Avantages que doit produire l’agrandissement continuel de la ville capitale d’un État

À l’époque où l’abbé de Saint-Pierre écrit ce texte, Paris est en proportion deux fois moins peuplée que Londres. Pour l’auteur, l’accroissement libre de la capitale ne serait que bénéfique : une capitale est un lieu d’émulation, de progrès, de concurrence plus vive, elle propose à ses habitants une existence plus douce et plus prospère. Il ne faut pas craindre cette immigration vers la capitale, mais s’attacher à mettre à niveau les institutions de police ou de justice, et les aménagements comme routes, ponts, écluses, etc.


 

Avantages que doit produire lagrandissement continuel de la ville capitale dun État

par l’abbé de Saint-Pierre

[Ouvrages de politique et de morale, t. IV, 1733, p. 102-164.]

 

PRÉFACE

Jai vu mettre en doute à loccasion de Paris sil était de lintérêt de l’État que cette capitale sagrandît ou quelle diminuât, cest ce qui ma fait examiner la question en général sur les capitales, et après lexamen je suis demeuré persuadé quil était de lintérêt de l’État den favoriser lagrandissement continuel, mais quil fallait de temps en temps en augmenter plusieurs parties qui navaient pas augmenté en même proportion que les autres.

Il faut, par exemple, augmenter le nombre des principaux magistrats pour la police, pour le civil et pour le criminel, et par conséquent il faut augmenter le nombre de leurs tribunaux.

Il faut divers lieutenants de police pour les divers quartiers denviron cent mille habitants ; mais il faut un magistrat général de police choisi parmi les lieutenants, ce magistrat aura seul relation à la Cour pour en recevoir les ordres importants. Et il y aura appel de ses lieutenants au Parlement pour les choses de moindre importance.

Il faut de même augmenter en proportion le nombre des archers.

Il faut augmenter en proportion la facilité de la navigation.

Il faut augmenter la facilité des voitures, et des chemins qui tendent à la capitale.

Il faut élargir insensiblement les rues du centre.

Il faut multiplier et agrandir en même proportion les halles et les places des marchés.

Il faut à proportion des habitants augmenter les bâtiments et les revenus des hôpitaux et des maisons de correction.

Ce sont ces agrandissements subalternes et proportionnels que nos pères ne se sont pas avisés de faire depuis cinq cents ans, et que nous pouvons faire nous-mêmes peu à peu, cest cette omission, cest cette négligence de plusieurs de nos rois qui fait juger à quelques esprits superficiels que Paris nest déjà que trop grand et trop peuplé.

Au lieu que si toutes les parties de cette capitale étaient augmentées dans la même proportion les unes que les autres, ils penseraient tous comme moi que ni Paris ni aucune capitale ne saurait jamais être trop agrandie et trop peuplée pour lintérêt de l’État, pourvu que toutes les parties qui servent à la police soient augmentées et perfectionnées à proportion du nombre des habitants.

 

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

I

Lesprit dun homme, quelque grand quil soit devenu par son application, a eu son enfance, cest-à-dire ses ignorances, ses préjugés, ses erreurs ; on peut avoir vu, par exemple, Descartes à dix ans égal ou même inférieur à tel de ses camarades, qui est resté un esprit commun.

Doù est venue cette grande différence qui sest trouvée entre les esprits de ces deux camarades de collège quarante ans après leur première connaissance ? Cest que le grand génie a continué dexercer son esprit tantôt par la lecture, tantôt par la méditation, tantôt par la dispute dans la conversation de gens desprit, tantôt par des conférences réglées dans la capitale avec les meilleurs esprits des provinces, qui pour lordinaire y sont en plus grand nombre ; il a été ainsi forcé dexaminer la plupart des principes généraux des connaissances humaines, et a surmonté par ces divers moyens les divers obstacles qui se trouvent à sortir des ignorances et des erreurs vulgaires sur diverses matières des arts et des sciences.

Son camarade au contraire depuis le collège a résidé à la campagne ou dans quelque petite ville, et na exercé son esprit que sur des choses dun usage commun, et avec des esprits du commun, il na point acquis lhabitude ni de lire, ni d’écrire, ni de méditer, ni de conférer avec politesse, il na parléqu’à des gens de peu desprit, et parmi lesquels il y avait peu d’émulation pour examiner les principes, pour approfondir les matières, et pour découvrir les erreurs des préjugés de notre enfance et de notre jeunesse ; son esprit sest borné à passer et à repasser par un petit cercle de connaissances très communes et est ainsi resté esprit du commun.

Cest donc de la lecture, de lexercice de la méditation et de lexercice de la dispute, soit dans la conversation des hommes, soit dans des conférences réglées, que dépend laccroissement de lesprit ; plus ces exercices sont continus, plus les esprits avec qui on sexerce sont éclairés ; plus l’émulation entre eux est grande, plus aussi cet accroissement de lesprit devient grand, et se fait en moins de temps et avec plus de facilité.

II

Lagrandissement du bonheur des États dépend de deux choses, dun côté de la grandeur de la vertu, et de lautre de l’étendue et de la justesse des connaissances dans la science du gouvernement dans ceux qui les gouvernent.

La vertu croît à proportion de l’émulation du grand nombre de gens vertueux qui vivent ensemble et qui se rencontrent souvent, et semblables aux acteurs, ils font plus defforts à proportion quils ont plus de spectateurs connaisseurs, et plus de personnes estimables à surmonter en vertus.

Ainsi il est visible que le même homme qui est vertueux à six degrés dans une petite ville où il vit avec six personnes raisonnables le serait à douze degrés dans une capitale où il vivrait avec un nombre double de gens de vertu.

La chose est encore plus évidente du côté de lesprit et des connaissances, parce que lhomme desprit sapproprie bien plus facilement et bien plus promptement les connaissances et les degrés dintelligence de lhomme habile que le vertueux ne sapproprie les degrés de vertu de lhomme le plus vertueux.

Cest que la grande vertu ne peut sacquérir que par de longues habitudes des actes souvent répétés, au lieu quun homme desprit sapproprie souvent en moins dune heure la démonstration qua trouvée au bout dun mois d’étude un autre homme desprit.

III

Le corps humain a ses bornes pour croître, et pour se fortifier, au lieu que lesprit nen a point; il ne passe rien des forces du corps du philosophe qui meurt dans le corps de ses disciples ; mais il nen est pas de même des forces de son esprit, surtout sil a écrit ou si ses disciples ont écrit après lui, car alors les disciples et leurs successeurs durant plusieurs siècles héritent et se fortifient des lumières du grand philosophe, leur esprit croît même souvent au-delà de lesprit de leur maître, comme lesprit du maître aurait pu croître lui-même sil eût vécu quelques siècles de plus. La succession des disciples les uns aux autres de génération en génération supplée ainsi à la durée du corps du philosophe, ainsi le corps humain a ses bornes daccroissement, lesprit humain nen a aucune.

IV

Il y a dexcellents esprits qui avec le simple secours de la méditation, sans résider dans la capitale, découvrent dans le calme de la solitude de la campagne des vérités très sublimes, et quelquefois très importantes, mais ils ne sont jamais bien sûrs de ne s’être point égarés si ce nest par lexamen des objections de quelques personnes habiles, et par lapprobation des autres ; or par malheur ils ne trouvent commodément en grand nombre les habiles contradicteurs et les bons approbateurs que dans les grandes villes, et surtout dans la capitale de leur pays.

