Oeuvres de Turgot – 087 – Modération d’impôts pour perte de bestiaux et de récoltes

87. — MODÉRATION D’IMPÔTS POUR PERTE DE BESTIAUX ET DE RÉCOLTES.

I. — Circulaire aux curés.

[A. Cor., C. I.]

(Les pertes de bœufs. — Les frais de justice. — Primes pour la destruction des loups.)

Limoges, 24 janvier.

(Turgot renouvelait chaque année ses circulaires aux curés, aux commissaires des tailles, etc., en les modifiant, pour tenir compte des faits nouveaux. Ainsi, la circulaire du 24 janvier rappelle, à peu près dans les mêmes termes, ce que contenaient les circulaires des 3 mai 1762 (p. 169 ci-dessus) et 22 janvier 1763 (p. 244) et probablement aussi celles des années 1764, 1765, 1766 qui ne nous sont pas connues. Nous ne donnons de la circulaire de 1767 que les passages nouveaux.)

… J’ai souvent regretté de ne pouvoir proportionner exactement les modérations aux pertes. J’accorde, par exemple, toujours la même diminution pour la perte d’un bœuf ; cependant deux bœufs peuvent être d’une valeur très inégale. Ce serait entrer dans un détail trop minutieux et impossible à remplir exactement que de spécifier la valeur des bestiaux perdus ; il suffirait de distinguer les bœufs d’engrais des bœufs de labour, et je vous serai obligé de marquer désormais cette différence dans les états que vous m’adresserez.

… Il m’est parvenu beaucoup de plaintes sur la multiplicité des frais que font, dans les paroisses, les collecteurs et les huissiers qu’ils emploient à poursuivre les contribuables. Il n’a pas encore été possible de mettre la dernière main au règlement projeté depuis longtemps pour prévenir les abus trop multipliés dans cette partie, mais il y a une vexation de ce genre dont il est aisé aux contribuables de se garantir. Les collecteurs ont la liberté, pour leurs poursuites particulières, de se servir ou des huissiers aux tailles, ou des huissiers des justices ordinaires ; il est arrivé de là que les huissiers des justices royales ont exigé pour leurs salaires 100 sols par jour, ainsi qu’ils y sont autorisés dans les affaires des particuliers, au lieu que, suivant les règlements, il ne devrait leur être payé que 3 livres, comme aux huissiers des tailles.

Il s’est encore glissé à ce sujet un autre abus, c’est que ces huissiers exigent des collecteurs et ceux-ci des contribuables, leurs salaires sans qu’ils aient été taxés régulièrement ; au moyen de quoi, personne n’est à portée de connaître ni d’empêcher les exactions arbitraires qu’ils peuvent commettre.

Pour remédier à cet abus, j’ai fait insérer dans le mandement des tailles, article 52, la défense aux collecteurs de rien exiger, ni recevoir des contribuables à titre de frais, que ces frais n’aient été taxés et répartis sur ceux qui doivent les supporter.

Je les ai avertis, en conséquence, pour ne point risquer de perdre les frais qu’ils auraient pu payer aux huissiers des justices ordinaires, d’avoir attention de ne les jamais payer par eux-mêmes, et de les adresser toujours, ainsi qu’il est d’usage pour les huissiers des tailles, au receveur des tailles qui seul doit les payer et en fournir les quittances aux collecteurs lorsque ceux-ci lui remettent les sommes qu’ils ont reçues des contribuables conformément à la taxe. Ainsi, les salaires des huissiers des justices ordinaires doivent être taxés comme ceux des huissiers aux tailles et sur le même pied de 3 livres par jour ; cette taxe doit être faite par un officier de l’élection lorsqu’il s’agit de la taille et des impositions accessoires, et lorsqu’il s’agit du vingtième, par le subdélégué de la ville principale de chaque élection.

Les collecteurs ne doivent point les payer eux-mêmes, mais les envoyer au receveur des tailles, qui se chargera de faire régler leur taxe et de la faire répartir sur les contribuables, et ceux-ci ne peuvent être obligés de les payer que sur l’état de répartition signé d’un officier de l’élection pour la taille, et de mon subdélégué pour le vingtième. En ne payant que de cette manière, ils seront assurés de ne payer d’autres frais que ceux qu’ils doivent véritablement.

Mais comme ils pourraient, par ignorance, se laisser entraîner à payer aux huissiers ou aux collecteurs l’argent que ceux-ci exigeraient, vous leur rendrez service en les instruisant sur cela de la règle, et en les avertissant qu’ils ne peuvent jamais être obligés à rien payer, à titre de frais, que sur la représentation de la taxe faite par l’officier de l’élection ou par mon subdélégué. J’ai déjà répété plusieurs fois cet avertissement, et je vois avec peine qu’il a été presque entièrement inutile, et que le même abus n’en a pas moins subsisté. Il n’y a que l’attention de MM. les curés à faire connaître l’article 62 du mandement des tailles et l’avis contenu dans cette lettre qui puisse arrêter le cours de cette source de vexations.

