Cours d’économie politique (1896) de Vilfredo Pareto

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Tome 1

Tome 2
Pareto (1848-1923) est un disciple de Walras, économiste et sociologue il porte un intérêt aux lois empiriques, ce qui lui est facilité par l’émergence rapide  et forte des services statistiques durant le XXème siècle. Il est à l’origine de ce que l’on appellera plus tard la “loi de Pareto” (dans les phénomènes sociaux 80% des effets sont expliqués par 20% des causes). On nommera aussi la situation dans laquelle il est impossible de modifier la distribution des richesses sans détériorer la position de quelqu’un l’optimum de Pareto.

Vilfredo Pareto, successeur pessimiste de Molinari, par Murray Rothbard :
Un personnage éminent  que les universitaires associent rarement à l’école du  laissez-faire  de Bastiat et de Ferrara  était Vilfredo Federico Damaso Pareto (1848-1923),  éminent sociologue  et théoricien de l’économie.
Pareto  était né à Paris dans une famille de la noblesse génoise.  Son père, le Marchese  Raffaelle Pareto,  ingénieur en hydraulique,  avait fui l’Italie comme républicain et partisan de Mazzini.  Pareto père  était revenu en Italie au milieu des années 1850  et avait atteint un rang élevé  dans l’administration de l’état italien.  Pareto fils  étudia  à l’Institut Polytechnique de Turin  où il reçut un diplôme d’ingénieur  en 1869 ;  son mémoire de fin d’études  traitait du principe fondamental de l’équilibre dans les corps solides. Comme nous le verrons dans un tome à venir,  ce mémoire conduisit Pareto  à l’idée  suivant laquelle  l’équilibre mécanique serait le paradigme approprié  pour étudier  l’économie  et les sciences sociales.[1]  Après son diplôme,  Pareto devint directeur de la branche florentine de la Compagnie des Chemins de fer de Rome,  et au bout de quelques années,  il était devenu Directeur Général d’une société de Florence qui fabriquait du fer  et ses produits dérivés.

Pareto  se lança rapidement dans les écrits politiques,  prenant ardemment position en faveur du laissez-faire  et contre toutes les formes de l’intervention de l’état,  défendant la liberté personnelle et économique,  attaquant les subventions et privilèges ploutocratiques avec une ferveur égale à ses dénonciations de la législation sociale  ou des formes d’intervention socialiste-prolétarienne.  Pareto était l’un des fondateurs de la Société Adam Smith en Italie,  et se présenta aussi en vain aux  élections parlementaires au début des années 1880.

Fortement influencé par Gustave de Molinari,  en 1887 ses écrits étaient parvenus  à l’attention de celui-ci. Molinari avait alors invité Pareto ensuite à soumettre des articles pour le Journal des Economistes. Pareto rencontrait les libéraux français,  et il était devenu ami  avec Yves Guyot,  qui avait succédé  à Molinari comme rédacteur en chef du Journal des Economistes,  et qui avait en 1912  rédigé  son éloge funèbre.

Peu de temps après son contact avec Molinari,  la mère de Pareto  étant décédée,  il put renoncer à son emploi dans l’industrie,  s’inscrire comme ingénieur-conseil, se marier et,  en 1890,  de se retirer  dans sa villa pour consacrer le reste de son existence à l’écriture, à la lecture, et aux sciences sociales.  Libéré de ses obligations de gestion, Pareto se lança dans une croisade solitaire contre l’état et l’étatisme, et dans une amitié étroite avec Maffeo Pantaleoni (1857-1924) économiste laissez-fairiste néo-classique et marginaliste, qui l’entraîna vers l’économique technique.

Avant de devenir walrasien sous l’influence de Pantaleoni, Pareto avait succédé à Léon Walras  en tant que professeur d’économie politique à l’Université de Lausanne.  Puis  il poursuivit son enseignement à Lausanne en y incluant la sociologie, jusqu’en 1907 quand il tomba malade et prit sa retraite  dans une villa sur le lac Léman, où il continua d’étudier et d’écrire jusqu’à sa mort.La dérive de Pareto  vers  la théorie néoclassique  n’affaiblit pas un seul instant  son ardent combat pour la liberté  contre toutes les formes de l’étatisme,  y compris le militarisme.  On peut se faire  une idée  de son laissez-fairisme abrupt  dans son article sur “Socialisme et liberté” publié en 1891 :

