La limitation légale des heures de travail dans les manufactures (Société d’économie politique, 1881)

Dans sa réunion du 5 février 1881, la Société d’économie politique étudie s’il est convenable que la puissance publique intervienne dans le contrat de travail pour fixer un maximum de la durée de travail. Ces économistes rappellent que la grande diversité des industries rend impraticable la fixation d’une telle limitation générale. Outre que son caractère obligatoire heurterait donc les principes de la liberté du travail, elle entraverait le développement de nombreux secteurs économiques.


La limitation légale des heures de travail dans les manufactures, 5 février 1881

 

Après ces diverses communications, il est procédé au choix d’une question pour l’entretien de la soirée. La majorité se prononce pour le sujet suivant.

LA LIMITATION LÉGALE DES HEURES DE TRAVAIL DANS LES MANUFACTURES.

La question proposée par M. A. Chérot était ainsi formulée au programme :

« Le législateur doit-il limiter les heures de travail dans les manufactures ? » Cette limitation a été l’objet d’un projet de loi présenté par M. Martin Nadaud, député de la Creuse, et d’un rapport favorable de M. Richard Waddington, manufacturier, député de la Loire-Inférieure.

La parole est d’abord demandée par M. Émile Récipon.

M. Récipon examine les arguments de M. Waddington.

D’abord, il trouve qu’il n’y a aucune assimilation possible entre la loi actuellement proposée et la loi de 1873, concernant le travail des enfants dans les manufactures. L’État a le droit et le devoir de protéger l’enfant, parce que celui-ci ne peut se défendre et qu’on pourrait abuser de ses forces. Il fait acte, en le protégeant, d’humanité et de patriotisme. C’est le devoir de tout gouvernement, véritablement soucieux de la grandeur et de la prospérité du pays, de s’occuper des enfants, parce qu’en veillant à leur développement moral et physique, il prépare l’avenir.

Il ne saurait en être de même de l’ouvrier adulte, qui peut défendre et discuter ses intérêts. Limiter son travail c’est attenter à sa liberté. Citoyen libre, il peut revendiquer son droit au travail pour le temps qu’il lui plaît de travailler, et répudier la tutelle inutile et dangereuse de l’État.

Il y a d’autres moyens plus efficaces de lui venir en aide sans toucher à sa liberté.

Si l’on considère les conséquences d’une pareille loi pour l’industrie nationale, on voit qu’elles seraient désastreuses.

Elles seraient désastreuses, parce que la production diminuerait et parce que les prix de revient augmenteraient.

Un grand nombre d’industries font des bénéfices qui ne dépassent pas 5 ou 8 pour 100, et l’on voudrait augmenter les prix de revient d’un chiffre supérieur. Les industriels devront fermer leurs usines ou augmenter leurs prix. S’ils ferment leurs usines, quel profit auront tiré les ouvriers de la loi ? S’ils augmentent leur prix de vente, la situation sera-t-elle meilleure ? Non, assurément, parce que notre industrie sera dans un état d’infériorité vis-à-vis de l’industrie étrangère.

On sera obligé d’abandonner la voie libre-échangiste, dans laquelle on s’était engagé, pour revenir à la protection. Qui peut nous assurer, en effet, que, si nous frappons les produits étrangers, les nôtres ne seront pas à leur tour atteints de droits équivalents, dès qu’ils sortiront des limites de nos frontières ? Ce projet de loi ne peut donc manquer d’être très en faveur auprès des protectionnistes, qui n’y remarqueront qu’un moyen détourné de nous ramener de plus en plus à leur système.

Si cette loi est désastreuse pour l’industriel, elle n’est pas moins fâcheuse pour l’ouvrier.

On lui interdit tout bénéfice supérieur à celui d’une journée ordinaire. On lui enlève toute initiative, toute possibilité d’épargne lui permettant de supporter les mauvais jours et d’acquérir. On détruit son indépendance, son droit au travail, pour en faire une machine comme celles qu’il met en mouvement. Au lieu de l’élever, on l’abaisse. On lui trouve assez d’intelligence pour le vote et pas assez pour savoir quel temps il doit consacrer au travail.