Ils y apprennent même dans la conversation et par lexercice de la dispute une chose très importante, cest la manière de se faire mieux entendre, et de mieux former leurs démonstrations, car il ne suffit pas au grand génie et au bon citoyen dinventer et de découvrir pour lui, il faut quil invente encore les moyens de communiquer aux autres ses découvertes, et pour trouver ces meilleurs moyens de les communiquer, il faut quil apprenne à sabaisser au point de vue et au degré de lumière du commun de ses lecteurs afin de leur fournir les degrés nécessaires pour monter facilement au point de vue où il est arrivé et où il faut arriver pour voir la démonstration, et pour en sentir toute la force.

Sans cette attention il démontre pour deux ou trois lecteurs, il ne démontre pas pour deux ou trois mille ; ce qui cependant doit être le but du citoyen.

Ainsi lon peut dire que cest à la méditation, et au calme de la solitude, que lon doit la découverte de certaines vérités sublimes, mais que cest à la dispute que le public doit les meilleures démonstrations ; on voit bien que je ne parle pas ici de la géométrie, puisquun géomètre peut se passer de conversation ; mais il ne peut pas se passer d’émulation ; or la conversation avec gens de son métier excite et fortifie en lui l’émulation si nécessaire au progrès vif des sciences.

V

Nous connaissons deux portes par lesquelles nos opinions entrent dans notre esprit, lune est notre propre évidence, lautre est le témoignage de ceux qui nous environnent, jointe à lopinion que nous avons de leur capacité. Il semble que par la porte de l’évidence il ne devrait entrer que des opinions vraies, mais il y a des évidences apparentes, et des évidences réelles, les évidences apparentes sont fondées sur danciens préjugés faits sans examen dans lenfance ou dans la jeunesse, sans que personne nous ait obligés à les révoquer en doute, et à les examiner de plus près : la longue habitude nous les a rendus certains ; or malheureusement nous prenons facilement le certain pour l’évident, et la certitude fille de lhabitude pour l’évidence réelle qui est fille de lexamen.

La certitude ou lexemption de doute fait dans notre esprit le même effet que l’évidence réelle, cest de rendre notre esprit assuré, souvent même notre esprit par une ancienne et continuelle habitude de juger dune certaine manière sur certain sujet se trouve plus assuré que par une évidence réelle lorsquelle est nouvelle, et de peu de jours, tant lhabitude, et la longueur de lhabitude, peut sur les esprits.

Cest un grand malheur pour lesprit humain de navoir pas un sens plus fin et plus fort pour démêler l’évidence qui vient des préjugés anciens et qui nest quapparente de l’évidence réelle et nouvelle ; nous pouvons rendre en nous le sens de l’évidence plus fort et plus délicat en ne nourrissant notre esprit que de démonstrations différentes selon la différence de chaque science, la chose nest pas facile, mais enfin la différence de ce sens fait la différence entre lesprit fort et lesprit faible.

VI

Les enfants, les femmes, les ignorants, les hommes du commun, qui demeurent toute leur vie dans lenfance de lesprit, nont quune porte pour recevoir les opinions sur les choses dont ils ne peuvent sassurer par le témoignage de leurs sens, cest la porte du témoignage, en supposant imprudemment que celui ou ceux qui nous parlent ne veulent point tromper, et ne sont pas capables d’être trompés : mais comme les hommes qui nous parlent peuvent et nous tromper et se tromper eux-mêmes, lerreur entre dans la plupart des esprits des hommes par la même porte que la vérité, et ce quil y a de malheureux, cest que si cette erreur nest pas contredite de bonne heure, et quelle soit entretenue par lhabitude de plusieurs années à juger de la même manière, lopinion erronée prend racine, devient une proposition certaine, et sert ensuite de principe comme si la proposition était réellement vraie et évidente.

VII

Il y a un petit nombre desprits qui, après avoir acquis lhabitude dexaminer, cest-à-dire de douter, et qui, après s’être trouvés souvent dans des conversations où lon révoquait en doute leurs opinions, ont acquis par cet exercice la faculté de discerner la certitude qui vient dune longue habitude de la certitude qui vient de lexamen et de l’évidence.

Cette certitude fille de lexamen est de deux sortes, car il y a des propositions qui sont évidentes par elles-mêmes, et dautres qui ne nous paraissent évidentes que par le secours du raisonnement juste, et de la démonstration. Lune est une évidence primitive, lautre est une évidence dérivée qui devient quelquefois elle-même par un long exercice évidence primitive.

VIII

Ceux qui ont lart de bien démontrer leurs opinions deviennent facilement les chefs, et les conducteurs des autres esprits, car lhomme ne demande pas mieux que de quitter le séjour ténébreux de lignorance, de lerreur, du doute, pour passer dans le séjour lumineux de la vérité et de la certitude.

IX

Comme il y a des hommes qui pour la force du corps en valent plusieurs autres de même âge, il est certain quil y a des hommes qui pour la force de lesprit en valent selon les occasions dix autres des plus forts : un ingénieur à lattaque ou à la défense dune place fera avec cent hommes ce que mille ne feraient pas sans un pareil conducteur.

Je suppose deux princes, qui aient même étendue et même situation de territoire, même nombre de sujets ; si les sujets de lun sont habitants de villages, de petits bourgs ou de petites villes à peu près égales, et que les esprits de leurs sujets, chacun dans sa profession et dans son art, soient la moitié moins éclairés que les sujets de lautre qui aura plusieurs grandes villes, et surtout une capitale dix fois plus grande que les autres grandes villes, il est certain que les ouvrages et les travaux de son peuple, soit dans les arts, soit dans les sciences, soit dans la politique, vaudront le double, le triple des ouvrages de lautre, et que ce prince sera ainsi deux fois, trois fois plus puissant tant en paix quen guerre, car à la longue à valeur égale la supériorité de force passe du côté de la supériorité de génie.

Cest donc une manière daugmenter les forces et les richesses de son État du double, du triple, que de faire croître en vingt ans, en trente ans, du double, du triple, les lumières de lesprit des personnes de toutes les professions de son peuple en comparaison de laccroissement desprits que prend le peuple des souverains voisins.

X

Moins les esprits ont de facilité, et à se communiquer leurs inventions, et à examiner par la dispute leurs opinions, plus ils ont besoin de temps pour croître ; or il est évident que plus ils sont séparés dans de petites villes, moins il sy trouve de ces esprits supérieurs dont le principal emploi est de cultiver leur raison et d’éclairer les esprits inférieurs, et moins ils trouvent de secours, de conversations, de conférences et dacadémies où ils puissent par la dispute et par la contradiction lutter les uns contre les autres, et fortifier ainsi tous les jours leur esprit par cette sorte dexercice.

XI

Il ne suffit pas que dans une nation un petit nombre desprits y prennent en peu de temps un grand accroissement ; ce qui importe le plus, cest que le commun des esprits de la nation prennent en même temps un accroissement proportionné à celui que prennent tous les jours ces esprits du premier ordre ; or il est évident que dans la capitale les propositions démontrées passent bien plus promptement de main en main desprit à esprit que dune ville à lautre, et que de la capitale comme du centre, il y a beaucoup plus de facilité à communiquer les découvertes aux villes principales que si la découverte s’était faite dans une petite ville, avec laquelle on a beaucoup moins de commerce quavec la capitale.

