Notes finales à la relation abrégée 
sur la Société d’agriculture de Londres

IV. Notes finales à la relation abrégée sur la Société d’agriculture de Londres

[Relation abrégée de l’origine, des progrès, et de l’état actuel de la Société établie à Londres en 1754,
pour l’encouragement des arts, des manufactures et du commerce
, 1764.]

 

Page 5. [a]. J’ai ouï dire qu’on avait proposé au cardinal de Fleury de donner tous les ans trois prix de 12 000 livres chacun, pour des courses semblables à celles dont parle l’auteur.

Cette proposition lui parut d’autant plus avantageuse, qu’il savait le peu de fruit qu’on retirait des haras. Il disait souvent qu’on avait trop abandonné en France l’exercice du cheval, et que les voitures s’étaient trop multipliées. Que dirait-il aujourd’hui ? Comme les chevaux de trait nous manquent plus encore que les chevaux de selle, il serait à souhaiter qu’on accordât aussi des prix à ceux qui en élèveraient. Mais pour faire prospérer ces encouragements, il serait essentiel d’écarter toute gêne, toute contrainte, toute prédilection. Les succès dépendent toujours du degré de liberté qu’on laisse à ceux qui veulent se distinguer par quelque endroit. À l’égard des prédilections, elles avertissent de passer à intriguer tout le temps qu’on devrait employer à bien faire. Le prix de la course est donné, pour ainsi dire, par le public ; ainsi la faveur perd de son influence destructrice. Serait-il impossible d’assurer la même impartialité à l’égard des chevaux de trait ?

Page 11. [b]. Il est évident, par la comparaison des prix, que les marchands de bois et de charbon faisaient des profits excessifs. Ces marchands formaient sans doute une association, une compagnie ; et par conséquent les denrées ne pouvaient s’obtenir qu’au prix qu’ils avaient déterminé entre eux. Cette réunion d’intérêts est le seul moyen de concevoir pourquoi et comment les denrées se soutenaient à un prix exorbitant. La concurrence entre des marchands dont les intérêts sont séparés, produit nécessairement un effet contraire ; chacun s’empresse de vendre et de s’assurer la préférence, en livrant la marchandise à sa vraie valeur. C’est ce qu’on éprouve partout et dans toutes sortes de commerces. Le moyen qu’employa M. Shipley était bien choisi. Vendre à meilleur marché, c’est un moyen infaillible d’obtenir la préférence, et de forcer les concurrents à se contenter de moindres profits, parce qu’ils seraient ruinés s’ils ne vendaient pas. Mais l’opération de ce bon citoyen était une œuvre de charité qui ne pouvait arrêter le monopole que pour peu de temps et d’une manière bornée. Il eût mieux valu procurer le même bien au public par une opération de commerce ; l’avantage eût été plus grand et plus durable.

Le commerce des denrées est sans comparaison celui qui intéresse le plus une nation ; c’est aussi celui dont en général on s’occupe le moins. Ce serait l’altérer que de convertir les reventes en aumônes, parce que les marchands se verraient forcés de se retirer, et que par conséquent les propriétaires et leurs fermiers auraient tout à perdre par le défaut de concurrence d’acheteurs. La multitude d’acheteurs soutient le prix des denrées ; le grand nombre de marchands revendeurs les entretient à un prix raisonnable pour le consommateur. Par là tout est dans un ordre de prospérité. Le propriétaire et le fermier trouvent dans la vente des productions de quoi soutenir et augmenter même leurs entreprises ; les marchands cherchent à se dédommager de la modicité de leurs profits en les multipliant ; et le consommateur qui voit augmenter ses revenus ou ses salaires, en proportion de l’accroissement des richesses du sol, consomme plus, et se trouve en état de payer. Tant que ce niveau subsiste, un royaume se soutient dans un état florissant. Mais il dépérirait sûrement, s’il arrivait ou que les denrées fussent à vil prix, ou que le commerce se convertît en monopole, ou que les reventes se fissent au prix coûtant, ou que les consommations fussent bornées. M. Shipley fit donc un petit bien particulier qui n’aurait pu augmenter ou se perpétuer sans produire un mal général. 

Page 13. [c]. C’est l’auteur de la statique des végétaux et de l’analyse de l’air, dont M. Buffon a publié une excellente traduction. Cet ouvrage est un modèle supérieur qui devrait être continuellement sous les yeux de ceux qui font des observations et des expériences.

Page 21. [d]. Je ne connais pas assez bien l’Angleterre pour juger si elle n’aurait pas besoin d’une autre société, dont les travaux tendraient à faire cesser ces causes de découragement, qui arrêtent presque partout les progrès des arts, des sciences, des manufactures, et qui tendent à les anéantir. On doit supposer que cette société serait très nécessaire ; car il faut que les citoyens utiles rencontrent des obstacles bien difficiles à vaincre, puisqu’ils ont besoin d’être encouragés par des récompenses dans un pays où le patriotisme est si vif et si général. Le patriotisme en France n’a pas besoin d’être soutenu par ces secours étrangers. Elle a des poètes, des orateurs, des historiens, des sculpteurs, des peintes, des manufacturiers, de savants agriculteurs, de riches commerçants. Ces grands hommes en tout genre ne reçoivent aucun encouragement, aucune récompense. Il faut que l’air que nous respirons soit plus vivifiant que celui d’Angleterre, ou que le génie et l’industrie des Anglais soient continuellement resserrés par des liens moraux ou politiques que je ne connais pas.