La loi proposée, fatale à l’industrie nationale, n’est pas moins nuisible à l’intérêt de l’ouvrier. Au lieu d’être une loi de protection, comme l’affirment les auteurs de la proposition, elle serait une loi d’oppression. Elle sacrifierait la liberté à la fraternité, qui ne peut exister sans l’égalité dans la liberté.

M. Paul Leroy-Beaulieu distingue, dans le projet Nadaud, une question de principe et une question d’application.

Et, d’abord, est-il vrai, comme on le prétend, que les ouvriers soient livrés sans défense à l’autorité arbitraire de ceux qui les emploient ? Si cela était, l’intervention de l’État pourrait se défendre. Les économistes eux-mêmes ont longtemps admis comme un fait cette sujétion, et elle a été réelle à une certaine époque. De 1840 à 1848, lorsque la grande industrie venait de se constituer, il y eut une période de perturbation pendant laquelle les patrons abusèrent, avec une imprévoyance coupable et une sorte de cynisme, des forces de leurs ouvriers ; plusieurs en vinrent jusqu’à exiger d’eux seize et dix-sept heures de travail par jour. On put alors, à bon droit, se plaindre de « l’exploitation de l’homme par l’homme », et le gouvernement de 1848, pour qui la démocratie était une religion, peut invoquer les circonstances atténuantes pour avoir cherché, dans la limitation légale de la journée de travail, un remède à ce déplorable état de choses. La situation des ouvriers était, d’ailleurs, tout autre alors qu’elle n’est aujourd’hui. On venait, il est vrai, de donner aux ouvriers des droits politiques ; mais les droits industriels, si l’on peut ainsi dire, ils ne les ont eus que plus tard, lorsque la loi sur les coalitions a été abrogée et qu’ils ont pu s’entendre pour faire prévaloir leurs intérêts. On a vu d’abord dans cette mesure un piège. L’expérience a prouvé que le droit de coalition rendu aux travailleurs était une arme excellente, dont ils ont parfaitement appris à se servir. On a dit des grèves beaucoup plus de mal qu’elles ne le méritent ; c’est un moyen sans doute dont il ne faut pas abuser, mais qui réussit très souvent, qui même réussit toujours lorsque les griefs des ouvriers sont réels, lorsque la diminution de travail ou l’augmentation de salaire qu’ils réclament est possible.

Ainsi la situation, depuis quelques années, a complètement changé, et les ouvriers n’ont pas attendu M. Nadaud pour obtenir, dans beaucoup d’industries, notamment dans les industries du bâtiment, si chères à l’honorable député de la Creuse, la réduction de leur journée à neuf heures et même à huit heures, comme en témoigne un document authentique et précieux : la Série des prix de la ville de Paris. L’ouvrier est donc émancipé, il est majeur ; outre les droits qu’il possède déjà, on s’apprête à lui donner encore celui de fonder des associations syndicales. Vouloir le couvrir, par surcroît, d’une protection spéciale, c’est, en vérité, manquer de logique. S’il est majeur, s’il est apte à se conduire et en état de se défendre, il n’a que faire de cette protection ; s’il en a besoin, c’est qu’il est resté mineur ; en ce cas, pourquoi lui donner des droits dont il ne veut pas ou ne peut pas faire usage ? La protection légale des enfants et des femmes se conçoit et se justifie à merveille ; des hommes libres doivent la repousser.

Considéré au point de vue de l’application, le projet de M. Nadaud ne supporte pas mieux un examen tant soit peu attentif. Il tend à établir entre les diverses catégories de citoyens, entre les travailleurs aussi bien qu’entre les employeurs, des distinctions et des inégalités arbitraires. C’est arbitrairement qu’il vise les ouvriers des manufactures et non les ouvriers des petites industries ni les employés de commerce, ni une foule d’autres individus qui sont des travailleurs pourtant, tout comme les ouvriers proprement dits. C’est arbitrairement encore qu’il fixe à dix heures et non à onze, à neuf ou à huit la durée normale de la journée de travail, alors que cette durée normale dépend de la nature des industries, des conditions de la production, des exigences de la consommation et d’autres circonstances variables. Si l’on fixe un maximum, pourquoi pas un minimum ? On trouve qu’aujourd’hui une journée de dix heures est suffisante ; bientôt on la réduira à neuf, à huit il n’y a pas de raison pour s’arrêter.