XII

Il y a plus : cest que les opinions éprouvées par la dispute en partant de la capitale, lorsquelle est fort grande et fort peuplée et surtout remplie dacadémies où lesprit est continuellement exercé, arrivent avec beaucoup plus dautorité dans les provinces, et sont reçues avec beaucoup plus de soumission que si elles venaient de petites villes où lesprit est bien moins exercé et où les opinions sont moins épurées par la contradiction.

Le préjugé est pour la capitale, et ce préjugé est fondé en raison, car là où les opinions sont plus contestées et débattues par un plus grand nombre desprits supérieurs, là elles doivent être plus épurées et plus éloignées de lerreur. Le monde se gouverne par opinion, et les trois quarts et demi de nos opinions sont fondées sur lautorité, et sur limitation, très peu sont fondées sur l’évidence quapporte lexamen.

XIII

Il nest pas douteux que le séjour de la ville capitale pour ceux qui nont point une fortune ou un emploi qui attache dans les villes de province ne soit préféré de presque tous les hommes. Il y a pour toutes les conditions différentes plus damusements, plus de spectacles, plus de promenades, plus de conversations, plus de commerce, plus de nouvelles, plus de nouveautés, en un mot plus de sortes de plaisirs.

Ceux qui aiment les bons livres sur les sciences et les arts, soit les plus utiles, soit les plus agréables, ceux qui cherchent les beaux sermons, les meilleurs auteurs, les hommes illustres en savoir, en piété, en talents, trouvent dans la capitale plus de commodités de voir ces livres, ces savants, ces beaux ouvrages, ces personnes distinguées soit par leurs talents, soit par leurs vertus.

Ceux qui ont besoin de conseil ou pour leur santé ou pour leurs affaires y trouvent les plus habiles médecins, les plus habiles chirurgiens, les plus savants jurisconsultes.

Ceux qui ont des talents supérieurs et qui veulent augmenter leur fortune y trouvent plus doccasions quailleurs, il ny a pas jusquaux artisans dans les métiers les plus communs qui ny trouvent des facilités daugmenter considérablement leur fortune quand ils ont trouvé le secret dexceller sur leurs pareils.

On y fait mieux élever ses enfants, et en meilleure compagnie dans les collèges, ils y font des liaisons utiles à leur fortune, les parents sont plus à portée de les mieux placer dans les emplois, et de leur obtenir des bénéfices ou dautres grâces que dans les petites villes.

On peut y vivre avec plus de liberté, soit dans une plus grande retraite, soit dans une plus grande dissipation, on y jouit plus facilement des commodités de lincognito, on peut sans beaucoup de peine y jouir le matin du calme et du repos de la campagne, et après dîner des amusements de la ville, on y est plus maître de son loisir quailleurs, et même il est plus facile dy régler sa dépense annuelle selon son revenu annuel.

Il nest donc pas étonnant que la pente générale de tous les sujets des provinces ne soit de venir demeurer dans la capitale, et de lagrandir par leur séjour, mais outre cette pente universelle, jespère que lon va voir quil est de lintérêt du roi et de l’État de favoriser la multiplication des habitants, et de faciliter lagrandissement de la capitale.

Les Anglais attribuent la grande et subite prospérité de leur nation au subit agrandissement de la ville de Londres, mais ce grand et subit accroissement de la ville vient, je crois, encore plus du grand et subit accroissement du commerce maritime des habitants de Londres que daucun dessein que le gouvernement ait eu dagrandir la capitale.

Il ny a dans la nation anglaise quenviron treize millions dhabitants, et il y en a environ un million dans Londres, cest la treizième partie de la nation : il y a en France environ vingt millions dhabitants, la treizième partie de vingt millions est environ 1 500 mille, et cependant il ny a quenviron huit cent mille habitants dans Paris, de sorte quil sen faut au moins sept cent mille habitants que la capitale de France ne soit à proportion aussi peuplée que la capitale dAngleterre.

Après ces observations préliminaires, voici la proposition que je prétends démontrer :

Il est de lintérêt du roi et de l’État de favoriser toujours lagrandissement de la capitale, et de ny mettre de bornes que celles quy peut mettre la difficulté dy subsister aussi commodément et aussi agréablement à tout prendre que dans les autres lieux.

Ces sortes de démonstrations politiques où il sagit de montrer que le parti proposé est plus avantageux à l’État que le parti opposé dépendent uniquement du plus grand nombre davantages et davantages plus importants et du plus petit nombre dinconvénients et moins grands qui se trouvent dans le parti le plus avantageux, cest une espèce de balancement davantages contre avantages, dinconvénients contre inconvénients, qui doit se réduire à une démonstration arithmétique.

 

PREMIER AVANTAGE
Plus de sûreté contre les guerres civiles

1°  Dans le système présent de limpolice européenne où lon a à craindre les guerres civiles, plus la capitale sera grande et peuplée, plus il serait aisé de laffamer si elle se révoltait, donc ou bien il ny naîtra point de révoltes, ou bien elles seront calmées en peu de jours par lenvironnement des troupes qui en fermeraient les avenues.

2° Plus la capitale sera grande, plus il sera difficile de lenvelopper douvrages suffisants, de fortifications, et de remplir ses magasins ; on ne la regardera donc jamais dans l’État comme une place de guerre, mais comme une place ouverte de tous côtés, qui doit être soumise dans le moment aux troupes qui lenvironnent.

3° Une ville, où il ny a ni armes défensives ni armes offensives, ni magasins de vivres, ni munitions de guerre, ni garnison, ni officiers, ni habitants disciplinés, ni fortifications, ne saurait prendre le parti de se révolter, et de résister à de bonnes troupes, qui peuvent arriver de tous côtés pour lenvelopper.

4° Pour plus grande sûreté contre les révoltes, il serait facile au roi davoir aux différentes avenues deux lieues au-dessus et au-dessous de la rivière de la capitale et sur les grandes routes plusieurs petits camps fortifiés avec des casernes et du canon.

5° Si la plupart des magistrats, si le gros des bourgeois ont une grande partie de leur revenu sur le roi, si les principaux habitants ont des charges et des pensions qui dépendent de la Cour, ils auront tous des motifs puissants pour suivre lesprit de soumission.

Donc plus la capitale sera grande, peuplée, sans garnison, sans fortifications, sans munitions, sans armes, sans discipline militaire, sans officiers, plus il y aura de créanciers du roi, plus aussi elle sera soumise, et facile à soumettre à son prince ; or de la soumission dépend la tranquillité de l’État qui est la base du bonheur des sujets.

 

SECOND AVANTAGE
Plus la capitale sera soumise, plus les provinces seront soumises

Il est sûr que les villes des provinces se règlent presque toujours sur la conduite et sur lexemple de la capitale, particulièrement lorsquelle sera très grande, très peuplée et très bien policée.

Dailleurs les habitants de la capitale sont la plupart les seigneurs les plus riches des provinces mêmes ; or si elles étaient tentées de résister, les seigneurs serviraient à ramener plus facilement les révoltés à leur devoir : on peut donc soutenir que plus la capitale sera grande et peuplée de seigneurs, plus il sera facile au roi de contenir les provinces dans lobéissance.

