Oeuvres de Turgot – 175 – Les impôts directs

1775

175. — LES IMPÔTS DIRECTS

I. — La Taille.

1. Lettres Patentes validant les opérations faites pour la taille de 1772 à 1775.

(Registrées à la Cour des Aides le 25 janvier 1776).

[D. P., VII, 105.]

(Approbation de mesures relatives à l’évaluation des terres pour l’assiette de l’impôt)[1].

Versailles, 1er janvier.

Louis… Le feu Roi, notre aïeul, s’était occupé des moyens d’écarter l’arbitraire de la répartition des impositions que supportaient les habitants des campagnes ; il avait fait connaître ses intentions à ce sujet par ses Édits d’avril 1763, juillet 1766 et par sa Déclaration du 7 février 1768 ; instruit que le Sr intendant et commissaire départi dans la généralité de Paris pour l’exécution de nos ordres, a fait, depuis plusieurs années, des efforts pour que les peuples recueillissent de ces lois les avantages qu’ils pouvaient en espérer, nous avons cru devoir laisser subsister ce travail pour la présente année. Nous espérons pouvoir bientôt nous expliquer plus particulièrement sur la répartition des impositions[2], objet digne de toute notre attention, et qui intéresse essentiellement le bonheur et la tranquillité de nos peuples. À ces causes…

Art. I. Nous avons validé et validons les opérations faites dans la généralité de Paris pour la confection des rôles de la taille des années 1772, 1773, 1774 et 1775, d’après l’instruction donnée par le Sr intendant et commissaire départi en ladite généralité, aux commissaires employés à la confection desdits rôles, laquelle instruction nous avons fait annexer à cet effet au contre-scel des présentes.

II. Ordonnons que les commissaires aux tailles, syndics et collecteurs des paroisses seront tenus de s’y conformer pour la présente année.

III. Voulons que les contestations et oppositions qui pourraient être déjà formées à l’occasion desdits rôles, ou qui pourraient l’être dans la suite, soient jugées en première instance par les officiers des élections, et par appel en notre Cour des aides, conformément aux dispositions contenues dans ladite instruction. Si donnons en mandement, etc.

Ces lettres patentes ne furent pas enregistrées purement et simplement ; elles le furent sans approbation des arrêts du Conseil que le législateur y avait mentionnés et aussi sans approbation de l’Instruction des commissaires aux tailles, et à la charge, 1° qu’il serait déposé aux greffes des élections de la généralité de Paris, si fait n’avait été, un état contenant les noms et domiciles des commissaires nommés par le commissaire départi pour la confection des rôles de la taille ; 2° que lesdits commissaires aux rôles seraient tenus de donner, dans huitaine du jour de la communication qui leur aura été faite des mémoires des contribuables, leurs avis, ou de déclarer qu’ils n’en voulaient donner ; 3° que les rôles des tailles, pour l’année 1776 et les années suivantes, ne pourraient être faits que de la manière ordonnée par le Règlement du 7 septembre 1770, et avec défense aux commissaires et collecteurs, qui seraient nommés pour la confection des rôles, de s’en écarter, sous telles peines qu’il appartiendrait. « Cependant le plan de M. Bertier, et les Lettres patentes qui l’autorisaient, eurent leur exécution. Il est très fâcheux que depuis 1789 on ait négligé de profiter de son beau travail. » (Du Pont. Mém.)

Instruction pour les commissaires des tailles. 

Art. I. Les Commissaires des tailles se transporteront dans les paroisses au mois d’avril pour y recevoir les déclarations des biens des contribuables, afin de parvenir à la confection des rôles de l’année suivante, et se feront assister par les collecteurs qui auront été nommés à cet effet.

II. Ils annonceront leurs commissions aux syndics de chaque paroisse, au moins huit jours avant celui où ils devront s’y rendre, par un mandement qui indiquera le jour, le lieu et l’heure qu’ils auront fixés pour leur opération ; et seront les syndics et les anciens et nouveaux collecteurs tenus de s’y trouver, sous peine de 20 livres d’amende, qui sera prononcée par l’intendant et commissaire départi ; les autres habitants seront pareillement tenus d’y comparaître, faute de quoi leurs déclarations seront faites par le surplus de la communauté.

III. À leur arrivée dans les paroisses, les Commissaires feront sonner la cloche pour assembler la communauté. Ils commenceront par se procurer des connaissances générales sur la situation de la paroisse, sa population, les noms des seigneurs, et autres objets qui doivent entrer dans la rédaction de leur procès-verbal.

IV. Ils s’enquerront particulièrement sur la nature et qualité du territoire pour déterminer la nécessité ou l’inutilité de faire plusieurs classes dans l’évaluation des terres, d’après l’égalité ou la variété du sol, et ils comprendront dans chaque classe les noms des différents cantons dont elles doivent être composées.

V. Les Commissaires prendront les renseignements les plus exacts sur tout ce qui pourra conduire à la juste fixation de l’estimation des biens imposables, ou du prix commun du loyer relativement à chaque classe, pour en faire leur rapport au département.

VI. Seront tenus les Commissaires de prendre les autres instructions prescrites par l’Édit du mois de mars 1600, celui de janvier 1634, l’Arrêt du Conseil du 28 février 1688, et les Déclarations des mois d’avril 1761 et février 1768.

VII. Les Commissaires procéderont ensuite à la réception des déclarations de chaque contribuable. Ils les rédigeront en présence du déclarant, des collecteurs et au moins des principaux habitants ; ils feront signer la déclaration par le déclarant lorsqu’il saura signer ; sinon, il sera fait mention qu’il ne sait signer, après toutefois les avoir avertis que les déclarations doivent être exactes et sans fraude, à peine du doublement de leurs cotes, ainsi qu’il est prononcé par les Déclarations de 1761 et 1768.

VIII. Les déclarations de chaque contribuable contiendront : 1° les noms et surnoms du déclarant et sa profession ; 2° le détail des biens propres qu’il exploite sur la paroisse, article par article, en distinguant la nature des biens et les différents cantons où ils sont situés, afin de les comprendre dans les classes qui pourront avoir été faites ; et, dans le cas où la totalité de ces biens ou partie d’iceux serait chargée de rentes, il en sera fait mention, ainsi que des noms et demeures des personnes à qui elles sont dues ; 3° les biens qu’il exploite à loyer, avec la même distinction, le prix de la location et les noms et demeures des propriétaires ; 4° ce qu’il exploite dans les paroisses voisines, en propre ou à loyer, avec les autres distinctions indiquées ci-devant ; 5° la maison dans laquelle habite le taillable, en distinguant si elle lui appartient en propre, ou s’il la tient à loyer ou à rente ; il sera fait mention du prix du loyer ou de la rente et des noms et demeures de ceux qui sont propriétaires desdites maisons ou créanciers des rentes ; 6° les revenus actifs, soit en loyer de maison, de terres ou rentes de toute nature, et les noms et demeures de ceux par qui ces revenus sont payés ; 7° le commerce ou l’industrie de chaque taillable, suivant la commune renommée et la déclaration du taillable ; 8° le déclarant sera tenu, autant qu’il sera possible, d’appuyer la déclaration de pièces justificatives, telles que baux, quittances, partages, etc.

IX. Lorsque les déclarations auront été reçues, elles seront lues en présence des syndics, collecteurs et principaux habitants, qui pourront les contredire. Dans le cas où le déclarant n’aurait pas appuyé sa déclaration de pièces, la contradiction de la paroisse l’emportera sur l’assertion particulière du déclarant et, si les habitants arguaient les pièces de fraude, le Commissaire en référera à l’intendant pour ordonner un arpentage ou telle autre vérification qu’il jugera convenable, dont les frais seront alors supportés par ceux des déclarants ou des habitants dont l’assertion aura été reconnue fausse.

X. Après la réception et la discussion des déclarations, le Commissaire terminera son procès-verbal ; il en signera la minute, et la fera signer aussi par les syndics, collecteurs et principaux habitants.

XI. Les Commissaires feront leur rapport au département des connaissances particulières qu’ils auront prises dans chaque paroisse pour parvenir à la fixation de l’estimation du prix des terres labourables et prés, suivant les différentes classes qui auront été convenues avec les habitants, ainsi que des jardins et chenevières, vignes, bois et autres biens ; et, d’après ce rapport discuté entre toutes les personnes qui assistent au département, le prix du loyer sera fixé et servira de base pour les opérations ultérieures des Commissaires.

XII. Après le département, les Commissaires feront, en présence des collecteurs de chaque paroisse, la répartition de la taille portée par la commission.

XIII. Chaque cote de taille, dans le rôle, sera divisée en deux parties, celle de la taille réelle et celle de la taille personnelle.