Un autre avis qu’il me paraît encore fort utile de donner aux habitants des campagnes, concerne les erreurs qui peuvent s’être glissées dans la formation de leurs cotes de taille, et la manière dont ils doivent s’y prendre pour les faire réformer et obtenir des rejets en conséquence. Il arrive souvent qu’ils demandent conseil à un procureur qui les engage à se pourvoir à l’élection et qu’ils dépensent beaucoup d’argent pour obtenir une justice qu’ils pouvaient obtenir sans qu’il leur eût rien coûté. Il n’y a pas longtemps qu’un curé, ayant affermé les dîmes dépendantes de sa cure, son fermier fut taxé en conséquence dans les rôles. Quelque temps après, le curé étant décédé, son successeur fit lever les dîmes à sa main, mais le commissaire n’ayant pas été averti sur-le-champ de ce changement, continua de taxer le fermier au rôle suivant. Il suffisait que le curé m’écrivit ou seulement avertît le Commissaire de cette erreur ; elle eût été corrigée sans difficulté et le rejet ordonné. Au lieu de prendre cette voie simple, on a fait assigner à l’élection les collecteurs qui n’avaient aucune part au rôle et qui, aussi mal conseillés que le curé, ont soutenu le procès. Il s’agissait d’une cote de 36 livres de toutes impositions ; il y a eu pour 221 livres, 3 s., 9 d. de frais inutiles puisqu’on aurait eu la même justice pour rien. Il est encore nécessaire que les habitants de la campagne sachent que, même dans le cas où ils se pourvoient à l’élection pour former opposition à leurs cotes, cette opposition doit être formée par simple mémoire et même, si l’on veut, sans ministère de procureur, que ce mémoire doit être remis au procureur du Roi de l’élection et qu’il y doit être statué sans frais. Ce sont les dispositions précises des articles 6 et 7 de la Déclaration du 13 avril 1761 ; mais comme la plus grande partie de ceux qui veulent se pourvoir à l’élection les ignore, il est très facile aux procureurs d’abuser de cette ignorance pour éluder les dispositions de la loi, en faisant assigner les collecteurs dans les formes ordinaires beaucoup plus longues et plus dispendieuses.

Vous rendrez un vrai service à vos paroissiens si vous prenez soin de les instruire des moyens qu’ils ont de se faire rendre justice à moins de frais.

Je vous serai obligé de répandre parmi eux la connaissance des récompenses que j’accorde depuis quelque temps à ceux qui tuent des loups, à l’exemple de quelques généralités voisines.

Cette gratification sera payée par mes subdélégués sur la représentation qui leur sera faite de la tête de l’animal, et afin d’empêcher qu’on ne puisse représenter une seconde fois la même tête, pour se procurer une seconde fois la récompense promise, le subdélégué aura l’attention d’en couper une oreille avant de la rendre au porteur.

Voici le tarif de ces récompenses :

Pour un loup.                                        12 livres.

Pour une louve.                            15 —

Pour une louve pleine.                          18 —

Pour chaque louveteau.                        3 —

Pour un loup reconnu enragé.               48 —

Il pourrait se faire que quelques paysans n’apportassent au subdélégué que la tête de l’animal qu’ils auraient tué et, prétendant que c’est une louve, le subdélégué aurait à craindre qu’ils ne le trompassent pour obtenir une récompense plus forte. Pour obvier à cet inconvénient, j’ai prescrit, lorsqu’on ne pourrait pas apporter la peau entière de la louve, de ne donner l’augmentation de récompense que sur le certificat de MM. les curés ou des notables de la paroisse. Je compte que vous voudrez bien donner ces certificats au besoin et prendre les précautions nécessaires pour n’être point trompés. Je vous serai obligé de donner connaissance de cet arrangement aux habitants de vos paroisses.

II. — Circulaire aux Commissaires des Tailles.

[A. H. V., G. 101 .]

(Rappel des circulaires antérieures sur les pertes des récoltes. — Préposés perpétuels. — Relevés de baux. — Gelée de 1766.)

Paris, 1er juin.

Je me bornerai encore cette année, M., à rappeler à MM. les Commissaires les différents objets que je leur avais demandés par mes précédentes lettres. Je vois avec beaucoup de peine qu’ils n’y ont pas encore tous satisfait. Il a du être, ou il sera envoyé de mes Bureaux, à ceux des Commissaires qui sont dans ce cas, une note des objets sur lesquels ils n’ont pas rempli mes vues. J’espère que, si quelqu’une de ces notes vous concerne, vous ne différerez pas plus longtemps à terminer votre travail.

