La journée de huit heures et son influence sur le salaire

La journée de huit heures et son influence sur le salaire

Société d’économie politique, Réunion du 5 juin 1920

 

M. le Président donne la parole au baron Mourre, pour exposer le sujet inscrit à l’ordre du jour : 

LA JOURNÉE DE HUIT HEURES ET SON INFLUENCE SUR LE SALAIRE 

M. le Baron G. Mourre dit qu’il n’examinera pas toutes les conséquences économiques de la journée de huit heures, mais seulement sa répercussion sur la situation de l’ouvrier. 

Il examinera les trois points suivants : 1° le salaire nominal ; 2° le coût de la vie de l’ouvrier ; 3° la répercussion dans l’avenir de la réduction des heures de travail, c’est-à-dire le développement du machinisme. 

C’est un préjugé économique assez répandu que la productivité du travail exerce sur son prix une influence immédiate. S’il en était ainsi, le travail de l’ouvrier par suite de sa moindre durée étant moins productif devrait être moins payé, et la journée de huit heures aurait dû faire baisser le salaire. 

Cette erreur vient de ce qu’on oublie que la valeur d’une marchandise dépend non de son utilité absolue, mais de son utilité jointe à la difficulté qu’on éprouve à se la procurer et à la remplacer par une autre. Le travail humain est indispensable, le besoin qu’on en a, malgré la réduction des heures de travail, n’est pas moins grand qu’auparavant, au moins dans le présent. Donc la journée de huit heures ne doit pas abaisser le salaire nominal. 

Bien plus, elle doit l’élever. La réduction des heures de travail équivaut à une offre de travail moins considérable. Or, plus une marchandise est rare, plus elle est chère. 

En effet, beaucoup d’industriels, ne pouvant pas ou ne voulant pas réduire leur production, ont cherché à embaucher des équipes supplémentaires de travailleurs. La main-d’œuvre étant moins efficace, il fallait qu’elle fût plus nombreuse. C’est ainsi que dans les chemins de fer, la journée de huit heures a entraîné une augmentation de personnel de 25 p. 100 pouvant aller jusqu’à 50 p. 100 pour certaines catégories d’ouvriers, telles que celle des mécaniciens. 

M. Mourra fait toutefois remarquer qu’une réduction trop brusque des heures de travail entraîne une désorganisation de l’industrie qui peut provoquer des chômages. L’orateur cite des exemples montrant que la loi de huit heures a aggravé la perturbation industrielle qui au lendemain de l’armistice existait déjà en France 

La réduction des heures de travail est donc, de ce dernier fait, une cause de baisse des salaires. D’autre part, en stimulant la demande de travail, elle constitue une influence haussière. De ces deux influences adverses quelle est celle qui l’a emporté ? Il est impossible de le savoir. 

En revanche, un fait ne peut être contesté. C’est la diminution de production causée par la moindre durée du travail. L’ouvrier a donc été le propre artisan de l’augmentation du coût de sa vie. M. Mourre donne plusieurs preuves pour étayer cette affirmation. 

L’orateur fait deux remarques : dans un pays où existe une pénurie de marchandises, toute réduction de la production a une influence haussière plus grande que dans un pays où il n’y a pas de disette. À des diminutions égales et successives de quantités correspondent, en effet, des hausses de prix de plus en plus grandes. Or, en France, où une portion du territoire a été ravagée, la pénurie est plus grande qu’en Angleterre où tout est intact et où il y a du charbon. Par suite, la réduction des heures de travail a dû plus élever le coût de la vie en France qu’en Angleterre. 

Deuxième remarque : Le travail est une marchandise, mais chaque marchandise, en même temps qu’à des lois communes, obéit à des lois spéciales. L’offre et la demande de travail n’ont pas lieu de la même manière que celles du cuivre par exemple. Toute variation dans la quantité de cuivre venant sur le marché se répercute sur les prix, et inversement. Au contraire, dans la fixation immédiate d’un salaire il n’y a pas de variation dans la quantité de travail offert. Deux parties sont seules en présence, le bloc des ouvriers et celui des patrons. Les patrons ont un dernier prix au-delà duquel ils ne céderont pas. Il en est de même pour les ouvriers. Entre ces deux limites le salaire est indéterminé et le point où il se fixera dépendra de l’énergie et de l’habileté avec lesquelles les parties en présence défendront leurs intérêts. Or, la hausse du coût de la vie et le désir qu’ont les ouvriers de maintenir leur « standard of life » les incite à demander des augmentations de salaires. C’est là une des causes des nombreuses grèves récentes. 