 

TROISIÈME AVANTAGE
Plus de sûreté contre les guerres étrangères

1° Dans une grande capitale comme Londres et comme Paris on y trouve la moitié de ce quil y a de plus riches habitants dans l’État, dans toutes les professions, et dans tous les ordres, ils ont et plus de la moitié des richesses en espèces et presque tout le crédit de l’État ; or il ny a personne qui ne voie que cest un très grand avantage que davoir pour la défense et pour la conservation de l’État la plus grande partie des moyens rassemblés en une seule ville pour lever plus promptement des troupes dans les provinces, et on sait qu’à la guerre, le reste étant égal, cest presque toujours la célérité à attaquer qui décide de la supériorité ; celui qui attaque marche en ordre et avec confiance, surprend lennemi, lintimide, le met facilement en désordre et le bat.

2° Les richesses mobiles étant tirées hors de la ville dans les temps de craintes et dalarmes, il ny restera presque rien à piller, et même le vainqueur na aucun intérêt ni de piller ni de brûler une capitale qui se soumet naturellement au plus fort comme un village sans défense ; il nen est pas de même des capitales qui sont fortifiées et qui résistent longtemps aux victorieux, la plupart sont ou pillées ou brûlées ; ainsi sa faiblesse devient son salut et la cause de sa longue durée.

 

QUATRIÈME AVANTAGE
Le progrès de la raison et des connaissances utiles en sera beaucoup plus grand

En général le grand progrès de la raison et de ses dépendances est un grand avantage pour un peuple, nous lavons prouvé dans les observations préliminaires, ainsi il est extrêmement de lintérêt du roi de faire en sorte que son peuple devienne en moins de temps beaucoup moins ignorant ou beaucoup plus savant que les autres peuples, surtout du côté des matières les plus utiles à la société.

On ne peut donc pas douter que ce ne soit un grand avantage pour un peuple de posséder et les personnes les plus habiles dans les sciences les plus importantes, et den avoir en beaucoup plus grand nombre que les autres peuples de la terre. Et plus de moyens de répandre dans les provinces les connaissances les plus importantes au bonheur de la société.

Les hommes habiles sont comme des flambeaux qui portent la lumière parmi le peuple, ainsi plus il y a de ces flambeaux, et plus ils sont lumineux, plus aussi le peuple en est éclairé, il arrive même souvent que les sciences curieuses ne laissent pas douvrir lesprit sur les matières les plus importantes.

Il y a trois choses à désirer dans une science : la première est sa grande utilité par rapport à la société, la seconde est le grand nombre des vérités qui y sont démontrées, la troisième est la meilleure méthode de démontrer et de prouver ces vérités.

Il arrive quelquefois que lorsque ces vérités sont peu importantes, la méthode de la preuve ou de la démonstration se trouve plus utile que les vérités mêmes, comme dans la géométrie spéculative, cest-à-dire que la forme de cette science en vaut souvent mieux que la matière.

Il y a de même deux choses à désirer dans une méthode denseigner, de prouver, de démontrer, cest la brièveté et la facilité ; or plus on fait de progrès dans une science, plus aussi la méthode pour lenseigner en peu de temps et facilement se perfectionne, ce que lon pouvait apprendre autrefois en trois ans sapprend présentement en trois mois, de sorte que par le perfectionnement des méthodes un homme peut apprendre dix fois plus de choses quil naurait pu faire en temps pareil il y a deux cents ans ; il arrivera même dans deux cents ans si les méthodes continuent à se perfectionner que nos neveux apprendront en temps égal dix fois plus de choses très utiles que nous nen pouvons apprendre présentement, surtout si lon perfectionne l’éducation suivant le plan que jen ai fait imprimer.

Les sciences dont les propositions sont générales donnent plus d’étendue à lesprit, mais souvent cest aux dépens de la justesse ; une science particulière donne plus de justesse sur la matière, mais lesprit borné à cette matière ne voit pas loin au-delà.

Les sciences ont deux principaux effets très importants à la société, dun côté elles aident fort à perfectionner les arts, et de lautre elles diminuent tous les jours les maux causés par lignorance grossière tels que sont les extravagances et les dérèglements du fanatisme, qui se peut nommer lempire tyrannique de limagination, et effectivement là où lon trouve un peuple très ignorant et très grossier, là aussi se trouve toujours un fanatisme furieux, turbulent et tyrannique, qui diminue par conséquent très souvent et très considérablement le bonheur de la société humaine ; il y a plus de fanatisme là où il y a plus dignorance, il y en a plus à Constantinople qu’à Londres.

Or le grand moyen de diminuer toutes les espèces dignorances dangereuses, cest de procurer dans un État un grand progrès dans les sciences, qui, en nous découvrant les causes des effets naturels, diminue peu à peu le grand crédit des préjugés dune imagination déréglée qui sont très dangereux à la tranquillité de la société.

Or il nest pas difficile de voir que le grand et prompt progrès des connaissances des causes naturelles et des meilleures méthodes de les enseigner dépend en partie du grand et prompt accroissement de la capitale, et particulièrement du nombre des bons collèges, et de la bonne direction des différentes académies où les lumières se communiquent, et où lesprit se fortifie par lexercice de la contradiction.

 

CINQUIÈME AVANTAGE
Le progrès des arts les plus utiles en sera beaucoup plus prompt

Personne nignore combien les arts sont importants à la richesse, à la commodité de la nation et à laugmentation du bonheur de la société. Avec le secours de lart de limprimerie, par exemple, dix hommes peuvent faire plus douvrages et meilleurs que 300 autres et par conséquent donner leur ouvrage à trente fois meilleur marché.

Il est évident aussi que les arts vont naturellement en se perfectionnant, cest-à-dire que limpression dun livre qui coûtait il y a cent ans cent onces dargent coûterait aujourdhui un quart moins ; mais ce progrès est dautant plus prompt que la capitale contient plus douvriers de même métier, parce que les petites découvertes que chacun y peut faire, soit par hasard, soit par méditation, y sont plus fréquentes, et sy communiquent bien plus promptement à tous les ouvriers de la ville, et de cette ville capitale dans les autres villes, parce quil y a bien plus de commerce dune petite ville à la capitale qu’à une autre petite ville du royaume ; or comme il y a un nombre prodigieux darts très importants au bonheur de la société, il est visible que cest un très grand avantage pour une nation davancer beaucoup plus vite quune autre dans le progrès des arts, et surtout de ceux qui sont les plus utiles à la société.

SIXIÈME AVANTAGE
Réputation et prééminence de la nation

Cest proprement de lidée que lon prend de la capitale que dépend la réputation de la nation, sil y a beaucoup de personnes très savantes, dautres très polies, dautres dune conversation agréable, enjouée, si la manière de vivre y est commode et pleine de liberté, et cependant de bienséance, sil y a dans la ville sûreté entière pour les étrangers qui ne voyagent que pour sinstruire, si les étrangers y sont plus protégés et même plus favorisés que les habitants, sils y trouvent plus facilement quailleurs et commodités et plaisir, et amusement et occupations utiles et conversations avec les plus habiles dans les arts et dans les sciences, une pareille capitale deviendra la capitale de lEurope, et la ville de toutes les nations ; la plupart des étrangers souhaiteront den devenir habitants, et remporteront de la nation lidée de prééminence quils inspireront ensuite à leurs amis, à leurs parents, à leurs enfants, ce qui rendra la nation aimable, et la capitale très fréquentée, et par conséquent très riche.

