Logique du libéralisme (1). Par Jacques de Guenin

En 2006, Jacques de Guenin faisait paraître aux Editions Charles Coquelin un livre d’initiation au libéralisme intitulé Logique du libéralisme. Morale – Vie en société – Economie.

Ce livre, fort bien argumenté et émaillé de nombreuses citations de Bastiat, est à conseiller à tous ceux qui veulent découvrir les principes fondamentaux de la pure tradition libérale française, celle de Jean-Baptiste Say, de Constant et de Bastiat, qui est celle dont se réclamaient Mises et Ayn Rand aux Etats-Unis. L’auteur montre que le libéralisme, compris dans cette tradition de l’économie politique du XIXe siècle, n’est ni un économisme matérialiste, ni une défense des privilèges. Loin de se réduire à l’économie, le libéralisme est d’abord une philosophie qui tire sa légitimité de son fondement moral.

Jacques de Guenin autorise l’Institut Coppet à publier quelques chapitres de son livre d’ici la fin de l’année. Le livre entier est disponible au prix de 12 € port compris en cliquant ici.

Voici d’abord le plan du livre :

1ère partie : la morale libérale

1.1 la liberté individuelle
1.2 la responsabilité
1.3 la vie, l’effort, la raison et la recherche du bonheur
1.4 la propriété
1.5 rapports avec la morale chrétienne

2ème partie : la vie en société

2.1 l’échange
2.2 l’association
2.3 l’entreprise
2.4 le principe de subsidiarité
2.5 l’État
2.6 les droits de l’homme
2.7 la justice, le droit, et la loi
2.8 la solidarité

3ème partie : l’économie

3.1 les théories économiques
3.2 le libre échange. Le marché. Les prix
3.3 l’entreprise. La concurrence.
3.4 Chômage – plein emploi
3.5 l’investissement. L’épargne. La bourse. Les “délocalisations”
3.6 la monnaie
3.7 les retraites
3.8 les choix publics

Voici deux extraits, consacrés à la responsabilité, à la vie et à la recherche du bonheur, fondements d’une existence libre et authentiquement humaine.

1.2 La responsabilité individuelle.

La responsabilité, c’est la fierté de l’homme libre. Alain Laurent[1]

Il ne devrait pas être nécessaire d’ajouter le qualificatif “individuelle” au mot responsabilité, tant le concept de responsabilité collective est vide de sens. Mais hélas, ce dernier est devenu à la mode au cours du vingtième siècle, depuis qu’une certaine philosophie, collectiviste précisément, a peu à peu pénétré l’école, l’université, l’administration, les partis politiques, et L’État. Cette philosophie prétend que l’être humain ne jouit pas vraiment de son libre arbitre, donc n’est pas complètement responsable de ses actes. Elle atteint son point extrême avec le sociologue Bourdieu, pour qui la responsabilité individuelle est une idée petit bourgeois, qualificatif utilisé par les marxistes quand ils sont obligés de remplacer par des émotions les raisonnements dont ils ne peuvent dissimuler l’inconsistance. Il n’y a pas besoin d’aller très loin dans les œuvres de ces philosophes pour s’apercevoir qu’elles ne passent pas le test de non contradiction. Ainsi, selon leur logique, si un employé fait une bêtise, c’est le patron qui est responsable. La responsabilité individuelle existerait-elle donc pour le patron ?

On doit à Saint-Exupéry la fameuse formule “chacun est seul responsable de tous”[2]. Saint-Exupéry est certes un grand écrivain, auteur de romans pleins d’humanité mettant en scène des héros attachants et positifs. Mais pourquoi diable a-t-il cédé à la coquetterie d’interjeter dans son œuvre quelques sophismes comme celui-ci ? La formule est jolie, mais sans signification. Si vous en doutez, essayez de lui donner un sens précis. Tout au plus a-t-elle pour effet de donner un sentiment de culpabilité aux âmes faibles. Hélas elle a eu des descendants. Aujourd’hui, si l’on en croit les collectivistes de tout poil, c’est nous, braves gens, qui sommes responsables de toutes les exactions commises dans les banlieues. Françoise Giroud, cette femme si intelligente, n’a-t-elle pas écrit en son temps dans l’Express “nous sommes tous responsables des sauvageons” ? Le bourreau est devenu la victime, pendant que la victime est abandonnée à son triste sort, quand ce n’est pas elle qui subit les tourments de la justice.