Du côté des patrons des considérations humanitaires peuvent jouer un rôle. Une majoration de salaires sera plus facilement accordée si la situation de l’ouvrier devient trop misérable. 

Cette tendance des salaires à se proportionner au coût de la vie est tellement répandue que de nombreuses ententes établissant une échelle de salaires d’après celle du coût de la vie ont eu lieu entre ouvriers et patrons. 

Mais ce n’est là qu’une proportionnalité de tendance et non une proportionnalité absolue. S’il en était autrement, le « standard of life » de l’ouvrier ne varierait jamais, ce que les faits démentent, 

On croit parfois que le coût de la vie faisant hausser les salaires et les salaires élevant à leur tour le coût de la vie, on se trouve dans un cercle vicieux. M. Mourre fait remarquer qu’il n’y a pas de cercle vicieux. Les réactions mutuelles de l’effet et de la cause ayant lieu avec une intensité de plus en plus atténuée finissent par disparaître. En admettant qu’une hausse du coût de la vie de 20 p. 100 élève les salaires de 20 p. 100, les salaires, n’étant qu’un des divers éléments constitutifs du prix de la vie, le feront hausser non pas de 20 p. 100, mais d’une quantité moindre et ainsi de suite. 

L’ouvrier récupère donc une partie de l’augmentation du coût de sa vie qu’il a provoquée en réduisant sa journée de travail. Le résidu non récupéré compense-t-il la hausse problématique du salaire nominal ? Il est difficile de se prononcer. 

Mais il faut envisager les conséquences de la loi de huit heures sur le pouvoir d’achat de l’ouvrier non seulement dans le présent, mais encore dans l’avenir. 

Le travail est une marchandise. Il ne peut échapper à la loi qui régit toutes les marchandises, la loi de substitution. Quand un produit devient trop cher, on cherche à le remplacer par un autre meilleur marché. Le produit de substitution du travail humain est le travail mécanique. 

Par suite de la réduction des heures de travail, le rendement de l’ouvrier ayant diminué, les patrons auront davantage recours à la machine. 

Théoriquement, il y a deux types de machines se combinant en général ensemble. Le prix d’acquisition des unes est très faible, mais leur consommation de combustible et de force est grande. Si de telles machines fonctionnent huit heures au lieu de dix heures, l’industriel fera une économie de combustible ou de force qui diminuera la perte venant de la baisse du rendement. Au contraire, il n’a aucune compensation du côté de la main-d’œuvre puisque celle-ci, bien que travaillant moins, reçoit le même salaire ou un salaire plus élevé. 

D’autres machines consomment des quantités de forces très petites, que nous supposerons nulles pour la commodité du raisonnement, mais leur prix d’acquisition est élevé. Leur rendement diminue dans la même proportion que celui des ouvriers qui les actionne, les frais qu’elles entraînent, c’est-à-dire l’intérêt du capital d’achat, restant toujours les mêmes. Les industriels n’auraient donc aucun avantage à en développer l’emploi, s’ils ne faisaient pas appel à des équipes supplémentaires pour les faire fonctionner plus longtemps. Pendant ce temps supplémentaire les seuls frais seront les salaires, l’intérêt du capital engagé restant le même. 

Donc la réduction des heures de travail doit susciter le développement du machinisme. Celui-ci fera baisser le salaire. 

La machine est, en effet, sinon l’ennemi, du moins le concurrent de l’ouvrier. Si le machinisme se développe trop vite, le travail humain étant moins demandé et par conséquent moins payé, le pouvoir d’achat de l’ouvrier décroît, la fabrication s’oriente de plus en plus vers la production des objets de luxe destinés à la classe capitaliste. 

Sans doute dans son ensemble l’évolution est bienfaisante et harmonieuse. À mesure que la machine chasse les ouvriers de leurs emplois, de nouveaux débouchés s’ouvrent pour eux. Le résultat final est une augmentation générale de la production, avec maintien au même rang du travail humain dans l’échelle des valeurs. L’ouvrier a sa part dans l’accroissement de la production ; son « standard of life » s’élève. 