Page 29. [e]. Le chevalier Decker (p. 43) dit que la taxe pour l’entretien des pauvres a été portée en quelques endroits à plus de 8 sols par livre du prix des baux, ce qui paraît incroyable. L’auteur du bilan de l’Angleterre (p. 36) dit qu’à prendre cette taxe en total, on estime qu’elle va au moins au dixième du prix des baux. Ce serait certainement de quoi fournir à tous les besoins : mais il arrive là comme ailleurs, que le désir de s’enrichir anime souvent ceux qui se dévouent à l’administration des secours accordés à l’indigence. D’où il résulte que la taxe pour les pauvres est excessive sans être toujours suffisante. Détourner de leur destination des fonds si sacrés, c’est un sacrilège ; cependant on n’a pas d’exemple en Angleterre même, que ce crime ait été puni, quoique dénoncé au public, et par de bons citoyens, et par les richesses mêmes de ceux qu’on accusait de l’avoir commis. Mais malgré un abus si révoltant, il est fort sage aux Anglais de laisser subsister la taxe qui en est l’occasion. Presque tous les pauvres y sont connus, et ils le savent. Cette circonstance suffit pour en contenir un très grand nombre ; et cette classe d’hommes est sans comparaison celle qu’il importe le plus de contenir. Ils peuvent tout oser, et la police ou timide ou impuissante n’ose presque rien contre une multitude qui ne se montre qu’individuellement, et toujours avec l’appareil touchant du besoin et de la souffrance.

Il n’y a point parmi nous de taxe légale en faveur des pauvres ; cependant ils vivent, et ils sont en très grand nombre : d’où il résulte qu’ils font chaque année une levée immense sur la nation ; c’est une surabondance ruineuse de population, qui subsiste aux dépens de la population laborieuse et utile. Mais dans nos mœurs et dans notre position, il est presque impossible de remédier à un mal si grand en lui-même, et si dangereux par les conséquences qu’il peut avoir.

Les personnes qui du premier coup d’œil aperçoivent le but, mais qui ne songent jamais aux moyens de l’atteindre (c’est le caractère de presque tous les Français, je devrais peut-être dire de tous, tant les exceptions sont rares) ; ces personnes, dis-je, ont proposé mille fois de purger les villes de mendiants : mais elles n’ont jamais pensé qu’on ne quitte les villes que pour aller dans les campagnes ; que dans les campagnes, comme dans les villes, on ne peut abandonner la mendicité que lorsqu’on peut subsister par des salaires ; que les salaires dépendent du degré d’aisance de ceux qui les accordent ; que par conséquent il est indispensable d’attendre qu’il y ait quelque aisance dans les campagnes pour y reléguer les mendiants.

On ne peut cependant dissimuler le péril qui est une suite inséparable de cette multitude de pauvres qui infestent les villes, et dont le nombre s’accroît de jour en jour. S’il est vrai, comme quelques personnes le prétendent, que Paris renferme quarante-cinq mille mendiants, comment arrêterait-on les effets d’une confédération sourde que leur aurait dicté le besoin, l’insensibilité naturelle à ceux qui ont beaucoup à gagner et rien à perdre, et l’espérance, pour ne rien dire de plus, d’une entière impunité ?  Il est difficile d’arrêter quarante-cinq mille malheureux appuyés de la commisération publique ; il serait plus difficile encore de les renfermer dans un lieu où ils pussent être surveillés. Où prendrait-on jour par jour de quoi fournir à leur subsistance, et au salaire de ceux qui serait chargés de les contenir ? On pourrait, dira-t-on, les écarter peu à peu ; mais où iraient-ils ? Comment subsisteraient-ils dans les lieux qu’ils iraient surcharger de leur misère ? La force coercitive est et sera toujours impuissante contre un renversement de mœurs causé par la soif et la faim.

Page 29. Après les mots des richesses prodigieuses, voyez la note ci-dessus, pag. 124. 

Page 39. [f]. Le colbalt ou cobolt est une substance minérale dont on tire l’arsenic, comme le remarque l’auteur, et qui a la propriété de donner la couleur bleue au verre. J’ai peine à croire que ce soit pour l’Angleterre un objet d’importation bien considérable.

À l’égard de la garance, on en fait une consommation immense pour la teinture : ainsi c’est un article très intéressant pour tous les pays de fabrique. On en importa en France pendant l’année 1758 pour près de 500 000 livres ; cependant nos manufactures n’étaient pas alors dans un état bien florissant. Les mémoires de la Société d’agriculture de Rouen, page 260, portent que nous en achetons année commune pour près de deux millions.

Les Anglais ont fait une observation très importante pour leur commerce, dont il est bien étonnant que nous n’ayons pas su profiter. Ils ont remarqué que les étoffes dont la teinture était éclatante plaisaient beaucoup plus aux consommateurs (quoique médiocres pour les matières et pour la fabrication) que des étoffes de matières supérieures et très bien fabriquées, mais dont les couleurs ont moins d’éclat : en conséquence ils s’attachent particulièrement à la beauté des teintures, afin de pouvoir épargner sur la qualité des matières et sur la main-d’œuvre du fabricant. Cette économie les met en état de vendre à meilleur marché, et par conséquent en plus grande quantité.