XIV. La partie de la taille réelle sera composée des objets suivants et dans l’ordre où ils seront rangés dans le présent article, savoir : 1° des terres labourables, prés, vignes et autres biens de cette nature qu’il exploite, soit en propre, soit à loyer ; 2° des moulins et usines qu’il fait valoir ; 3° des dîmes ou champarts, rentes ou droits seigneuriaux qu’il afferme ; 4° de la maison ou corps de ferme que le taillable occupe.

XV. Le taux d’occupation des maisons sera, dans l’élection de Paris et dans toutes les villes de la généralité, au sol pour livre de la location ou de l’évaluation comparée avec la location pour celles qui ne sont pas louées ou dont le prix ne peut être connu, et de 6 deniers pour livre seulement dans les campagnes des autres élections.

XVI. Les moulins ou autres usines seront imposés suivant le prix de la redevance, au taux de la paroisse, sans aucune déduction.

XVII. Les dimes, champarts et droits seigneuriaux affermés seront également imposé au taux de la paroisse, aussi sans déduction.

XVIII. Les terres labourables, prés, vignes et autres biens de pareille nature seront imposés uniformément entre les mains de tous ceux qui en feront l’exploitation, au taux de la paroisse, suivant l’estimation donnée à l’arpent dans la classe où ils se trouveront, et sans avoir égard à la redevance portée par les baux.

XIX. La partie de la taille personnelle de chaque objet sera composée, savoir : 1° du revenu des moulins et usines et des maisons en propre données à loyer ou occupées, sur lesquels objets on déduira le quart pour les réparations ; 2° des revenus des terres données à loyer suivant la redevance, ou de celles exploitées en propre, suivant le prix du loyer des classes dans lesquelles elles se trouveront ; 3° des rentes actives ; 4° du bénéfice de l’industrie ; 5° du dixième du prix des journées de la profession à laquelle chacun des contribuables s’adonne.

XX. Tous les revenus ou facultés résultant des objets ci-dessus seront imposés au sol pour livre ; en telle manière, à l’égard des journées, par exemple, que si un artisan ou un journalier est censé gagner deux cents journées par an, ces journées ayant été tirées pour vingt dans l’évaluation des facultés, ce même journalier ne sera imposé qu’au prix d’une seule de ses journées. Les fermiers seront aussi imposés pour le bénéfice de leur exploitation, attendu que, ne l’étant pour les arpents de terre qu’ils cultivent que dans la même proportion que tous les autres exploitants, et même ceux qui n’ont à eux aucuns moyens de culture, il est juste qu’ils contribuent personnellement aux charges de l’État pour des fonds qu’ils emploient à leurs exploitations, comme un commerçant à raison des fonds qu’il met dans son commerce, sans quoi ils seraient effectivement traités comme les privilégiés, qui sont exempts de la taille personnelle et ne contribuent qu’à la taille d’exploitation.

2. Mémoire au Roi pour l’abolition des contraintes solidaires et Déclaration royale approbative[3].

(Registrée à la Cour des Aides le 27 janvier.)

[A. L., minute. — Journal historique, 13 février, pour le Préambule de la Déclaration. — D. P., VII, 119, avec modifications.]

(Différence de régime entre la taille et les vingtièmes. — Les asséeurs et les collecteurs. — Les conséquences de la contrainte solidaire. — Sa suppression sauf en cas de rébellion.)

3 janvier.

Sire, je crois devoir proposer à V. M. d’abroger une loi qui m’a toujours paru cruelle et, j’ose le dire, injuste pour les habitants des campagnes, et dont j’ai vu plus d’une fois l’exécution rigoureuse devenir une source de ruine pour des cultivateurs. Je parle de la loi qui autorise les receveurs des tailles à choisir plusieurs habitants parmi les plus hauts taxés d’une communauté, pour les contraindre à payer, par voie d’emprisonnement, ce que la paroisse doit sur ses impositions, soit par le défaut de nomination de collecteur, soit par l’infidélité ou l’insolvabilité du collecteur nommé.

Je dois avouer à V. M. que cette loi, comprise dans un Règlement général sur le fait des tailles de l’année 1600, est liée par cette date à deux noms qu’on est accoutumé à bénir et respecter, puisqu’en 1600 Henri IV régnait et que le duc de Sully administrait les finances. Mais le désordre dans le recouvrement des impositions était si extrême, lorsque le département fut confié à cet excellent homme, qu’on pourrait presque l’excuser d’avoir outré les précautions pour faire rentrer dans les coffres du Roi les deniers des impositions, que la rapine et la négligence dispersaient en mille manières, sans que les peuples en fussent aucunement soulagés. D’ailleurs, je dois dire, pour sa justification, que cette loi pouvait être alors fondée sur une forme adoptée dans le recouvrement des impositions qui ne subsiste plus aujourd’hui telle qu’elle était de son temps et que ce qui ne présente aujourd’hui que l’apparence de la dureté et de l’injustice pouvait alors paraître fondé sur un principe d’équité.

S. M. sait que la taille est imposée d’après des principes entièrement différents de ceux qu’on a depuis suivis dans l’imposition du dixième et du vingtième. Le vingtième est une quotité déterminée du revenu de chaque contribuable dont la cote est fixée directement par l’autorité royale, d’après la connaissance qu’ont pu se procurer de ses revenus, les directeurs, contrôleurs, et autres préposés à l’assiette de cette imposition. Cette cote est indépendante de la cote des autres contribuables, en sorte que, dans le débat sur le plus ou moins, chaque particulier n’a à discuter qu’avec l’homme du Roi, et que le Roi a, pour ainsi dire, par ses préposés, un procès avec chaque propriétaire de son royaume. Il résulte de là que le produit total de cette imposition ne peut jamais être connu avec une entière précision ; car, si le contrôleur des vingtièmes s’est trompé en évaluant trop haut les revenus d’un ou de plusieurs particuliers, il faut bien, pour leur rendre justice, diminuer leur imposition, et c’est autant de retranché sur la somme totale du rôle. Si un contribuable éprouve des accidents sur ses récoltes, si par toute autre cause il est hors d’état de payer, il faut bien que le Roi perde le montant de son imposition. Si le préposé au recouvrement des vingtièmes dissipe les deniers qu’il a perçus et fait banqueroute, c’est encore le Roi qui perd, car les contribuables, ayant chacun payé la portion de leur revenu qu’ils doivent, sont quittes envers le Roi ; il n’y a aucun prétexte pour leur demander ce que tel ou tel n’a pas payé, il n’est aucun prétexte pour rendre la communauté responsable des non-valeurs ni de la dissipation du préposé au recouvrement.

Il en est tout autrement de la taille. Ce n’est point à chaque taillable que V. M. demande directement ce qu’il aura à payer : elle détermine dans son Conseil la somme qu’elle croit nécessaire au besoin de son État ; elle fixe, par les commissions des tailles et par les arrêtés de son Conseil, la portion dont chaque généralité et chaque élection doivent contribuer au payement de la somme totale.

La contribution de chaque élection se répartit entre les paroisses dans l’assemblée qui se tient chaque année pour le département, laquelle est composée de l’intendant, de deux officiers du bureau des finances de la généralité, et des élus ou officiers du tribunal qu’on appelle l’élection. L’intendant préside et a, seul, la voix décisive. Quand la somme que doit payer chaque paroisse est ainsi arrêtée au département, l’intendant en avertit chaque communauté par des mandements adressés au corps des habitants, et portant ordre de répartir entre eux sur chaque contribuable, à raison de ses facultés, la somme imposée sur la totalité de la paroisse. C’est donc à la communauté que les deniers de l’imposition sont demandés ; c’est à la communauté à faire remettre la somme entière sans non-valeur entre les mains du receveur des tailles. La répartition de ce qui doit être payé par chaque contribuable est l’affaire de la communauté, et non pas celle du Roi, qui n’y peut intervenir que comme le protecteur et le défenseur naturel de tous ceux auxquels on fait injustice.

Il suit de là que, si quelqu’un des particuliers compris dans le rôle est hors d’état de payer, c’est à la communauté entière à payer pour lui. Si un contribuable trop taxé obtient sa décharge, c’est à la communauté à remplir le déficit qui en résulte. Si le collecteur chargé de la levée des deniers les dissipe au lieu de les porter à la recette des tailles, c’est encore la communauté qui fait les deniers bons de sa banqueroute au Roi, lequel reçoit toujours la totalité de la somme imposée. Ainsi, tous les contribuables de la communauté sont regardés comme débiteurs solidaires répondant les uns pour les autres, répondant pour la communauté, comme elle pour eux, de la somme imposée.