Il ne s’ensuit pas toutefois que cette évolution probable vers la hausse du pouvoir d’achat de la classe ouvrière ne soit coupée par des périodes de régression plus ou moins longues. M. Mourre laisse de côté la période troublée qui commence à la guerre, où du reste le salaire réel de l’ouvrier a en général baissé, mais il fait remarquer que de 1900 à 1913, le pouvoir d’achat des classes ouvrières a décru, non pas, il est vrai, en France, mais en Angleterre. Ainsi dans les industries textiles, mécaniques, du bâtiment, les charbonnages, le salaire nominal s’élève seulement de 100 en 1900 à 105,3 en 1913, alors que les prix de détail de la nourriture ont monté d’une manière continue de 100 à 114,8 et que les prix du gros pour un ensemble de marchandises ont passé dé 100 à 116,5. 

Ce fléchissement du salaire réel ne peut être dû à ce que l’augmentation de la classe ouvrière a été plus grande que celle des affaires, car celles-ci se sont beaucoup développées de 1900 à 1913. Le développement du machinisme peut donc, semble-t-il, seul l’expliquer. 

En résumé, la classe ouvrière a amélioré son sort en réduisant la journée de travail ; peut-être même a-t-elle obtenu cet avantage en maintenant intact son pouvoir d’achat. Mais ce succès qu’elle aurait remporté ne sera probablement pas sans lendemain ; la réduction des heures de travail développera l’antagonisme de la machine qui réduira le salaire réel ou diminuera sa hausse. 

Certes, le désir de l’ouvrier de rendre son travail moins long est légitime. La limitation des heures de travail est la condition de l’élévation intellectuelle et morale de l’ouvrier, du développement de sa vie familiale. La classe ouvrière peut escompter de nouvelles réductions dans l’avenir, mais pour que ces réductions n’aggravent pas son sort, au lieu de l’améliorer, elles doivent coïncider avec des périodes où son pouvoir d’achat est en hausse. 

Il n’est donc pas au pouvoir de la classe ouvrière de fixer son pouvoir d’achat ; il se détermine en dehors d’elle. Sans doute, elle peut par l’habileté, l’organisation, l’énergie ou la violence, faire hausser momentanément son salaire réel, mais les lois d’équilibre qui gouvernent le monde abaisseront d’autant plus ce salaire qu’il aura été artificiellement élevé. 

M. Mourre fait toutefois remarquer qu’on se trouve en présence d’une situation analogue dans le passé. La baisse du pouvoir d’achat de l’ouvrier anglais a eu lieu par l’augmentation du coût de la vie sans baisse de salaire nominal. En France, le salaire nominal n’a cessé de monter pendant tout le dix-neuvième et le vingtième siècle. Il a passé graduellement, d’après la statistique générale de la France, de 40 en 1806 à 110 en 1910. 

Or, dans l’avenir, si la réduction du pouvoir d’achat de l’ouvrier se produit, elle aura lieu, étant donné l’inflation actuelle des prix, par la baisse du salaire nominal qui sera plus grande que celle du coût de la vie. Même si le pouvoir d’achat de l’ouvrier restait intact, le salaire nominal, au milieu de la déflation générale des prix, devrait baisser aussi. 

La classe ouvrière, grâce à sa résistance, à son organisation, à l’appui des pouvoirs publics, pourra-t-elle éviter cette baisse ? 

La loi inexorable de l’offre et de la demande indique qu’elle n’y réussira pas. Si elle ne veut pas subir de baisse de salaire, elle sera acculée au chômage. 

Mais ceci, c’est du raisonnement pur, et que vaut le raisonnement pur, quand il n’est pas confirmé par l’expérience du passé ? Il se trouve souvent en défaut, lorsqu’on l’applique à des cas concrets où peuvent entrer des éléments nouveaux et inconnus. 

La journée de huit heures, sinon pour le présent, du moins pour l’avenir, constitue une influence baissière du pouvoir d’achat de la classe ouvrière. M. Mourre fait remarquer que cette conclusion est précise, mais qu’elle est hypothétique. 

M. de Nouvion déclare que cette discussion le ramène à une trentaine d’années en arrière, époque où, à une réunion tenue dans le 6e arrondissement, le sénateur Collin affirmait que la réduction de la journée de travail n’entraînerait pas une diminution de la production. Or, la journée de travail a été réduite, et presque tous les rapports des Compagnies de chemins de fer signalent que la loi de huit heures est l’une des causes essentielles de la désorganisation actuelle des transports. 

L’orateur insiste sur ce fait que l’ouvrier n’a pas, en général, à redouter la concurrence des machines ; quelques professions seulement peuvent en souffrir. 

En terminant, M. de Nouvion insiste sur l’inopportunité de la réforme. À un moment où plus que jamais il fallait travailler de façon intensive, où le salut, était à ce prix, c’était folie que de songer à restreindre les heures de travail. 

