À qui revient le pouvoir de faire les lois ?

Pour répondre à la question de qui doit faire les lois, il est important de remarquer, rappelle Dupont de Nemours dans un écrit de 1789, que si on parle de lois contraires aux droits fondamentaux de l’homme, alors à proprement parler personne n’a le droit de les faire, et ce pouvoir ne peut être délégué à quiconque. « Dans l’origine des sociétés, écrit-il, les hommes ont eu des principes plus sûrs et des idées plus justes, que nous ne le croyons communément. Ils n’ont point dit LÉGISFAITEUR, ce qui aurait indiqué le pouvoir de faire arbitrairement des lois ; ils ont dit LÉGISLATEUR, porteur de loi, ce qui détermine que celui qui est chargé de cette fonction respectable, n’a d’autre droit que de prendre la loi dans le dépôt immense de la nature, de la justice et de la raison, où elle était toute faite, et de la porter, de l’élever, de la présenter au peuple. »


 À qui revient le pouvoir de faire les lois ?

 

par Dupont de Nemours

Extrait de l’Examen du gouvernement d’Angleterre, comparé aux constitutions des États-Unis, 1789, ouvrage où Dupont de Nemours ajouta la note XIX, « Sur ce qu’il faut entendre par l’autorité législative, et jusqu’où on peut la déléguer », que nous reproduisons ici.

NOTE XIX.

Sur ce qu’il faut entendre par l’autorité législative et jusqu’où on peut la déléguer.

« L’autorité législative peut être déléguée au même homme ou au même corps, durant un espace de temps considérable, pour une, deux, trois, ou même sept années, sans beaucoup de risque. Car leurs actes concernant l’État en général, il est vraisemblable qu’ils n’abuseront pas indiscrètement de leur pouvoir. » Page 43ligne 3.

Il ne suffit point qu’il soit vraisemblable que l’on n’abusera pas du pouvoir législatif ; il faut qu’il soit impossible d’en abuser.

Les nations et même les philosophes ont encore des idées très confuses sur l’autorité législative.

L’autorité de faire toute espèce de lois, même celles qui seraient absurdes et injustes, ne peut être déléguée à personne car elle n’appartient pas même au corps entier de la société.

Si le corps entier de la société mû par des idées fanatiques, voulait faire une loi contraire à la liberté, à la sûreté, au droit de propriété des citoyens, ou d’un seul citoyen, ordonner par exemple qu’on brûlerait les sorciers, comme on le faisait naguères dans toute l’Europe, qu’on immolerait ou qu’on mutilerait les fils premiers nés, ou seulement les enfants estropiés ou hideux (ces lois barbares ont eu lieu, même quelques-unes d’entre elles à Sparte et à Rome), ou seulement qu’on jetterait une partie des récoltes à la rivière sans indemniser les possesseurs ; le citoyen isolé qui s’opposerait à l’exécution d’une telle loi, pourrait être opprimé par la force supérieure des autres ; il ferait vraisemblablement contre eux une guerre malheureuse, mais il ne serait point rebelle, et en l’accablant de leur puissance, les autres citoyens, la société entière feraient un acte de tyrannie.

Il faut donc poser en principe que l’autorité législative prise dans un sens étendu, qui embrasserait le pouvoir de tout faire ou de tout proscrire, est un droit que la nature s’est réservé, dont nulle association d’hommes ne peut s’emparer, qu’elle peut encore moins déléguer.

La législation toute entière est renfermée dans une bonne déclaration de droits.

La nation assemblée ne peut donner à personne l’autorité de faire des lois contraires à la déclaration des droits. En faisant cette déclaration, elle a reconnu ce qui était juste. Nul corps de nation ne peut être assez corrompu pour dire ouvertement : Je veux l’autorité de faire ce qui est injuste ; nul ne doit être assez insensé pour donner à qui que ce soit une telle autorité.

Reste donc l’autorité de faire des règlements pour assurer d’autant mieux la conservation des droits : c’est cette autorité que, dans un sens restreint, l’on peut nommer législative.