Je ne répéterai point les détails dans lesquels je suis entré alors…

Je vous recommande de lire avec attention ce qui regarde l’établissement des Préposés perpétuels dans ma lettre du 15 juillet 1766[1] et de continuer à donner vos soins pour étendre l’exécution de ce plan dont l’expérience me paraît répondre à ce que je m’en étais promis.

L’article des Relevés des Baux et des Contrats de vente est un de ceux sur lesquels tous les Commissaires ne m’ont point encore satisfait, mais c’est un travail de nature à être continué tous les ans ; ainsi, quand même vous m’auriez envoyé l’année dernière tout ce que j’avais demandé à cet égard, vous auriez encore à me faire passer cette année la note de tous les actes de vente ou de ferme qui sont depuis venus à votre connaissance, soit qu’ils aient été passés depuis un an, soit que vous les ayez seulement découverts depuis. Je vous ai déjà marqué par ma lettre de l’année dernière que, lors même que vous n’auriez trouvé dans vos Canevas que l’indication des ventes avec le nom de l’acquéreur, il fallait toujours en faire mention pour me mettre en état de découvrir le prix par d’autres recherches. J’ai vu très peu de ventes de cette espèce indiquées dans les états des Commissaires et je vous recommande d’y avoir attention.

Un troisième objet de ma lettre de l’année dernière était la vérification des dégâts faits par les gelées excessives de l’hiver, surtout dans les pays de vignobles. Je n’ai pas ouï dire que l’hiver de cette année, quoique rigoureux, ait produit des effets aussi funestes ; mais il paraît que les gelées survenues à la fin d’avril lorsque les plantes commençaient à être en pleine végétation, ont eu des conséquences très fâcheuses, non seulement pour les vignes, mais même pour les seigles dans les cantons où ils étaient plus avancés. L’alarme a été d’abord générale, et une foule de paroisses m’ont présenté des requêtes tendantes à faire vérifier la perte qu’elles avaient essuyées. Je n’ai pas cru devoir envoyer des Commissaires sur les lieux dans ce premier moment. L’examen détaillé du dommage aurait été superflu si le mal était universel et, s’il n’avait affecté que quelques paroisses, cet examen fait, avant que les progrès de la végétation eussent fait connaître ce qu’il y avait de réel et de permanent dans le dommage, ne pouvait qu’induire en erreur, une pièce de terre pouvant paraître très endommagée, immédiatement après la gelée, et cependant produire dans la suite une assez belle récolte. Et je sais qu’en effet, dans bien des paroisses, le mal n’est pas à beaucoup près aussi grand qu’on l’avait craint d’abord.

Les Commissaires, faisant leur tournée dans un temps où le sort des principales récoltes est presqu’entièrement décidé, sont plus à portée que personne de me rendre un compte exact des pertes et mon intention est encore des les charger de cette opération cette année. Je sais qu’elle est très délicate et je vais entrer dans quelques détails sur la manière dont je pense que cette vérification doit être faite. Rien n’est plus difficile que de parvenir à connaître avec un peu d’exactitude les effets des différents accidents sur les récoltes. J’avoue que, depuis que je suis dans la Généralité, je me suis occupé chaque année à en chercher les moyens sans avoir pû me satisfaire. D’un côté, comment se former une idée exacte de pertes sujettes à varier d’un champ à l’autre sans un examen détaillé des pièces de terre endommagées ? Et d’un autre côté, comment un Commissaire qui passe dans une paroisse et qui n’y peut demeurer que peu de temps, pourrait-il, quelques connaissances qu’on lui suppose sur l’agriculture, parcourir toute une paroisse et prendre tous les éclaircissements nécessaires pour asseoir un jugement certain sur la quotité de la perte ?

Les effets de la gelée, s’étant fait sentir l’année dernière d’une manière fort inégale sur les vignes et ayant principalement affecté les vieilles vignes, quelques Commissaires de l’élection d’Angoulême essayèrent de faire faire par des experts ou prud’hommes, choisis par des habitants de chaque paroisse, la vérification des vignes perdues à moitié, aux trois quarts, ou en totalité. Ces experts devaient former une espèce de procès-verbal en parcourant les différents cantons de la paroisse et envoyer ce procès-verbal au Commissaire après l’avoir lu en présence des principaux habitants.

