Observations chrétiennes et politiques sur le célibat des prêtres

Observations chrétiennes et politiques sur le célibat des prêtres

par l’abbé de Saint-Pierre

BPU Neuchâtel, ms. R257. 

Auquel on a ajouté dans le corps du texte : Observation. Addition au traité du célibat. Objection 8, BNF, ms. N. A. fr. 11231, f. 176r-177r.


OBSERVATIONS CHRÉTIENNES ET POLITIQUES SUR LE CÉLIBAT DES PRÊTRES

OCCASION DE CET OUVRAGE

Une des choses qui étonna le plus le czar lorsqu’il voyageait en France incognito, ce fut d’apprendre d’un côté que le célibat ordonné pour les prêtres n’était regardé dans la communion romaine que comme un point de discipline que l’Église romaine ne peut retrancher, sans rien retrancher d’essentiel à la religion, et de l’autre, que les souverains de cette communion ne laissaient pas de permettre, depuis près de huit cents ans, que l’on exigeât cette pratique dans leurs États.

Son étonnement venait de ce qu’il voyait en France quantité de bonnes lois et de sages établissements politiques, et il ne pouvait digérer que dans un royaume si bien policé, on y eût laissé jusqu’ici par négligence une pratique qui, d’un côté, n’est point du tout essentielle à la religion et qui, de l’autre, est si préjudiciable à la nation, et même au christianisme, puisque ce célibat diminue considérablement le nombre des sujets et des chrétiens.

L’étonnement du czar me fit méditer sur cette matière, et je trouvai qu’il était beaucoup mieux fondé que je n’aurais cru. Ainsi, je vais en parler non en controversiste, ni en docteur de théologie, mais seulement en simple politique et en simple citoyen d’une société chrétienne, non aux théologiens, mais aux souverains et aux papes qui gouvernent pour des fins différentes les États catholiques.

IMPORTANCE DU SUJET

Si d’un côté le célibat des prêtres n’est qu’un point de discipline que l’Église peut facilement changer, comme tous les autres qu’elle a changés, si ce point de discipline extérieure n’a jamais été regardé comme fondement essentiel du schisme, s’il n’est point essentiel à la religion chrétienne, s’il n’a jamais été regardé comme fondement essentiel du schisme que nous avons avec les Grecs et avec les protestants, si une infinité de saints prêtres, et de saints évêques ont été mariés, si tous avaient liberté entière de se marier durant les quatre premiers siècles, même dans l’Église latine, et dans tous les siècles dans l’Église grecque, si le célibat est une bonne pratique, mais telle que l’Église peut la changer en une autre beaucoup plus avantageuse à la société chrétienne, tant par de grandes aumônes, que par la multiplication de nouveaux chrétiens.

Si, par des dispenses, l’Église romaine, et les États catholiques doivent recevoir plusieurs grands avantages de rentrer dans cette ancienne liberté de la primitive Église, s’il s’agit pour l’Église romaine d’avoir ou de ne pas avoir tous les ans plus de quatre-vingt mille chrétiens de plus, s’il s’agit pour les princes catholiques d’avoir plus de quatre-vingt mille sujets de plus ou de les avoir de moins, on voit que cette affaire paraîtra des plus importantes, tant pour l’Église romaine que pour les souverains catholiques.

Mais avant que de montrer ces grands avantages de la multiplication des chrétiens pour l’Église, et des sujets pour les princes catholiques, il ne sera pas inutile de faire quelques réflexions sur les avantages que ces dispenses procureraient aux États catholiques du côté même des bonnes mœurs.

AVANTAGES DU CÔTÉ DES BONNES MŒURS

1.

Il est certain que plus un prêtre, un curé, un chanoine vertueux a des moyens de procurer une augmentation de bonheur à plus de personnes par son exemple, par sa patience, par ses instructions journalières, plus la religion et la société chrétienne en peuvent recevoir d’utilité.

Or si les quarante mille curés de France et les soixante mille, tant vicaires qu’autres prêtres, chanoines, et clercs avaient, année commune, vingt mille enfants de quatre-vingt mille mariages, ces enfants seraient certainement presque tous mieux élevés à la vertu que les autres enfants des autres habitants moins bien instruits, moins bien élevés. Ainsi il est évident que non seulement l’État politique en serait plus riche et plus puissant, par l’augmentation du nombre de ses habitants, mais que les fidèles eux-mêmes en seraient beaucoup plus édifiés, que les œuvres de justice et de bienfaisance en seraient beaucoup multipliées.

2.

Comme les curés peuvent et doivent être choisis parmi les vicaires ou autres prêtres, qui sont plus modérés et qui ont plus de justice et de patience que le commun des hommes, ils seront toujours en général et plus instruits des devoirs de la justice, et plus vertueux que pareil nombre d’autres hommes de pareilles professions. Et comme ils doivent donner les exemples de patience et de douceur, il est vraisemblable que les femmes des prêtres, en imitant leur patience et leur vertu, seront ordinairement plus vertueuses que les autres femmes. Or, n’est-ce pas apporter une grande utilité à la religion que d’établir en Europe plus de trois cent mille femmes ou veuves mieux instruites des devoirs de la religion et communément plus vertueuses qu’elles n’auraient été, et que les autres femmes ordinaires des différentes familles de la nation ?

3.

Il y a, dit-on, de la difficulté à observer toujours le célibat. Donc il y a plus de mérite à garder le célibat qu’à bien vivre dans le mariage : mauvais raisonnement. Il y a plus de difficulté à se couper la main. Donc il y a plus de mérite qu’à rendre service à son prochain de cette main. Il est vrai que plus on surmonte de difficultés pour servir son prochain, plus on prouve que la charité qu’on a pour le prochain est grande. Mais le mérite ne se mesure véritablement que par la grandeur du désir de plaire à Dieu et par la grandeur de l’utilité qui revient au prochain d’avoir surmonté ces difficultés. Or, quelle grande utilité revient-il aux autres chrétiens des difficultés que surmontent, et des peines que souffrent les prêtres célibataires, en comparaison de la grande utilité qui reviendra à la société de la grande augmentation du nombre des familles chrétiennes, et de la meilleure éducation de quatre-vingt mille familles ?