Nous avons rendu notre nation suspecte aux étrangers durant trente ou quarante ans, parce que nous avons voulu agrandir notre territoire, ce qui ne se pouvait faire qu’à leurs dépens ; heureusement nous commençons à quitter ces fausses idées dagrandissement extérieur de territoire pour songer aux agrandissements intérieurs, qui sont bien plus réels, bien plus faciles, beaucoup plus considérables, plus durables, infiniment moins coûteux et tels surtout que nos voisins ne sauraient jamais nous les reprocher et sen plaindre lorsquil ne tient qu’à eux de nous imiter.

Nous nabandonnons pas pour cela une précaution raisonnable, qui est de ne laisser aucuns peuples de lEurope dans lexercice de la guerre sans nous y exercer nous-mêmes autant queux ; or de notre conduite sage, sensée et pacifique il arrive que les étrangers nous agrandissent eux-mêmes, attirés par la douceur de nos mœurs, et peu à peu ils nous donneront volontairement et insensiblement une sorte dempire sur eux par limitation de nos mœurs et par linclination que nous leur inspirerons pour nos manières de vivre, et par lestime quils concevront de notre équité, de notre facilité dans le commerce de la vie.

Or cette sorte dempire volontaire qui vient de la supériorité de la raison est la seule manière désirable de dominer sur les nations civilisées, et la seule supériorité que les nations aiment à reconnaître, parce quelles ne la reconnaissent jamais sans plaisir et sans utilité.

 

SEPTIÈME AVANTAGE
Augmentation dans le commerce et dans la circulation de largent et des billets

1° Plus les villes sont grandes et plus le commerce y est facile, et cette facilité multiplie le commerce ; or là où il y a plus de commerce, là une somme de cent pistoles passe par plus de mains en temps égal ; or plus elle passe et repasse par des mains différentes, plus elle rapporte de profit ; ainsi il est à souhaiter quil y ait plus dargent dans la capitale à proportion que dans les parties éloignées où le commerce est plus difficile et moins fréquent à cause du moindre nombre dhabitants.

2° Plus le commerce de la ville du centre est grand, plus il anime, plus il augmente, mieux il dirige le commerce dans toutes les villes de la circonférence.

3° Plus la capitale est grande, plus il est facile dy établir la monnaie de crédit, cest-à-dire les billets qui équivalent à la monnaie dargent, et ces billets ont la commodité d’être plus aisés àporter, à serrer, plus faciles à compter, et ils peuvent augmenter considérablement les effets de la monnaie dargent, mais il faut que ces billets soient libres, et que personne ne soit jamais forcé de les prendre pour de largent.

4° On peut y avoir un dépôt public de compte en banque pour la sûreté de largent des particuliers déposants ; or ces billets de banque, ces monnaies de crédit servent aussi aux habitants des provinces pour les paiements, ainsi loin que la richesse de la capitale appauvrisse les provinces, elle sert au contraire à augmenter leurs richesses, à payer plus cher leurs denrées, à faciliter leurs différents commerces : ceux qui soutiennent le contraire, ou bâtissent leurs raisonnements sur des faits faux, ou nont pas assez approfondi la matière.

5° Le séjour dans la capitale nempêche pas les seigneurs qui y demeurent lhiver daller l’été passer quatre ou cinq mois dans leurs terres, ils y empêchent plusieurs petites vexations, ils y accommodent plusieurs procès, ils font des augmentations à leurs fermes, ils y soulagent plusieurs pauvres familles, c’était une des vues de politique de feu M. le Dauphin Bourgogne de renvoyer dans cette saison tous les courtisans à leurs terres et de ne donner aucune grâce à aucun courtisan qu’à leur retour.

6° Cest une maxime constante que largent va communément là où il produit plus dintérêt ou de profit, et par conséquent là où il est le plus nécessaire quil aille pour le bien de l’État, de sorte que sil vient en plus dabondance à un port ou à une capitale, ce sera une preuve quil y apporte plus de profit au propriétaire quil ne lui en apporterait ailleurs.

OBJECTIONS

AVERTISSEMENT

Pour bien juger de lutilité dun parti, il faut considérer les inconvénients et les avantages du parti opposé. Sans cette espèce de balancement des avantages et des inconvénients des deux partis opposés, on est dans le même péril de se tromper que serait un juge qui dans un procès voudrait porter son jugement lorsquil na entendu quune des parties : je vais donc mettre les raisons du parti opposé en forme dobjections et prendre Paris pour exemple dune ville capitale.

OBJECTION I

Je comprends bien que lorsque Paris navait que cent mille habitants le juge civil, le prévôt des marchands, le juge de police de Paris avec leurs conseillers suffisaient pour contenir tous les habitants chacun dans leur devoir ; je comprends bien qu’étant commis pour extirper les voleurs, les vagabonds, ils pouvaient facilement les découvrir et les punir.

Je comprends bien quun seul homme avec certain secours pouvait y faire la police dans tous les quartiers ; un seul magistrat dans Rouen, dans Marseille, dans Bordeaux, dans Toulouse, dans Lyon, nayant que cent mille habitants à gouverner, peut par la peur quinspire sa vigilance, par ses espions et par ses archers préserver la ville de voleurs ; mais à présent que la ville sest si fort accrue et par le nombre des maisons et par le nombre des habitants, à présent quil y a près de huit pareilles villes dans une seule, il est impossible quun seul magistrat suffise pour la sûreté dune ville dune si grande étendue et pour un si grand nombre dhabitants ; il faut donc plutôt songer aux moyens de diminuer de la moitié le nombre des maisons et des habitants de Paris que de laisser augmenter tous les jours cette capitale en maisons et en nombre dhabitants.

ponse

1° Il est certain que le nombre des magistrats doit augmenter à mesure que le nombre des hommes et des affaires augmente ; mais est-ce un inconvénient où lon ne puisse pas remédier en dédommageant suffisamment un juge à qui on ôte partie des affaires, dont il est accablé, pour en charger sept autres officiers de pareille autorité, qui peuvent faire pareil travail que le huitième, nest-il pas évident que les officiers et les charges sont faits pour les habitants et que les habitants ne sont pas faits pour les officiers et pour les charges ?

2° Peut-on se persuader que Pékin qui a neuf ou dix lieues de long sur une rivière, et deux ou trois lieues de large, et qui contient dix ou douze fois autant dhabitants que Paris, nait quun tribunal pour les matières civiles, un pour les matières criminelles, et un pour les matières de police en première instance ? Et celaparce quil ny en avait quun dans sa première origine, et lorsquelle n’était quune ville de cent mille habitants ; mais de ce quun seul est trop chargé de détail, sensuit-il quil ny ait pas des moyens de partager ses fonctions en le dédommageant avantageusement ? Les inconvénients où lon peut facilement remédier par des dédommagements avantageux, sont-ce de véritables inconvénients ?