Tandis que M. Nadaud prend sous sa protection les ouvriers des manufactures, un de ses honorables collègues se fait le champion de ceux qu’il appelle les serfs du chemin de fer et qui sont aussi, selon lui, victimes d’une odieuse exploitation. Il veut, par exemple, que l’État oblige les Compagnies à restituer à leurs ouvriers et employés, lorsqu’elles les congédient, les sommes qui leur ont été retenues pour la retraite. Mais avant d’imposer une telle loi aux entreprises privées, l’État ne devrait-il pas commencer par la pratiquer le premier envers les fonctionnaires qu’il révoque ou qui meurent avant l’âge de la retraite ? Que l’État fasse dans son domaine des expériences, qu’il donne des exemples, soit ; si ses expériences réussissent, si ses exemples sont bons, il ne manquera pas d’imitateurs. Mais qu’il prétende obliger les autres à faire ce qu’il ne fait pas lui-même, cela est inadmissible ! Que l’État, qui est un grand producteur, puisqu’il a des arsenaux, des manufactures de tabac et de poudre, etc., réduise chez lui, s’il le veut, le travail à dix heures ; qu’il établisse la comparaison de la productivité de la journée de douze heures et de celle de dix heures, rien de mieux ; mais qu’il laisse aux patrons majeurs et ouvriers majeurs, armés du droit de coalition et d’association, la faculté de travailler le nombre d’heures qu’ils voudront. En résumé, M. Nadaud est un très brave homme qui a d’excellentes intentions, mais qui entraînerait ses collègues dans une voie déplorable. Grâce à lui, nous aurions bientôt une caisse de retraite subventionnée pour les ouvriers, qui demanderait à l’impôt, chaque année, 700 ou 800 millions ; nous aurions l’assurance par l’État et d’autres obligations plus coûteuses les unes que les autres. Le malheur est que M. Nadaud est suivi par un certain nombre de braves gens aussi bien intentionnés, mais aussi irréfléchis que lui, puis par des chercheurs de popularité, et enfin par les protectionnistes, qui comptent bien mettre à profit pour eux-mêmes et qu’ils aident à obtenir pour les ouvriers.

M. Achille Mercier rappelle que les Français, en général partisans de la réglementation du travail, invoquent volontiers l’exemple de l’Angleterre, qui, disent-ils, malgré son culte traditionnel pour le self government, en est venue avant nous à des lois protégeant le faible contre le fort, l’ouvrier contre le patron. Mais il faut savoir comment les choses se sont passées de l’autre côté de la Manche.

C’est en 1829 que l’agitation a commencé, en faveur, non pas de tous les ouvriers, mais seulement des femmes et des enfants qui travaillaient dans les mines. Ces femmes et ces enfants se mirent à parcourir les rues des grandes villes en longues processions, chantant des cantiques d’une voix plaintive. Cela parut très émouvant, surtout aux ladies, qui prirent parti pour ces pauvres êtres sortis des catacombes. On obtint une loi portant que les femmes et les enfants ne travailleraient plus dans les mines ; et, plus récemment, une autre loi a été votée, qui fixe à huit heures la durée de la journée de travail, toujours pour les femmes et les enfants, il n’était point question des hommes ; mais comme les femmes et les enfants formaient dans un grand nombre de manufactures la majorité du personnel ouvrier, lorsqu’ils quittaient l’atelier, le travail s’arrêtait forcément, et par le fait la journée se trouvait ainsi réduite à huit heures pour beaucoup d’ouvriers. Il est d’ailleurs d’usage général, en Angleterre, que le travail cesse au milieu de la journée du samedi ; il est toujours suspendu le dimanche, et les heures de travail se comptent, non à la journée, mais à la semaine.

En ce qui concerne la France, M. Mercier est d’avis, comme les précédents orateurs, que les enfants doivent être protégés par la loi, mais que les ouvriers adultes, qui sont électeurs, qui ont le droit de coalition et vont avoir le droit d’association, peuvent bien se protéger eux-mêmes.

