Oeuvres de Turgot – 127 – Lettres à Du Pont de Nemours

127. — LETTRES À DU PONT DE NEMOURS.

CX. (Mme Du Pont. — Les Éphémérides.)

Jeudi, 7 mai.

Votre lettre, mon cher Du Pont, ne saurait être mieux et je l’envoie. Je me reproche de n’avoir pas été vous voir depuis que vous m’avez mandé la situation de Mme Du Pont. Divers contretemps m’en ont successivement empêché chaque jour ; mais j’irai certainement savoir de ses nouvelles et vous dire combien je prends part à vos inquiétudes. Je suis fort content de l’ordonnance générale du 12e volume des Éphémérides[1] qui annonce plus de variété dans le ton et du morceau sur la poésie en général[2] qui est très bien écrit. Je vous embrasse.

CXI. (Du Pont. — La disette du Limousin.)

Treignac, 16 juin.

Vous ne m’avez pas donné signe de vie depuis mon départ, mon cher Du Pont ; je voudrais pouvoir penser que votre silence vînt de quelque occupation qui vous fût assez agréable ou assez utile pour vous distraire de tout autre objet ; mais je ne l’espère pas. De mon côté, je voudrais pouvoir vous apporter quelque secours dans les peines où vous vous trouvez ; mais je suis forcé d’attendre des circonstances meilleures. Je ne puis que vous exhorter à la patience et vous assurer qu’en tout état de cause, vous retrouverez toujours mon amitié et toutes les ressources qui dépendront de moi.

Me voici en tournée jusqu’à la fin du mois et plus peut-être. Cette malheureuse Montagne, au milieu de la prospérité universelle qui s’annonce, a encore perdu une partie notable de sa récolte par une gelée du 12 mai. Heureusement que le mal est borné.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse de tout mon cœur. Bien des compliments à Mme Du Pont.

CXII. — (Le mariage. — Le margrave de Bade. — Les Éphémérides. — L’abbé Raynal.)

Limoges, 14 juillet.

Je réponds bien tard, mon cher Du Pont, à une lettre que j’ai reçue de vous datée du 7 juin et qui s’est croisée avec une que je vous écrivais de Treignac le 16. La vôtre est venue me trouver dans nos montagnes ; mais j’étais si peu sédentaire que j’avais peine à expédier l’indispensable nécessaire. À mon retour, j’ai eu de nouvelles courses à faire et beaucoup d’affaires arriérées. Voilà la cause de mes retards dont je suis d’autant plus fâché que vous m’avez écrit une lettre pleine de raison et d’amitié, et dont j’aurais voulu vous remercier sur-le-champ.

Je suis assurément bien loin de trouver vos réflexions folles et il n’y a aucun article de votre sermon qui ne soit un texte de mon évangile. Mais il est plus aisé de voir le bien dans la théorie que d’y conformer la pratique. Dans la théorie, on arrange les choses comme elles devraient être ; dans la pratique, on dépend de mille circonstances extérieures qui se compliquent à l’infini, qui font naître des difficultés et même des impossibilités relatives aux choses qu’on voudrait le plus. La raison combat la raison ; les devoirs mêmes combattent les devoirs. J’ai toujours désiré, j’ai quelquefois espéré le bien que je regarde comme étant le plus grand bien de la vie et le vrai complément de la carrière que nous avons à courir. Le temps s’est écoulé ; ma position, plus encore mon caractère, éloigné de la manière de vivre commune et, par conséquent, des occasions de recherche et de choix, m’ont mis hors de portée de trouver ; une plus grande retraite encore, des occupations forcées, l’habitude de ne point souper, l’impuissance de me prêter au désœuvrement du jeu, à présent mon âge, m’éloignent plus que jamais des sociétés où je pourrais chercher. Ce dernier obstacle rendrait encore le succès plus difficile ; car je pourrais trouver qui me conviendrait et à qui je ne conviendrais guère. J’en suis venu à n’envisager cette trouvaille que comme une chimère qu’il est trop tard de poursuivre. Je traite un sujet affligeant et ce n’est pas de quoi vous distraire de vos propres calamités ; c’en est une grande pour moi dans ce moment de ne pouvoir vous tendre la main pour vous aider à gagner le rivage. Si votre despote tutélaire[3] peut et veut faire mieux que moi, c’est une chose que je lui envie.