4.

Tout le monde convient qu’un prêtre, qui aurait comme Socrate une femme de mauvaise humeur, et des enfants à bien élever, aurait encore plus de difficultés à surmonter pour la calmer et pour l’adoucir avec une grande patience, et pour corriger ces enfants, que n’en a le prêtre non marié à garder la continence. Ainsi, du côté des difficultés, il n’y en a certainement pas moins à surmonter dans le mariage que dans le célibat.

5.

Dans les bons curés mariés, les difficultés qu’ils surmontent par leur douceur et par leur patience sont très utiles à leurs femmes et à leurs enfants, tant pour les rendre plus heureux que pour les rendre plus vertueux, au lieu que les difficultés du célibat ne peuvent être utiles qu’au célibataire.

6.

Le curé grec, père de famille, homme juste et bienfaisant, a plusieurs devoirs à remplir envers plus de personnes, que n’a pas celui qui pratique le célibat. Or celui qui a plus de devoirs envers plus de personnes et qui les remplit bien et avec même désir de plaire à Dieu, ne mérite-t-il pas davantage que celui qui a moins de devoirs, qui ne les remplit pas mieux, ni avec plus de désir de plaire à Dieu ?

7.

Il y a plus des trois quarts des prêtres, qui, comme les autres hommes, se marieraient s’ils n’avaient pas promis solennellement par le vœu du célibat de ne se point marier. Une partie de ceux-là scandalisent le prochain par leur conduite vicieuse. Or, s’ils avaient été mariés, ils n’auraient plus causé tant de scandales ; donc la religion y gagnerait, de ce côté-là, la diminution du nombre des scandales que donnent les ministres de l’Église quand ils sont vicieux.

8.

Plusieurs prêtres, dont l’esprit est petit et borné, se persuadent aisément qu’ils remplissent bien leurs devoirs pourvu qu’on n’ait rien à leur reprocher du côté du célibat, parce que, souvent, c’est l’article le plus difficile pour eux. Cette opinion fait qu’ils négligent des devoirs de justice et de bienfaisance qui sont bien autrement importants, soit pour leur propre salut, soit pour l’édification du prochain ; de sorte que, de ce côté-là, par cette fausse opinion des prêtres et du peuple, le célibat cause un grand mal, en diminuant chez eux la pratique de la justice et de la bienfaisance, vertus dont l’observation est bien plus importante dans la religion que n’est l’observation du célibat.

9.

Le principal devoir d’un curé, c’est de donner dans sa conduite de bons exemples à ses paroissiens, dans les points qui sont les principaux et les plus ordinaires de la vie. Il est certain que les devoirs d’un père de famille sur la patience et la douceur envers sa femme, sur l’attention à l’éducation et à la conduite de ses enfants sont des points principaux et des plus ordinaires de la vie. Or, comment le curé qui n’a ni femme ni enfants pourra-t-il sur cet article donner des exemples d’un excellent père de famille ?

10.

Autrefois, les curés n’avaient pas le secours des bons prônes, des bons sermons imprimés. Ainsi, ils avaient besoin de plus de temps pour composer leurs prônes. Mais depuis que toutes les meilleures instructions propres aux paroissiens sont imprimées, le curé n’a plus besoin d’en composer de nouvelles, qui vaudraient beaucoup moins. Ainsi, quoique marié, quoiqu’occupé de sa famille, il aurait le long de l’année un loisir plus que suffisant pour instruire par ses lectures ses paroissiens de leurs devoirs, et pour les exciter à les remplir.

11.

Si le curé veut passer plus de temps qu’il n’est nécessaire dans la lecture, on ne l’oblige pas d’avoir ni femme ni enfants ; mais on peut seulement observer que, souvent, il servira moins bien la religion par de grandes lectures presque inutiles à des paysans, que le curé marié par son bon exemple de père de famille, et par la bonne éducation qu’il donnera à ses enfants, et par des discours solides et instructifs sur ce qu’il y a d’injuste dans les actions journalières de ses paroissiens, en les rappelant sans cesse à la première règle : ne faites point contre un autre ce que vous ne voudriez pas qu’il fît contre vous, supposé qu’il fût à votre place et vous à la sienne.

12.

On peut observer que, pour montrer aux paroissiens les moyens de faire leur salut, il n’y a que trois points principaux à leur enseigner : 1° les articles qu’ils doivent croire tels qu’ils sont dans le credo ou dans les autres confessions de foi, ou dans les petits catéchismes, ce qui est très facile ; 2° il faut leur enseigner les choses qui sont défendues, et celles qui sont ordonnées pour être justes dans leur condition, pour éviter ainsi l’enfer ; 3° les occasions où ils doivent pratiquer la patience et les autres parties de la bienfaisance pour plaire à Dieu et pour obtenir le paradis. Or, est-il nécessaire à un curé, ni de composer, ni même de beaucoup lire, pour être en état d’enseigner ces choses à ses paroissiens ? Le point principal n’est-il point qu’il leur donne bon exemple sur tous leurs devoirs ?

13.