M. d’Eichthal observe que M. Mourre a bien montré la complexité des effets de la réforme réalisée par la loi sur la journée de huit heures et la gravité des conséquences qu’entraîne, pour notre production industrielle, une mesure que le Parlement français a adoptée avec une grande légèreté. 

La mesure paraît loin d’être appliquée intégralement dans tous les pays comme l’avait décidé en principe la Conférence de la paix. Chez nous, au contraire, on l’a imposée brutalement, presque sans délai, et cela au moment où la nécessité de produire beaucoup et vite était, après la guerre, tout à fait urgente. Les fâcheuses conséquences en sont incalculables. Dans les chemins de fer, comme on l’a dit, elles se traduisent par d’énormes dépenses de personnel supplémentaire et souvent peu productif. 

La machine peut parfois atténuer quelques-uns des inconvénients de la réforme ; mais dans certaines industries, comme les mines et les chemins de fer, la substitution de la machine à la main-d’œuvre est forcément restreinte. 

Un des remèdes, et il faudra bien en venir là, sera le recours à des ententes entre patrons et ouvriers pour pratiquer des dérogations ; mais les syndicats s’y opposent le plus souvent. Cependant les ouvriers trouvent parfois des moyens de tourner la loi : après avoir travaillé dans une usine, ils vont dans une autre voisine, et il s’organise ainsi des chassés-croisés, qui prouvent que pour beaucoup la limite des huit heures n’est pas une nécessité. 

Enfin, on n’a rien préparé avant le vote de la réforme pour occuper les loisirs des ouvriers. On a déjà signalé dans la discussion le temps consacré au cinéma, au café, ou au cabaret. Il faut y joindre la facilité pour les meneurs extrémistes d’attirer, après la journée raccourcie, les ouvriers aux meetings où ils leur servent beaucoup d’idées fausses ou chimériques. 

Somme toute, au point de vue social comme au point de vue moral, la loi sur la journée de huit heures a jusqu’ici entraîné beaucoup plus de résultats fâcheux que de conséquences utiles et il faudra que les mœurs ou la législation en corrigent les mauvais effets, si nous voulons rendre au pays la productivité qui lui est indispensable. 

M. Édouard Payen ajoute aux observations des précédente orateurs, que les ruraux jugent très sévèrement la loi de huit heures, parce qu’ils constatent que, partout, dans les gares, elle a provoqué un accroissement du nombre des employés et que, plus il y a d’employés, moins on est bien servi. Quand on a entendu leurs appréciations sur la réforme, on ne peut oublier la légende du dessin représentant un ouvrier d’usine passant en promeneur devant un cultivateur au travail : « Si je ne travaillais que huit heures, dit ce dernier, qu’est-ce que tu mangerais ? » 

Les loisirs que la réforme accorde aux ouvriers seront-ils bien employés ? Le problème n’a pas complètement échappé aux législateurs. 

Dans la séance du 23 avril 1919, au cours de la discussion de la loi sur la journée de huit heures, M. Ribot a dit au Sénat : « Les masses travailleuses attachent à la journée de huit heures de grandes espérances que nous n’avons pas le droit de décourager. Se réaliseront-elles ? Cela dépend des intéressés et aussi de nous-mêmes ; il faudra multiplier les moyens d’éducation pour les travailleurs, leur permettre de bien utiliser leurs heures de loisir. » La remarque est juste, mais il y a là une preuve de la mauvaise méthode suivie, et on ne saurait mieux montrer que la réforme était prématurée et inopportune. 

La France, qui avait tant de raisons pour ne pas se lancer des premières dans l’aventure, a réalisé la réforme sans être suivie par tout le monde. Un de nos collègues a dit que l’application de la journée de huit heures ne paraissait pas universelle. Le fait est exact et un des délégués de la C. G. T. à la Conférence internationale du travail a dû reconnaître, au cours d’une des conférences organisées dans une des salles de la Cour de cassation, en février dernier, en réponse à une interrogation, qu’il avait constaté qu’aux États-Unis on travaillait souvent plus de huit heures, à un tarif spécial naturellement pour les heures supplémentaires. 

En somme, beaucoup de gens jugent la généralisation de la journée de huit heures en France, dans les circonstances actuelles, aussi absurde et aussi néfaste que l’aurait été la réduction de la durée du service militaire durant la guerre. 