Martine Aubry n’a-t-elle point considéré la possibilité de rendre les médecins collectivement responsables des dépassements d’honoraires de certains d’entre eux ? Cette dérive de la pensée vers l’injuste, le flou et l’inconsistant n’est pas pour rien dans la descente inexorable de notre pays vers la médiocrité. “Quand les mots perdent leur sens, le peuple perd sa liberté” disait déjà Lao-Tseu il y a plus de deux millénaires et demi.

Comme nous l’avons fait pour le concept de liberté, donnons maintenant une définition précise de la responsabilité afin de pouvoir bâtir sur elle des raisonnements incontestables : être responsable, cela veut dire assumer soi-même les conséquences de ses propres actes. Il ne peut donc y avoir de responsabilité collective.

Les concepts de liberté et de responsabilité ne sont pas indépendants l’un de l’autre. L’un ne peut exister sans l’autre. En effet, on ne peut être responsable de ses actes que si on est libre de les commettre ou non. Le concept de responsabilité entraîne donc bien celui de liberté. Réciproquement le concept de liberté entraîne celui de responsabilité : si l’on veut respecter la liberté des autres, il faut assumer soi-même les conséquences de ses propres actes. Il ne faut pas imposer aux autres le fardeau de ses erreurs ou de son imprudence.

Dans “l’Éthique à Nicomaque“, Aristote affirme que l’homme doit répondre de ses actes dès lors qu’il en a pris l’initiative. Il affirme même que l’homme est responsable de son irresponsabilité. Si un homme ivre provoque un accident ou commet un meurtre, beaucoup pensent qu’il n’est pas responsable puisqu’il ne sait pas ce qu’il fait, alors qu’Aristote le conteste. Pour lui, l’homme ivre ne sait peut-être pas ce qu’il fait au moment de l’accident, mais il est responsable au moment où il prend la décision de boire. Quoi qu’il fasse, un être humain prend toujours la décision de faire ce qu’il fait.

Les libéraux, qui considèrent le respect de la liberté des autres comme une obligation morale impérative, considèrent donc forcément l’exercice de la responsabilité comme une obligation corrélative qui ne souffre pas de discussion. Mais les libéraux utilitaristes y voient aussi des avantages pratiques.

C’est d’abord un principe d’apprentissage par tâtonnement et d’auto perfectionnement.

“La responsabilité, nous dit Frédéric Bastiat, c’est l’enchaînement naturel qui existe, relativement à l’être agissant, entre l’acte et ses conséquences (…). Elle a évidemment pour objet de restreindre le nombre des actions funestes, de multiplier celui des actions utiles…

Depuis la première enfance jusqu’à l’extrême vieillesse, notre vie n’est qu’un long apprentissage. Nous apprenons à marcher à force de tomber ; nous apprenons par des expériences rudes et réitérées à éviter le chaud, le froid, la faim, la soif, les excès. Ne nous plaignons pas de ce que les expériences soient rudes; si elles ne l’étaient pas, elles ne nous apprendraient rien.” (Harmonies Économiques).

Certes, il est pardonnable de faire des erreurs par inexpérience. Mais l’homme responsable assume la paternité de ses actes et s’efforcera de ne pas recommencer ses erreurs. Le contraire serait faire preuve de négligence, d’ignorance ou de mépris des autres.

La responsabilité est aussi une source d’épanouissement personnel. Il ne manque pas de personnes qui acceptent d’assumer des responsabilités ou même qui les recherchent. Exercer sa responsabilité, c’est aussi éprouver la joie d’exercer sa force, son esprit d’entreprise, son initiative, la fierté de prouver ses capacités. On voit souvent des petites annonces du type “recherchons un responsable commercial”, ou “un responsable de la gestion”. Imagine-t-on un seul instant que l’on trouverait des candidats s’il ne s’attachait pas une certaine fierté à se sentir “responsable”. Un adolescent, un enfant même, aspire à devenir responsable de lui-même. Quand on confie une responsabilité à un enfant, il en est fier, il veut montrer qu’il est capable de faire ce qu’on lui demande, et il fait tout ce qu’il peut pour que cela marche. Il ne faut donc pas voir seulement dans la responsabilité la sanction d’une erreur, mais aussi la possibilité donnée à chaque être humain de s’accomplir.