Il n’est pas douteux que les prêtres qui savent qu’ils doivent aux séculiers l’exemple des vertus, sont ordinairement plus modérés, plus doux, plus tempérants, plus appliqués à leurs devoirs que les autres hommes du commun et que s’ils avaient des enfants, ils n’eussent plus de soin de les élever dans les pratiques des vertus et dans une vie studieuse et appliquée, pour les rendre plus capables de mieux servir l’Église par leurs talents et de leur succéder dans de semblables bénéfices. Or, qui doute que la religion et l’État ne retirassent un grand avantage d’une pareille éducation qui commencerait d’être donnée dès les premières années, dans les vues des vertus ecclésiastiques, par les pères mêmes, d’un côté plus capables d’élever les enfants, et de l’autre très intéressés à leur donner de bonnes habitudes au travail et à la vertu ?

14.

Nous approuvons, et avec raison, le zèle de nos missionnaires qui, pour étendre notre sainte religion et la faire suivre par un plus grand nombre de fidèles, s’exposent à de grands dangers sur les mers, dans les déserts et au milieu des nations plus cruelles que les bêtes féroces. Or un simple concordat pour régler avec chaque souverain le prix de la dispense du célibat donnerait en Europe au moins quatre-vingt mille nouveaux fidèles bons catholiques et des catholiques sûrs, dont la foi ne serait point exposée aux caprices des souverains infidèles. Ainsi, outre les nouveaux chrétiens que font tous les jours les missionnaires parmi les barbares, nous aurions en vingt ans plus de huit cent mille chrétiens de plus, au milieu des nations catholiques. Or, ne serait-ce pas un grand avantage pour la religion de procurer ainsi une augmentation si considérable du nombre des fidèles ? Il arriverait même que les aumônes des dispenses pourraient entretenir quatre fois plus d’ouvriers évangéliques dans ces missions étrangères qui feraient une moisson quatre fois plus grande.

15.

N’est-il pas vrai que plus il y aurait de sujets laborieux, habiles et vertueux qui se présenteraient pour servir l’Église, mieux elle serait servie ? Or, si l’on était dispensé de faire le vœu de célibat, il y aurait un beaucoup plus grand nombre de sujets habiles et vertueux qui se présenteraient pour servir l’Église ; donc elle serait beaucoup mieux servie.

16.

Comme les bonnes mœurs et les talents utiles au public seraient les principaux degrés pour arriver aux bénéfices, les représentations des femmes et la considération de l’éducation et de l’établissement des enfants produiraient dans les prêtres et dans les vicaires de nouveaux efforts pour acquérir à plus haut point ces talents et ces vertus, le tout au grand avantage de la société ; et ce nouveau ressort aurait dans les curés et dans les autres bénéficiers le même effet pour obtenir des bénéfices plus considérables. Un homme seul tient moins à la société qu’une famille entière, les uns pour les autres.

Telles sont les considérations qui démontrent avec évidence aux ministres des États catholiques que la religion ne perdra rien du côté des bonnes mœurs, mais même qu’elle gagnera à donner présentement aux prêtres et aux bénéficiers la dispense pour la liberté de se marier, liberté qu’avaient autrefois les apôtres mêmes et leurs disciples les plus parfaits et les saints évêques des quatre ou cinq premiers siècles, même de l’Église latine. Il est vrai que quelqu’un proposa au concile de Nicée, l’an 325, d’ordonner aux évêques de se séparer de leurs femmes, mais cette proposition fut sagement rejetée.

Ces considérations précédentes sont apparemment les mêmes qui, à ce que l’on dit, portèrent un jour le pape Pie second à dire en parlant du célibat des prêtres, l’Église latine pour de bonnes raisons a défendu autrefois le mariage aux prêtres, mais pour d’autres meilleures raisons elle devrait le leur permettre présentement.

Ces meilleures raisons, c’est la considération de la perte annuelle de plus de quarante mille catholiques que fait perdre par an le célibat des prêtres à l’Église romaine, au grand avantage des Églises protestantes. Il suffit, dira-t-on, que l’Église nationale ait le pouvoir dans un concile national de réformer un article de sa discipline ecclésiastique, lorsqu’il diminue si considérablement la puissance, la force et la richesse de la nation, pour mettre le Roi en droit, et même dans l’obligation, de convoquer un concile national. Pour moi je crois plus facile et plus sûr d’obtenir du pape un concordat pour régler le prix des dispenses, soit en prenant les ordres sacrés, soit en prenant possession d’un bénéfice. Mais voyons en détail les raisons politiques de chaque souverain pour solliciter auprès du pape un pareil concordat.

INTÉRÊTS DES SOUVERAINS POUR DEMANDER LES DISPENSES DU CÉLIBAT

1.

Il n’y a personne qui doute que plus un État est peuplé, plus il est propre à augmenter ses richesses, ses revenus et sa puissance, soit par les arts et les manufactures, soit par la culture des terres, soit par l’augmentation du commerce, soit par le nombre de ses troupes. Or, dans la France seule, il y aurait plus de cent mille ecclésiastiques et il y aurait plus de vingt mille prêtres mariés, sans ceux qui demeureraient volontairement dans le célibat.

2.

Ces cent mille familles et les enfants qui en sortiraient fourniraient chaque année, l’une portant l’autre, plus de vingt mille habitants de plus par an pour les quatre-vingt mille mariages des prêtres, en comptant les enfants des enfants, ce qui ferait en vingt ans plus de trois cent mille, en deux cents ans plus de quatre millions de Français de plus, déduction faite des mourants, car les enfants qui peuvent se marier à vingt ans peuvent avoir de nouveaux enfants.

Sur ce pied-là on voit que si François Ier en 1533 eût fait un concordat avec le pape pour fixer les aumônes des dispenses du célibat des prêtres, il y aurait en France quatre millions d’habitants de plus. Or, en prenant la France pour le quart de l’Europe catholique, on voit que le célibat des prêtres, seulement depuis François Ier, l’a privée de seize millions de catholiques qu’elle a de moins, et que les États protestants ont de plus. Ils se fortifient dans nos imprudences.