C’est ainsi que, nous pouvons regrouper les socialistes et les protectionnistes sous le nom de restrictionnistes. Tandis que ceux qui veulent fonder la répartition de la richesse uniquement sur la libre concurrence peuvent être dits libérationnistes …

Ainsi les restrictionnistes se divisent-ils  en deux catégories: les socialistes, qui par l’intervention de l’État voudraient altérer  la répartition des richesses en faveur des moins riches, et les autres, qui, même s’ils sont parfois pas totalement conscients ce qu’ils font, veulent favoriser les riches  – ce sont les partisans du protectionnisme commercial et d’une organisation militarisée de la société.  Nous devons à  [Herbert] Spencer la démonstration de l’étroite analogie entre ces deux types de protectionnisme.  Cette communauté du protectionnisme et du socialisme était très bien comprise par les libéraux anglais de l’école de Cobden et John Bright, et a été précisée par les écrits de [Frédéric] Bastiat [2]. Les écrits de Pareto sont en outre parsemés de citations favorables de Molinari,  souvent assez longues.

Ainsi, dans ce même article sur “Socialisme et liberté”, Pareto félicite Molinari pour avoir mis en avant un système unique et audacieux qui “avance vers la conquête de la liberté,  en utilisant toutes les connaissances offertes par la science moderne”.

Dans son “Introduction au  Capital de Marx” au sein d’un livre sur le marxisme  (Marxisme et économie pure, 1893), Pareto est visiblement influencé par le concept français de “classe dirigeante”  définie par [Charles] Dunoyer et [Charles] Comte comme le groupe, quel qu’il soit,  qui a la mainmise sur l’État.  Il termine son chapitre par une longue citation admirative  de Molinari, pour avoir su tirer toutes les conséquences  de cette théorie libérale des classes et  achève la citation de Molinari par la phrase suivante :”Partout, les classes dirigeantes n’ont qu’une seule idée  – leurs propres intérêts égoïstes – et se servent de l’état  pour les satisfaire”[3]. Le premier grand traité d’économie de Pareto,  son Cours d’Economie Politique (1896), a été fortement influencé à la fois par [Gustave de] Molinari et par Herbert Spencer. Dans toute société politique, souligne-t-il, il existe une classe dirigeante minoritaire,  qui exploite la majorité qu’elle gouverne.  Pareto traite  les “droits”  de douane  comme un exemple de spoliation, de pillage et de vol légalisés.  Pareto ne laisse aucun doute que son objectif était d’éradiquer l’ensemble de ce pillage légal. Comme le souligne Placido Bucolo, Pareto n’a aucunement adopté dans son Cours une conception marxiste de la lutte des classes, comme certains analystes le prétendent.  Bien au contraire,  c’est la doctrine libérale française des classes qu’il avait adoptée.  Ainsi dit-il dans son Cours :

… à tout moment,  la lutte des classes prend deux formes… L’une consiste dans la concurrence économique qui, lorsqu’elle  est libre,  produit la plus grande ophélimité [utilité] … [Alors] toutes les classes comme chaque individu, même si ceux-ci agissent uniquement leur propre avantage, sont indirectement utiles aux autres…

…  L’autre forme de la lutte des classes est celle où chacune des classes s’efforce de s’emparer du pouvoir pour en faire un instrument de spoliation aux dépens des autres classes [4].

Le libéralisme laissez-fairiste avait été un véritable mouvement de masse pendant une grande partie du XIX° siècle :  à l’évidence aux États-Unis et en Grande-Bretagne,  et en partie en France, en Italie,  en Allemagne,  et dans l’ensemble de l’Europe occidentale. Dans la seconde moitié du siècle,  les libéraux classiques tels que Pareto et Spencer considéraient le plus souvent  l’idée socialiste  comme une moindre une menace pour la liberté  que le système en place d’étatisme  militariste  et belliqueux dominé par les patrons  et propriétaires fonciers privilégiés,  ce système que Pareto allait affubler du sobriquet méprisant de, “plouto-démocratie”.

Au tournant du siècle, cependant, il était devenu clair pour les libéraux  laissez-fairistes que les masses avaient été séduites par le socialisme,  et que ce socialisme allait représenter  une menace bien plus grande pour la liberté que l’ancien système néomercantiliste et ploutodémocratique.