J’ai reçu le premier volume de vos Éphémérides[4]. Il y a peu de choses de vous et ce n’est pas tant mieux. J’aurais voulu que vous n’eussiez pas imprimé la partie complimenteuse de la grande lettre de Pétersbourg[5] ; car il vaut mieux déplaire à un correspondant qu’au public ; or, rien ne déplaît tant au public que les éloges qu’un journaliste fait imprimer de son propre ouvrage et les coups d’encensoir qu’un économiste donne à l’autre.

Vous avez acquis un correspondant bien auguste[6] mais un peu ennuyeux. Quant à votre préface, je l’ai trouvée meilleure que celle des années précédentes.

Il me semble qu’à présent vous ne manquez pas de matière. Indépendamment des ouvrages commencés depuis si longtemps, la Félicité publique[7], un Essai de tactique[8] dont j’entends parler et le grand ouvrage de l’abbé Raynal[9] ; voilà de quoi vous occuper longtemps. Celui-ci est une mine inépuisable et une ample matière à réflexions ; je viens de l’achever ; il suppose de grandes recherches, bien de la patience, une prodigieuse abondance d’idées, une facilité plus étonnante encore à les rendre, avec la plus grande éloquence et la plus brillante énergie, enfin le plus grand courage ou plutôt la plus grande audace à braver tout préjugé et toute puissance. Mais combien d’inexactitudes, combien de précipitation dans l’examen des faits, dans leur arrangement, quel chaos indigeste de faits, de systèmes, de paradoxes, quelle incohérence dans les réflexions où l’auteur soutient successivement toutes les idées les plus contradictoires et toujours avec la même chaleur ! Il semble qu’il ait été de tous côtés à la chasse des paradoxes ; quakers, jésuites, Penn[10], Helvéltius, Rousseau, jusqu’à Linguet, Buffon, etc., Boulanger[11], etc., Du Buc ; horreur de l’esclavage, nécessité des esclaves ; haine du monopole ; défense de la Compagnie des Indes : tout lui est bon ; tout est également revêtu des couleurs de sa brillante imagination. Il semble avoir cherché à étonner par tous les extrêmes ; aussi ne résulte-t-il pas la plus légère conclusion pratique de son ouvrage tel qu’il est ; car je ne veux pas dire qu’il n’y ait pas dans ses matériaux de quoi tirer d’excellents résultats très solidement fondés. Voilà quelle doit être votre tâche ; mais elle est difficile : 1° parce qu’il faut savoir mettre de l’ordre dans votre travail et partager cette immensité de matières avec plus d’art que l’auteur ne l’a fait ; 2° parce qu’en combattant l’auteur, il est juste de le traiter avec tous les égards que mérite son courage et son talent, sans cependant le trop louer de ce courage.

Voilà de la besogne pour longtemps, et au moins pour 12 journaux sans interruption.

Je pars demain pour aller chez Mme d’Enville ; mais je n’y serai pas fort longtemps. Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse de tout mon cœur. Mille compliments à Mme Du Pont.

CXIII. (La santé de Du Pont. — Un ouragan.)

Rochechouart, 16 juillet.

J’ai reçu votre lettre, mon cher Du Pont, hier en partant de Limoges. Je vous ai écrit par le dernier courrier ; mais je me hâte de vous dire combien je suis fâché de l’état où vous a laissé ce malheureux émétique. Je ne connais que le lait et les plus grands ménagements pour cet état, et je vous engage à ne rien négliger pour vous rétablir promptement. Ne faites rien dans aucun genre qui puisse affecter vos nerfs d’ici à quelque temps, car si vous laissiez les vapeurs prendre possession de vous, vous seriez malheureux toute votre vie. Ainsi, peu d’aliments, du lait, peu de travail de cabinet, des conversations amicales, de l’exercice du corps, mais modéré et seulement assez pour provoquer le sommeil le soir ; voilà le régime qu’il vous faut. Malheureusement, cela ne s’accorde pas avec les besoins des Éphérides ; il faut que l’abbé Baudeau vous aide.