3.

À l’égard de la durée des familles, il est évident que les maisons nobles dureraient beaucoup plus, puisque beaucoup de prêtres et d’évêques nobles auraient des enfants et que ces enfants soutiendraient le nom et pourraient profiter des substitutions de leurs ancêtres.

4.

L’anéantissement des familles est arrivé dans plusieurs maisons souveraines par le vœu du célibat des ecclésiastiques ; la maison d’Autriche ne serait pas aujourd’hui réduite à un seul mâle si la dispense du célibat eût été facile à obtenir pour les évêques : André d’Autriche, évêque de Constance et de Brixen, mort en 1600 ; Charles d’Autriche mort évêque de Breslau en 1624 ; Charles d’Autriche, mort archevêque de Tolède en 1641 ; Ferdinand d’Autriche mort évêque de Passau et de Breslau en 1664.

5.

Ne doit-on pas regarder comme un grand avantage dans un État d’avoir un beaucoup plus grand nombre d’enfants mieux élevés, de femmes douces et vertueuses, et parmi le peuple un beaucoup plus grand nombre de chefs de famille plus justes et plus patients ?

INTÉRÊTS DU SAINT-SIÈGE ET DE LA COUR DE ROME POUR ACCORDER LES DISPENSES DU CÉLIBAT

1.

Autant les souverains catholiques gagneront de nouveaux sujets, autant l’Église et le chef de l’Église gagneront de nouveaux fidèles. Si la puissance des princes devient plus grande, la puissance de l’Église catholique et du chef de cette Église en devient plus grande à proportion. Or ce sera l’effet naturel de plus de trois cent mille mariages de plus dans l’Église catholique.

2.

Les prêtres et les bénéficiers auront dans les dispenses du célibat une nouvelle dépendance du pape. Ainsi son autorité sur eux en augmentera, car le pape pourra toujours refuser la dispense à celui qui lui serait suspect d’hérésie ou de mauvaises mœurs.

3.

Non seulement il aura les prêtres et les bénéficiers plus soumis par la dispense du célibat, mais leurs femmes et leurs enfants les porteront d’autant plus à la soumission au Pape, que sans la dispense la famille ne pourrait jouir d’aucun bénéfice pour sa subsistance.

4.

Le Pape n’a pas les prêtres, ni la moitié des curés dans sa dépendance, parce qu’ils n’ont aucun besoin de lui pour posséder leurs cures, au lieu qu’il aura tous ceux qui désireront des dispenses.

5.

Le Pape aura encore dans sa dépendance les femmes et les enfants des bénéficiers ; il aura toutes leurs familles, au lieu qu’il n’a présentement dans sa dépendance que les chefs de ces familles futures.

6.

Comme les abbés et les évêques désirent souvent ou de nouveaux bénéfices, ou des bénéfices plus considérables, moyennant une demi-annate, l’amour qu’ils ont pour leurs familles qui désirent cette augmentation de revenu, et par conséquent la dispense, les rendront encore plus soumis au Saint-Siège qui peut refuser ces dispenses.

7.

L’Église universelle a beaucoup de grands besoins auxquels le Pape serait fort aise de subvenir, et il en aura les moyens par les huit cent quatre-vingt mille écus romains d’aumônes annuelles et plus de huit millions d’écus romains pour une fois payés, qu’il recevrait dans les premières années, comme l’on va voir.

8.

Nous avons montré que le mariage des curés multiplierait les bonnes mœurs de leurs femmes, de leurs enfants, et de leurs paroissiens. Or n’est-ce pas un grand avantage pour le christianisme que la justice y soit mieux observée, et la charité envers le prochain pratiquée par plus de chrétiens ?

PREMIER MOYEN
Pour rendre aux prêtres par les dispenses leur ancienne liberté sur le mariage

Dans tous les projets avantageux à l’État, dans lesquels on prévoit des obstacles, il faut comme à Rome former d’abord une congrégation passagère ou bureau passager pour trouver les expédients propres à les lever.

L’établissement de ce bureau est un moyen général qui peut servir à tous les moyens particuliers, puisqu’il suffira pour trouver et mettre en pratique les moyens les plus convenables pour faire réussir l’affaire, mais je ne laisserai pas d’en proposer deux autres pour y être examinés.

SECOND MOYEN,
Négocier avec les princes de la communion romaine

Cette affaire regarde l’intérêt des princes voisins catholiques. Ainsi, il est à propos de leur communiquer le mémoire qui démontre l’intérêt de la nation pour cette liberté ancienne, et d’obtenir d’eux de former une pareille Jonte de personnes, qui trouvent l’affaire très avantageuse, tant pour l’Église que pour l’État.

Il est certain, que plus il y aura de souverains qui désireront le succès de l’affaire, plus chacun trouvera de facilité à faire son concordat avec Rome.

TROISIÈME MOYEN,
Négocier avec la Cour de Rome

1° Pour réussir avec facilité dans cette affaire, il est à propos de la négocier avec la cour de Rome.

2° Il faut que chaque État fasse en sorte que le Saint-Siège trouve l’intérêt présent de la religion et des églises catholiques dans le concordat qui réglera l’aumône par la bulle de dispense du célibat des prêtres avec les modifications et les restrictions, dont on conviendra.

Comme il en reviendra au Saint-Siège des aumônes considérables de la part des prêtres et des bénéficiers, pour être par lui employées aux bonnes œuvres de l’Église romaine, et que les mœurs des séculiers en seront perfectionnées, l’Église, loin d’en souffrir la moindre diminution, en recevra de grands avantages.