En France, les choses ont été envisagées d’un autre côté. Au lieu de diriger les fabriques vers le goût, ou les fantaisies des consommateurs, on a supposé qu’ils devaient préférer les bonnes matières bien fabriquées, quoique plus chères.  En conséquence on a négligé les teintures, et les fabricants ont été assujettis à ne faire usage que des plus belles matières, et à les fabriquer dans toute la perfection possible. Les consommateurs aimant mieux acheter à bon marché des étoffes moins durables qui leur plaisent, que de payer cher des étoffes qui ne leur plairaient pas, quoique plus durables, nous vendons peu et plus cher. Les manufactures anglaises se multiplient ; les nôtres diminuent. Ils vendent au plus grand nombre de consommateurs, parce que le bas prix est à leur portée ; nous ne vendons qu’au petit nombre, parce qu’il n’y a partout que peu de gens en état d’acheter cher.

Si l’esprit de calcul ou d’imitation nous portait à changer de maxime, nous n’aurions qu’à ouvrir une souscription pour assurer des prix à ceux qui découvriraient le secret d’appliquer aux étoffes de belles couleurs, et à bon marché : on trouverait sûrement des chimistes qui ne tarderaient pas à remporter tous ces prix.

Page 43. [g]. Dans tout cet écrit, on doit entendre par le mot livre la livre sterling, qui vaut 22 liv. 10 s. de notre monnaie : ainsi un prix de 30 liv. sterlings répond à 675 liv. de France.

Page 47. [h]. Les Anglais sont plus éclairés que moi sur leurs intérêts ; mais j’avoue que cet encouragement m’étonne. L’effet qu’on en attend sans doute est d’augmenter la quantité de soie nationale, et de parvenir insensiblement à l’avoir à meilleur marché que la soie étrangère. Lorsque la soie est chère, on en porte peu. La plupart des consommateurs ne pouvant payer les étoffes les plus communes de cette espèce, prennent le parti de porter de la laine. L’agriculture du pays y gagne, et les habitants ont une plus grande abondance de laines, de peaux, de suifs, de viandes de boucheries, etc. Si au contraire la soie devient commune, et par conséquent à la portée de toutes les classes de citoyens, il me semble que la grande consommation de cette matière équivaut à un arrêt de mort contre une multitude de troupeaux. L’Angleterre pourrait-elle soutenir sa culture et ses fabriques sans moutons, et la soie pourrait-elle dédommager de la culture des terres et des fabriques de laines ?

Page 61. [h]. C’est le titre d’une gazette anglaise.

Page 69. [i]. Cette médaille qu’on n’a pas cru devoir faire graver pour la placer à la tête de cette traduction, a dix-neuf lignes de diamètre.

Page 83. [j]. Voilà une entreprise d’autant plus honorable pour cette société, qu’il semble que le ministère anglais aurait dû disputer à des particuliers la gloire de la former et de l’exécuter. Faire cesser un monopole dans une ville aussi étendue, aussi peuplée que Londres ; assurer un moyen de subsistance de plus à ses habitants ; augmenter les forces d’un État maritime et commerçant, en favorisant la profession utile et périlleuse de matelot ; c’est ce que pourrait faire de plus sage un ministre éclairé et bienfaisant.

La société fut obligée d’obtenir un acte du Parlement, qui laissait à toute personne, commerçante ou non, la liberté de vendre et d’acheter du poisson. Il n’est donc pas étonnant que jusqu’alors ce commerce n’eût été qu’un monopole, et que la ville de Londres éprouvât une disette presque continuelle de poisson. La rareté des denrées est un moyen nécessaire aux monopoleurs pour faire d’immenses profits avec de très faibles avances. Il n’y a que la concurrence qui puisse anéantir des abus si révoltants, et la concurrence s’établit partout où l’autorité n’attache pas des entraves.

Si un royaume était maritime, commerçant et de plus catholique, ce serait le servir triplement que d’y faire une opération semblable, quant aux effets, à celle de la société anglaise. À Paris, par exemple, où tout le monde est catholique par devoir, tout le monde fait gras les jours maigres par nécessité. Le poisson y est fort rare, par conséquent fort cher ; la vente est gênée de mille manières, par conséquent il ne s’établit aucune concurrence sur les moyens de le procurer plus frais et en plus grande abondance. L’industrie meurt, partout où elle n’est pas vivifiée par des intérêts séparés et concurrents. Cependant il serait si consolant de voir un aliment si nécessaire aux besoins physiques et religieux s’y multiplier et devenir à la portée de tous les consommateurs par son abondance !

Tout le monde sait qu’indépendamment des difficultés qui se sont multipliées sur cette branche de commerce (qui depuis longtemps n’est plus une branche de commerce), les droits d’entrée suffiraient pour repousser presque tout le poisson qui pourrait se consommer dans Paris. Mais tout le monde ne sait pas jusqu’où va la modicité du produit de ces droits auxquels on a sacrifié l’encouragement des matelots, et une branche très importante de subsistance pour les habitants de la capitale d’un royaume catholique.

Le produit des droits sur le poisson de mer est partagé. Une partie assez considérable appartient à la Ferme générale ; une autre dépend de la Ferme des aides dans les généralités de Normandie ; enfin il y a des droits imposés à la vente dans Paris, qui ont été aliénés à une communauté, moyennant une finance. Ce qui dépend de la Ferme générale et de celle des aides ne m’est pas suffisamment connu. Voici ce que je sais par rapport aux droits de la communauté des jurés-vendeurs de marée.