Je n’étais pas à Limoges ; j’étais à Tulle lors de l’ouragan du 27 et l’on n’en a rien ressenti. D’ailleurs, il a été très faible à Limoges. Le Sr Marin[12] a renversé de son souffle et bouleversé toute la relation qu’on lui a envoyée. Le plus grand mal a été la grêle dont il ne dit pas un mot. Elle a ravagé plusieurs paroisses ; je m’y suis rendu pour juger moi-même du mal et, au bout de quatre jours, j’ai tenu moi-même et fait fondre dans ma main de la grêle conservée dans un fossé et qui avait encore 8 à 9 lignes de diamètre.

Je vous prie de remercier Mme Du Pont de son souvenir et de caresser Irénée à mon intention. Je suis bien aise qu’il soit joli et que sa douceur réponde à son nom. J’espère qu’avec le temps il méritera aussi son autre nom en vous servant de second.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse avec une bien véritable amitié.

CXIV. (Les Éphémérides. — La charité. — Problème économique. — Le mariage de H. de Mirabeau.)

Limoges, 18 août.

Il y a longtemps, mon cher Du Pont, que je n’ai eu de vos nouvelles et j’en suis aussi fâché, parce que votre dernière lettre était fort loin de me tranquilliser sur votre état. Votre second volume[13] que j’ai reçu me persuade que vous êtes mieux. Je l’ai trouvé bien en général, mais à moins que l’extrait de Muratori[14] ne soit en partie de vous, ce que j’ai soupçonné, il n’a pas dû vous donner beaucoup de peine. Je voudrais qu’il fût tout de l’abbé L’Écuy[15] ; vous auriez un coopérateur en état de vous soulager et vous pourriez rattraper le courant.

Vous parlez de moi[16] ; je ne vous fais point de remerciements. Il n’en faut point pour ce que l’amitié dicte. Vous avez parlé, je ne sais trop pourquoi, de la soupe au riz. Ce n’est pas cette préparation qui a le mieux réussi, mais celle du supplément appelée pâte cuite ; c’est une bouillie solide qui se coupe au couteau et qui se transporte. On peut la faire sécher et en faire, si l’on veut, une espèce de poudre alimentaire.

Qui est-ce qui vous écrit de Montivilliers d’un ton ironique et dénigrant et auquel vous répondez si honnêtement[17] ? Si j’avais un moment à moi, je serais tenté de résoudre son problème. Il y a pourtant un quatrième article que je crois insoluble ou dont la solution exige au moins une voie longue et détournée ; mais je crois qu’il ne faut point le résoudre et qu’il faut répartir la somme nécessaire aux dépenses publiques et non pas prendre une part déterminée du produit net dont la somme soit indéterminée.

Notre lieutenant général qui a souscrit pour vos Éphémérides n’avait point reçu le premier volume. Je ne sais s’il a reçu le second ; je vous en donne avis afin que vous répariez votre oubli.

J’ai appris le mariage du fils de M. de Mirabeau, mais si longtemps après l’événement qu’il deviendrait ridicule d’écrire pour faire mon compliment. Si vous voyez le père et le fils, dites leur, je vous prie, combien j’y prends de part.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse. Donnez-moi, je vous prie, des nouvelles de votre santé.

CXV. (Les Éphémérides.)

Angoulême, 3 octobre.

Je ne sais, mon cher Du Pont, si j’ai répondu à votre lettre du 3 août ; mais je la retrouve dans mon portefeuille avec d’autres non répondues. Au reste, il est toujours temps de vous assurer de mon amitié et de la part que je prends à toutes vos peines de toute espèce. Dans tous les temps aussi, vous savez ces choses-là sans que je vous les dise. J’ai impatience que vous soyez totalement quitte des suites de votre maladie et en état de travailler, car il est très vrai que vous ne tirerez bon parti des Éphémérides que quand vous aurez rattrapé le courant.