Si l’on convient, par exemple, de dix onces d’argent d’aumône, c’est-à-dire à peu près de dix écus romains ou soixante livres monnaie présente de France, rendus à Rome tous frais faits, pour chaque dispense de célibat pour les ecclésiastiques qui prendront le sacerdoce, et de demi-annate du bénéfice lorsqu’ils voudront en prendre possession à l’avenir, et pareille aumône, par ceux qui en ont déjà pris possession et qui voudront avoir permission de se marier, on trouvera que les dispenses produiront une somme très considérable en aumônes soit pour le présent soit pour l’avenir.

Le Saint Père pourra employer ces aumônes à la subsistance des cardinaux pauvres, au rachat des captifs, aux pensions du Prince Prétendant, à la propagation de la foi, au mariage des pauvres filles et à d’autres œuvres de charité de son choix. Ainsi toutes les parties intéressées en recevront un avantage considérable : l’État, l’Église, le souverain, les prêtres, les familles, le pape, les cardinaux, les captifs, etc.

Il se fait par an en France plus de deux mille prêtres, qui achèteraient la dispense à dix onces. C’est vingt mille onces d’argent. Il s’y donne par an plus de deux mille bénéfices, soit cures, abbayes, prieurés et canonicats, à cent onces ou cent écus romains ; l’un portant l’autre pour la demi-annate, c’est deux cent mille onces, et en tout, c’est deux cent vingt mille écus romains par an pour les aumônes de la France seule qui n’est que le quart des pays catholiques.

Ce serait donc huit cent quatre-vingt mille écus romains par an pour les aumônes de l’Europe catholique, qui s’emploieraient en une multitude infinie de bonnes œuvres d’une utilité incomparablement plus grande pour le prochain que celle qui peut revenir à l’Église et à la société chrétienne du célibat.

À l’égard des dispenses actuelles pour les bénéficiers vivants qui voudraient avoir actuellement dispense de se marier, il s’en trouverait en France plus de dix mille, ce qui ferait à quatre-vingts écus romains chacun, plus de huit cent mille écus romains pour les aumônes de la France seule et plus de trois millions d’écus romains pour les aumônes du total de la communion romaine, que le Pape d’aujourd’hui pourrait recevoir, sans compter le courant.

Il serait à propos que chaque couronne fît son concordat particulier avec le pape pour pouvoir le perfectionner plus facilement.

[OBJECTIONS ET RÉPONSES]

OBJECTION 1

Suivant votre principe non seulement les évêques d’Italie pourraient être mariés, comme saint Ambroise, archevêque de Milan, et par conséquent les cardinaux et le Pape lui-même, comme saint Pierre le premier pape.

Réponse

À l’égard des cardinaux on pourrait établir que les célibataires et les veufs pourraient seuls être cardinaux. Ce serait toujours beaucoup que l’Italie, ce beau pays si bien peuplé, se pût repeupler par le mariage des prêtres, des curés, et des évêques avec les modifications dont on conviendrait. Les cardinaux ne deviennent guère cardinaux que vieux.

OBJECTION 2

Je conviens que ces aumônes annuelles de huit cent quatre-vingt mille écus romains que vous proposez pour l’Europe catholique ne laisseraient pas d’être des aumônes très considérables. Mais la cour de Rome pourrait-elle les croire assez solides ?

Réponse

1° Il se ferait un concordat entre le Pape et le souverain, par lequel le roi s’engagerait à faire payer par chaque prêtre, par chaque bénéficier qui voudrait avoir la dispense de se marier la somme convenue, avant que de recevoir les ordres et avant que de prendre possession du bénéfice, par forme d’aumône pour les besoins de l’Église générale. Or, comme d’un côté, il n’en coûterait rien au souverain et que de l’autre, il en reviendrait divers grands avantages aux particuliers et à l’État, il n’est pas douteux que le concordat ne fût toujours exécuté.

2° Nous avons un exemple de la solidité de ces sortes de concordats dans le concordat de Léon X et de François Ier pour la nomination des bénéfices consistoriaux. Il s’exécute exactement depuis plus de deux cents ans et s’exécutera d’autant plus longtemps qu’il n’en coûte rien au roi et qu’il y gagne le droit de nommer aux bénéfices. Or, ici, le roi n’y gagne-t-il pas tous les ans un nombre prodigieux de nouveaux sujets, c’est-à-dire plus de cent cinquante mille Français en vingt ans, en diminuant le tiers pour les mourants ?

OBJECTION 3

Le peuple a je ne sais quelle vénération pour ceux qui gardent austèrement le célibat, qu’il n’a pas pour ceux qui vivent vertueusement avec femmes et enfants dans leur famille.

Réponse

1° Nous ne voyons pas que le peuple anglais ou que le peuple hollandais ait moins de vénération pour les évêques et pour les pasteurs vertueux et mariés que pour ceux qui ne le sont point. C’est la supériorité du côté de la justice, du côté de la modération, de la patience, et des autres parties de la bienfaisance chrétienne, qui attirent véritablement la vénération du peuple et non pas l’observation du célibat.

2° Il faut au peuple dans son curé des exemples de vertu qu’il puisse suivre : telles sont les vertus d’un curé bon père de famille ; voilà les exemples les plus édifiants pour le peuple.

OBJECTION 4

Les prêtres qui, par tempérament, observent religieusement le célibat ont plus de temps pour employer aux œuvres de charité extérieure ; ils sont plus laborieux et plus patients ; donc il est à souhaiter que ceux-là soient en plus grand nombre.

Réponse

1° Les prêtres dans le célibat n’exercent pas la charité domestique dans leur famille, au lieu que les prêtres mariés et vertueux l’exerceront et auront encore beaucoup de temps de reste pour vaquer aux exercices de la charité extérieure.

2° La femme vertueuse d’un curé servira d’exemple aux autres femmes et rendra beaucoup de services par ses conseils, par sa médiation, par son esprit de conciliation, par ses instructions et par ses bonnes œuvres, surtout aux personnes de son sexe, avantages qui ne se trouvent point dans le célibat des curés.