1.3 La vie, l’effort, la raison et la recherche du bonheur.

Nous tenons de Dieu le don qui pour nous les renferme tous, la Vie, — la vie physique, intellectuelle et morale. Mais la vie ne se soutient pas d’elle-même. Celui qui nous l’a donnée nous a laissé le soin de l’entretenir, de la développer, de la perfectionner.

Pour cela, il nous a pourvus d’un ensemble de facultés merveilleuses ; il nous a plongés dans un milieu d’éléments divers. C’est par l’application de nos facultés à ces éléments que se réalise le phénomène de l’Assimilation, de l’Appropriation, par lequel la vie parcourt le cercle qui lui a été assigné.

Frédéric Bastiat[3]

Toutes les fonctions de tous les êtres vivants, du plus simple au plus complexe, ont pour objectif de maintenir leur vie. Chaque être vivant doit se procurer l’énergie ou la nourriture dont il a besoin pour vivre, se propager, et se protéger des menaces extérieures. Il doit réagir aux conditions extérieures ou aux agressions par des actions. Chez les plantes et les animaux inférieurs, ces actions sont entièrement automatiques et inconscientes. L’homme, lui, a conscience des conditions extérieures. Elles se traduisent par des peines et des satisfactions et à l’objectif de maintenir sa vie, il ajoute celui de maximiser ses satisfactions, ou si l’on veut, de rechercher le bonheur[4].

Pour soutenir sa vie et rechercher le bonheur, il dispose de facultés merveilleuses, dont un cerveau développé qui lui permet de concevoir des objectifs, et de lancer des actions pour les atteindre. Ces actions s’obtiennent au prix d’un effort. Leur résultat va augmenter ou diminuer sa satisfaction. Son cerveau lui permet aussi de mémoriser le résultat de ces actions, de les analyser, et de tirer des conclusions sur la façon de les améliorer. Il s’agit là d’une faculté décisive qui s’appelle la raison.

On voit que grâce à ses efforts et à l’utilisation de sa raison, l’homme peut progresser indéfiniment vers la recherche du bonheur, mais à deux conditions :

– Qu’il soit libre de ses actions.

– Qu’il en assume les conséquences.

S’il jouit de la liberté, l’homme peut créer, inventer de nouvelles voies. S’il en assume les conséquences, il peut tirer parti de ses erreurs pour progresser.

Nous retrouvons ainsi les deux principes fondamentaux que nous avons exposés aux chapitres précédents : la Liberté et la Responsabilité.

L’homme obtiendra des résultats d’autant meilleurs qu’il fera plus d’efforts et utilisera mieux sa raison et il obtiendra des résultats meilleurs que les indolents ou ceux qui agissent sans réfléchir. Il y a donc là une source d’inégalité utile, car celui qui réussit par son travail et sa réflexion constitue un exemple pour les autres. A contrario, n’est-il pas profondément injuste de récompenser de la même façon le paresseux et celui qui se donne du mal ? Celui qui fait n’importe quoi et celui qui réfléchit ? Le libéralisme ne recherche donc pas l’égalité des résultats. Sur ce point, il se distingue du socialisme. En revanche il considère comme immorales les inégalités qui résultent de la coercition : l’esclavage, les inégalités devant la loi, les castes, les privilèges accordés à tel ou tel type de citoyen, notamment à ceux qui détiennent le pouvoir, sous prétexte qu’ils constituent une élite à l’avant-garde des masses populaires.