Me voilà au commencement de mes courses ; je serai de retour à Limoges lundi. C’est toujours là qu’il faudra m’écrire, si vous m’écrivez. Vous êtes aussi paresseux et aussi accablé de besogne que moi. Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse de tout mon cœur. Mes compliments à Mme Du Pont.

CXVI. (Les Éphémérides.)

Limoges, 9 octobre.

J’ai reçu, mon cher Du Pont, votre lettre du 29 qui a été retardée d’un courrier et qui m’a vivement affligé. Votre situation devient chaque jour plus cruelle. Je crains bien que les souscriptions d’Allemagne ne soient une vaine espérance. Il faut cependant se donner le temps de s’en assurer et pour cela finir l’année dont vous avez reçu l’argent. Il faut donc pourvoir au moment. Quoique je sois moi-même un peu dépourvu, je ferai pourtant mon possible pour vous sauver le moment présent. Je vous envoie un mandement de 25 louis sur M. Cornet. Je crains qu’il n’ait pas beaucoup d’argent, attendu qu’il a dû payer ou doit payer incessamment quatre mille francs à M. de Montmort en remplacement de pareille somme que j’ai reçue ici d’un de ses débiteurs. Je souhaite que cette somme vous mette en état d’attendre mon retour qui sera environ dans deux mois. Nous verrons alors ce qu’on pourra faire. À chaque jour suffit sa peine. Je vous plaindrais beaucoup si vous alliez faire des démarches vaines auprès des personnes que vous me nommez. Il est dur d’avoir d’obligations à d’autres qu’à ses amis. Tout cela suppose que vous abandonniez à votre imprimeur ce que vous doit La Combe et il n’y a pas à hésiter plutôt que d’arrêter l’impression de vos Éphémérides. Il faudrait plutôt forcer de voiles pour rattraper le courant afin d’encourager les souscripteurs si vous devez continuer. Si vous ne le pouvez pas, il faut, comme vous le dîtes, chercher un supplément d’état. M. Trudaine est bien intentionné ; mais il a besoin d’être échauffé et cela n’est pas aisé de loin. Quand je serai à Paris, je lui porterai des attaques vives.

Quant aux places auprès d’intendants, rien de plus difficile que d’entrer en chef de plein saut. Il n’y aurait peut-être pas d’impossibilité à vous faire entrer auprès de M. de Crosne avec un sort de mille écus ; mais il y a bien des inconvénients du côté personnel et de la position ; ces inconvénients sont tels qu’ils ne peuvent être compensés que par la perspective de la place en chef. Je ne sais aussi si la science économique ne serait pas un obstacle à ses yeux ; mais je pourrai le faire sonder. Voyez si le cœur vous en dit. Pourquoi vous y prenez-vous si tard et dans un temps où les places que je pouvais vous donner sont si remplies ?

Quoique du côté du talent vous n’ayez pas, en effet, toute la réputation que vous méritez, et cela à cause de l’affiche de secte, cependant celle d’homme de bien est une bonne base. Que sais-je ? Peut-être quand vous serez tout à fait vous, c’est-à-dire vous Du Pont, et non pas seulement le représentant des économistes, on vous rendra plus de justice et vous regagnerez le temps perdu.

Je suis pourtant toujours d’avis d’attendre s’il viendra des souscriptions d’Allemagne. Vous ai-je mandé que j’avais lu dernièrement dans les gazettes anglaises un éloge des Éphémérides ? Adieu, mon pauvre ami, je vous embrasse et partage bien vivement toutes vos peines. Mes compliments à Mme Du Pont.

CXVII. (Une Correspondance économique.)

Limoges, 3 novembre.