3° Il y aura toujours dans l’Église un assez grand nombre de ces prêtres, à qui le tempérament conseille le célibat, car on ne les oblige pas à se marier. Ainsi la liberté de se marier, dont les autres useront, n’ôtera point à l’Église le service de ceux qui auront choisi le célibat. Et les prêtres mariés donneront de leur côté à l’Église les exemples des familles ecclésiastiques bien réglées, ce qui augmentera l’édification des fidèles.

4° Le curé marié, sage et vertueux est bien plus en état de donner de bons conseils aux maris par l’expérience qu’il a de la vie de père de famille, que le curé qui n’a pas l’expérience de père de famille.

5° Les curés, surtout présentement qu’il n’y a plus ni païens ni hérétiques à convertir, à présent qu’ils ont quantité de bons prônes, de bons sermons imprimés, n’ont déjà que trop de loisir. C’est ce qui fait que souvent, ils vont manger hors du presbytère, ils ont même des vicaires et d’autres prêtres pour les aider dans les cérémonies ecclésiastiques. Ainsi les fonctions curiales laisseront beaucoup plus de loisir qu’il ne faut au curé marié pour régler chrétiennement sa famille, ce qui fera partie de ses fonctions : car il devra alors à ses paroissiens l’exemple d’un bon père de famille et d’une famille bien réglée. Il sera même souvent aidé par sa femme dans les réconciliations entre mari et femme et entre famille et famille, secours que n’a pas le curé non marié, et ces réconciliations font cependant une des principales fonctions d’un bon curé.

OBJECTION 5

Il n’est pas de la politique de France d’envoyer tous les ans plus de deux cent vingt mille onces d’argent, outre l’argent que les Français y portent déjà, qui monte à plus de trois cent mille onces d’argent.

Réponse

1° Il est de la bonne politique pour réussir dans un changement très avantageux à l’État de faire cet établissement avec le moins de contradiction, avec le moins de peine et avec le moins de danger qu’il est possible, et en conservant la paix avec nos voisins ; il faut, s’il est possible, que dans ce changement toutes les parties intéressées y trouvent leur intérêt. Or on ne peut pas dire que la cour de Rome ne soit pas intéressée à cette affaire pour la grande augmentation du nombre des chrétiens de l’Église romaine et qu’elle ne puisse beaucoup pour la faire réussir avec facilité ; ainsi il est juste de faire en sorte qu’elle en souhaite le succès.

2° Si la France porte à Rome deux cent vingt mille écus romains par an pour ces dispenses elle en gagnera plus du double par plus de vingt mille nouveaux habitants qui vingt ans après multiplieront encore. Un Anglais a supputé qu’un homme vaut à l’État d’Angleterre neuf livres sterling qui valent plus de trente écus romains, puisqu’outre la subsistance il paye le subside de l’État, il élève des enfants, leur laisse des meubles et des immeubles, et peut encore servir l’État dans les années. Ces vingt mille nouveaux habitants vaudraient donc à l’État plus de six cent mille écus romains par an.

3° Ces aumônes se tirent du revenu des bénéfices dont le bénéficier s’est bien passé pour la subsistance précédente. C’est une épargne qu’il fait. Ainsi c’est une aumône qui ne lui est point à charge, et qu’il paye très volontiers pour devenir plus riche.

OBJECTION 6

Si l’on peut devenir prêtre étant marié, on verra de jeunes curés de trente ans, qui auront déjà cinq ou six enfants et qui n’auront pas eu le loisir de se former aux études et aux exercices de l’état ecclésiastique ; et d’ailleurs pourquoi les prêtres et les bénéficiers qui ne se marieront point seraient-ils obligés de payer pour une liberté dont ils ne feraient aucun usage ?

Réponse

1° Si celui qui se présente aux ordres est connu de tout le monde et surtout par l’évêque, pour un homme sage, vertueux, habile et très capable de gouverner une cure ou autre bénéfice, s’il gouverne exemplairement sa famille, s’il a étudié, s’il est bien instruit et reconnu pour tel par son évêque, pourquoi l’exclurait-on des ordres sacrés ? N’est-ce pas à l’évêque à exercer dans les séminaires ceux qu’il y veut admettre aux bénéfices à charge d’âme ?

2° Les hommes, qui font les lois soit civiles soit ecclésiastiques réservent toujours tacitement à leurs successeurs plus expérimentés et plus éclairés le droit de rectifier ces lois qui, n’étant faites que pour la plus grande utilité publique, selon certaines occasions et certains besoins, doivent se modifier et se changer à mesure que l’expérience et la raison perfectionnée de génération en génération démontrent que, pour avancer vers cette grande utilité publique, nos lois et nos coutumes ont actuellement besoin de quelque changement.

3° Avec les aumônes qu’ils feront pour les besoins de l’Église générale, ils obtiendront une liberté dont ils pourront toujours user, liberté qui leur avait été ôtée par les anciennes règles ou anciens canons de la discipline ecclésiastique, règles qui pouvaient être bonnes pour les temps où elles ont été faites, mais qui sont préjudiciables aux sociétés catholiques d’aujourd’hui.

4° Celui qui est prêtre, celui qui est bénéficier qui voudra garder le célibat ne paiera point ni la première aumône de dix écus romains, ni la demi-annate, il ne paiera l’une et l’autre qu’en cas qu’il veuille se marier, et puis ces détails pourront se changer, et se perfectionner.

OBJECTION 7

Vous supposez qu’il y a environ cent mille prêtres ou clercs en France, et que la France est le quart des catholiques d’Europe. Je vous le passe. Vous supposez que de cent mille il y en ait quatre-vingt mille qui voudront se marier, je le veux bien, mais vous ne songez pas que ce sera quatre-vingt mille filles qui, indépendamment des prêtres, eussent été mariées à d’autres qui en auraient eu pareil nombre d’enfants. Ainsi votre prétendue multiplication de chrétiens par le mariage des prêtres est purement imaginaire.

