encore Böhm-Bawerk comme aristotéliciens,  et montre assez spécifiquement  comment cette influence a pénétré l’économie autrichienne à ses débuts et influencé son développement.

[17] [Menger,  1883,  p. 61.]  Cela ne s’applique qu’à l’approche “exacte” de Menger.  Comment cela se lie à l’approche “réaliste-empirique” de Menger n’est pas expressément traité,  mais peut en être déduit.  L’approche “réaliste-empirique”  implique l’observation des types tels qu’ils existent dans leur ” pleine réalité empirique”,  dit Menger [p. 56].  Une description “réaliste-empirique” des catégories implique une forme ou une autre d’abstraction parce qu’une sélection est implicite dans toute description,  et que la sélection est un processus d’abstraction.

Cependant la recherche des essences,  des “éléments les plus simples,”  n’est pas nécessaire dans cette méthode,  il ne s’agit que de cataloguer les caractéristiques et les relations.  Alors qu’une connaissance des essences est nécessaire pour identifier les entités à inclure dans une description “réaliste-empirique”  ainsi que le principe du processus de sélection.

Les caractéristiques d’une forme empirique de l’argent ne peut pas se décrire utilement sans identification de son “essence” ou caractéristique définissante.  Ainsi,  le concept de “monnaie”,  obtenu en identifiant l'”essence” de sa forme empirique,  donne un point de vue qui permet d’organiser toute description  en un tout cohérent,  que cette description soit brève  ou infinie dans ses détails.  Il apparaît effectivement,  et il est apparu,  de nombreuses formes de monnaie,  mais dans cette conception-là  toutes incarnent l’essence de la monnaie.

[18] [Menger,  1883,  p. 61.] L’idée de la causalité chez Menger est aussi celle d’une “mono-causalité”.

D’après cette conception,  étant donné un ensemble de conditions initiales,  il n’y a qu’une seule chose qui puisse se produire.

[19] Des références et justifications détaillées de l’interprétation qui précède  de la position de Menger se trouvent dans [Bostaph,  1976,  chapitres III,  IV,  V].

[20] Cf. [Schmoller,  1883,  p. 286 (982),  p. 280 (978); Menger,  1883,  p. 108,  p. 31].

Of course,  Menger stated in the “Preface” to his Untersuchungen that methodology proper was not the subject of his work because the question of the nature of economics itself and its proper research goals had to be agreed upon first,  before methodology could be argued.

[20] Cf. [Schmoller,  1883,  p. 286 (982),  p. 280 (978); Menger,  1883,  p. 108,  p. 31].

Bien sûr,  dans la “Préface” à ses Untersuchungen,  Menger indiquait que la méthode appropriée n’était pas l’objet de son étude  parce qu’il fallait,  avant que l’on puisse discuter de sa méthode,  commencer par se mettre d’accord sur la nature de l’économie elle-même et ses objectifs de recherche légitimes.

Puis,  dans son texte,  il se mettait à traiter des questions méthodologiques ainsi que des buts de la science économique aussi bien que de sa  morphologie.  A cet égard,  il ne semblait pas déraisonnable de s’attendre de sa part  à un traitement plus explicite de la méthode des “historicistes”,  tant il avait été explicite quant à la “fausseté” de ladite méthode.

[21] Une ébauche dans cette direction se trouve dans [Bostaph,  1976,  chapitre VI].

* Western Maryland College. Je tiens à remercier C. Addison Hickman et Laurence S. Moss pour leurs précieuses critiques d’une version antérieure du présent document.

Source : The Methodological Debate between Carl Menger and the German Historicists, Atlantic Economic Journal, Vol VI, n°3, septembre, pp3-16

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