Que lon donne à un magistrat en rente le double de ce que lui rapporte sa charge, et de ce quil gagne avec beaucoup de travail, loin de sopposer au règlement qui diviserait Paris en huit quartiers de cent mille habitants, et qui donnerait un tribunal à chaque quartier, il aidera lui-même à trouver les moyens den faire l’établissement et à remettre de la proportion entre le nombre des juges principaux, et le nombre des justiciables.

OBJECTION II

Le nombre des habitants de Paris a deux causes daccroissement, la première qui lui est commune à toutes les villes, cest quil y a tous les ans un vingtième plus dhommes qui naissent en France, surtout dans la partie septentrionale, quil ny en a qui meurent. La seconde cause vient de ce quil sy établit tous les ans plus dhabitants quil ny en a qui en sortent, les habiles ouvriers, les bourgeois qui vivent de leurs rentes, et qui de Rouen ou de Lyon viennent se transporter à Paris, ne font point de tort à l’État, puisque les uns travaillent à Paris ou à Lyon ; et les autres sont fainéants à Paris comme ils étaient à Rouen et à Lyon ; mais le laboureur riche qui quitte sa profession pour venir demeurer inutile à Paris fait tort à l’État. Le gentilhomme riche qui quitte la campagne pour venir demeurer inutile à Paris fait tort à l’État.

ponse

1° Le laboureur riche qui quitte sa profession pour demeurer inutile à Rouen fait le même tort à l’État. Cherchez-vous les moyens de len empêcher ? Et nest-il pas raisonnable de lui laisser la liberté doccuper ses enfants utilement à dautres espèces de travaux utiles à la société ? Le laboureur moins riche et plus laborieux lui succède, et travaille pour arriver un jour à ce degré de fortune, pour devenir bourgeois dune grande ville ; quimporte à l’État pourvu quil y ait toujours nombre suffisant de laboureurs ? Or tant quil y aura suffisamment à gagner au labourage, il ny a pas à craindre que la terre manque de laboureurs, il y en aura toujours nombre suffisant, cest le plus dagréments qui attirent les plus riches dans les villes. Cest le plus de commodités pour la subsistance qui attire les moins riches à la campagne ; il faut pour le bonheur de la société laisser aux sujets toute liberté de suivre leurs goûts lorsquil nen résulte aucun dommage ni pour les particuliers ni pour l’État.

2° Il nest défendu ni au laboureur ni au commerçant riche de quitter lun son labour, et lautre son commerce pour vivre de ses rentes en homme inutile soit à Rouen, soit à Paris, soit ailleurs. Je sais bien que nos lois pourraient attacher du mépris à la fainéantise des personnes riches qui ne songent qu’à leurs amusements ; mais nos législateurs nont pas encore été ou assez sages pour voir limportance dun pareil établissement, ou assez habiles pour en découvrir les moyens, ou assez courageux pour en surmonter les difficultés. Cest un malheur commun à toutes les villes, ce nest pas un inconvénient qui soit particulier à la capitale.

3° Sil ne restait pas dautres laboureurs et dautres commerçants qui remplacent ceux-ci, et qui veulent bien comme les autres prendre la peine de senrichir en travaillant au labourage ou au commerce, ce serait une perte réelle pour l’État ; mais le remplacement se fait naturellement aussitôt, et il arrive à ces riches des successeurs qui, avec pareille ardeur pour senrichir, mettent bientôt en œuvre pareils talents.

4° Ces nouveaux habitants de villes ne sont pas entièrement fainéants, ils procurent par leurs soins des emplois à leurs enfants, dans lesquels ces enfants travaillent utilement pour l’État : ainsi leur famille devient laborieuse.

5° Les fainéants qui ont quitté leurs campagnes pour demeurer dans une ville de province sont-ils plus fainéants lorsquils viennent demeurer dans la capitale ?

6° Je conviens que cest un mal pour l’État que la fainéantise des riches ; mais quun chef de famille soit fainéant dans une ville ou dans une autre, cela est indifférent à l’État, et encore vaut-il mieux quil dépense son revenu dans la ville où les arts et les sciences font le plus grand progrès, puisque par son séjour il contribue à récompenser les inventeurs qui procurent ces progrès par leur émulation.

7° Ôtez la taille arbitraire dans les provinces, faites que les habitants des campagnes ne soient ni plus chargés de subsides nécessaires à l’État que le bourgeois des villes non taillables, faites que ces habitants des campagnes aient autant de sûreté de conserver à leurs familles les fruits de leur travail que les bourgeois des villes, vous y verrez bientôt toutes les terres cultivées, vous verrez rarement le laboureur riche quitter son bien pour s’établir ailleurs, et souvent lon verra au contraire le riche bourgeois s’établir à la campagne, cultiver lui-même ses métairies, et devenir laboureur. Cest ce que jai démontré dans le projet de la taille tarifée.

8° Le gentilhomme riche qui vient de sa campagne demeurer ou à Rouen ou à Paris ne cultivait pas lui-même ses terres ; ainsi la culture de ses terres ne perd rien à son changement de séjour, et il y gagne de devenir lui et ses enfants plus capables de bien servir la patrie dans des emplois publics, supposé que par paresse il ne se livre pas à la pure fainéantise ; mais cest le défaut de bonnes lois qui est cause que les hommes se livrent à la fainéantise, et à la volupté. Cest une preuve que les législateurs ne savent pas mettre en œuvre le puissant ressort qui est dans chaque homme pour désirer d’être distingué en bien et pour craindre d’être distingué en mal entre ses pareils : cest ce qui est le sujet dun autre discours.

OBJECTION III

Pour nourrir ce gentilhomme à Rouen, il faut que toutes les provisions quil y achète, et quil consomme, y soient apportées, voilà donc des frais et un transport de plus pour l’État, et ces frais et cette dépense lempêchent de faire à Rouen la même dépense quil faisait à la campagne.

ponse

1° Il consommait à la vérité plus de denrées à la campagne qu’à la ville ; mais c’était souvent un dégât, et une consommation inutile. Or quil y ait plus de bois brûlé, plus de vin bu inutilement, est-ce un avantage pour l’État ?

2° Comme il y a plus dhommes occupés au transport des denrées, les gentilshommes des villes qui les paient servent par laugmentation du nombre des voituriers à augmenter la consommation, ils paient plus douvriers dans la ville, et laugmentation du nombre de ces ouvriers naugmente-t-elle pas la consommation des denrées nécessaires à leurs subsistances ? Le gentilhomme nourrissait plus de chevaux, plus de domestiques à la campagne, il contribue à nourrir plus de chevaux, plus de voituriers pour le service de la ville. Quimporte à l’État si ceux quil nourrissait comme domestiques, il les nourrit en partie comme voituriers ?

OBJECTION IV

À vous entendre parler, il semble que vous voudriez mettre tout votre royaume dans une capitale, puisque vous ny mettez point de bornes.

ponse

1° Quelques moyens que lon emploie pour lagrandissement dune capitale, elle a ses bornes naturelles qui viennent de laugmentation de la dépense. Or laugmentation de la dépense vient de la cherté des denrées dont le prix augmente à proportion des frais nécessaires pour le transport de ces denrées, et la cherté des denrées cause la cherté des matériaux, et des ouvriers nécessaires pour bâtir des maisons, le loyer des maisons en est plus cher, il ne viendra donc s’établir à Paris que ceux qui sont suffisamment riches pour y avoir le nécessaire et le commode, et qui pourront y vivre du moins quelque temps en attendant de lemploi. Or ce nombre est borné dans un royaume borné.

