De Paris à Vienne (Préface de L’économie en une leçon d’Henry Hazlitt)

Dans la préface qui ouvre notre réédition de L’économie en une leçon d’Henry Hazlitt, Benoît Malbranque fait le point sur les rapports entre l’école autrichienne et ses précurseurs de l’école française puis présente le classique d’Henry Hazlitt ici réédité.


Préface : DE PARIS À VIENNE

C’est avec une grande fierté, et une vive reconnaissance à l’égard des donateurs particuliers qui ont rendu ce projet possible, que nous présentons aujourd’hui au public le premier volume de notre grande collection autrichienne en français. Dans la vue de réparer le manque dramatique de cette littérature dans notre langue, l’Institut Coppet publiera désormais mensuellement un nouveau grand classique d’auteurs tels que Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Murray Rothbard.

L’urgence de cette entreprise éditoriale vient de ce que l’école autrichienne possède en elle-même des réponses précieuses pour notre temps. À une époque où la mathématisation de la science économique apparaît de plus en plus stérile, voire néfaste, la méthodologie propre des Autrichiens offre une bouffée d’air frais. Au-delà, les enseignements autrichiens sur la monnaie et les cycles économiques, sur le calcul économique, sur le capital et les prix, reçoivent chaque jour de plus amples confirmations. Il n’est pas jusqu’à la défense d’un État recentré sur ses fonctions de base qui n’interpelle même les plus sceptiques, quand de nos jours l’étatisme, le dirigisme et le socialisme, ayant épuisé la ressource même de l’endettement, nous prouvent que leurs fondements sont des sophismes et leurs promesses des illusions.

Aussi, de toutes les traditions de pensée qui, de nos jours, étudient les grandes questions économiques, l’école autrichienne d’économie présente le message le plus clair et le plus adapté aux périls auxquels fait fasse notre époque. Depuis que son fondateur, Carl Menger, a publié ses premiers ouvrages, dans les décennies 1870 et 1880, elle n’a cessé, toutefois, d’être tenue à l’écart des cursus académiques. Très ouvertement critique envers l’action de l’État, elle avait peu de chance de séduire l’appareil public d’éducation. Dans la sphère privée, toutefois, elle a connu un développement remarquable, et si elle conserve son nom d’école autrichienne, cette illustre tradition est aujourd’hui mondiale. Son dynamisme, particulièrement vigoureux aux États-Unis, s’étend désormais à la Chine, à l’Amérique latine, à l’Europe occidentale et centrale. Puisse notre travail éditorial lui ouvrir les portes plus en grand de tout l’espace francophone, à travers les continents !

Quoique l’Institut Coppet ait toujours eu pour mission première de participer, par un travail pédagogique, éducatif, culturel et intellectuel, à la renaissance et à la réhabilitation de l’école française d’économie politique, nous sommes loin de considérer le présent projet comme un reniement de notre principe ou un soudain changement de cap. Bien analysée dans son développement historique et ses fondements théoriques, l’école autrichienne nous apparaît comme la sœur cadette de l’école libérale française des Turgot, Say et Bastiat. Les économistes français du passé ont, comme leurs successeurs autrichiens, posé les principes du marché libre, de la concurrence, de la valeur subjective ; ils se sont opposés, comme eux plus tard et avec les mêmes arguments, au socialisme, au dirigisme et à l’interventionnisme. Leur défense du « laissez-faire » a été si puissante que le mot lui-même, passé dans plusieurs langues, est devenu un credo des Autrichiens.

Dans sa majestueuse Histoire de la pensée économique, que nous espérons offrir prochainement aux lecteurs, Murray Rothbard apprécie et spécifie la dette que les auteurs autrichiens ont accumulé vis-à-vis de leurs devanciers français. Il est vrai qu’il est peu de concepts centraux de la théorie économique autrichienne qui n’aient été aperçus et formulés en son temps par l’un des représentants de l’école libérale française. Carl Menger, le premier, fit une lecture approfondie des économistes français, de Jean-Baptiste Say, qu’il respectait fort, aux professeurs Rossi et Chevalier, en passant par Bodin, Condillac et naturellement Bastiat.