Les droits dont il s’agit, ou plutôt les charges dont jouissent ceux au profit de qui ils se lèvent, furent créées en 1543. Elles ont été supprimées depuis. On les rétablit en 1730 ; mais on ne leur attribua que la moitié des droits qui avaient été imposés avant 1689, et de ceux auxquels les premiers avaient été réduits en 1715. En formant un total des droits de ces deux époques, il se trouve que le roi s’en est réservé la moitié dont les Fermiers généraux jouissent ; l’autre moitié a été aliénée. Ces droits ont été augmentés par un édit du mois de décembre 1743 ; mais cette augmentation a été réduite d’un tiers par une déclaration du 7 juillet 1756.

Depuis cet édit jusqu’à cette déclaration, les droits ont été de 48,3% de la valeur que le poisson s’est vendu ; c’est-à-dire que celui qui vendait pour 100 liv. de poisson, ne recevait en effet que 51 liv. 14 sols pour sa marchandise : le reste du prix tournait au paiement des droits. L’année commune prise en 1756 sur dix années, n’est que de 270 366 l. D’où il faut conclure qu’en supposant que le poisson frais se vend l’un dans l’autre 20 s. la livre pesant, il ne s’est consommé année commune dans Paris, qu’environ 560 milliers pesant de poisson de mer frais. C’est beaucoup moins d’une livre de poisson par tête pour chaque habitant dans le cours d’une année entière. On peut juger par là combien il y a de milliers de personnes qui en sont totalement privées. Il faut en conclure aussi, que si les droits étaient réduits à un dixième de ce qu’ils sont, et qu’il fût libre à tout le monde de vendre du poisson, leur produit annuel augmenterait sensiblement, parce que la consommation serait plus que décuplée. Il est aisé d’imaginer que chaque habitant, l’un dans l’autre, peut manger plus de dix livres de poisson dans le cours d’une année ; puisque plus du tiers de l’année est composé de jours maigres, en rejetant sur la masse totale des habitants l’abstinence particulière ordonnée aux maisons religieuses par leurs règles. D’ailleurs il y a certainement plus de 560 000 habitants dans Paris : ainsi l’augmentation des droits concourt avec l’intérêt des citoyens pour faire désirer dans Paris une révolution semblable à celle qui s’est faite à Londres par rapport au poisson de mer.

En portant ses vues plus loin, on voit que le royaume y gagnerait des matelots, parce que ce sont les pêches qui les font naître et qui les forment. Les tisserands qui font des toiles à voiles, les cordiers, les cultivateurs qui fournissent la matière première à ces artisans, aux faiseurs de filets, aux peigneurs, aux fileuses, enfin une multitude de sujets du roi auraient une ressource de plus pour payer et leurs impôts personnels et la multitude incroyable d’autres impôts qu’ils payent par leurs consommations, de quelque espèce qu’elles soient. C’est en cela et non en une capitation chimérique que consiste la richesse de l’État.

Depuis la réduction des droits en 1756, ils ne furent plus que de 39 liv. 18 s. sur 100 francs de poisson ; mais en ajoutant à cet impôt le sol pour livre établi par la déclaration de 1760, et le vingtième de ce sol pour livre au profit de l’Hôpital, plus le sol pour livre établi par l’édit du mois d’avril 1763, il se trouve qu’on paye aujourd’hui 44 liv. 1 s. 10 d. pour 100 francs de poisson. Ainsi celui qui vend ne retire pour son poisson, pour ses frais de transport, pour sa dépense personnelle, pour son profit, pour le dédommagement du poisson gâté ou invendu, etc., que 55 liv. 18 s. tandis que les droits ont en produit net et sans aucun risque 44 liv. 1 s. 10 d. 

Page 87. [k]. Il y a très longtemps qu’on s’aperçoit en France de la diminution des bois en tout genre. On n’a pris encore aucune mesure pour en faire planter. Cependant il n’y a que trop de terrains incultes qu’on pourrait rendre utiles aux générations suivantes par des plantations actuelles. Si le gouvernement ou de riches particuliers voulaient établir des prix pour cet objet, il ne suffirait pas de les accorder indistinctement, comme on a fait en Angleterre, à quiconque sèmerait ou planterait une certaine quantité de bois. Il faudrait imposer la condition de les placer à une petite distance, ou des grandes villes, ou des ports de mer, ou des rivières navigables qui conduisent aux unes et aux autres. Il faudrait de plus que les propriétaires de ces bois et leurs descendants ne pussent les faire abattre qu’après un certain nombre d’années, sous peine d’en voir passer la propriété à la ville la plus voisine, ou à tout autre corps, qui par là serait intéressé à veiller à leur conservation. Faute de ces précautions, il arriverait : 1° qu’on planterait beaucoup de bois dans des lieux éloignés des grandes consommations ; ainsi le public et les propriétaires n’y gagneraient rien. Il existe actuellement des quantités immenses de bois dont on ne peut faire usage, tandis que la disette en est sensible dans mille autres endroits ; 2° que les bois qui seraient semés ou plantés, seraient convertis en tailles de très bonne heure, parce que les hommes sont en général très impatients de jouir, et qu’ils sacrifient aisément des biens qui n’enrichiraient que leurs descendants, à de petits intérêts du moment. Il y a des bois à de très petites distances de Paris, qui auraient été une ressource inestimable dans un siècle, et qui ne serviront jamais qu’à faire des fagots. On peut même assurer qu’ils ne tarderont pas à être entièrement perdus pour l’État, parce que le fauve broute les renaissances à chaque coupe, et que les souches ne résistent pas longtemps à ces attaques réitérées. La forêt de Vincennes en est un exemple. 