Ce système, qui présente l’apparence de la simplicité et de la facilité, et celui d’une recette toujours assurée, a des avantages ; il a aussi des inconvénients qui peuvent être diminués par différents moyens, mais qui ont été et sont encore fort grands dans les pays de taille personnelle. L’expérience a montré que la simplicité et la facilité que cette méthode présente dans le commandement, ne se trouvent pas à beaucoup près dans l’exécution. Il est bien plus aisé au gouvernement de dire aux communautés : « Il me faut tant d’argent ; arrangez-vous comme vous voudrez ou comme vous pourrez, pourvu que j’aie l’argent que je vous demande », qu’il ne l’est à des communautés composées de paysans pauvres, ignorants et brutaux, comme elles le sont dans la plus grande partie du Royaume, de s’arranger effectivement, de répartir un fardeau très lourd avec une justice exacte, en discutant une foule d’exemptions établies par des règlements sans nombre, dont la connaissance détaillée exigerait toute l’étude d’un homme de loi et dont l’ignorance expose un malheureux paysan à surcharger ses concitoyens et lui-même, s’il a égard à des exemptions mal fondées, ou à soutenir, ainsi que sa communauté, des procès ruineux, s’il refuse d’avoir égard à des exemptions légitimes.

Dans l’origine, la paroisse choisissait un certain nombre de prud’hommes auxquels on donnait le nom d’asséeurs, qui faisaient serment d’asseoir ou de répartir l’imposition suivant leur âme et conscience sur tous les taillables de la communauté. L’on nommait aussi, à la pluralité des voix, un ou plusieurs particuliers solvables qui étaient chargés de faire, d’après le rôle arrêté par les asséeurs, la collecte des deniers, et de les verser dans la caisse des receveurs du Roi. On imposait, en sus de la somme demandée par le Roi, une taxation de 6 deniers pour livre au profit de ces collecteurs qui, moyennant cette espèce de salaire, étaient garants de leurs recettes.

L’on ne tarda pas à s’apercevoir qu’en confiant la fonction de répartir les tailles aux plus intelligents de la paroisse, qui étaient ordinairement les plus riches, ceux-ci étaient très portés à abuser de cette confiance forcée pour se ménager les uns les autres et se taxer fort au-dessous de leurs facultés ; en sorte que le fardeau retombait en grande partie sur les plus pauvres habitants. Il arrivait de là que les contribuables étaient souvent hors d’état de payer les sommes auxquelles ils étaient imposés sur les rôles et que les collecteurs, obligés de répondre de la totalité de la somme imposée, étaient souvent ruinés.

Pour remédier à cet inconvénient, l’on imagina de charger les collecteurs eux-mêmes de la répartition de la taille, en sorte qu’ils sont, en même temps, asséeurs et collecteurs. Il devait résulter de là, et il en est résulté, en effet, que le collecteur étant obligé de répondre de la totalité de l’imposition, et même souvent d’en faire l’avance au receveur, sa règle presque unique dans la répartition a été de taxer ceux qui payaient le mieux, en sorte qu’un moyen assuré de voir augmenter ses charges l’année suivante était de bien payer l’année courante. V. M. conçoit aisément combien cette forme a dû faire naître de lenteur dans les recouvrements ; elle a encore eu l’effet que chaque paysan n’a été occupé que de cacher son aisance, qu’il a craint de se livrer à son industrie, et qu’il a fui toute entreprise, toute acquisition, qui auraient pu donner aux collecteurs prise sur lui, et devenir un prétexte d’augmenter sa taxe. De là, le découragement de l’industrie et l’appauvrissement des campagnes dans la plus grande partie des pays d’élection où la taille est restée personnelle et arbitraire. On s’est occupé des moyens de remédier à ces maux ; mais il s’en faut beaucoup qu’on ait réussi ; leur réforme est un des plus grands biens que V. M. pourra faire à ses peuples.

Ces asséeurs collecteurs étaient toujours choisis par la paroisse et, d’après les principes établis, la paroisse devait répondre de leur gestion. C’est à raison de ces principes que les anciens règlements avaient ordonné que, dans le cas de dissipation des deniers royaux par les collecteurs, les receveurs des tailles étaient en droit, après avoir poursuivi ces collecteurs par l’emprisonnement et la vente de leur mobilier, de se pourvoir devant le tribunal de l’élection pour être autorisés à contraindre, par voie d’exécution et d’emprisonnement, un certain nombre des habitants les plus haut taxés de la paroisse à payer les sommes dissipées par les collecteurs, sauf à ces habitants plus haut taxés à se pourvoir ensuite pour être remboursés de leur avance par la communauté.

Il fut rendu, en 1597, un règlement pour la Normandie, qui établit la contrainte solidaire contre les principaux habitants des paroisses dans plusieurs cas, savoir : le cas de rébellion ; celui où faute d’avoir nommé les collecteurs, on n’aurait point fait l’assiette de l’imposition ; enfin, dans celui où les collecteurs nommés, devenant insolvables, n’auraient point payé la totalité des impositions dues par les paroisses ; ces dispositions, particulières à la Normandie, devinrent générales par les Règlements de 1600. Les dispositions de ces règlements ont été confirmées par ceux de 1634 et 1663, et elles sont encore observées.

Je ne proposerai point à V. M. de supprimer la contrainte solidaire dans le cas de rébellion et dans ceux où les paroisses se seraient refusées à nommer des collecteurs. Ces deux cas ne peuvent être aujourd’hui qu’infiniment rares, et s’ils arrivaient, il serait assez naturel que les principaux habitants répondissent du délit dont ils seraient certainement les principaux complices ; mais le cas d’insolvabilité et de dissipation de deniers de la part des collecteurs est très fréquent, surtout dans les provinces pauvres, et alors la loi qui rend les quatre plus haut taxés responsables de cette insolvabilité est d’un excès de dureté qui la rend très injuste[4]. J’ai déjà dit à V. M. que cette injustice pouvait n’être pas dans la loi lorsqu’elle a été portée. Alors les collecteurs étaient véritablement choisis par la communauté. S’ils n’étaient pas solvables, c’était donc la faute de la communauté de n’avoir pas choisi des hommes capables de répondre des deniers ; l’on devait présumer que les plus riches habitants avaient cherché à se décharger de ce fardeau sur d’autres moins en état qu’eux de le porter et il pouvait paraître juste de les rendre responsables d’un vide, dans la recette des deniers du Roi, qu’on pouvait croire arrivé par leur faute. C’est, sans doute sous ce point de vue, que le duc de Sully envisageait la question lorsqu’il a fait rendre l’Édit de 1600 ; mais, depuis cette époque, les choses ont bien changé ; à mesure que les impositions ont augmenté, l’emploi d’asséeur collecteur est devenu tellement onéreux que personne n’a voulu s’en charger volontairement. Les paroisses seraient restées sans collecteurs, si divers règlements n’y avaient pourvu, en ordonnant que chacun serait nommé collecteur à son tour, d’après des tableaux dans lesquels chacun des taillables est inscrit pour passer successivement à la collecte. On nomme chaque année plusieurs collecteurs dont un seul reçoit l’argent. Le tableau est composé de plusieurs colonnes. La première colonne est remplie par les habitants les moins insolvables et c’est, dans cette colonne, que se prend le premier collecteur appelé collecteur porte-bourse, parce qu’il est chargé des deniers. Les tableaux se renouvellent de temps en temps et se font de l’autorité des intendants et des officiers de l’élection.

Cette nécessité d’être collecteur à son tour est un des fléaux les plus redoutés par les habitants des campagnes parce que la collecte dans les pays pauvres conduit presque toujours à la ruine. C’est encore un des maux du peuple que je dénoncerai à la bonté du cœur de V. M. ; mais je ne veux, dans ce moment, que lui faire observer combien ce nouvel ordre des choses rend cruelle la charge imposée au petit nombre d’habitants plus haut taxés de répondre personnellement pour un collecteur qu’ils n’ont ni choisi, ni pu choisir.

Si ce malheureux, appelé par l’ordre du tableau à porter un fardeau au-dessus de ses forces, y succombe, si le dépositaire indiqué à la communauté par un ordre chronologique devient infidèle, est-ce une raison pour qu’un citoyen qui n’a rien à se reprocher soit troublé dans ses foyers, interrompu dans ses travaux, ruiné dans sa fortune, arraché à sa femme, à ses enfants et traîné en prison jusqu’à ce que, par la vente de son bien, il ait pu payer au receveur des tailles ce qu’il ne lui doit pas ? Non certes, et je ne doute pas que V. M. ne saisisse avec empressement tous les moyens que je puis lui proposer pour faire cesser cette injustice. Je dois lui dire que, pendant le cours de l’administration qui m’avait été confiée dans une de ses provinces, j’ai été plus d’une fois témoin de la ruine de plusieurs honnêtes citoyens par l’effet de cette loi destructive.