M. Saritzky, invité, professeur d’économie politique en Russie, dit qu’en Russie, après la loi de mai 1917 qui a restreint la journée de travail, on a constaté une grande hausse des salaires. La demande pour le travail restant la même et les ouvriers diminuant leur effort, il en résulte une réduction du travail, d’où une hausse des salaires. Il y a eu ensuite une désorganisation du travail et une diminution de la production vraiment catastrophique. Depuis l’arrivée des bolchevistes au pouvoir, on veut faire des patrons les esclaves et les obliger à ne pas cesser le travail. 

L’orateur raconte qu’en 1919, il se trouvait dans la région soumise aux troupes de Denikine, alors qu’auparavant il avait résidé dans les territoires soumis aux bolchevistes ; il a pu constater que la situation des ouvriers était meilleure dans les premières régions que dans les secondes. Pourquoi subsiste-t-il, dans ces conditions une sympathie des ouvriers pour les bolchevistes ? Parce que Denikine n’a pas su associer à son gouvernement les dirigeants habiles et intelligents des ouvriers. 

M. Yves Guyot dit : Comme toutes ses communications précédentes, la communication de M. le baron Mourre est très étudiée et nous devons le remercier du soin avec lequel il l’a préparée et de ses efforts pour montrer les divers aspects de la question. 

M. d’Eichthal a rappelé les origines de la loi de huit heures, votée à la veille du 1er mai 1919, pour empêcher une manifestation qui eut lieu tout de même : mais il est utile de se souvenir que cette limitation du travail faisait partie de l’annexe jointe à la constitution du bureau international du travail que la Conférence de la paix s’était occupée d’organiser, comme un des principaux organes de la Société des Nations, au lieu de faire la paix, ce qui était la besogne urgente. 

Cette manière de mesurer le travail est complètement fausse : tel travail ne peut pas être soutenu pendant huit heures ; tel autre peut être prolongé beaucoup plus sans provoquer de fatigue. Ce n’est pas la durée du travail qui importe, c’est son efficacité. 

M. Mourre a répété que le travail était une marchandise : c’est un terme elliptique inexact. Ce qu’on paye, ce n’est pas le travail, ce sont les résultats du travail sous forme de produits ou sous forme de services, et le progrès industriel consiste à remplacer sans casse l’effort humain par la machine. 

M. le baron Mourre a rappelé l’hypothèse de Sismondi. Mais il y a longtemps qu’elle a été réfutée, par Bastiat, entre autres. Le travail n’a pas de valeur par lui-même. 

M. le baron Mourre nous a paru avoir quelque complaisance pour le vieux préjugé qui fait croire à l’ouvrier que la machine lui vole son travail ; que s’il est obligé de s’en servir, il doit lui donner le minimum de rendement pour laisser de l’ouvrage aux camarades. J.-B. Say a réfuté cette conception d’une manière irréfutable : toute l’histoire industrielle du dix-neuvième siècle en montre l’erreur, et le célèbre astronome américain, Simon Newcomb, fort de cette expérience, a, dans ses Principles of Political Economy, donné la formule suivante : « Une réduction du prix de revient ne peut jamais causer une diminution dans la demande totale du travail. Toute diminution qui peut se produire dans une direction est compensée par une augmentation dans une autre direction. » 

La diminution de l’effort augmente le pouvoir d’achat du producteur puisqu’elle diminue son prix de revient : elle augmente en même temps le pouvoir d’achat du consommateur puisqu’elle lui permet d’augmenter ses achats ou ses épargnes.. 

La loi de huit heures a pour but de diminuer la productivité du travail, pour donner satisfaction au préjugé qu’a exposé M. le baron Mourre : c’est une loi antiéconomique, et comme les orateurs précédents l’ont fait remarquer, elle est entrée en vigueur au moment où le relèvement économique du monde dépend de l’augmentation de la production. 

Et cette loi est obligatoire : elle appartient à ces institutions de police que, sous la pression du socialisme allemand, les diverses nations se sont attachées à établir, alors que la Révolution française avait proclamé la liberté du travail. 

Récemment à Pontivy, des ouvriers et des industriels étaient d’accord pour faire dix heures de travail. L’inspecteur du travail a dressé procès-verbal. — Officiellement il a fait son devoir ! J’espère que ce procès-verbal ne sera pas étouffé en haut lieu. 

Ce jugement prouvera l’aberration des législateurs qui opposent le gouvernement par la police, interdisant de faire quoi que ce soit, sans l’autorisation de l’autorité, sous la surveillance de ses agents et dans l’appréhension continue d’une pénalité, à la liberté pour chacun de donner à son initiative, à son énergie, à sa capacité de production le maximum d’intensité. 

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