M. Limousin est aussi de cet avis.

Toutefois, il ne croit point, comme M. Récipon, que la réduction à dix heures de la journée de travail doive avoir pour effet d’élever de 15 pour 100 les frais de production. Selon lui, l’ouvrier qu’on oblige à travailler douze heures reste bien douze heures à l’atelier, mais il ne fait guère que la besogne de dix heures, et cela par la raison que ses forces ne lui permettent pas de faire plus. En ne le retenant que dix heures, on obtiendrait aisément de lui la même somme de travail. Cela peut être vrai pour certaines industries, où c’est l’ouvrier lui-même qui travaille ; mais dans les grandes industries mécaniques, comme les tissages, les filatures, les scieries, etc., où le travail de l’ouvrier n’est que l’auxiliaire et le complément du travail des machines, il est évident, ce me semble, que deux heures de travail de plus ou de moins par jour font, au bout de l’année, une forte différence. M. Limousin répond à M. Leroy-Beaulieu, qui ne veut point qu’on établisse de distinction entre les diverses catégories de travailleurs, que ces distinctions sont imposées, dans certains cas, par la nature des choses.

Ainsi, M. Limousin admet bien que l’État ne se mêle point de protéger les ouvriers qui peuvent soutenir leurs réclamations par la coalition et la grève ; mais les employés et ouvriers de chemins de fer n’ont pas ce moyen d’action ; leur travail ne peut être suspendu. S’ils s’avisaient de se mettre en grève, la force armée interviendrait pour les faire rentrer dans l’ordre.

M. Alglave montre comme quoi la question n’est pas aussi simple qu’elle paraît.

Il faut examiner les choses de près pour s’en faire une juste idée. On dit volontiers que, de la part des manufacturiers du Nord, la réduction de la journée à dix heures est une manœuvre protectionniste. C’est possible, et la manœuvre est fallacieuse, car ces manufacturiers savent bien que cette réduction ne ferait que les mettre à peu près sur le même pied que leurs concurrents anglais, chez lesquels la journée n’est aussi que de dix heures ou même de huit heures. En tout cas, il n’y a pas que les protectionnistes qui demandent cette réduction. À Reims, les ouvriers de la laine l’ont réclamée, parce que, disaient-ils, la journée de douze heures ne leur permettait jamais de dîner en famille. Ce motif très moral a paru digne de considération. Les patrons disaient bien que ce n’était qu’un prétexte, et qu’au fond la plupart des ouvriers se souciaient assez peu des joies du foyer domestique. Néanmoins, ils ont consenti à réduire la journée à onze heures, en la divisant de telle sorte que les ouvriers fussent libres à l’heure du repas. Mais les ouvriers ont trouvé la division mauvaise et ont déclaré qu’ils préféraient encore en revenir à l’ancien système. Quant aux manufacturiers, ils ont une raison, qui paraît plausible, pour refuser de réduire la journée à dix heures. Ce n’est pas contre leurs concurrents étrangers que cette réduction rendrait pour eux la lutte impossible, mais contre ceux du Nord, qui emploient beaucoup d’ouvriers flamands et belges, les payent peu et les font travailler jusqu’à quatorze et quinze heures par jour. Faites une loi qui rende la journée de dix heures obligatoire pour tout le monde, disent les gens de Reims, nous l’acceptons ; mais ne nous demandez pas de faire seuls une concession dont les autres se dispensent ; vous nous ruineriez ! C’est donc faute d’avoir su résoudre entre eux à l’amiable leur différend, que patrons et ouvriers réunis font appel à l’intervention du législateur. Quant aux manufacturiers de Roubaix et des autres centres industriels de la même région, ils n’accorderont pas non plus bénévolement la réduction à dix heures, parce qu’ils trouvent autant qu’ils en veulent des Belges qui consentent à travailler douze et quatorze heures. C’est malheureux pour les ouvriers français, mais on n’y peut rien, si ce n’est de leur conseiller l’émigration à l’intérieur.

À ce propos, M. Alglave insiste sur le devoir qui s’impose aux économistes d’éclairer, de guider les ouvriers par de sages avis, au lieu de les abandonner aux suggestions des agitateurs intéressés. Il assure, pour l’avoir éprouvé par lui-même, que les ouvriers, ceux du Nord en particulier, qu’il a longtemps fréquentés, sont loin d’être aussi rebelles qu’on le croit aux bons conseils, et qu’en faisant appel à leur bon sens, à leur intérêt bien entendu, à leur patriotisme, on réussit à s’en faire écouter. Le tout est de savoir les prendre.