Il ne viendra point non plus douvriers et de domestiques qu’à proportion quil en faut aux riches, le reste y serait plus mal quailleurs, cest un marché perpétuel, où il ne vient que ce qui peut sy vendre plus cher quailleurs tous frais faits, et chacun fait sur toutes ces choses ses supputations et ses comparaisons. Ce calcul fait que tout est bien balancé, et quil y a moins à craindre sur le trop dhabitants dans une capitale que sur le trop peu.

2° Pourquoi Pékin est-il dix ou douze fois plus peuplé et plus grand que Paris ? Une des raisons, cest que le royaume de la Chine est dix ou douze fois plus peuplé que le royaume de France.

3° Paris peut arriver en deux ou trois règnes à quinze cent mille habitants, ce sera à l’égard de la France la même proportion que Londres garde à l’égard de lAngleterre; nayez pas de peur que sa grandeur devienne jamais excessive, puisque laugmentation de dépense et de cherté des denrées mettra toujours des bornes à cet agrandissement : ainsi la capitale ne contiendra jamais trop dhabitants par rapport au reste du royaume.

Les trois quarts et demi des hommes ne cherchent que les commodités de la vie. Or dès quil faut transporter beaucoup de choses de cent lieues à la capitale, et que le transport enchérit les denrées du double, et du triple, le commun des hommes aime mieux consommer à cent lieues de là le double de vin, de viande, de bois, et navoir pas les commodités et les agréments de Paris.Or cest au gros des habitants quil faut avoir égard lorsque lon craint quil nen vienne trop à la capitale;il ny aura donc jamais rien à craindre de ce côté pour Paris quand même il y aurait présentement le double des habitants qui y sont.

OBJECTION V

Ce nest pas un grand avantage pour un État que de perfectionner les arts, parce quen cinq ou six ans les étrangers nous ont bientôt dérobé nos secrets, comme nous leur dérobons les leurs.

ponse

1° Il y en a de tels quils ne sauraient nous dérober, par exemple les Anglais ne sauraient nous dérober lart de bien faire le vin.

2° Une nation faute de ministres assez vigilants et assez laborieux garde longtemps un secret sans que la nation voisine le lui dérobe. Les Anglais par exemple ont possédé cinquante ans le secret des manufactures du beau drap fait avec la laine dEspagne avant quil soit passé en France.

3° Tandis que nos voisins nous déroberont nos secrets sur une matière, nous en inventerons dautres sur dautres matières, et nous conserverons ainsi toujours sur eux la supériorité dans les arts, ce qui doit être notre objet principal.

4° Tandis quils nous déroberont un art, nous leur en déroberons un autre, et le genre humain senrichira par ces vols mutuels.

OBJECTION VI

La grande quantité dargent, qui des provinces se porte à Londres pour y entretenir la noblesse qui sy retire lhiver, appauvrit ces mêmes provinces, tant par le défaut de consommation des denrées que par le peu dargent qui reste dans les provinces.

ponse

1° Jai déjà répondu que le gentilhomme, en payant les voituriers des denrées qui sapportent des provinces à Londres, et les ouvriers de Londres dont il a besoin, paie une partie de leur consommation. Ainsi il fait ou fait faire une égale consommation, soit quil demeure dans sa province, soit quil demeure à Londres.

2° Nous avons déjà dit que dans la consommation de la province il y a plus de dégât et dexcès qu’à Londres, ce qui est un mal pour l’État, car le bon ordre demande que tout soit employé utilement, et que rien ne soit perdu ou consommé inutilement.

3° Largent, qui vient de la province au gentilhomme qui demeure à Londres pour acheter les denrées qui lui sont nécessaires, ne sen retourne-t-il pas par voie de circulation dans ces mêmes provinces ? Car il ne croît rien à Londres, la laine, le lin, le chanvre, le bois, le blé, les autres vivres, les boissons, tout cela ne vient-il pas des provinces, et toutes ces denrées peuvent-elles en venir quen échange de largent qui se paie à Londres, et qui se donne dans les provinces en échange des denrées qui en viennent ?

OBJECTION VII

Plus les villes sont grandes, plus il y a de débauche, et plus il est difficile dy remédier, les mœurs des jeunes gens sy corrompent plus facilement, ils se cachent plus facilement de leurs parents, et se rencontrent tous les jours aux promenades publiques, à la Comédie, et à lOpéra.

ponse

1° Quand vous anéantiriez tout dun coup la moitié de Londres, les jeunes gens pourraient toujours se cacher facilement de leurs parents, et se trouver aux cafés, au cabaret et aux spectacles. Les parents ne peuvent donc empêcher la corruption des mœurs des jeunes gens, si ce nest avec le secours des bons règlements, en leur procurant de bonne heure de loccupation, en les mariant, et en leur inspirant de l’émulation de surpasser leurs camarades en talents convenables à leur profession.

2° Ces mêmes jeunes gens qui passent quatre ou cinq années dans la fainéantise et dans la débauche deviennent dans la suite des citoyens sages, sensés, réglés, cest une espèce de maladie propre de la jeunesse pour laquelle il ny a point encore de remèdes suffisants dans notre police. Je ne crois pas impossible de trouver des moyens pour diminuer des trois quarts cette oisiveté mère des vices dans une éducation plus vertueuse, dans l’établissement du scrutin pour les emplois publics, dans l’établissement des académies politiques, mais cest le sujet dun autre ouvrage.

3° Il est vrai que la débauche du vin cause beaucoup de désordres, mais ce nest pas la grandeur de la ville qui en est la cause.

4° Faites par de sages lois que la tempérance et lassiduité au travail soient toujours récompensées par des distinctions honorables entre pareils, et que lintempérance et la fainéantise excessives soient punies par des marques de mépris entre pareils, vous multiplierez les plaisirs innocents, et vous ferez cesser les débauches.

OBJECTION VIII

Plus la ville sagrandit et se peuple, plus il est difficile de pourvoir à sa subsistance ; nous en avons vu de fâcheuses expériences dans Paris, surtout quand la rivière manque deau pour la navigation, ou lorsque la glace empêche cette navigation. Or la ville peut devenir si grande que la difficulté de la faire subsister deviendra toujours plus grande.

ponse

1° Il est certain qu’à mesure que le peuple augmente, il faut que la subsistance vienne de plus loin, mais aussi la chose arrive ainsi, et le marchand porte volontiers, et sans y manquer, là où il vend plus cher.

2°  Il ne faut pour cela que faire la dépense nécessaire pour faciliter la navigation, faire des canaux, rétrécir le lit de la rivière, y faire des écluses.Il faut, comme je lai dit, que cette dépense soit proportionnée au nombre des habitants, il ne faut quun magistrat général de police pour veiller à tout ce qui regarde la subsistance, et quil ait sous lui divers bureaux pour le détail.

3° Ne peut-on pas avoir dans tous les faubourgs de la ville des magasins pour trois mois des choses nécessaires à la subsistance ? Nen a-t-on pas dans les villes de guerre ? Or ce qui se pratique ailleurs, pourquoi avec les richesses dune grande ville ne pourrait-on pas le pratiquer à Paris avec un peu plus dapplication à la police Il ne faut donc pas opposer à lagrandissement dune capitale des inconvénients où il est si facile de remédier ?