Le mot est parfaitement appliqué à la chose, et semblerait indiquer que dans l’origine des sociétés les hommes ont eu des principes plus sûrs et des idées plus justes, que nous ne le croyons communément. Ils n’ont point dit LÉGISFAITEUR, ce qui aurait indiqué le pouvoir de faire arbitrairement des lois ; ils ont dit LÉGISLATEUR, porteur de loi, ce qui détermine que celui qui est chargé de cette fonction respectable, n’a d’autre droit que de prendre la loi dans le dépôt immense de la nature, de la justice et de la raison, où elle était toute faite, et de la porter, de l’élever, de la présenter au peuple.

Ex naturâ, jus, ordo & leges. Ex homine, arbitrium, regimen & coertio, disait le profond penseur Quesnay[1].

Tout règlement a une pierre de touche : Est-il conforme à la déclaration de droits, ou ne l’est-il pas ?

Tout citoyen a le droit de lui faire subir l’essai de cette pierre de touche par une discussion libre, et communiquée aux autres citoyens avec toute l’étendue possible. C’est en cela que l’invention de l’imprimerie est infiniment secourable ; c’est pour cela que la liberté de la presse doit être placée au nombre des droits imprescriptibles de tous et de chacun.

Cependant cette inaliénable liberté de discuter les règlements, qu’on appelle improprement lois, et de les comparer avec la déclaration de droits, qui doit comprendre toutes les véritables lois de la société, ne doit jamais emporter le droit de résister à ceux que la société a chargés, et de rédiger, et de promulguer ces règlements. L’exécution provisoire de ses ordres doit toujours être assurée à l’autorité publique ; et cela même est conforme à la loi fondamentale ou à la déclaration de droits, qui ne saurait permettre que la volonté arbitraire, ou l’opinion d’un seul, ni de plusieurs individus, puisse porter atteinte à l’ordre général de la société.

Mais, plus il est nécessaire que l’on obéisse avec une sévère exactitude au règlement ou à l’ordre provisoire, plus il importe, s’il est injuste, que cette obéissance ne soit pas prolongée au-delà de ce qui est indispensable pour le bon ordre, et que la déclaration de droits puisse reprendre aussitôt qu’il est possible toute son autorité, et que le règlement dérogatoire à cette déclaration puisse être promptement réformé.

Il n’est donc nullement indifférent de confier de telle ou telle manière l’autorité législative qui appartient à l’homme, ou celle de faire des règlements pendant un an ou pendant sept.

On ne peut pas la déléguer pour moins d’une année, parce que la nature, en nous donnant une récolte tous les ans, nous a fixé une époque pour renouveler nos mesures politiques ; c’est celle où nous en pouvons solder la dépense, et où la suspension des travaux champêtres nous donne le loisir de conférer entre nous sur des objets plus étendus.

Il y a cependant un inconvénient assez grave à employer toujours pour les affaires de l’État des hommes nouveaux et inexpérimentés ; et ce n’est point une raison pour être renvoyé du service, que de l’avoir fait pendant un certain temps, si on l’a bien fait.

Pour éviter cet inconvénient, et ne pas tomber dans celui de trop prolonger l’obéissance due aux règlements provisoires qui seraient imparfaits, le remède paraît être de renouveler tous les ans une partie considérable du conseil, auquel on confie l’autorité qu’on nomme législative, en laissant aux électeurs le pouvoir de nommer les mêmes sujets : de sorte que l’homme habile et vertueux puisse rester longtemps en place, mais seulement par l’effet d’une nouvelle élection qui ne lui assure cette place que pour peu de temps.

Cette mesure, qui devrait s’appliquer à toutes les fonctions publiques, a été adoptée pour l’autorité législative par tous les États-Unis d’Amérique, à l’exception de la Pennsylvanie ; et l’on peut espérer du progrès de leurs lumières, que dans la suite ils la prendront pour règle dans le renouvellement de tous les mandataires de leur souveraineté.

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[1] De par la nature, le droit, l’ordre et les lois. De par l’homme, le jugement, le gouvernement et les châtiments. (Note de l’éditeur).

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