M. Joseph Garnier veut seulement faire remarquer que déjà l’application de la loi sur le travail des enfants rencontre toutes sortes de difficultés. Ce sera bien pis quand il s’agira des ouvriers.

M. G. Renaud estime néanmoins que la loi sur le travail des enfants a produit de bons résultats, et il espère qu’elle en produira d’autres encore ; seulement, il faut du temps ; Paris n’a pas été fait en un jour. Ce n’est pas une raison, en tout cas, pour réglementer le travail des adultes.

Un des graves inconvénients de cette réglementation, comme de toutes les autres au surplus, c’est de s’appliquer en bloc, indistinctement, à des conditions très diverses. Aussi le mieux est-il de laisser chaque industrie s’organiser et fonctionner comme il lui convient. On dit que la journée de douze heures est excessive. Mais la journée de douze heures n’existe pas en réalité. L’ouvrier qui reste douze heures à l’atelier ne travaille pas tout ce temps ; il a des intervalles d’inaction souvent assez prolongés, qui résultent de la division même du travail, lorsqu’ils ne sont pas volontaires, car le travailleur ne se fait pas faute de « flâner » de temps en temps. M. Renaud ajoute que beaucoup de nos honorables députés ont voté la loi un peu légèrement, pour faire plaisir à M. Martin Nadaud. Quelques-uns, il est vrai, ont obéi à des sentiments plus égoïstes, et ont supputé in petto les bénéfices que cette loi pourrait leur rapporter ultérieurement en leur fournissant un prétexte pour réclamer un surcroît de protection. Quoi qu’il en soit, la partie n’est pas perdue, et si l’on sait choisir un bon terrain de discussion, la victoire peut encore rester au bon sens.

M. Bonnal ne veut pas plus d’une loi de maximum des heures de travail ou des salaires que d’une loi de maximum des prix, et il ne veut pas davantage des chambres syndicales et du droit banal d’association. Il est révolutionnaire en ce sens que, comme M. Courcelle-Seneuil, il se réclame exclusivement de la Révolution et s’en proclame l’héritier fidèle et respectueux. Ce que la Révolution a fait est bien fait ; ce qu’elle n’a pas fait n’est pas à faire ; ce qu’elle a défait n’est pas à refaire. La Révolution a fait l’égalité civile et la liberté du travail : il faut les maintenir ; elle a supprimé les corporations de métiers : il faut se garder de les rétablir sous un autre nom. M. Nadaud et ses amis raisonnent comme s’il n’y avait en France qu’une industrie, la grande, celle des usines, des mines et des grandes manufactures. À côté de cette grande industrie, il y en a des centaines de moyennes et de petites. Le Code de commerce a essayé de les cataloguer ; il n’y a pas réussi, mais au moins a-t-il fait une œuvre instructive et démontré à l’avance l’impossibilité de la réglementation projetée.

M. Nottelle, sans rentrer dans le fond de la question, demande à présenter une courte observation qui l’éclaire et qui la domine.

Les orateurs précédents ont été presque unanimes à repousser l’intervention de l’État. Ils avaient raison. Mais avec la jurisprudence que nos deux corps législatifs viennent de fixer par la loi sur la marine marchande, qui reconnaît à l’État le droit, plus que régalien, de prendre dans la poche des uns pour enrichir les autres, il n’est plus permis de lui contester celui de régler les heures du travail des ouvriers, et même, si cela lui plaît, le taux de leurs salaires.

On a parlé de manœuvre protectionniste ; je ne sais si manœuvre il y a. Mais si, comme on n’en peut douter, la diminution des heures de travail augmente le prix de revient de nos produits, il faudra bien élever d’autant les droits protecteurs dont ils ont besoin pour se délivrer de la concurrence étrangère. Ce sera tout simplement, sans aucune manœuvre, que nous rentrerons ainsi en plein dans le régime de la protection.

A propos de l'auteur

Institution centrale dans le débat des idées économiques au XIXe siècle, la Société d’économie politique comptait comme membres toute la fine fleur de l’école libérale française, dont elle permettait le renouvellement et à qui elle offrait des opportunités de discussions engagées.

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