La politique ne nous rendra pas meilleurs. Par Aaron Ross Powell

BenjaminConstant-272x300Powell examine différentes conceptions de la liberté et argumente contre une « loi de la foule ».

Traduction par Lexane Sirac, Institut Coppet

Si la politique faisait de nous des personnes fondamentalement mauvaises, comme certains l’affirment, pourquoi voudrions-nous plus de politique ? La réponse libertarienne, c’est que nous n’en voulons pas. En limitant la sphère politique, en restreignant le spectre des décisions prises par des processus politiques, nous créons un monde plus sain, plus riche, et plus épanouissant.

Nous n’avons cependant pas tous ce point de vue. Certains estiment que le partage de la prise de décision est une occasion d’élargir le sens de “nous”. Pour eux, nous devenons plus libres, pas moins, quand nous décidons, en tant que communauté, comment nous devrions vivre. Les décisions individuelles, en particulier celles prises sur un marché, sont considérées comme un choix non pas autonome, mais forcé par leur abus de pouvoir : les riches, les entreprises, etc.

Toutefois, ce raisonnement est un contresens. Les libertariens aussi s’intéressent à la question du nous versus eux, mais eux n’est pas le marché : c’est la politique. Les libertariens comme les étatistes veulent – au moins en théorie – internaliser les processus de décision. Les deux groupes cherchent à donner aux citoyens la possibilité de gérer leur vie, et donc leur donner plus de liberté. La différence est dans la définition de liberté.

Benjamin Constant décrivait ces deux conceptions comme “ancienne” et “moderne”. La conception moderne de la liberté, pour lui, est « pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou de plusieurs individus :

« C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie, et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en abuser même ; d’aller, de venir sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C’est, pour chacun, le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours ou ses heures d’une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du Gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. »

Quant à la liberté des anciens,

« celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté toute entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre ».

En donnant à la population plus de pouvoir dans les décisions politiques tout en définissant très largement quelles décisions peuvent être prises de façon légitime par le pouvoir politique, on met en place une autonomie qui a du sens. Ceci signifie que ceux qui penchent du côté de la liberté des anciens affirment que la politique nous rend meilleurs. Constant avait une réponse toute prête pour eux :

« en même temps que c’était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient comme compatible avec cette liberté collective l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. Vous ne trouvez chez eux presque aucune des jouissances que nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont soumises à une surveillance sévère. Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. La faculté de choisir son culte, faculté que nous regardons comme l’un de nos droits les plus précieux, aurait paru aux anciens un crime et un sacrilège. Dans les choses qui nous semblent les plus utiles, l’autorité du corps social s’interpose et gêne la volonté des individus ».

Les choses ne sont pas si graves dans une démocratie moderne, bien sûr. Nous pouvons jouir de notre liberté de religion et avoir un grand gouvernement. Mais Constant a raison lorsqu’il affirme que la liberté, définie comme participation politique, est une vision très limitée de la liberté. Donner une part plus grande de notre vie aux décisions politiques signifie donner une part plus grande de notre vie aux sautes d’humeur de l’électorat. Cela signifie qu’on considère la démocratie comme une fin en soi, et non pas seulement le meilleur et le plus juste des systèmes pour prendre les décisions que la sphère politique a toute légimité à prendre. La liberté des anciens est la loi de la foule. Il est juste que la foule vous demande votre avis avant de vous imposer ses règles.

Source des citations de Benjamin Constant : De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, Discours de 1819, Wikisource.

Source de l’article original

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.