Réponse

1° Les séculiers ne laisseraient pas de trouver à se marier à d’autres filles qui ne se marient point, ou qui ne se marient pas assez jeunes pour avoir des enfants.

2° Les filles se mariant de meilleure heure auraient beaucoup plus d’enfants, et se trouvant plus richement mariées aux bénéficiers qu’aux séculiers, les mariés craindraient moins le grand nombre d’enfants.

3° Il naît autant de filles que de garçons, de sorte que si cent mille filles faisaient vœu de célibat en France, il faudrait qu’il y eut cent mille garçons qui ne se marieraient point.

4° Il est évident que là où il y a un plus grand nombre de mariages de jeunes filles, le reste étant égal, il doit y avoir aussi un plus grand nombre d’enfants. Ainsi la démonstration de la grande multiplication annuelle de plus de quatre-vingt mille nouveaux enfants en Europe par le mariage de plus de trois cent mille prêtres subsiste dans toute sa force.

OBJECTION 8

Le concile de Trente regarde le célibat comme un état plus parfait que l’état du mariage. Or, n’est-il pas de l’obligation des prêtres de prendre l’état le plus parfait ?

Réponse

1° Il y a des équivoques à éviter dans les mots d’état, de parfait, d’obligation ; je laisse aux théologiens à faire ces distinctions.

Pourquoi demander pour un prêtre un état différent de celui de saint Pierre et de la plupart des apôtres et des disciples ?

2° Votre argument prouve trop et par conséquent ne prouve rien, car selon vos principes, l’état des mendiants qui ont abandonné leurs biens est encore plus parfait que celui des prêtres. Or en conclurez-vous que les prêtres sont obligés à donner leur patrimoine aux pauvres, et à faire vœu de pauvreté, et à devenir mendiants ?

Primo, l’ordonnance du célibat des prêtres est de pure discipline ecclésiastique. L’Église peut donc en dispenser pour la plus grande utilité des fidèles.

Secundo, il serait très avantageux aux États catholiques romains et à l’Église romaine que par divers concordats entre le Pape et les souverains catholiques les prêtres fussent dispensés de cette ordonnance du célibat moyennant des aumônes, et que l’Église pût avoir en vingt ans seize cent mille enfants ou petits enfants de plus, et les princes catholiques seize cent mille sujets de plus.

OBSERVATION. Addition au Traité du célibat. Objection 8

Dans un livre in-4° imprimé en 1613 intitulé Instructions et missives des rois de France et de leurs ambassadeurs à Rome et au concile de Trente on trouve une lettre de Mr de Lisle, ambassadeur à Rome, au roi Charles IX, du 6 novembre 1561, p. 42, par laquelle il paraît que le Pape croit que la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres sont des articles qui peuvent recevoir mutation, que l’Empereur faisait instance pour les obtenir pour ses États.

Que par une autre lettre écrite au même roi par ses ambassadeurs au concile de France le 7 juin 1562 signée Lanssac, Du Ferrier et G. Du Faur Pibrac, page 132, il paraît que les ambassadeurs de l’Empereur au Concile avaient ordre dans leurs instructions de proposer au concile de faire quelque réformation sur plusieurs articles et notamment sur les deux espèces et le mariage des prêtres.

Que par une autre lettre de Mr de Lanssac au roi Charles IX du 19 juillet 1562, page 157, il paraît que l’électeur de Bavière demandait aussi au concile pour ses sujets la commission pour les deux espèces et le mariage des prêtres.

Que par les instructions que le cardinal de Lorraine apporta au concile de Trente de la part du roi Charles IX, page 214, il est dit qu’il fasse instance pour obtenir du concile le mariage des prêtres.

Que depuis le concile les empereurs en 1563 et en 1564 se sont adressés au Pape pour obtenir le mariage des prêtres comme il paraît par la lettre de l’empereur que rapporte Raynaldus ad annum 1564 et 1565.

Or comme ni le concile ni les papes de ce temps-là n’ont jugé qu’il fut à propos d’accorder alors aux prêtres de l’Église latine la liberté de se marier, il n’y a pas d’apparence que le Pape veuille l’accorder aux souverains catholiques d’aujourd’hui.

Réponse

Les choses ont bien changé en Europe depuis cent soixante ans ; ainsi ce qui s’est refusé alors pour de bonnes raisons qui subsistaient alors peut bien s’accorder aujourd’hui si ces raisons de refus ne subsistent plus et si les raisons pour accorder sont devenues beaucoup meilleures.

1° Luther, Calvin et leurs disciples soutenaient que les canons des conciles nationaux qui dans l’Église latine avaient ordonné le célibat des prêtres n’étaient que des inventions diaboliques. Or si dans ce temps-là le concile de Trente eût permis le mariage aux prêtres indifféremment c’eût été donner dans cet article gain de cause aux prétendus réformateurs de l’Église et avouer que ces conciles nationaux n’avaient jamais eu raison de défendre le mariage aux prêtres dans ces temps-là ; ce qui peut bien n’être pas vrai surtout parce que ces canons de disciplines ne sont proprement que provisionnés comme utiles pour un temps à la société chrétienne.

2° Les luthériens et les calvinistes soutenaient qu’on ne devait nul respect, nulle obéissance à ces canons, ce qui est faux, au lieu que les princes qui demandent aujourd’hui le mariage des prêtres reconnaissent le respect dû à ces conciles et à ces canons puisqu’ils se bornent à en demander dispense moyennant une aumône ; et c’est avec ces aumônes utiles à l’Église que les prêtres qui se marieront mériteront autant et plus que s’ils demeuraient dans le célibat qui souvent n’est utile à personne.