Heureusement, le remède en est très facile ; il ne s’agit que de demander à la paroisse ce qui tôt ou tard retombe sur elle, puisque les quatre plus haut taxés ont droit de se pourvoir par devers les intendants pour obtenir l’imposition sur la totalité de la paroisse des sommes qu’ils ont été obligés d’avancer aux receveurs des tailles. Pourquoi donc ne pas supprimer cet intermédiaire odieux de poursuites contre un petit nombre d’habitants, puisque toute la paroisse répond solidairement de l’imposition ? Pourquoi ne pas s’attaquer directement à toute la paroisse ? Les receveurs des tailles peuvent dire qu’ils sont obligés d’avancer au Roi la totalité de l’imposition et qu’il ne serait pas juste de les obliger d’attendre un an ou deux le recouvrement de la réimposition. Il est juste, sans doute, d’avoir égard à cette avance des receveurs, mais il est très facile d’y pourvoir par une voie douce ; il ne s’agit que de joindre à l’imposition de la somme principale celle des frais légitimement faits et des intérêts jusqu’au moment où la somme pourra être recouvrée et versée dans leurs mains. C’est ce que je propose dans la Déclaration dont je vais lire à V. M. le dispositif :

Louis… Les malheurs qui avaient affligé l’État pendant les guerres civiles, le désordre qui en était résulté pour le recouvrement des impositions, avaient fait juger nécessaire à nos prédécesseurs d’autoriser les receveurs des tailles à contraindre solidairement les principaux habitants des paroisses taillables au payement des impositions dues par les paroisses, soit dans le cas de rébellion, soit faute d’assiette des impositions ou de nomination de collecteurs, soit enfin lorsque les collecteurs, après une discussion sommaire de leurs biens-meubles, se trouvaient insolvables. Ces dispositions ont été confirmées depuis, quoique la nomination des collecteurs, dépendante autrefois de la volonté seule et du choix des paroisses, soit soumise aujourd’hui à des règles fixes qui appellent chaque habitant à son tour à la collecte, suivant l’ordre du tableau, et ne laissent plus aux habitants d’autre soin que de déterminer la classe dans laquelle doivent être placés les différents contribuables, d’après la quotité de leurs impositions, pour passer successivement à la collecte. Malgré la rigueur de cette contrainte solidaire, on ne peut en méconnaitre la justice dans le cas où des paroisses entreprendraient de se soustraire au payement des impositions. Mais les règlements ayant pourvu à ce qu’il y eût des collecteurs nommés d’office, faute par les paroisses d’avoir formé les tableaux qui désignent ceux qui doivent remplir ces fonctions chaque année ; ces lois ayant également prescrit les précautions nécessaires pour la confection de ces tableaux, et prononcé des peines sévères contre les collecteurs qui, étant en même temps chargés de l’assiette des impositions, en divertissent les deniers, la rébellion nous a paru le seul cas extraordinaire dans lequel nous devons laisser aux receveurs la faculté de faire usage de cette contrainte avec des précautions même qui nous font espérer qu’ils ne seront jamais réduits à cette extrémité.

Notre affection pour les habitants de la campagne nous engage à supprimer, pour les deux autres cas plus extraordinaires, celui où les habitants n’auraient point nommé des collecteurs, et celui où les collecteurs, responsables des payements dans les termes prescrits, n’auraient point fait l’assiette ou deviendraient insolvables. Ces poursuites rigoureuses qui exposent les principaux contribuables à la perte de leur fortune et de leur liberté, répandent l’effroi dans les campagnes, découragent l’agriculture, l’objet le plus digne de notre protection et de nos soins, et obligent malgré eux les receveurs des tailles à des frais considérables contre des habitants qu’il est de leur devoir et de leur intérêt de ménager le plus qu’il est possible. Nous prenons en même temps les mesures convenables pour assurer, dans de pareilles circonstances, la rentrée de nos deniers, et pour indemniser les receveurs, chargés d’en faire la recette et le payement dans des termes limités, des retards qu’ils pourront éprouver.

Art. I. Il ne sera plus décerné de contraintes solidaires contre les principaux contribuables des paroisses pour le payement de nos impositions que dans le seul cas de rébellion, jugée contre la communauté. Voulons que lesdits receveurs, même dans ce cas, soient tenus d’en avertir par écrit les Srs intendants et commissaires départis dans les provinces, afin qu’ils puissent employer l’autorité que nous leur avons confiée pour rétablir l’ordre et la subordination, et prévenir s’il est possible la nécessité de ces poursuites.

II. Ordonnons l’exécution des Déclarations des 1er août 1716, 24 mai 1717 et 9 août 1723, concernant la nomination des collecteurs ; enjoignons aux Srs intendants, conformément à l’article XIII de la déclaration du 9 août 1723, de choisir, dans le nombre de ceux qui sont compris dans les états qui leur seront remis exactement chaque année, les plus haut imposés à la taille pour faire les fonctions de collecteurs, et de les nommer d’office dans les paroisses où il n’aura point été fait de nomination, ou dont les habitants nommés seront insuffisants pour faire la collecte.

III. Dans le cas où les collecteurs nommés par les paroisses, ou ceux qui le seront d’office par lesdits Srs intendants, conformément au précédent article, refuseraient ou négligeraient de faire l’assiette des impositions et le payement d’icelles dans les termes prescrits par les règlements, ils seront contraints à les payer par les voies ordinaires et suivant les formes établies par lesdits règlements.

IV. En cas d’insolvabilité desdits collecteurs, après discussion sommaire de leurs meubles et procès-verbal de perquisition de leur personne, fait à la requête des receveurs des tailles, lesdits receveurs se pourvoiront par devers lesdits Srs intendants pour obtenir la réimposition des sommes qui leur seront dues par les paroisses ; lesquelles réimpositions, après que leurs demandes auront été communiquées aux habitants et que ceux-ci auront été entendus, seront faites au prochain département, tant de la somme principale que des intérêts et des frais légitimement faits par lesdits receveurs, sur tous les contribuables desdites paroisses.

V. Laissons à la prudence des Srs intendants, dans les cas où la somme dissipée serait trop forte pour être imposée en une seule année sans surcharger les contribuables, d’en ordonner la réimposition en principal et intérêts en deux ou plusieurs années.

VI. Les sommes réimposées seront payées dans les mêmes termes que l’imposition de l’année où la réimposition en aura été faite, et les intérêts en courront au profit du receveur, à compter du jour où l’insolvabilité des collecteurs aura été constatée dans la forme ordinaire jusqu’au temps marqué pour les payements.

VII. La même réimposition aura lieu et sera faite, dans la même forme, au profit des principaux contribuables qui auront été contraints solidairement, dans le cas de rébellion seulement, au payement des impositions dues par les paroisses.

VIII. Dérogeons à tous édits, etc. qui pourraient être contraires à ces présentes.

La Déclaration ci-dessus fut enregistrée à la Cour des Aides avec cette réserve :

« Dans le cas de dissipations des deniers publics par les collecteurs, les receveurs des tailles sont tenus d’en faire la dénonciation au substitut du procureur général du Roi ès élection pour être à sa requête lesdits collecteurs poursuivis extraordinairement. (Mémoires pour servir à l’histoire du droit, 302. — Foncin, 158.)

3. Lettre à l’Intendant de Bordeaux (Esmangard) au sujet d’un rôle d’office à Génissac.

[Foncin, 597.]

(Le rôle d’office a été établi sans motifs suffisants.)

14 juillet.

M. d’Ormesson m’a fait part, M., de ce que vous lui avez mandé le 20 juin dernier relativement au rôle d’office fait dans la paroisse de Génissac et j’ai examiné avec lui le projet d’arrêt que vous proposez au Conseil de rendre. Je ne vous dissimulerai point que j’en ai trouvé les dispositions trop rigoureuses et que je n’ai point cru devoir l’adopter.

Vous proposez de faire interdire le notaire, pendant trois mois, pour avoir reçu une délibération signée du syndic d’une communauté de cinq collecteurs et de treize habitants. Je ne vois pas sur quel motif on peut prononcer cette interdiction. Cet officier public ne devait point refuser son ministère lorsqu’il était requis. Je n’ai rien remarqué non plus, dans la délibération rendue des formalités requises, qui puisse blesser votre autorité, ni qu’on ait manqué en rien à votre commissaire. Cette délibération contient des représentations de la part des habitants convaincus de l’inutilité d’une taille d’office demandée par deux ou trois particuliers qui, faisant un commerce considérable, espéraient, au préjudice des autres taillables, une forte diminution sur leurs impositions. Dans l’acte du 7 mai, ils s’expriment avec des témoignages de respect et de déférence pour le commissaire, en le suppliant de se transporter dans la maison préparée au centre de la paroisse.

