Oeuvres de Turgot – XVI – Premières réformes

XVI. — PREMIÈRES RÉFORMES

Programme de Turgot. — La ferme générale. — Réorganisation du Contrôle général. — Les collaborateurs intimes de Turgot. —Suppression du trésorier de la Caisse d’amortissement ; réduction des attributions du banquier de la Cour et du trésorier des parties casuelles. — Rupture des baux des domaines engagés, des hypothèques, des messageries, des poudres, et constitution de régies. — Conversion d’emprunts ; suppression des croupes. — Modération de Turgot ; cassette de la Reine et dot de Mlle de Guébriant ; création d’une intendance des Finances pour Amelot.

Attributions du Contrôle général. — Trudaine de Montigny et Bouvard de Fourqueux.

Épizootie. — Mission de Vicq d’Azir. — Mort de l’intendant d’Auch.

 

***

Turgot commença par réorganiser ses bureaux, afin de se débarrasser des créatures de l’abbé Terray.

De Vaines, qu’il avait connu dans le Limousin directeur des Domaines, fut fait premier commis ; des chefs de bureau compromis et deux Intendants des Finances, Foullon et Cochin, qui avaient mauvaise réputation, furent remerciés. Du Pont, qui était alors précepteur des enfants du prince Czartoryski et secrétaire du comité de l’Instruction publique du royaume de Pologne, fut rappelé officiellement pour devenir le confident du ministre sans être attaché à aucun bureau[1]. D’Albert, dont les opinions libérales n’étaient pas douteuses, remplaça Brochet de Saint-Prest, au service des subsistances et fut chargé non plus « des grains », mais « de la correspondance » y relative.

Turgot demanda aussi des conseils et du travail à plusieurs de ses amis, à l’abbé de Véri, à Loménie de Brienne, à Malesherbes, à Bouvard de Fourqueux, à l’abbé Morellet[2]. Il fut ainsi entouré d’hommes distingués, dévoués à sa personne et à ses idées, sans être, sauf Du Pont, des disciples de Quesnay à proprement parler.

Le programme financier que Turgot avait exposé au Roi, dans sa lettre du 24 août 1774, ne différait pas au fond de celui de l’abbé Terray. Ce dernier avait insisté auprès de Louis XVI sur la nécessité des économies et s’était efforcé de rassurer les capitalistes ; mais qui pouvait avoir confiance en sa parole ? Turgot, par un sentiment de respect pour son maître, ne voulut pas que sa lettre fut rendue publique et fit savoir aux intéressés par d’autres voies qu’il s’emploierait toujours à faire respecter les engagements de l’État. Sa réputation d’honnête homme contribuait à rassurer les esprits.

On lui prêta de grands projets, on prétendit notamment qu’il comptait s’attaquer aux financiers et briser le bail David[3]. Dans un rapport rédigé pour le Roi, il expliqua, au contraire, que le recrutement des fermiers et de leurs adjoints était détestable, mais qu’en raison des contrats existants il n’était pas possible de procéder à des changements ; il montra les abus auxquels la conclusion de ces contrats avait donné lieu et fit décider qu’il ne serait plus désormais accordé de croupes.

Au fond et dans des vues analogues à celles qu’il avait exposées jadis au sujet des fondations, il ne croyait pas l’État tenu de conserver intactes les conditions onéreuses que les gouvernements précédents avaient consenties pour la perception des impôts et pour les besoins de la trésorerie ; mais il remettait à des circonstances plus favorables l’accomplissement d’une réforme.

S’attaquer aux financiers qui, pendant tout le règne de Louis XV, avaient constitué une puissance redoutable était un problème dont il était facile d’apercevoir les dangers et les difficultés, en face de la détresse du Trésor.

Pour le présent, Turgot exigea des croupiers le versement de leurs fonds aux dates fixées et, lorsqu’il accorda des dégrèvements, il eut soin de prendre des dispositions pour que la ferme générale n’en eût pas à souffrir. Il remit à l’avenir la suppression des exactions.

Celles-ci étaient pourtant difficilement supportables. Le moyen que la ferme employait, pour faire rendre le plus possible à la matière imposable, consistait à provoquer des arrêts interprétatifs qui permettaient ensuite d’élargir les perceptions. Un procès était intenté à un personnage fictif qui ne se défendait pas ou se défendait mal, de sorte que les conclusions de la Ferme étaient adoptées. Une affaire jugée étant créée, il suffisait d’en faire des applications. C’est ce qu’on appelait les extensions. Le procédé était d’autant plus facilement usité qu’il n’y avait, pour les opérations de la Ferme, aucun code public et aucune juridiction indépendante.