Pendant la plus grande partie du dix-neuvième siècle,  les libéraux laissez-fairistes  de toute l’Europe avaient été  glorieusement optimistes. Il était évident que la liberté fournissait le système le plus rationnel, le plus prospère,  le plus en  phase avec la nature humaine, le système qui fonctionne pour l’harmonie et la paix de tous les peuples et de tous les pays. Ils ne doutaient pas que les siècles de passage de l’étatisme à la liberté, “du statut au contrat” et “du militaire à l’industriel” qui avaient engendré la révolution industrielle et une immense amélioration pour l’espèce humaine, était destiné à poursuivre et à développer, toujours à partir et vers le haut. Il allait de soi que la liberté et le marché mondial devaient toujours se développer, tandis que l’état dépérirait progressivement. Cependant le retour d’un étatisme corporatif agressif  dans les années 1870,  suivi dans les  1890 par un accroissement massif du soutien pour le socialisme, devait mettre une fin brutale à l’optimisme des libéraux. Les penseurs du laissez-faire ont alors su comprendre que le XXe siècle verrait s’étendre l’ombre de la nuit, et mettrait un terme à la grande civilisation  —à ce royaume  de la liberté et du progrès qui avait été le produit du libéralisme au XIXe siècle. Le pessimisme et le désespoir commencèrent à saisir  la gent laissez-fairiste  en voie de disparition, et on pouvait bien la comprendre. Elle avait prévu la croissance partout dans le monde de l’étatisme, de la tyrannie, du collectivisme, les guerres de masse et le déclin économique et social.

Chacun des laissez-fairistes vieillissants  réagit à sa manière  à cette tendance fatidique de l’histoire. Spencer continua le combat jusqu’au bout,  mettant davantage l’accent sur le socialisme qu’il considérait désormais comme la menace principale,  plutôt que le corporatisme qu’il avait combattu auparavant. La manière parétienne fut de se retrancher brutalement dans une position de cynisme amer.  Le monde, avait-il conclu en voyant  l’inexorable déclin des idées et des mouvements libéraux,  est régi non par la raison mais par l’irrationalité,  et c’était alors  sa tâche  que d’analyzer et de faire la chronique de ces folies. Ainsi, dans un article en 1901, Pareto constate que partout en Europe, aussi bien le socialisme  que le nationalisme impérialiste sont à la hausse, et que le libéralisme classique se trouve  broyé entre les deux :

“… partout en Europe, le parti libéral est en train de disparaître, de même que les partis modérés… Les extrémistes  se font face à face : d’un côté le socialisme, la grande religion en hausse de notre époque, de l’autre côté, les religions anciennes, du nationalisme et de l’impérialisme” [5].

Confronté  à l’échec de ses espoirs et à la menace de l’enfer étatiste du XXe siècle, Vilfredo Pareto,  selon l’expression  de son perspicace biographe S. E. Finer,  décidait de “se retirer dans les Galapagos”,  îles lointaines qui, dans l’argot de son  époque,  servaient de métaphore  et de point d’observation pour une analyse et une critique détachées de la folie environnante. [6] Le dernier bout de chemin sur la route “des Galapagos”,  Pareto le fit en 1902, lorsque le Parti socialiste italien renonça à son opposition à la politique protectionniste du gouvernement étatiste «bourgeois». Les deux ennemis de toujours du libéralisme venaient d’unir leurs forces!  Dès lors,  le retrait de Pareto dans une amertume olympienne,  aristocratique  et détachée,  fut complète. [7]

Le premier livre de Pareto où son nouveau pessimisme devient dominant  est son Les Systèmes Socialistes (2 volumes, 1901-2).  Mais sa nouvelle position de retrait ne voulait pas dire du tout qu’il avait abandonné ses idéaux libéraux  ni sa méthode d’analyse sociale.  En fait, Finer écrit de Pareto que Molinari était “quelqu’un qu'[il] avait admiré jusqu’au jour de sa mort “. [8] Ainsi, Pareto écrit amèrement comment,  dans la société,  le pillage d’autrui au moyen de l’état est beaucoup plus facile, et de ce fait plus attractif,  que le travail  pour acquérir  des richesse.