Cet essai n’a pas eu un succès complet : les éclaircissements demandés à ces experts étaient un peu trop compliqués ; de plus, une partie des experts manquaient de l’intelligence nécessaire pour s’acquitter d’une semblable opération. Je crois cependant qu’on peut tirer un parti avantageux de cette idée ; et je désire de faire essayer en conséquence cette année une nouvelle forme de procès-verbaux. J’en ai fait imprimer un modèle et je vous en envoie en blanc une quantité que je crois suffisante pour les paroisses de votre arrondissement qui ont souffert…

Vous voyez que les quatre premières colonnes doivent être remplies par les experts habitant sur les lieux et qui, par conséquent, sont à portée de vérifier par eux-mêmes en parcourant les campagnes l’état de la récolte dans chaque canton et de comparer celle des pièces qui ont souffert avec celles des pièces qui n’ont point essuyé d’accidents, ou qui n’en ont essuyé que de généraux, communs à toute la Province.

Il y a, sans doute, un très grand nombre de paroisses où il ne serait pas possible de faire convenir les habitants sur le choix des prud’hommes, et d’autres où peut-être il ne se trouverait personne pour faire leurs opérations. Je crois donc devoir m’en rapporter aux Commissaires qui, pour la plus grande partie, connaissent les habitants les plus intelligents des paroisses de leur arrondissement. Ils pourront, ou faire choisir par les habitants, ou nommer d’office, des hommes assez intelligents pour remplir ces modèles de procès-verbaux. Ils sont autorisés à en nommer plusieurs dans les paroisses extrêmement étendues, et à n’en nommer qu’un pour plusieurs paroisses, quand elles se trouveront très petites et qu’on y manquera de sujets. Je me réserve de dédommager ces experts de leurs peines par des modérations sur leurs impositions, à proportion du nombre de journées qu’ils auront employées et de l’exactitude de leurs opérations, et cela d’après le compte que vous m’en rendrez.

Lorsque les experts nommés par la paroisse ou par vous auront rempli les colonnes des états en blanc que vous leur aurez remis, conformément aux instructions que vous croirez devoir leur donner, ils vous les remettront afin que vous puissiez lire ces états, lors des vérifications en présence de la communauté, et en reconnaître l’exactitude par le témoignage des habitants, lesquels ne manqueraient pas de réclamer s’ils étaient lésés ou s’ils voyaient que leurs voisins fussent injustement favorisés. S’il y a des plaintes, il sera bon de les faire vérifier, dans la journée même, en députant quelques habitants choisis par la communauté pour en reconnaître la justice, ou si la récolte est levée, en entendant les propriétaires voisins et ceux qui ont levé les dîmes.

Vous voudrez bien ensuite remplir les autres colonnes de l’état en blanc et m’envoyer tous ces états à l’Intendance, immédiatement après vos vérifications, afin que la diminution qui doit être accordée à ceux qui auront perdu puisse être réglée avant le département…

Il est nécessaire de vous prévenir que cette opération ne doit point être faite dans toutes les paroisses.

Je sais que les paroisses qui cultivent le froment ne se sont point du tout ressenties de l’effet des dernières gelées. Une partie même de celles qui cultivent le seigle n’en ont point été affectées. Il y aurait beaucoup d’inconvénients à répandre une alarme générale, et à exciter discrètement des plaintes qu’on ne songe point à porter. Ce n’est donc que dans les paroisses, où la notoriété publique annonce que la gelée a fait de grands ravages, et qu’elle a perdu une partie de la récolte de certains cantons en épargnant les autres, qu’il est nécessaire de faire une vérification aussi détaillée, et je m’en rapporte à votre prudence pour juger de la nécessité de cette opération dans les paroisses de votre arrondissement.

Outre les effets des gelées de cette année, les vignes qu’a fait mourir celle de 1766 et qui, n’ayant point repoussé, ont été dans le cas d’être arrachées doivent aussi être l’objet d’une vérification très exacte, et je vous recommande d’y avoir attention, si votre arrondissement s’étend dans le pays de vignobles.

À l’égard des accidents particuliers, comme incendies, etc., je présume que les propriétaires en ont fait faire les procès-verbaux suivant l’ancien usage et cet objet n’a rien de commun avec les pertes sur les récoltes qui sont les seules dont il s’agisse ici.

P. S. 21 juin.

Plusieurs Commissaires, m’ayant représenté que le nouveau plan des procès-verbaux demandé par cette lettre ne leur paraissait pas possible, j’ai pris le parti de me borner encore à le faire essayer pour quelques paroisses, et de me contenter pour les autres de procès-verbaux faits dans la forme ancienne. Je prends ce parti à regret, connaissant toute l’incertitude de cette forme, et je vous prie d’apporter du moins la plus grande attention à n’y comprendre que des pertes réelles, bien vérifiées, et de ne pas manquer à lire vos procès-verbaux devant les habitants assemblés pour recevoir leurs représentations : vous voudrez bien vous conformer d’ailleurs à tout ce que prescrit ma lettre.

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[1] Non retrouvée.

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