Les gens éclairés ne regarderont pas ce qu’on propose comme un obstacle aux plantations. On sait que toute gêne, toute contrainte est destructrice de l’objet auquel on l’applique : ainsi il est essentiel que les propriétaires jouissent d’une entière liberté sur l’emploi, la vente ou la conservation de ce qui leur appartient. Mais ici on envisage une production excitée pour un but particulier. En y attachant une récompense, on y imposerait certaines conditions. La liberté resterait toute entière de la part de ceux à qui la récompense serait pro-
posée, puisqu’il dépendrait d’eux d’accepter les conditions, ou de les rejeter.

Page 87. [l]. On doit entendre par là 200 000 l. sterlings, qui répondent à 4 500 000 l. de notre monnaie. Une somme si considérable, employée à l’achat d’une seule espèce de drogues pour la teinture, est bien propre à donner la plus haute idée des richesses de l’Angleterre en productions nationales préparées dans les manufactures.

Page 89. [m]. J’ai remarqué (p. 128) que l’Angleterre pouvait perdre beaucoup à encourager l’éducation des vers à soie. Je ferai la même remarque sur les encouragements accordés à l’éducation des abeilles.

Dans un royaume où l’on consomme de tout, mais où le commerce des denrées est gêné ou prohibé, je ne suis pas étonné que les particuliers se tournent du côté de la soie et des mouches à miel, lorsque le produit de ces branches d’industrie est fructueux. Il est tout naturel de s’attacher à ce qu’on peut vendre librement, par conséquent avec profit, et d’abandonner ce dont on ne peut disposer, parce qu’alors on est plutôt dépositaire que propriétaire, et qu’on a tout à perdre, en laissant son bien dans un dépôt. Mais dans un royaume où il y a sûreté et liberté pour les productions, j’avoue que je suis étonné qu’une compagnie cherche à encourager parmi ses compatriotes l’éducation des abeilles. Elles ne peuvent se multiplier qu’autant que leur produit sera consommé ; ainsi l’encouragement renferme en soi le vœu de faire brûler une très grande quantité de bougies en Angleterre.

Mais la bougie diminue nécessairement la consommation des suifs, et la diminution des suifs entraîne nécessairement celle des laines, des peaux, et ce qui est pis encore, celle de l’agriculture. Il me semble donc qu’il serait plus conforme aux principes d’une bonne administration de ne pas donner des prix à ceux qui auraient le plus grand nombre de ruches.

Il faut avoir de tout dans un État opulent, et qui par conséquent consomme beaucoup ; mais il suffit de laisser agir l’intérêt particulier pour être sûr de ne manquer de rien.  Si la nation consomme une grande quantité de bougies, les ruches se multiplieront sans autre encouragement que la certitude de vendre avec profit ; mais il ne faut pas que l’envie d’avoir de tout porte à favoriser une branche qui ne peut prospérer sans en dessécher une autre qui est en elle-même plus importante et plus fructueuse. C’est à des combinaisons justes sur ces matières qu’on reconnaît les hommes capables d’embrasser toute la chaîne des objets qui forment la prospérité publique. Il pourrait arriver qu’après avoir multiplié les ruches, et par conséquent l’usage de la bougie, la Société sentît la nécessité d’accorder des prix
à ceux qui volontairement en détruiraient la plus grande quantité ; alors ces prix monteraient à des sommes presque égales à la valeur des ruches qui se trouveraient en Angleterre, parce qu’il faudrait qu’ils fussent un dédommagement suffisant pour les possesseurs. D’où l’on peut conclure que la Société s’est engagée dans une route qu’elle ne peut quitter trop tôt.

Il vaut mieux se mettre à portée de vendre beaucoup de grains, de peaux, de laines, etc., afin d’être en état d’acheter un peu de bougie étrangère, que d’avoir beaucoup de bougie nationale aux dépens de ses grains, de ses peaux, de ses laines, etc.

Page 89. [n]. Les chanvres de quelques provinces de France sont supérieurs à bien des égards, à ceux de tout autre pays. Ils se multiplieraient aisément, sans accorder d’autre prix aux cultivateurs que la certitude de vendre, parce que les profits qu’on peut faire sur cette culture sont très considérables. Mais il faudrait essentiellement que tous les chanvres qu’emploie la marine du roi fussent pris en France ; au lieu que ceux qui entreprennent ces fournitures, les tirent presque tous du nord. Il serait odieux d’interdire l’usage des chanvres étrangers à des particuliers. Le bien du royaume demande que le consommateur soit aussi libre pour acheter où il veut, que le cultivateur de vendre à qui et quand il veut. Mais le roi qui est le grand propriétaire et le grand consommateur, et qui par conséquent a le plus grand intérêt à multiplier les productions du sol, trouverait certainement beaucoup d’avantage à n’employer dans sa marine que les denrées qui croissent dans ses États. Ce serait un moyen sûr de les multiplier en assez peu de temps. Alors les particuliers qui veulent aujourd’hui des chanvres étrangers, voudraient certainement des chanvres de France. Ainsi l’usage qu’ils feraient de leur liberté tournerait au profit de la nation.