Ces habitants seraient punissables, sans doute, d’avoir refusé de donner leurs déclarations ; les collecteurs le seraient également s’ils avaient persisté à ne point faire leur répartition en présence de ce commissaire chargé de les éclairer dans leur répartition et d’empêcher l’effet des passions et des haines particulières. Mais il paraît que la persévérance du commissaire à ne point quitter la maison éloignée de la paroisse et à ne point accepter celle qu’on lui offrait dans le centre, a été la seule cause des petites discussions sur lesquelles enfin les habitants ont cédé ; ils ont fini par obéir aux volontés du commissaire. D’après cela, je ne vois rien d’assez grave pour attirer des châtiments au notaire et aux délibérants.

Je pourrais bien vous observer que ce n’était point au mois de mai que ce commissaire, nommé en septembre, devait s’occuper de ce rôle d’office, trois termes de la taille étant échus. Ce retard pouvait être très nuisible au recouvrement et un rôle d’office fait dans ce temps pouvait être plus préjudiciable qu’utile à cette communauté.

Lettre à l’Intendant de Caen au sujet d’une modération de la taille.

[A. Calvados.]

(Dommages causés par la grêle, l’épizootie, etc. — Les ateliers de charité. — La corvée des chemins).

Versailles, 20 septembre.

J’ai rendu compte au Roi, M., de la situation de votre généralité et des différents motifs qui pouvaient déterminer les secours que S. M. accorde chaque année sur la taille. Quoique la récolte soit beaucoup plus abondante cette année que les années dernières, S. M. n’a point cru devoir diminuer l’étendue des bienfaits dont les taillables ont joui en 1775. Les provinces les plus affligées par la grêle et par la maladie épizootique éprouveront tous les soulagements qui leur sont si nécessaires, et les autres seront diminuées dans la proportion des pertes qu’elles ont souffertes réellement.

S. M. a fixé à la somme de 15 000 livres la diminution en moins imposé effectif, et à celle des 45 000 livres, celle qui, continuant à être imposée, ne tournera point au profit du trésor Royal et sera employée en travaux de Charité.

La somme moins imposée est destinée uniquement, comme vous le savez, au soulagement de ceux qui ont éprouvé des pertes dans leurs récoltes ou d’autres accidents, tels qu’incendie, mortalité de bestiaux, etc. Tout autre emploi, si quelqu’un pouvait se le permettre, serait très répréhensible aux yeux de S. M.

Celle consacrée aux travaux de Charité vous donnera les moyens d’établir des ateliers publics dans les lieux où les récoltes sont moins abondantes, où la misère pourrait se faire sentir, où il est le plus nécessaire enfin de procurer des salaires aux journaliers. Cette somme vous facilitera les moyens de faire réparer les grandes routes et de suppléer en partie aux corvées ; S. M. a pensé qu’il était indispensable de vous donner cette facilité dans ce moment ci, afin d’aplanir les premiers obstacles que vous pouvez rencontrer dans l’instant où vous passez du régime d’une administration qui autorise les corvées au temps où elles ne doivent plus avoir lieu.

Vous m’enverrez, ou à M. D’Ormesson, avant le 15 janvier prochain, l’état des ateliers de différente nature que vous me proposerez pour 1776. Vous ordonnerez aux ingénieurs et sous-ingénieurs des Ponts et chaussées de donner tous leurs soins pour que, dans l’état de ces ateliers, je puisse connaître l’objet des travaux, leur utilité et la dépense qui doit en résulter. Vous joindrez à cet état celui des sommes que les corps de ville, communautés ou les particuliers, auront offertes à titre de Contribution volontaire, pour des communications ou autres objets d’utilité publique et particulière. Lorsque j’aurai examiné le tout, je vous ferai connaître les intentions du Roi pour que vous vous y conformiez exactement. Les fonds seront remis à votre disposition à l’ordinaire en six termes égaux de mois en mois, par le commis à la recette générale dont le premier terme sera payable le dix février prochain.

Vous aurez soin de m’envoyer aussi avant le 1er mai prochain le compte définitif des fonds employés en 1775 et, pour cet effet, vous ferez remplir exactement l’état dont je vous ai envoyé le modèle le 14 septembre 1774.

II. — Les vingtièmes.

1. Lettre à l’Intendant de Bordeaux (Esmangard) au sujet des rôles des vingtièmes.

[A. Gironde, C. 74. — Foncin, 603].

(Les vingtièmes ne seront plus augmentés. — Conseils de modération aux contrôleurs.)

Fontainebleau, 18 octobre.

Il est nécessaire M., de s’occuper dans ce moment de la confection des rôles des vingtièmes de l’année 1776. Ils ne doivent contenir aucune augmentation qui ne soit le résultat certain d’une vérification faite avec la plus grande exactitude ou qui ne soit fondée sur des baux ou autres actes équivalents. Toute augmentation arbitraire serait répréhensible aux yeux de S. M. et le Roi désapprouverait ceux qui en feraient usage pour accroître le produit des vingtièmes… Il faudra prendre les mesures convenables pour que, dans le cours de l’année prochaine, la répartition de cette somme (le montant des vingtièmes) soit faite entre les paroisses, et entre les contribuables de manière que, dans les paroisses qui auront été vérifiées, les propriétaires puissent regarder leur imposition aux vingtièmes comme stable et à l’abri de toute augmentation…

Je ne puis trop vous le répéter, il ne faut point s’occuper d’augmentations sur les vingtièmes ; le Roi fait à ses peuples le sacrifice de celles que donneraient les travaux suivis des contrôleurs. Leur zèle et leurs efforts ne doivent plus avoir d’autre objet que de faciliter une meilleure répartition.

Je ne doute point que le Directeur et les Contrôleurs de votre généralité ne sentent toute l’importance de leurs fonctions ; il faut qu’ils se regardent comme les coopérateurs d’une juste et sage répartition, qu’ils écartent de leurs travaux toute espèce de partialité ; ils ne doivent s’appliquer uniquement qu’à établir une juste proportion entre les contribuables. Ne travaillant plus que pour le bonheur et la tranquillité des peuples, ils ont droit de prétendre à toute leur estime et à leur confiance. Faites, je vous prie, de votre côté, tout ce qui sera en vous pour faire connaître aux habitants de votre généralité les véritables intentions du Roi : rassurez-les pleinement contre toutes les craintes qu’ils ont pu avoir jusqu’à ce jour d’éprouver des augmentations qui pourraient accroître le produit des vingtièmes. Que la confiance renaisse.

2. Projet de suppression des vingtièmes.

D’après Du Pont, Turgot avait résolu de supprimer les deux vingtièmes et les quatre sols pour livre du premier, en les remplaçant par une imposition de la même somme sous le nom de subvention territoriale, qui aurait été établie dans une proportion réelle et juste avec les revenus des biens-fonds.

La proportion des vingtièmes avec le revenu des terres n’était que nominale. Les petites propriétés appartenant au peuple étaient taxées à la rigueur ; aucune des grandes, aucun domaine des nobles, des magistrats, ni des riches ne l’était à son véritable taux. Ceux du clergé ne l’étaient pas du tout.

« Les mémoires et les calculs nécessaires pour établir l’utilité de la conversion des vingtièmes en une imposition proportionnelle aux revenus, sans s’occuper encore ni du clergé, ni des impositions spéciales au Tiers-État, ont été finis. Le dispositif de la loi qui aurait ordonné cette conversion, ainsi que le détail des moyens de l’effectuer ont été conduits jusqu’au point où il les fallait pour les pouvoir offrir aux égards du ministre principal et du Roi. » (Du Pont, Mém., 193 et s.)

III. — Exemptions d’impôts.

Lettre à l’Intendant de Bordeaux (Esinangard) portant suppression d’exemptions d’impôts à des employés. 

[A. Gironde, C. 74. — Foncin, 604].

16 décembre.

Le Roi, M., s’étant fait rendre compte des abus qui se sont introduits dans l’exercice des privilèges attachés aux emplois de regratiers revendeurs de sel à la petite mesure, marqueurs de cuir, contrôleurs de la poudre, contrôleurs du papier et autres, S. M. a cru qu’il était de sa justice de réprimer ces abus. L’on a multiplié, dans beaucoup de lieux, ces commissions sans objet, sans utilité pour la perception des droits du Roi. Ceux qui en sont revêtus se soustraient aux charges publiques, quoiqu’ils partagent avec les autres habitants les avantages qui leur sont communs, quoiqu’ils fassent le commerce et se livrent à d’autres fonctions que celles de leur emploi ; les habitants sont réduits dans plusieurs paroisses, à la nécessité de confier le recouvrement des impositions à des personnes insolvables, parce que les autres se font revêtir de ces commissions pour s’affranchir de la collecte et des autres charges de l’État. S. M. m’a ordonné de vous mander que son intention était que, conformément à la Déclaration de 1680, tout employé qui ne se borne point à sa simple commission, rentrât dans la classe ordinaire des taillables et supportât les charges publiques dans la même proportion que les autres.