3° Les princes d’aujourd’hui sont par conséquent beaucoup plus favorables dans leur demande que les princes d’il y a cent soixante ans n’étaient favorables dans la leur.

4° La grande multiplication des pays protestants en comparaison des pays catholiques est devenue beaucoup plus sensible depuis ce temps-là et par conséquent les raisons d’accorder ces dispenses sont devenues beaucoup plus pressantes.

OBJECTION 9

Il se ferait de nouveaux efforts de la part des bénéficiers pour faire succéder leurs enfants à leurs bénéfices soit par résignations, coadjutoreries ou survivances, et cela au grand préjudice de l’État et des sujets plus âgés plus instruits et plus vertueux que ces enfants.

Réponse

1° Je conviens que ce serait un inconvénient s’il n’était pas facile de faire un édit contre ces sortes de moyens de succéder aux bénéfices et de proscrire toutes résignations et coadjutoreries.

2° Cet inconvénient lui-même ne serait jamais à craindre si la méthode du scrutin était établie entre tous les prétendants aux cures de chaque canton, et entre les prétendants aux évêchés et aux abbayes de chaque état.

OBSERVATION

Il est vrai que l’empereur et le roi de France dont les États étaient vexés par les disputes et les divisions qu’excitaient les protestants dans le seizième siècle, voulant alors les adoucir, demandèrent au concile de Trente un canon qui abrogeât les canons de quelques conciles de l’Église latine qui ordonnaient le célibat des prêtres, et il est vrai que ces princes furent refusés alors.

Mais nous ne demandons pas présentement la même chose. Nous ne demandons pas l’abrogation pure et simple des anciens canons qui ordonnent le célibat. Nous demandons que ce qu’il y a de bon dans l’observation du célibat qui est peu utile au prochain puisse être commué par dispense en une autre bonne œuvre incomparablement plus utile à ce même prochain, et nous le demandons dans des circonstances bien différentes. Nous le demandions pour empêcher le mal du schisme, et ce mal est fait il y a cent soixante ans, et nous marquons ainsi notre soumission aux anciens canons.

Les pères du concile jugèrent alors avec raison qu’il ne fallait pas favoriser les erreurs des protestants qui déclamaient mal à propos contre notre soumission à l’Église, et contre l’autorité des conciles de l’Église romaine. Ils niaient hautement que les conciles eussent l’autorité d’imposer des lois ecclésiastiques, telles que l’observation du carême et du célibat pour les prêtres, et soutenaient que les prêtres n’avaient pas besoin de nouveaux canons du nouveau concile pour avoir liberté entière de se marier, non plus que les laïques pour avoir la liberté de ne point faire de carême.

Or il ne s’agit plus ici d’adoucir les protestants, ni de combattre leurs erreurs. Les princes catholiques conviennent de l’autorité des canons des conciles, mais ils croient que le Pape peut dispenser de plusieurs choses qui y sont ordonnées sur la discipline, telles que celles dont le Pape donne tous les jours des dispenses aux séculiers, aux laïques, et aux religieux, en obligeant quelques-uns de ceux à qui il les accorde à faire des aumônes à l’Église universelle dont le Saint-Siège a la distribution. Voilà pourquoi on accorde des dispenses aux fidèles. Ils rachètent la dispense de faire une bonne œuvre pour une aumône qui est une autre bonne œuvre. Le Pape ne fait que commuer les bonnes œuvres la plupart extérieures, et peu utiles au prochain, comme la dispense du carême, en bonnes œuvres de bienfaisance, c’est-à-dire en aumônes infiniment plus utiles au prochain que de manger maigre.

Les princes catholiques qui regardent avec raison comme un grand avantage la grande multiplication de leurs sujets demandent à faire un concordat avec le Pape pour taxer les dispenses des prêtres et surtout des bénéficiers, sur l’exemple du concordat de Léon X avec François Ier qui taxa l’aumône à l’annate, ou au revenu de l’année du bénéfice, la dispense d’un clerc séculier pour posséder un bénéfice régulier : commutation de pratiques régulières en aumônes qui sont des œuvres plus efficaces pour le bénéficier et pour l’utilité de l’Église.

L’aumône pour la dispense des simples prêtres serait petite, mais ils ne pourraient point posséder des bénéfices mariés sans payer demi-annate du bénéfice, soit cure, soit prieuré, soit abbaye, ou évêché.

La demi-annate des cures et des prieurés serait bien facile à régler en France sur le pied des décimes de chaque bénéfice, et la demi-annate des bénéfices consistoriaux serait toute réglée par l’annate même qui est déjà réglée en France.

CONCLUSION

Ce que je propose est une nouveauté, mais c’est une nouveauté aussi ancienne que le christianisme même, et d’ailleurs on ne prescrit jamais contre la vérité. Or n’est-il pas vrai que le mariage des prêtres est beaucoup plus avantageux à la société chrétienne que le célibat ? Car enfin n’est-il pas vrai que plus de quatre-vingt mille nouveaux sujets pour les princes catholiques et par conséquent plus de quatre-vingt mille enfants par an pour l’Église romaine dans l’Europe sans compter l’Amérique, et en vingt ans plus de seize cent mille nouveaux chrétiens ; n’est-il pas vrai que l’augmentation dans les bonnes mœurs des chrétiens ; n’est-il pas vrai que la grande augmentation d’aumônes annuelles pour les besoins de l’Église universelle, qui monteraient à plus de huit cent quatre-vingt mille écus romains par an et plus de huit millions d’écus romains pour une fois payer, sont des avantages qui surpassent infiniment tous les avantages qui peuvent revenir à l’Église romaine de la continuation du célibat des prêtres ?

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