J’ai reçu à Brive votre lettre du 13, mon cher Du Pont ; je n’ai pu y répondre sur-le-champ. Vous ne doutez pas que je ne fasse ce qui dépendra de moi pour vous servir dans vos trois projets. Celui de la Correspondance économique[18] serait le meilleur s’il réussissait, mais j’ai peur que le maître de philosophie n’ai pas autant de pratique que le maître à danser. Les petits vers et l’histoire des actrices intéressent plus ces messieurs-là que toute la science économique qu’on est obligé d’émietter à leur usage et qui devient quelquefois par là un peu nauséabonde pour le reste du public. Je ne vous conseillerais pas, au reste, de faire imprimer le prospectus. J’approuve fort ce que vous me dites sur les inconvénients de louer les princes. Vous savez que je n’ai pas varié là-dessus. Au reste, je suis bien plus fâché contre l’Empereur que contre le roi de Suède qui n’a fait que s’égarer dans les pensées communes des rois, comme dit l’évêque de Lavaur[19] dans son oraison funèbre de Stanislas. L’Empereur agit en vrai brigand. Vous l’avez pourtant encore loué dans votre dernier volume[20], dans lequel, par parenthèse, je suis fort content de l’extrait ou plutôt de l’annonce du livre des Deux-Indes[21].

Je vous suis obligé de l’avis que vous me donnez. Malgré les convenances apparentes, il y a des obstacles qui me rendent la chose impossible. Il est heureux que ma lettre soit arrivée si à propos et je m’applaudis de n’avoir pas différé comme j’aurais très bien pu le faire dans l’idée où j’étais que vous vous étiez arrangé avec Didot[22] en lui donnant votre créance sur La Combe. Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse. Bien des compliments à Mme Du Pont.

CXVIII. (Projet d’un nouveau journal. — Court de Gébelin.)

Limoges, 27 novembre.

J’approuve fort, mon cher Du Pont, votre projet de réunir tous les journaux qui ont quelque analogie avec le vôtre et de vous associer pour cela avec l’abbé Rozier et Pankoucke. Cependant la société des libraires est quelquefois pour les auteurs une société léonine ; mais quand on n’a point de fonds, il faut bien en passer par là. Si vous y joignez la Gazette[23] et que vous preniez l’abbé Roubaud pour aide, vous pouvez faire une besogne excellente. L’abbé Rozier fera merveilleusement la Gazette et la purgera de toutes les sottises dont l’ignorance de Roubaud la farcissait et dont son beau parlage ne faisait que rendre le ridicule plus saillant. Mais Roubaud est très bon pour le Journal. Cette entreprise ainsi arrangée vaudrait mieux que la Correspondance économico-politique. J’ai impatience d’apprendre que ce projet se soit réalisé.

Je suis fort aise de ce que vous me mandez d’Irénée ; il faut espérer que nous en ferons quelque chose.

Puisque vous le voulez, je souscrirai pour le livre de votre ami Gébelin[24] ; je vous avoue que ses idées me paraissent en général un tissu de rêveries et qu’il n’a ni la finesse de critique, ni la métaphysique nécessaire pour traiter son sujet. Malgré cela, il pourra, comme vous le dites, y avoir dans tout cela quelques idées heureuses et quelques faits vrais.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse. Mille compliments à Mme Du Pont.

CXIX. — (Suppression du privilège des Éphémérides. — La Correspondance économique.)

Limoges, 8 décembre.

Il est vrai, mon cher Du Pont, que j’ai eu une légère atteinte de goutte, mais il y a plus d’un mois ; je n’ai souffert que pendant trois jours modérément, et j’ai fait diète pendant huit. Depuis ce temps, j’ai parcouru les deux routes de Limoges et de Poitiers pour préparer les travaux de l’année prochaine. Je suis bien impatient de retourner à Paris et votre situation ajoute à mon impatience. Je ferai tout au monde pour y être à Noël, mais quelque chose qui arrive, à moins que la goutte ne me cloue, j’y serai les premiers jours de janvier.

Je suis indigné, mais non étonné de ce qui vous arrive[25], mais j’en suis encore plus affligé, car quand vous retrouveriez dans le succès de vos autres projets une ressource meilleure que votre privilège des Éphémérides, vos dettes et les volumes que vous devez à vos souscripteurs vous embarrasseront beaucoup. Vous ne vous expliquez pas sur la source d’où vient le coup, ni sur la manière précise dont on s’est expliqué. J’aurais voulu le savoir ; cependant, qu’importe au fond ? Ce qui importe beaucoup, c’est de savoir si le Margrave aura des imitateurs qui veuillent payer un maître de philosophie aussi cher que les maîtres de danse. Ce qui importe encore, c’est que vous receviez directement de lui la nouvelle que vous ne tenez que du petit-fils du Docteur[26] et de l’évêque de Vilna[27]. De la bonne volonté des princes à l’exécution, il y a loin bien souvent.