Je vous prie de veiller avec attention à ce que les ordres de S. M., qui n’ont d’autre objet que le soulagement des peuples, soient connus à l’avenir et exécutés fidèlement.

IV. — Impôt territorial pour dépenses locales.

Lettres à l’Intendant de Caen. 

Première lettre (À Fontette).

[A. Calvados, C. 3124].

(Les droits réels. Les péages. — La dîme. — Les rentes. — Les négociants et les propriétaires. — Les remboursements des offices. — L’impôt réel. — La contrainte solidaire.)

Versailles le 6 février.

Je réponds, M., aux deux lettres que vous m’avez écrites les 18 et 19 décembre dernier au sujet des difficultés que l’impôt territorial éprouve aujourd’hui dans votre généralité. Je vais reprendre séparément les questions que vous m’avez proposées et résoudre, autant qu’il est en moi, les difficultés, dont elles vous ont paru susceptibles.

Je ne m’arrêterai point à la première difficulté[5]. Mon prédécesseur vous a fait connaître, par sa lettre du 10 septembre dernier, les intentions du Roi à ce sujet. En suivant, comme il vous l’a prescrit, les dispositions des lois concernant les vingtièmes, vous ferez cesser l’incertitude des répartiteurs ; il vous sera facile de fixer l’étendue qu’ils doivent donner à l’expression de droits réels, et vous pouvez leur donner tous les éclaircissements que vous croirez capables de les éclairer.

L’impôt territorial doit embrasser tous les fonds et droits réels[6]. Les droits de péage et autres de même nature sont de ce nombre ; ils payent les vingtièmes ; dès lors, ils ne peuvent être regardés que comme une propriété foncière ; il n’est pas possible d’admettre l’exception que vous proposez en leur faveur ; ils doivent être assujettis à l’impôt dans la proportion des autres fonds.

La dîme, elle-même, est une imposition réelle, établie au profit du clergé pour les dépenses du service divin[7]. On aurait excité des réclamations très vives en faisant contribuer cette espèce de revenu aux dépenses locales de votre généralité. Le feu Roi, en usant d’un tempérament aussi juste, le regardait comme un moyen sûr de concilier les esprits de ce corps et de les amener à se soumettre à l’impôt territorial pour tous les autres biens sans avoir recours à des voies d’autorité.

Il y a une distinction à faire pour les rentes. Celles constituées ne doivent pas être assujetties à cet impôt. Les rentes foncières au contraire doivent y contribuer.

Dès que vous aurez donné de la consistance à l’impôt territorial et si l’opération est bien faite, les propriétaires ne trouveront pas plus de difficultés à en faire la retenue que celle des vingtièmes. La quotité de l’imposition, comparée aux vingtièmes de la généralité, donnera une quotité déterminée qui servira de règle de proportion pour fixer celle de la retenue. Si l’impôt territorial, comparé aux vingtièmes, est de 1 comparé à 60 ; ce sera le 1/60e à retenir et la retenue peut être faite, avec la même certitude et la même précision que pour les vingtièmes.

Si le négociant[8] profite du meilleur état des routes, tant mieux pour le propriétaire. Quelle est donc la fonction du négociant, sinon d’être le facteur du propriétaire pour la vente des denrées de son crû et son commissionnaire pour l’achat de ses jouissances ? Le propriétaire ne paye-t-il pas toutes les dépenses et frais que l’on fait supporter au négociant ? D’ailleurs, comment imposer le commerce et l’industrie sans se livrer à l’arbitraire et sans s’éloigner, par conséquent, de l’objet de l’imposition territoriale, auquel vous aviez attaché un si grand prix et dont vous avez espéré tant d’avantages pour la répartition des impositions de votre généralité.

Les circonstances ne permettent pas de rien changer pour le moment actuel à l’imposition pour le remboursement des offices[9]. Ce ne sera qu’au département prochain qu’on pourra s’occuper des différences que le rétablissement des Cours opérera sur cet objet de dépense publique. Je prendrai les ordres du Roi avant ce temps, et je vous ferai connaître ses intentions.

Les principaux propriétaires ont été chargés du soin de la répartition ; la connaissance qu’ils ont des différentes propriétés de leur communauté prouve la sagesse de cette disposition. Si les Lettres patentes n’ont point déterminé des salaires pour eux[10], c’est que leurs taxations ne pouvaient concerner que l’homme à qui la communauté confierait le recouvrement. Les répartiteurs étant choisis par les communautés, la confection des rôles et la répartition deviennent pour eux des actes d’honneur et de confiance. Vous en trouverez sûrement très peu qui réclameront des salaires. Ce point, au surplus, regarde absolument les communautés ; c’est à elles à délibérer et à comprendre, dans la masse de l’impôt qu’elles ont à répartir, les taxations ; alors, il n’y a aucune difficulté à autoriser cette dépense locale qu’elles ont jugée indispensable.

Quant aux inconvénients que vous trouvez sur la répartition[11], je conviens avec vous qu’il sera difficile d’amener les paroisses à la précision qu’on désire. C’est l’ouvrage du temps, des soins ; ce sera l’effet de la réalité de l’impôt. Le plan prescrit par les Lettres patentes doit faire naître des discussions ; elles ne serviront qu’à mieux éclairer vos opérations et ce n’est qu’à l’aide des contradictions que l’on pourra déterminer les limites des paroisses, circonscrire leur territoire, se procurer des connaissances exactes sur les propriétés et les revenus et former enfin la base de l’impôt réel dans chacune d’elles.

Les règlements sur les tailles ont prévu les cas où les communautés, averties par les syndics de délibérer pour faire le choix des répartiteurs, négligent de le faire[12] ; ils ont autorisé dans ce cas la contrainte solidaire contre les principaux habitants ; il était inutile que les Lettres patentes continssent de nouvelles dispositions sur ce point. Vous n’en aviez pas besoin pour faire usage de l’autorité coactive prescrite par ces règlements, lorsqu’elle est devenue nécessaire ; et peut-être qu’un seul exemple de sévérité eût levé tous les obstacles que l’indulgence a multipliés.

À l’égard des difficultés pour assembler les propriétaires dans les grandes villes, vous pouvez vous concerter avec M. de Crosne[13] ; il vous communiquera ses observations et vous indiquera la manière dont il a opéré. La généralité de Rouen renferme des villes plus considérables que la vôtre ; la même imposition y existe et la répartition n’éprouve pas, à beaucoup près, les mêmes contradictions. J’ai tout lieu de croire qu’après ses observations et en faisant usage des moyens que je vous indique, vous n’aurez pas besoin d’employer la voie de la rigueur. Je ne puis trop vous recommander, au contraire, de chercher à ramener tous les esprits par la douceur et la conciliation. Faites-vous rendre compte des paroisses qui sont en retard ; écrivez-leur directement pour les éclairer sur ce qu’elles doivent faire ; faites-leur sentir les dangers et la nécessité d’une contrainte solidaire. Si elles diffèrent plus longtemps de choisir des répartiteurs, recommandez à vos subdélégués de redoubler de soins et d’activité et mettez-les à portée de donner tous les éclaircissements dont on aura besoin et les explications dans lesquelles je viens d’entrer avec vous : si les répartiteurs, après ces précautions, ne font point la répartition, si le recouvrement n’est point mis en action, vous pourrez alors m’adresser un projet d’arrêt qui, partant des Lettres patentes même et voulant en assurer l’exécution, ordonnera que, dans un délai prescrit, on se mettra en règle, et vous autorisera, après l’expiration de ce délai, à viser les contraintes solidaires décernées à la requête et diligence des receveurs des tailles. Mais j’aime à croire que vos soins, animés par l’amour du bien des peuples de votre généralité, vous épargneront la peine de recourir à ce dernier parti. Vous ne devez en faire usage qu’après avoir employé tous les autres. Je vous prie de m’instruire exactement de l’effet des mesures que vous allez prendre, afin que je puisse en rendre compte moi-même au Roi et prendre ses ordres, s’il est nécessaire, sur ces objets.

Deuxième lettre (A Esmangard).

(Motifs qui ont fait adopter l’imposition territoriale. — La contrainte solidaire.)

Versailles, 29 décembre.