Page 95. [o]. Il y a près de vingt ans que le procédé de cette précieuse teinture est connu en France. M. Goudar, de la ville d’Aubenas dans le bas Vivarais, est le premier qui en ait fait la découverte. Il obtint en 1746 une pension de 400 livres ; rien n’était plus juste. Mais il demanda, et il obtint un privilège exclusif ; ce qui, pendant toute la durée du privilège, a mis une barrière à l’industrie de quelques autres personnes qui ont découvert ou le même procédé, ou d’autres procédés qui donnent le même résultat. Tant il est vrai qu’il n’y a que la liberté et la concurrence qui soient profitables au commerce.

Depuis que le temps du privilège est expiré, il s’est formé des établissements de teinture du coton en rouge des Indes ou de Turquie, à Darnetal près Rouen, à Saint Chamond-en-Forez, à Nîmes ; et tout le monde aujourd’hui peut faire de semblables établissements, à moins que les maîtres teinturiers de chaque ville n’y mettent obstacle, en vertu du privilège exclusif que leur donne leur maîtrise, d’appliquer toutes sortes de teintures aux matières et aux étoffes ; privilège qui embrasse les couleurs mêmes que ces prétendus maîtres ne savent pas employer.  Celle dont il s’agit ici, a été longtemps un secret que conservaient avec soin ceux qui le possédaient ; mais il a été divulgué par la Société d’agriculture de Bretagne. Il est imprimé, page 316 des Mémoires qu’elle a publiés pour les années 1759 et 1760. Ce secret lui avait été donné par M. Hellot de l’Académie de sciences. Il ne pouvait venir de meilleure main.

Je n’ai qu’une réflexion à faire à cette occasion. Les différentes personnes qui ont découvert le secret de teindre le coton en rouge, ont voulu s’en faire un bien privatif ; en cela elles ont usé de leur droit. On a accordé un privilège exclusif ; c’était porter un coup à l’industrie nationale qui ne peut être trop excitée, parce que l’État perd à proportion des entraves qu’elle reçoit. Une société de citoyens a livré au public ce qui n’est vraiment utile qu’autant que tout le public peut en profiter ; elle n’a fait que remplir un devoir. Mais aujourd’hui plus que jamais on mérite les plus grands éloges, lorsqu’on remplit ses devoirs, même ceux qu’on eût regardé dans d’autres temps comme les plus indispensables.

Je remarque que la Société anglaise ne parle que de la teinture du coton, et que le procédé qu’a fait imprimer celle de Bretagne ne réussit aussi que sur le coton. Comme le lin et le chanvre sont des productions nationales pour nous et pour les Anglais, il paraît étonnant qu’on n’ait pas songé à proposer un prix considérable à celui, de quelque nation qu’il fût, qui trouverait et donnerait la méthode de teindre le chanvre et le lin rouge des Indes et de Turquie. On y songera sans doute, lorsque nous aurons surabondamment de la soie et du coton de notre crû, et que le lin et le chanvre qui sont mille et mille fois plus estimables, commenceront à nous manquer.

Page 97. [p]. On jugera de l’intérêt qu’ont les nations à perfectionner les machines par un fait très certain. La plupart des matières premières coûtent aussi cher et plus cher aux Anglais qu’à nous ; le prix de la main-d’œuvre est chez eux fort au-dessus de ce qu’elle coûte en France. Cependant lorsqu’ils portent leurs marchandises dans les marchés étrangers, ils les vendent, qualité pour qualité, au même prix que nous, et souvent au-dessous de nos prix. Ceci a l’air d’un paradoxe ; mais rien n’est plus aisé à concevoir. Ils ont quantité de machines qui, par le moyen d’un seul ouvrier, expédient plus d’ouvrage en un jour que quatre de nos ouvriers les plus diligents. Ainsi, quoique le salaire de celui qu’ils emploient soit beaucoup plus fort qu’en France, ils ont beaucoup à gagner, parce qu’ils n’ont qu’un homme à payer, tandis que nous en payons quatre. La machine qu’ils substituent à nos bras ne consomme pas jour par jour, comme des hommes ; elle n’a pas besoin de salaires : d’où il arrive que les Anglais épargnent, et que nous perdons beaucoup en frais. Par exemple, supposons que le rouet dont on parle ici, fournisse par les soins d’une seule personne le même produit en fil, que quatre femmes qui se serviraient des rouets ordinaires. Il est évident que le fabricant n’a qu’un quart à payer de la main-d’œuvre, que coûterait à un autre la même quantité de fil. Comment soutenir la concurrence d’une nation qui a si bien saisi ce principe important, qu’en tout la diminution des frais d’exploitation, est augmentation de richesses de produit ? 