À la même époque, l’école française elle-même, qui entamait alors une phase de déclin progressif qui conduisit à son extinction autour de la Première Guerre mondiale, s’intéressa aux progrès des idées autrichiennes, quoique l’influence de celles-ci, sur leur doctrine déjà formée, puisse bien paraître légère. Dans la rubrique qu’il tenait sur les « principales publications économiques de l’étranger », Maurice Block a entretenu régulièrement les lecteurs du Journal des économistes sur les théories nouvelles professées à Vienne par les fondateurs de l’école autrichienne. Par la suite, le même périodique a publié une étude globale, en pas moins de neuf livraisons (1911-1913), sur l’école autrichienne, ses interprètes et ses concepts fondamentaux.

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Nul auteur, cependant, n’a mieux reconnu la symbiose entre les deux traditions autrichienne et française qu’Henry Hazlitt. Nul surtout ne l’a mieux mis en valeur et illustré.

Journaliste influent, mort presque centenaire en 1993, Henry Hazlitt a fait la célébrité de périodiques comme le New York Times ou Newsweek, où il tenait des colonnes. Son activité fut si prolifique que, d’après une estimation qu’il livra lui-même, ses œuvres complètes pourraient remplir pas moins de 150 volumes. Influencé par L. von Mises, il a introduit l’école autrichienne aux États-Unis en popularisant ses idées et en mettant en valeur constamment la contribution de ses grands représentants.

L’influence de l’école autrichienne sur sa pensée et sur ses travaux se fait sentir partout à travers les deux grands ouvrages qui l’ont fait passer à la postérité : L’échec du keynésianisme (1959), encore inédit en français, et L’économie en une leçon (1946).

Dans le premier, Hazlitt entreprend une réfutation en règle de la doctrine keynésienne, telle qu’elle se présente dans le magnum opus de Keynes, la Théorie Générale. Son analyse critique de l’économiste de Cambridge reste à ce jour inégalée.

Mais c’est l’Économie en une leçon qui lui a valu le plus d’éloges. Traduit en une dizaine de langues et vendu à plus d’un million d’exemplaires, l’ouvrage est très vite devenu un classique. Encore aujourd’hui, c’est le meilleur livre d’initiation à l’économie qui existe. Il est écrit sans jargon et sans prétention ; la plume qui nous guide à travers une matière réputée aride a même le mérite d’être élégante. H. L. Mencken a dit avec raison de Hazlitt qu’il était « l’un des seuls économistes de l’histoire qui ait eu un talent pour l’écriture ». Et ce talent, on le retrouve pleinement dans ce livre.

Écrivains plein de ressources et de style, Henry Hazlitt et Frédéric Bastiat étaient faits pour s’entendre. Et c’est en effet sous l’influence profonde de l’œuvre de Bastiat que Hazlitt a composé ce livre. Il l’a voulu, pour citer ses mots, un « développement » et une « généralisation », faite pour les temps nouveaux, des vérités déjà mises en valeur par Bastiat au milieu du XIXe siècle.

Ayant fait œuvre de popularisateur sous des auspices aussi dignes que Bastiat et Mises, et avec le talent qui était le sien, Henry Hazlitt pouvait s’enorgueillir d’avoir fourni une arme intellectuelle de grande valeur pour le soutien des idées de liberté, de propriété et de responsabilité individuelle. Et assurément le succès, sur ce point, lui est venu, éclatant et indéfectible. De nombreux piliers de l’école autrichienne contemporaine ont témoigné, ces dernières décennies, dans un sens unique en reconnaissant leur dette envers ce livre. Pour Walter Block, le célèbre auteur de Défendre les Indéfendables, ce livre est responsable de sa passion pour l’économie et de son adhésion aux principes du marché libre. Preuve en est que, malgré son apparence sobre, ce livre, passionnant, a un vrai pouvoir d’attraction et de persuasion… dont il est temps de faire l’essai pour vous-même.

Benoît Malbranque
Président de l’Institut Coppet

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