Il n’est point douteux, M., que le recouvrement des sommes dont on a fait l’objet d’une imposition territoriale dans votre généralité n’aurait éprouvé aucune difficulté si l’imposition eut été faite au marc la livre de la taille ou de la capitation. L’une ou l’autre de ces deux bases, depuis trop longtemps suivies pour toutes sortes d’impositions, quelque vicieuses qu’elles soient, aurait pu satisfaire l’Administration, si elle n’avait considéré que la facilité d’obtenir les sommes nécessaires pour faire face aux différentes dépenses auxquelles cette imposition était destinée, mais l’on a porté plus loin l’attention. Le Gouvernement a considéré la nature des dépenses auxquelles il fallait pourvoir, quelle était la classe des citoyens qui devait en attendre et recevoir le plus d’utilité et, convaincu que les impositions qu’il était question d’établir avaient pour but, soit l’amélioration des propriétés, soit l’avantage direct et réel des propriétaires, il a pensé que c’était sur les propriétaires qu’elles devaient porter, et non pas sur les taillables, qui n’en auraient pas encore été affranchis, si l’on eut pris pour base la capitation ; en conséquence, l’Administration a adopté le plan d’un impôt territorial que M. votre Prédécesseur a proposé. C’est à vous à travailler aujourd’hui à lever les difficultés. Votre zèle à seconder les vues du Gouvernement ne me permet pas de douter des mesures que vous prendrez pour faire cesser les obstacles qu’a pu éprouver ce recouvrement.

Vous pouvez vous faire représenter la correspondance tenue à ce sujet avec M. de Fontette, ainsi que la lettre que je lui ai écrite le 6 février dernier. Vous y trouverez tous les éclaircissements et toutes les autorisations qui peuvent vous être nécessaires. Il a été rendu, le 21 juillet dernier, des lettres patentes, enregistrées au Parlement de Rouen, qui valident, en tant que de besoin, la répartition faite en 1774 de l’imposition pour le remboursement des offices supprimés, dans les trois généralités de la province de Normandie et ordonnent qu’elle sera suivie en la présente année 1775. Vous ne croirez peut-être pas inutile que les communautés qui font difficulté de se mettre en règle et les propriétaires les plus opiniâtres en connaissent les dispositions.

Si, lorsque vous serez sur les lieux, vous employez la voie de la persuasion ; si vous faites connaître aux communautés qu’elles s’exposeraient à des poursuites rigoureuses si elles persistaient à ne point faire leur répartition ou à ne point nommer un préposé pour faire le recouvrement, vous ferez exécuter alors l’art. VIII des Lettres patentes. Vous nommerez un préposé dont les propriétaires seront responsables.

Si quelques-uns même n’avaient pas encore fait choix des répartiteurs, quoique ce cas n’ait pas été prévu par les Lettres patentes, les règlements des tailles y ont suffisamment pourvu en prononçant la contrainte solidaire contre les plus hauts imposés. L’article 1er de la déclaration du 3 janvier qui abolit ces contraintes pour le payement des impositions royales a formellement excepté le cas de rébellion, dont ces communautés se rendraient coupables par une plus longue résistance à faire la répartition de la somme assignée par vos mandements.

La route que vous devez suivre est donc de veiller à ce que chaque communauté nomme ses répartiteurs et fasse sa répartition.

Quand vous serez bien assuré que la répartition aura été faite, alors vous donnerez votre attention à ce qu’il y ait dans chaque communauté un préposé ; dans celles où il n’en aura pas été choisi, vous en nommerez un d’office conformément aux Lettres patentes.

Lorsque ces deux objets seront en règle pour l’imposition de 1774, vous pourrez expédier vos mandements pour l’imposition de 1775. La répartition s’en fera comme celle de l’imposition de 1774, et vous donnerez ensuite tous vos soins à faire aller à la fois le recouvrement de l’un et l’autre exercice.

Mais il est difficile de suivre tous ces détails et de vaincre ces difficultés, si vous n’êtes pas sur les lieux, si vous ne surveillez pas de près ce que vous aurez prescrit pour l’exécution des ordres du Roi ; je vous demande d’y donner tous vos soins, et de m’instruire avec la plus grande exactitude de ce que vous aurez fait à ce sujet.

V. — Les droits d’insinuation, de centième denier, de franc fief, d’amortissement, de marc d’or.

1. Arrêt du Conseil portant affranchissement des droits d’insinuation, de centième denier, de franc fief, pour les baux dont la durée n’excède pas 29 ans.

(Nouvelles Éphémérides, 1775. Tome II. — D. P., VII, 187. — D. D., II, 461.)

(Mesure prise en faveur des propriétés rurales.)

2 janvier.

L’insinuation était la publication de l’enregistrement d’un acte. Il existait au Châtelet un greffe spécial à son sujet.

L’arrêt fut donné en vue d’appeler dans les campagnes les capitaux et l’industrie des gens riches (Du Pont, Mém., 178).

La faculté de passer des baux à ferme de 29 ans avait été donnée par Arrêt du 28 avril 1762 sur la proposition de Bertin, à la condition que le fermier fût chargé de défricher, marner, planter, ou améliorer d’une autre manière les terres comprises dans le bail. En 1772, cet arrêt avait été rétracté, « sous un prétexte qu’on n’a même pas pris la peine de rendre plausible. » (Baudeau, Nouvelles Éphémérides).

S. M., considérant que tous les biens-fonds de quelque genre qu’ils soient, même ceux qui sont en valeur et en pleine culture, sont susceptibles d’améliorations, et que la plupart des cultivateurs ne s’occupent de cet objet important qu’autant qu’ils espèrent trouver, dans une jouissance plus longue que celle des baux ordinaires, le moyen de se dédommager des dépenses qu’entraînent leurs opérations ; voulant, d’ailleurs, S. M. leur donner de nouveaux encouragements et favoriser de plus en plus le progrès de l’agriculture, elle a résolu de faire jouir tous les fonds et héritages situés dans la campagne, sans aucune exception ni distinction, de l’exemption qui a été restreinte aux seules terres incultes, sans néanmoins que cette faveur puisse être étendue aux maisons, édifices, bâtiments, et à tous autres immeubles situés dans les villes et bourgs, lesquels ne sont point, par leur nature, susceptibles du même genre d’améliorations ; sur quoi, S. M. désirant faire connaître ses intentions… ordonne :

Les baux dont la durée n’excédera pas 29 années, qui seront passés à l’avenir par-devant notaire, et qui auront pour objet des terres, soit incultes, soit en valeur ; et généralement tous autres fonds et héritages situés dans la campagne, seront et demeureront affranchis des droits d’insinuation, centième ou demi-centième denier, et de franc fief. Et, à l’égard des baux au-dessus de neuf années, qui auront pour objet des maisons, édifices, bâtiments et tous autres immeubles ou terrains sis dans les villes et bourgs, ou la perception de rentes, cens et droits seigneuriaux, sans aucune exploitation rurale faite par le fermier, ordonne S. M que lesdits baux continueront d’être assujettis aux droits de centième ou demi-centième denier, conformément aux précédents règlements.

2. Arrêt du Conseil sur l’exemption du centième denier pour les actes entre les propriétaires de rentes foncières rachetables et leurs débiteurs.

[D. P., VIII, 44.]

(Mesures prises pour favoriser le rachat des rentes.)

Les anciens principes fiscaux étaient de mettre des droits sur les conventions les plus utiles, afin d’obtenir un plus gros produit.

Turgot favorisait, au contraire, les conventions utiles. Il pensait que faciliter aux propriétaires la libération de leurs héritages et les occasions de placer eux-mêmes le produit de leurs économies était le plus puissant aiguillon qu’on pût donner au travail et le meilleur moyen d’accroître les richesses publiques et privées (Du Pont, Mém., 259).

9 septembre.

Le Roi, s’étant fait représenter, en son Conseil, la Déclaration du 20 mars 1708, par l’article VI de laquelle il a été ordonné que tous les contrats de ventes, échanges, licitations entre héritiers, copropriétaires et coassociés, baux à rentes foncières rachetables et non rachetables, baux emphytéotiques, baux à domaine congéable, ventes à faculté de réméré ou de rachat, antichrèses, contrats pignoratifs, engagements, démissions, abandonnements, contrats de vente à vie, cessions de fonds avec fruits, transports, subrogations, résolutions volontaires de ventes, arrêts, jugements, sentences, et généralement tous actes translatifs et rétrocessifs de propriété de biens-immeubles tenus en fief ou en censive ; ensemble, ceux tenus en franc-alleu, franc-bourgades et franches-bourgeoisies, rentes foncières, contrats de vente de droits de justice, et tous autres droits seigneuriaux et honorifiques, conjointement ou séparément du corps des domaines ou fonds de terre, seraient insinués, et que les droits de centième denier en seraient payés dans les temps et sous les peines portées, tant par l’Édit du mois de décembre 1703, que par la Déclaration du 19 juillet 1704, encore qu’aucuns desdits biens ne fussent sujets à lots et ventes, et autres droits seigneuriaux

Vu aussi l’Arrêt du 20 mars 1742, par lequel il a encore été ordonné que la Déclaration du 20 mars 1708 serait exécutée suivant sa forme et teneur ; en conséquence, que le droit de centième denier serait payé, pour le rachat des rentes foncières non rachetables, sur le pied des sommes payées pour l’extinction desdites rentes.