Je sais qu’il y a encore quelques personnes qui pensent que les machines, en suppléant les hommes, nuisent à l’État, en diminuant la population. Mais avec un peu de méditation, on aperçoit sans peine que ce n’est pas la population prise d’une manière isolée qui fait la force des royaumes. Il faut que cette population, en quelque nombre qu’elle soit, puisse être entretenue dans une certaine aisance par les salaires que fournissent les richesses nationales. S’il ne s’agissait que d’occuper beaucoup d’hommes, il suffirait de détruire les moulins à eau et à vent, les rouliers, les canaux, etc. Il faudrait une multitude incroyable pour remplacer ces grands moyens par les efforts petits et multipliés de nos bras.  Un très grand nombre de gens que j’habille, que je nourris, etc., au lieu de m’enrichir, m’appauvrissent évidemment. Il est de la même évidence que si je puis obtenir un travail égal avec moins d’ouvriers, je m’enrichirai de toute l’épargne que je ferai sur les salaires ; que par conséquent je pourrai vendre mes denrées ou mes marchandises à meilleur marché, et par une suite de conséquence, que je pourrai fortifier mes établissements de culture ou de fabrique, et verser sur d’autres ouvriers l’augmentation de revenu qui aura résulté de mes épargnes sur les frais. C’est la seule voie d’augmenter une population utile à l’État. Si au contraire je me ruinais en frais d’exploitation, j’abandonnerais mon entreprise, et la misère aurait bientôt dispersé ou anéanti cette population onéreuse que je me serais follement obstiné à soutenir. Je me contente d’indiquer ici les principes sur cette matière. Si je voulais entrer dans les détails de ce qui constitue la différence entre les biens d’une nation et ses richesses ; entre une population qui produit en consommant, et une population qui détruit en proportion qu’elle consomme ; il ne resterait pas un seul partisan aux petites fermes et aux fabriques qui occupent des bras que les machines peuvent suppléer. Mais ces détails me mèneraient trop loin. Contentons-nous de faire remarquer qu’on gagne plus à obtenir quatre livres de fil par jour d’une fileuse qui gagne 20 s. que de quatre fileuses qui gagneraient 10 s. chacune, parce que dans le dernier cas les quatre livres de fil coûteraient 40 s.

Page 99. [q]. Persuadé, comme je le suis, des avantages que retire une nation des machines qui diminuent le nombre d’ouvriers, je regarde en général les moulins à scier des planches comme des établissements très utiles ; cependant je crois devoir dire que l’utilité en est bornée, lorsqu’on ne possède pas de vastes forêts. L’établisse-ment et l’entretient de ces moulins coûtent beaucoup. On est dédommagé de ces dépenses dans les pays couverts de bois, parce que ces moulins travaillent nuit et jour. On sent bien qu’ils refendent une quantité prodigieuse de planches, surtout lorsqu’ils portent seize scies, comme ceux dont parle l’auteur. Mais en Angleterre où il y a peu de bois, et en France même, quoiqu’il soit moins rare, la matière manquerait à des machines si expéditives : ainsi des moulins à quatre scies pourraient y mériter la préférence sur ceux qui en font agir seize.

D’un autre côté, les frais d’établissement et d’entretien seraient à très peu de chose près les mêmes pour un moulin à quatre ou à seize scies ; ainsi ceux qui voudraient en construire, pourraient y perdre, s’ils n’avaient pas fait entrer dans leurs calculs tous les éléments de profits et de pertes. Pour réussir, il faudrait : 1° avoir à sa portée une grande abondance de bois, puisqu’une machine serait parfaitement inutile, si la matière qu’elle doit travailler venait à manquer ; 2° s’assurer que la quantité de planches qu’on pourrait employer ou déboucher, serait suffisante pour dédommager des avances et des frais d’entretien, et pour donner du profit.

Je doute fort qu’en Angleterre on puisse occuper bien des moulins de cette espèce, avec bénéfice pour les entrepreneurs.

L’exemple des Hollandais ne prouverait rien pour les autres nations. Ils n’ont point de bois ; mais ils en tirent des quantités incroyables du nord, non seulement pour leur propre consommation qui est immense, mais pour la consommation plus immense encore des autres nations dont ils se sont rendus les pourvoyeurs. Ils gagnent sur plusieurs entreprises de même genre ; d’autres y perdraient.

Au reste la Société anglaise a peut-être envisagé ces moulins relativement à l’usage qu’on en peut faire dans les colonies d’Amérique. Dans ce cas, on ne peut que la louer d’avoir récompensé ceux qui lui en ont fourni des modèles ; c’est gagner des deux mains que de procurer des bois refendus à l’Angleterre qui en manque, et que d’employer ceux de l’Amérique, qui par leur surabondance sont très nuisibles à des plantations plus lucratives.