[s’il avait appliqué  sa fameuse analyse de l’équilibre  à cette spoliation légale,  Pareto aurait compris que ce n’est pas possible,  et que la rivalité pour le butin annule à terme les avantages apparents de l’impunité.  De même,  s’il avait poussé jusqu’au bout son analyse de l’irrationalité des choix publics,  il aurait compris  à quel point il était facile de spolier la majorité  de l’électorat sans même  que celle-ci sache  qui sont ses voleurs  et leurs receleurs -F. G.]

Comme Pareto l’avait écrit, dans un passage mordant qui préfigure  les théoriciens  libéraux du XX° siècle Franz Oppenheimer et Albert Jay Nock:

“Les mouvements sociaux suivent généralement la ligne de moindre résistance. Alors que la production directe de biens économiques est souvent très difficile,  s’emparer de ces biens produits par d’autres est très facile. Cette possibilité  a considérablement augmenté à partir du moment où cette soustraction est devenue possible au moyen de la loi et non pas contre elle. [italiques de Pareto.] Pour épargner, un homme doit disposer d’un certain contrôle de lui-même. Travailler un champ pour produire du blé est un dur labeur. Attendre au coin d’un bois pour voler un passant est dangereux.  En revanche,  aller voter  est beaucoup plus facile,  et si cela signifie que tous ceux qui sont inadaptés, incapables et oisifs pourront par ce moyen s’assurer le gîte et le couvert, ils s’empresseront de le faire”[9].

On peut regretter que Pareto ait défendu une méthodologie positiviste,  parce qu’il s’en tenait au modèle de la physique et de la mécanique.  Cependant,  cela a été plus que compensé parce qu’il nous  a gratifiés  d’une anecdote  immortelle  sur  sa brillante défense des lois économiques naturelles  contre les “anti-économistes” de l’école historique allemande. C’est une anecdote que Ludwig von Mises aimait à raconter  au cours de son séminaire:

Un jour, à l’occasion d’un discours qu’il avait fait lors d’un congrès de statistique à Berne, Pareto avait parlé de “lois économiques naturelles», à quoi [Gustav] Schmoller, qui était présent, avait répondu en déclarant qu’une telle chose n’existait pas.  Pareto ne dit rien,  mais sourit et s’inclina.  Quelque temps  après,  il demanda à  Schmoller, par l’intermédiaire de l’un de ses voisins, s’il connaissait bien la ville de Berne. Quand Schmoller eut dit oui, Pareto demanda alors  s’il connaissait une auberge où l’on pouvait manger pour rien.  On raconte que l’élégant Schmoller aurait jeté  sur les  modestes habits  de Pareto un regard mêlé  de pitié  et de dédain  (quoiqu’on sût que celui-ci était à l’aise) ,  et qu’il aurait répondu  qu’il y avait beaucoup de restaurants bon marché,  mais qu’il fallait payer quelque chose partout. À quoi Pareto avait répondu : “donc,  il y a bel et bien des lois naturelles en économie politique !”[10]

[1] Le rôle de Pareto dans le développement de l’économie mathématique néoclassique sera traité dans un tome ultérieur ; la section présente traite de son économie politique. Voir pourtant, sur le débat entre Vilfredo Pareto et Benedetto Croce sur l’opposition entre positivisme et praxéologie en tant que méthodes appropriées à la théorie économique, voir Murray Rothbard, Individualism and the Philosophy ofthe Social Sciences, (San Francisco : Cato Institute, 1979), pp. 54-6.
[2] In P. Bucolo (ed.) The Other Pareto (London: Scolar Press, 1980), p. 44.
[3] Dans le Précis d’économie politique et de la morale (1893) de Molinari, cité par Bucolo, op. cit., note 27 p. 68.
[4] Cité ibid., p. 144.
[5] Ibid., p. 141.
[6] Voir l’article éclairant de S. E. Finer, “Pareto and Pluto-Democracy: the Retreat to Galapogos”, American political scence Review, pp. 440-50. Plus importante est la présentation par Finer des Sociological Writings de Vilfredo Pareto (ed. S.E. Finer, London: Pall Mall Press, 1966).
[7] Cf. Bucolo, op. cit., note 27, p. 166.
[8] Finer, in Pareto, op. cit., note 31, p. 18.
[9] Bucolo, op. cit., note 27, pp. 149-50.
[10] Theo Suranyi-Unger, Economics in the Twentieth Century (New York: W.W. Norton, 1931), p. 128. Ma propre traduction à partir de la citation de Pareto.

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