Adieu, mon cher Du Pont, il me tarde d’être à portée de vous aider et de vous consoler dans vos détresses. Vous avez bien raison de compter sur mon amitié. Je vous embrasse.

Bien des compliments à Mme Du Pont.

CXX. (Le Journal de l’agriculture. — Les Éphémérides.)

Limoges, 18 décembre.

Je battrais volontiers M. Tr. Jamais on n’a rien fait de si gauche et de si mal à propos. Comme s’il importait à l’État ou aux sciences que l’abbé Rozier fit son journal seul ou séparément et comme s’il ne vous devait pas quelque chose, comme si vous n’étiez rien pour lui[28]. J’en suis indigné. Je ne le suis guère moins de son excuse.

Vous faites dans votre position tout ce qu’il est possible de faire. Le projet de l’assemblée[29] dont vous me parlez est dur et désagréable ; nous verrons à mon retour s’il est possible de l’éviter. Je vois avec peine qu’il se recule jusqu’aux premiers jours du mois prochain. J’ai craint encore ces jours-ci d’être arrêté par la goutte, mais ce n’a rien été du tout.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. Mille compliments à Mme Du Pont.

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[1] Visé par le censeur le 25 avril 1772.

[2] Idées sur la poésie en général et la poésie dramatique en particulier (article de Du Pont).

[3] Le margrave de Bade.

[4] Le premier volume de 1772.

[5] Lettre à Du Pont (par Clerk, médecin du grand-duc de Russie) remplie d’éloges à l’adresse des économistes et des Éphémérides.

[6] Abrégé des Principes de l’Économie politique, par le margrave de Bade.

[7] Ouvrage du marquis de Chastellux (1734-1788), de l’Académie française (1775).

[8] Par De Guibert (1743-1790), ami de Mlle de Lespinasse, de l’Académie française (1786).

[9] Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes.

[10] William Penn (1644-1718), législateur de la Pennsylvanie.

[11] Boulanger (1722-1759), auteur de l’Antiquité dévoilée.

[12] Directeur de la Gazette de France.

[13] De l’année 1772.

[14] Muratori (1672-1750), archéologue italien.

[15] L’Écuy (1740-1834), général de l’abbaye de Prémontré.

[16] Dans les Éphémérides, p. 195 « Police établie pour les ateliers de charité dans la généralité de Limoges ».

[17] Lettre contenant quelques problèmes proposés à l’auteur des Éphérides, par M. A. P., relativement aux deux principes de l’Ordre essentiel des sociétés politiques de La Rivière : 1° Le souverain est co-propriétaire du produit net des terres ; 2° tout impôt pris ailleurs que sur ce produit est manifestement un double emploi.

L’auteur de la lettre met en présence le propriétaire de terres, le propriétaire de rentes sur la ville, le propriétaire d’écus en argent qui dépense peu à peu.

[18] Elle fut adressée au roi de Suède, au margrave de Bade, au roi de Pologne, peut-être à l’empereur Joseph II. Une partie a été publiée par M. Knies dans la Correspondance de Karl Friedich, margrave de Bade.

[19] Boisgelin.

[20] Les Éphémérides de 1772, t. III. C’est le dernier de cette curieuse revue. Le privilège en fut brusquement retiré à Du Pont.

[21] L’Histoire philosophique de l’abbé Raynal.

[22] Didot, La Combe, Pankoucke, libraires.

[23] La Gazette du commerce.

[24] Court de Gébelin (1723-1784), auteur du Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne.

[25] La suppression du privilège des Éphémérides.

[26] Quesnay de Saint-Germain, petit-fils de Quesnay, était alors à Carlsrhue.

[27] Prince Mussalski.

[28] Trudaine de Montigny ; allusion aux services que Du Pont lui avait rendus lors des affaires des grains.

[29] Des souscripteurs des Éphémérides qui n’avaient pas reçu tous les volumes souscrits.

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