Il est bon de se rappeler qu’au moment de la révolution, ce sont les libéraux qui ont entraîné l’abolition des privilèges. Plus important encore, ils ont été à l’avant-garde de la lutte contre l’esclavage. Un mouvement d’opinion, lancé par une “société des amis des noirs” fut animé par des libéraux comme Diderot, l’Abbé Raynal, Pierre Poivre, Condorcet, l’Abbé Grégoire. Ce dernier se battit pour faire adopter un décret d’abolition par la Convention, ce qu’il obtint après de longs combats le 4 février 1794. Hélas, Bonaparte rétablit l’esclavage sous le Consulat le 20 mai 1802. Le combat pour l’abolition reprit sous la Deuxième République, inspiré essentiellement par des libéraux au nombre desquels Frédéric Bastiat, Victor Hugo, Tocqueville, Montalembert, et surtout Victor Schoelcher, qui réussit à faire voter l’abolition définitive le 27 avril 1848.

Nous avons montré au chapitre précédent que le concept de Responsabilité se déduit logiquement de celui de Liberté individuelle, puis nous avons présenté toute la richesse supplémentaire qu’il apporte à l’individu. De la même façon, après avoir montré que la recherche du bonheur est indissociable de la liberté individuelle et de la responsabilité, nous allons montrer toute la richesse de ce concept.

Le libéralisme est un hymne à la vie, à l’effort, à la raison et à la recherche du bonheur. Les philosophes libéraux qui ont écrit des romans, comme Diderot, Voltaire, Victor Hugo ou Ayn Rand, mettent en avant des héros positifs, raisonnables, entreprenants, qui surmontent les obstacles et cherchent à s’accomplir.

La revue philosophique libérale américaine la plus distinguée s’appelle “Reason”[5]. Le deuxième paragraphe de la Déclaration d’Indépendance américaine, adoptée par le Congrès le 4 juillet 1776 (Independence day) commence ainsi :

We hold these truths to be self evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain inalienable Rights, that among these are Life, Liberty, and the pursuit of Happiness.“[6].

Ce texte a été rédigé par Thomas Jefferson et revu par Benjamin Franklin et John Adams, des hommes fondamentalement libéraux.

On notera la précision de ce texte : il ne déclare pas que les hommes ont droit au bonheur. Il dit que les hommes ont le droit de rechercher le bonheur. Ce qui veut dire que les hommes ont le droit, c’est à dire la liberté, d’entreprendre des actions, dont ils assumeront la responsabilité, afin de tenter d’accroître leurs satisfactions. Cela ne veut pas dire que quelqu’un d’autre, par exemple l’État, doit leur procurer ces satisfactions. Ce sont des distinctions sur lesquelles nous reviendrons dans le chapitre sur les droits de l’homme et celui sur l’État.

L’importance donnée à la vie et à la recherche du bonheur par les libéraux est tout à fait homogène avec leur rejet de toute coercition. On sait que le communisme, à l’opposé, se distingue par le peu de cas qu’il fait de la vie des individus lorsqu’il est au pouvoir. Quant au socialisme ordinaire, il n’attente certes pas à la vie des gens, mais il développe méthodiquement un sentiment de culpabilité chez ceux qui réussissent, même lorsque cette réussite est le fruit de leurs efforts et de l’usage de leur raison. Ainsi ils peuvent prélever plus facilement une partie de ce fruit pour le redistribuer au gré du pouvoir.


[1] Cette citation est extraite d’une conférence délivrée par Alain Laurent au Cercle Frédéric Bastiat le 13 mars 1999. On en trouvera l’intégralité sur le site “bastiat.net”, section “Les activités du Cercle Frédéric Bastiat”,” Les textes des précédents dîners-débats“.   Plusieurs des idées présentées dans ce chapitre sont empruntées à cette conférence.

[2] Vol de nuit.

[3] La loi.

[4] Maurice Allais avait coutume de dire dans son cours d’économie de l’École des Mines (donc à des élèves imprégnés de mathématiques), que le Bonheur était la dérivée de la Satisfaction.

[5] La raison

[6] “Nous tenons ces vérités pour évidentes que tous les hommes sont créés égaux, et qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, que parmi ceux-ci il y a la Vie, la Liberté, et la Recherche du Bonheur.”

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