4° Si jusquici lon a omis de multiplier les places des marchés, les magasins de grains, de foin, de bois et les maisons des tribunaux de justice, les prisons, les maisons de correction, les hôpitaux, leurs revenus, etc., à proportion que les quartiers se sont agrandis, et que les habitants se sont multipliés : sont-ce des maux sans remède ?

OBJECTION IX

La grandeur excessive de Paris peut devenir la cause de sa ruine.

ponse

1° Vous convenez que lagrandissement de Londres est une des causes de laccroissement des richesses et des forces du royaume dAngleterre. Demandez aux Anglais sils croient utile à l’État den diminuer le nombre des maisons et des habitants. Or quand la capitale de France sera aussi grande à proportion de la grandeur du royaume dAngleterre, où trouverez-vous une grandeur excessive ? Comment prouverez-vous que cette grandeur peut devenir la cause de sa ruine ?

2° Il est vrai quil y a plus de commerce extérieur à Londres, mais il peut y avoir plus de commerce intérieur à Paris par la consommation des denrées, et par le mouvement de largent.

3° Lopinion que Paris est dès à présent dune grandeur excessive pourrait bien n’être quune opinion mal fondée ; laccroissement dune ville, qui se fait insensiblement et par degrés, ne se fait que parce que les habitants qui viennent sy établir y trouvent plus de profit, plus de sûreté, plus de commodités quailleurs ; il est même impossible que cette grandeur devienne excessive, puisque lorsque lon se trouvera mieux ailleurs pour le profit, pour la sûreté et pour les commodités, lagrandissement cessera. Ainsi les justes bornes, les véritables limites dune capitale sont dans lexpérience de ceux qui sy établissent. Cest lobservation que les habitants peuvent faire que lon y gagne trop peu, que lon ny a pas assez de sûreté, que lon y dépense trop, et que lon y achète trop cher les mêmes commodités et les mêmes agréments que lon pourrait trouver ailleurs à meilleur marché. Voilà les vraies bornes que la raison et la nature mettent à une capitale, et à toute autre ville, et voilà les seules bornes quy doit mettre le bon gouvernement.

OBJECTION X

Les vivres, les habits, les matériaux pour bâtir sont déjà fort chers à Paris. Or si en vingt ans le nombre des habitants augmentait dun vingtième, le prix en augmenterait aussi, parce quil faudrait aller chercher les vivres, les habits, les matériaux encore plus loin dans les provinces, les bâtiments publics en deviendraient plus chers, et les réparations plus chères.

ponse

1° Il est certain que les vivres enchériront dans la capitale à proportion que le nombre de ses habitants croîtra, parce quil faudra ou les tirer de plus loin, et par conséquent payer les frais du transport, ou que les terres des environs de la capitale soient encore plus cultivées que les terres qui en sont éloignées, mais ce que l’État y perd dun côté, il le regagne de lautre par plus de culture des environs de la capitale.

2° Il faut que les nouveaux habitants soient nourris, habillés et logés quelque part. Or quimporte à l’État quils consomment les vivres et les habillements, les matériaux en un endroit plutôt quen un autre, le reste étant égal ?

3° Il importe fort à l’État au contraire que leur esprit et leurs talents pour lutilité publique se perfectionnent beaucoup par le commerce avec les plus habiles, ce qui se fera et mieux et plus promptement à mesure que la capitale sagrandira.

4° Il ny a pas plus de disette à craindre pour les vivres et les matériaux dans le cas de lagrandissement que dans le cas du non-agrandissement, puisquil faut que les habitants soient nourris, logés et habillés quelque part.

5° Au contraire il y a plus de consommation inutile de ces choses dans les campagnes qu’à Paris à cause de labondance, et du bon marché, et à cause que le terrain des bâtiments coûte fort cher à Paris.

6° Si dun côté les bâtiments publics coûtent plus cher, ou à faire, ou à réparer à proportion du nombre des habitants, il est visible que les droits que la ville tire des entrées pour les dépenses publiques sont plus grands, il se trouve toujours de la proportion entre les grandes dépenses quelle a à faire, et les revenus quelle tire de la grande consommation des habitants.

Linconvénient ne vient donc pas du nombre excessif des habitants à gouverner, mais de ce que nous navons pas eu lattention au commencement de chaque siècle de commettre un nouveau magistrat principal, et de construire un nouveau tribunal à mesure que le nombre des habitants sest trouvé augmenté de cent mille habitants à la fin de chaque siècle.

Il y a sept cents ans que Paris navait pas cent mille habitants, alors trois ou quatre magistrats avec leurs conseillers suffisaient, mais si tous les cent ans Paris a crû de cent mille nouveaux habitants, sensuit-il que le même nombre de magistrats qui étaient à Paris sous Hugues Capet doivent suffire sept cents ans après sous le règne de Louis XV, son vingt-huitième descendant ? Je mets quatre générations par siècle pour les rois, parce quils se marient plus jeunes que les sujets.

Cette augmentation des habitants se fait insensiblement par semaine, par mois, par année ; ainsi le magistrat saccoutume aussi insensiblement à un plus grand travail, mais à la fin louvrage devient excessif pour un seul homme, et alors il est forcé ou de sen acquitter plus mal en sen acquittant à la hâte, ou de donner à faire à des subalternes ce quil aurait mieux fait, et ce quil devrait faire lui-même sil n’était pas accablé par le nombre excessif daffaires qui opèrent nécessairement le défaut de loisir suffisant.

Il y a dans le corps politique comme dans le corps humain des changements qui, pour être insensibles dun jour à lautre, dun mois à lautre, nen sont pas pour cela moins réels, ils ne deviennent souvent fort sensibles quau bout dun siècle, et en cette occasion il nous a fallu sept siècles pour nous aviser que le nombre des habitants de Paris ayant augmenté dun à huit, il fallait aussi augmenter notre magistrature, et nos dépenses pour la navigation de la rivière, pour les pavés, pour les places de marchés, pour les archers, et dans la même proportion dun à huit.

Il a été sagement ordonné que le terrain enfermé dans Paris fût rempli de maisons avant que de permettre de bâtir au-delà des dernières maisons des faubourgs.

MOYEN GÉNÉRAL

Pour travailler continuellement à lagrandissement et à lembellissement et au perfectionnement de la police de la capitale, et pour augmenter plus promptement les commodités, les agréments, et surtout la raison des habitants, il serait à propos dy établir un bureau perpétuel de commissaires, auxquels on donnerait les mémoires sur cette matière.

Ce bureau aurait soin de distinguer les entreprises les plus importantes et les plus faciles pour les faire passer devant les plus difficiles et les moins importantes. Il chercherait les fonds les plus commodes, et les solliciterait, mais il faut un bureau perpétuel pour une affaire perpétuelle.

Sans de pareilles compagnies perpétuelles et suffisamment intéressées à bien travailler, les projets les plus avantageux languissent, et deviennent peu à peu presque inutiles au public, et lon peut dire que le manque de pareils comités, de pareils conseils perpétuels, est la source principale du peu de progrès que les États ont fait depuis deux mille ans vers la perfection du gouvernement.

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