Page 109. [t]. Cet article mérite la plus grande attention de la part du gouvernement. Nous avons regardé jusqu’à présent nos vins comme une denrée inestimable dont la nature nous avait donné le privilège exclusif pour l’éternité, parce que ce sont les seuls qui conviennent à toutes les nations, et qui résistent aux exportations par mer. Si les Anglais qui, comme le dira bientôt l’auteur de cette relation, embrassent dans l’immensité de leurs possessions tous les climats du monde, ont la persévérance de faire essayer tous les terrains, en récompensant tous ceux qui feront des essais, il est moralement impossible qu’ils ne découvrent pas des expositions, et un sol pareil à ceux de Bourgogne, de Champagne et de Guyenne. Alors on aura une preuve de plus de cette vérité que la communication de toutes les productions de la nature est un devoir de nation à nation, comme d’homme à homme, et un devoir que notre intérêt seul devrait nous faire remplir ; que par conséquent c’est une grande méprise que de compter sur un privilège exclusif donné par la nature. Elle donne tout, mais elle le donne pour tous. Nous avons des blés ; des nations en manquent. Nous nous ôtons la liberté d’aller nous enrichir en les secourant. Nous avons des vins ; nous cherchons à en diminuer la quantité, en défendant de planter des vignes, et en ordonnant d’arracher une partie de celles qui étaient plantées. Que dirions-nous, si le Nord et la Barbarie fermaient leurs ports, lorsque notre police et des monopoles intérieurs nous font éprouver les maux d’une disette réelle ? Que n’avons-nous pas dit et écrit contre la pratique des Hollandais de brûler les épiceries, lorsqu’ils en ont une trop grande quantité pour pouvoir les vendre au prix qu’il leur plaît de fixer ? Les Anglais auront peut-être un jour d’aussi bons vins que les nôtres ; et au lieu de faire arracher les vignes, ils feront tous leurs efforts pour devenir les fournisseurs de vin de l’univers. La Société anglaise se flatte de découvrir des climats où l’on pourra cultiver des épiceries, et sûrement les Anglais chercheront à les vendre, au lieu de les brûler. On peut conjecturer que si la France avait multiplié ses vignes, et qu’elle eût enrichi ses cultivateurs, en permettant à toutes les nations de porter nos vins en concurrence dans nos propres colonies, les Anglais auraient moins d’ardeur à exciter ce genre de culture dans l’Amérique septentrionale. Peut-être même n’y eussent-ils jamais pensé. On peut conjecturer aussi que si les Hollandais rendaient les épiceries plus communes en les vendant au lieu de les brûler, aucune nation n’eût songé à se dédommager par des plantations qui sont toujours fort dispendieuses, et dont les productions ne peuvent être vendues de longtemps au même prix que celle des établissements formés.

Page 109. [u]. La potasse est un sel alkali mêlé de tarte vitriolé, et même d’autres sels produits par la combinaison des bois morts qu’on réduit en cendres dans les forêts du nord : on lessive les cendres, et on les calcine dans les fourneaux de réverbère. La potasse sert dans les teintures, dans les blanchisseries de fils, de toiles, etc.

Page 111. [x] Cette Société vient d’établir des prix considérables, 1° pour ceux qui importeront dans le port de Londres de la morue sèche nommée stockfish ; 2° pour ceux qui établiront à quinze lieues au plus de Londres des parcs pour y mettre des pétoncles. C’est un poisson à coquilles, bon à manger, et qui, comme l’huitre, deviendra peut-être meilleur en le parquant ; 3° pour ceux qui importeront des cocons de soie venus dans la Géorgie et dans la Caroline méridionale. 

Elle s’est engagée de plus à accorder des récompenses à ceux qui établiront dans les colonies anglaises de l’Amérique septentrionale des jardins ou pépinières, pour y élever des plantes qui ne croissent point naturellement en Angleterre. 

Voyez la Gazette du commerce, Province, du 23 août 1763. N°42.

Page 111. [y] Avec justice, je le crois ; avec décence, cela peut être relativement à l’Angleterre ; car on sent bien que ce qui s’accord avec les règles de la décence dans un pays, pourrait s’en éloigner dans un autre. J’ai ouï dire à un Français qui passa à Londres en 1761 avec M. de Buffy, et qui assista à quelques-unes des assemblées de la Société anglaise, que les matières y sont quelquefois discutées d’une façon qui lui parut se rapprocher beaucoup plus de la dispute que de la discussion. Un jour surtout quelqu’un s’avisa de parler de la Société que les États de Bretagne ont formée sous le titre de Société d’agriculture, de commerce et des arts. On écouta avec la plus grande attention et le plus grand silence l’exposition des objets que cette Société avait en vue, et des moyens qu’elle employait pour les faire prospérer. Mais à l’assemblée suivante, plusieurs des membres qui avaient entendu ce récit, et qui avaient eu tout le temps de s’enflammer par leurs réflexions, parlèrent avec tant de vivacité contre la Société de Bretagne ; ils firent tant d’efforts pour faire envisager comme une affaire d’État, de travailler à renverser cet établissement, que les gens froids eurent toutes les peines du monde à faire entendre que chaque nation devait avoir la liberté de travailler à l’amélioration de sa culture, de son industrie et de son commerce. Cette scène vive eut peut-être duré pendant plusieurs séances, si quelqu’un n’eût pas fait remarquer que l’inconstance française ne permettrait pas que cet établissement eût des succès durables.

Page 113. [z]. L’auteur dit dans son introduction que presque tout le temps du secrétaire est employé aux fonctions de son emploi. Je le crois aisément. Je crois de plus que si le statut de le tirer au sort chaque année est exécuté, il doit à peine avoir le temps de connaître ses registres, les mémoires, les essais, les modèles, etc., dont il est dépositaire. Quoique l’Angleterre ait beaucoup de gens de mérite, je doute qu’on soit à portée d’y trouver bien des sujets capables d’être secrétaires d’une Société qui embrasse tant d’objets, et qui exige par conséquent de la part de cet officier des connaissances si approfondies et si diversifiées. Les compagnies savantes ne peuvent apporter trop d’attention au choix d’un secrétaire ; mais lorsqu’elles ont eu le bonheur d’en trouver un, leur intérêt et leur gloire doivent les porter à le rendre perpétuel, et à former des vœux pour qu’il fournisse une carrière aussi longue que celle de M. de Fontenelle. 

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