S. M. a reconnu que la prestation des rentes foncières dont les héritages sont chargés, et dont les débiteurs n’ont point la faculté de se libérer, ne peut qu’apporter beaucoup de gênes et d’obstacles au progrès de l’agriculture, en ce que le produit des fonds se trouvant absorbé en partie par l’acquittement de ces rentes, les propriétaires sont souvent dans l’impossibilité de faire les avances nécessaires pour l’amélioration des terres.

Et S. M. a jugé convenable, dans la vue de faciliter l’extinction de charges aussi onéreuses et aussi contraires à la liberté naturelle dont les fonds de terre doivent jouir, d’affranchir de tout droit de centième denier les actes qui seront passés à l’avenir entre les propriétaires de rentes foncières non rachetables et leurs débiteurs, soit à l’effet d’opérer l’extinction actuelle de ces rentes, soit à l’effet d’accorder aux débiteurs la faculté de les racheter par la suite ; sauf à pourvoir, s’il y a lieu, à l’indemnité de l’adjudicataire général des fermes, et sans néanmoins rien innover, en ce qui concerne les droits de centième denier, qui sont exigibles, aux termes de la Déclaration du 20 mars 1708, tant pour les baux à rentes foncières rachetables et non rachetables, que pour les ventes, donations, cessions ou transports desdites rentes foncières, en faveur de toutes personnes autres que les débiteurs.

Sur quoi, S. M., désirant faire connaître ses intentions… ordonne :

Les actes portant extinction de rentes foncières, ensemble ceux par lesquels la faculté d’en faire le rachat sera accordée aux débiteurs, soit qu’elles aient été stipulées non rachetables par les baux à rentes ou autres actes, soit qu’elles le soient devenues par le laps de temps ou autrement, seront et demeureront exempts à l’avenir de tout droit de centième denier, sauf à pourvoir, s’il y a lieu, à l’indemnité de l’adjudicataire général des fermes. Voulant, au surplus, S. M. que les baux à rentes foncières, rachetables ou non rachetables, les ventes, cessions, donations, transports et autres actes translatifs de propriété desdites rentes, qui seront faits en faveur de tous particuliers autres que ceux qui en seront débiteurs, continuent d’être insinués, en exécution de la Déclaration du 20 mars 1708, et que les droits de centième denier en soient payés dans les temps et sous les peines portées par les précédents règlements.

3. Circulaire aux bureaux des Finances en vue de les exempter du centième denier[14].

[A. L., original.]

10 novembre.

MM., j’ai rendu compte au Roi de vos représentations et de celles des autres bureaux des Finances du Royaume au sujet du centième denier. S. M. veut bien vous en accorder l’exemption et rétablir la survivance dont vos offices jouissaient avant l’Édit de février 1771 ; mais elle a reconnu, en même temps, qu’il pouvait y avoir à faire des changements utiles dans la composition des compagnies et elle m’a chargé de vous demander un état qui comprenne tous les offices des président trésorier de France, avocat et procureur du Roi et greffier, dont votre bureau est composé, d’indiquer la date des édits qui les ont créés, de distinguer ceux qui auraient pu n’être pas levés depuis leur création, ceux que votre compagnie a réuni, ceux qui sont actuellement exercés par des titulaires, et enfin ceux qui sont vacants. Vous n’avez pas un moment à perdre pour former cet état que vous voudrez bien adresser à M. Amelot, intendant des finances.

4. Arrêt du Conseil affranchissant du droit d’amortissement les bâtiments servant de casernes.

[D. P., VIII, 99.]

22 novembre.

… Les édifices, maisons et bâtiments servant de casernes, dont il sera passé des baux par devant notaire pour les intervalles pendant lesquels il n’y sera pas logé de troupes, demeureront affranchis du droit d’amortissement, pourvu que l’usage et la destination n’en soient pas changés pour toujours ; et à la charge que le droit de nouvel acquêt en sera payé par les villes et communautés pendant la jouissance des particuliers qui les occuperaient.

5. Arrêt du Conseil autorisant les gens de main-morte à placer en rentes sur le clergé les sommes qu’ils recevront pour fondations et les exemptant du droit d’amortissement.

[D. P., VIII, 100.]

24 novembre.

Cet arrêt avait pour objet de faciliter l’emprunt du clergé. Du Pont.

6. Arrêt du Conseil exemptant les bénéficiers des doubles droits de contrôle qu’ils devaient pour omission de déclaration.

[D. P., VII, 202.]

24 novembre.

Arrêt demandé par l’assemblée du clergé pour les années antérieures à 1774.

7. Lettre à l’intendant de Bordeaux atténuant le droit de marc d’or[15] pour les concessions de droits d’octroi.

[A. Gironde, C.74. — Foncin, 603.]

Paris, 2 décembre.

… Il m’a paru juste, M., de modérer la fixation des droits de marc d’or, que les villes, communautés et hôpitaux sont dans le cas de payer pour les prorogations et concessions d’octrois. Cette fixation qui se faisait ci-devant à raison des quarantièmes du produit des années pour lesquelles la concession ou prorogation était accordée ne se fera plus à l’avenir qu’à raison du centième : vous voudrez bien en prévenir les villes, communautés et hôpitaux qui seront dans le cas.

8. Arrêt du Conseil confirmant l’exemption du droit d’amortissement pour les rentes sur l’Hôtel de Ville données en fondations[16].

[D. P., VIII, 125.]

24 décembre.

—————

[1] Bertier de Sauvigny, intendant de Paris, par de longs travaux et de bonnes instructions aux Commissaires des tailles de sa généralité, qui comprenait vingt-deux élections, en changeant sans cesse de canton les commissaires qu’il employait, puis contrôlant le travail des uns par celui des autres, était parvenu à une connaissance très exacte de la valeur des terres dans chaque commune de cette grande province, et à y répartir les contributions aussi équitablement que les lois d’alors le rendaient ou le laissaient possible. C’est ce travail dont Turgot a proposé au Roi la sanction, qui a été donnée par les Lettres patentes (Du Pont).

[2] Cette promesse n’a pu être tenue.

[3] Voir au tome III les mesures prises par Turgot dans la généralité de Limoges.

[4] Tout ce qui suit a été remplacé, dans le texte donné par Du Pont, par une dissertation qui ne nous a pas paru pouvoir être attribuée à Turgot.

[5] Voir p. 357 les origines de cet impôt. — L’art. V des Lettres patentes qui l’avaient établi y avaient assujetti tous les droits réels. Cette expression vague avait embarrassé les répartiteurs.

[6] Il était demandé une exception pour des droits de péage et autres à Cherbourg par le motif qu’ils ne recevaient aucune augmentation des travaux du port.

[7] L’impôt territorial était, en conséquence, limité à ces dépenses.

[8] Il n’était point imposé.

[9] Supprimés lors du coup d’État Maupeou et rétablis.

[10] Ils ne recevaient pas d’indemnité pour ce travail.

[11] L’objection était celle-ci : « On a pris les vingtièmes pour base, en y comprenant le clergé. Mais, pour simplifier les opérations, on a réuni, en un seul article, l’imposition des biens possédés par un même propriétaire dans différentes paroisses. Elle s’acquitte dans le lieu du domicile. Cette réunion rend la répartition de l’impôt territorial très fautive. Plusieurs communautés se trouvent imposées pour des biens qui leur sont étrangers.

[12] On faisait observer que la plupart des communautés n’avaient pas choisi de Répartiteurs, que la difficulté d’assembler les propriétaires, dans les grandes villes et même dans les petites, entraîne des longueurs, que le délai pour la nomination des préposés n’était pas fixé et que les Répartiteurs restaient dans l’inaction ou faisaient des rôles défectueux.

[13] Intendant de Rouen.

[14] Les réclamations des Trésoriers de France et autres bureaux étaient appuyées sur ce qu’ils avaient toujours fait partie des Compagnies supérieures et n’avaient jamais été soumis, dans les deux droits dont le Centième-denier était composé, à celui de prêt et avaient racheté celui annuel. (Du Pont, Mém., 242).

[15] Un arrêt du Conseil du 6 septembre dispensa du droit de marc d’or les présidents et conseillers au Parlement de Bretagne (Anciennes lois françaises, XXIII, 238. — Foncin, 291).

[16] Ou délivrées par les héritiers des fondateurs en payement de legs, et autorisant les gens de main-morte à placer en rentes de même nature les deniers qu’ils recevront pour l’acquit des fondations, sans être sujets à l’amortissement, pourvu que cet emploi soit fait dans les six mois de la délivrance des legs. (Du Pont, Mém.)

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