La Cour des Aides fit ressortir avec force les inconvénients de cet état de choses dans des Remontrances du 6 mai 1775, que Malesherbes remit à Louis XVI avant d’entrer au ministère de la Maison du Roi.

« Le Code de la Ferme générale est immense et n’est recueilli nulle part, lit-on dans ce document. C’est une science occulte que personne, excepté les financiers, n’a étudié, ni pu étudier. En sorte que le particulier à qui on fait un procès ne peut ni connaître par lui-même la loi à laquelle il est assujetti, ni consulter qui que ce soit…

« D’autre part, les lois de la Ferme ne sont pas seulement inconnues ; elles sont aussi quelquefois incertaines…

« Enfin, il est d’autres lois malheureusement trop certaines, mais dont l’exécution littérale est impossible par l’excès de leur rigueur…

« Sire, on n’a jamais mis sous vos yeux les moyens employés par la Ferme générale pour réussir dans ses contestations contre les particuliers. Le premier de ces moyens est de n’avoir point de juges ou, ce qui est à peu près la même chose, de n’avoir pour juge que le tribunal d’un seul homme.

« La Cour des Aides et les Tribunaux qui y ressortissent, sont, par leur institution, juges de tous les impôts, mais la plus grande partie de ces affaires ont été évoquées et sont renvoyées devant un seul commissaire du Conseil qui est l’Intendant de chaque province, et par appel au Conseil de finances, c’est-à-dire à un conseil qui réellement ne se tient, ni en présence de V. M., ni sous les yeux du chef de la justice, auquel n’assistent ni les Conseillers d’État, ni les maîtres de requêtes et qui n’est composé que d’un contrôleur général et d’un seul intendant des finances.

« Nous rendons justice, Sire, avec tout le public, aux magistrats qui occupent à présent ces places, mais les vertus personnelles d’un homme mortel ne doivent point nous rassurer sur les effets d’une administration permanente.

« N’est-il aucun frein qu’on puisse mettre au despotisme des fermiers ? … Il en est un, Sire, et vous pouvez ordonner dès à présent aux fermiers généraux de faire publier des tarifs exacts et circonstanciés des droits qu’ils ont à percevoir et une collection courte, claire et méthodique des règlements qu’il faut observer et qu’il importe au public de connaître… »

Même en tenant compte de l’exagération de langage habituelle aux Cours de justice, on voit qu’un ministre réformateur ne pouvait facilement introduire des règles d’équité dans la perception des impôts indirects ; on voit aussi qu’une réfection radicale des modes de perception s’imposerait tôt ou tard[4]. Dès que les bureaux du Contrôleur général eurent été réorganisés, Turgot voulut connaître exactement les recettes et les dépenses de l’État. Il n’y avait pas alors de budget, mais de simples tableaux de prévisions que le Contrôleur général présentait au Conseil avant l’ouverture de chaque exercice et qui n’étaient pas toujours dressées sur le même plan.

Turgot ordonna d’établir le tableau de l’année 1775 avec le plus grand soin et dans les plus grands détails.

Il résulta du travail ainsi opéré que

                                                                       millions de livres.

les recettes s’élèveraient en totalité à                     377

les dépenses brutes à                                             414

le déficit probable à                                               37

Dans cette dernière somme, étaient comptés 6 millions pour dépenses imprévues et 15 millions pour paiement de l’arriéré de la dette exigible.

Turgot révisa le tableau et fit rapprocher des recettes brutes les déductions relatives à chacune d’elles.

                                                                       millions de livres.

Dans ces conditions nouvelles, les recettes brutes pouvaient être évaluées à                                                             370

les déductions à                                                     157

les recettes nettes à                                                       213

les dépenses à                                                                233

d’où un déficit de                                                   21

en ajoutant pour l’arriéré de la dette exigible                15

on avait un déficit réel de                                      36

Louis XVI reconnaissait la nécessité d’une réforme dans la Maison du Roi, mais il fallait tout d’abord que le ministre ordonnateur principal, La Vrillière, fut changé. On ne pouvait l’espérer avant quelque temps.

L’effort immédiat du Contrôleur général porta sur la diminution des frais de banque. Mais comment l’opérer, quand le paiement des anticipations exigeait d’énormes emprunts temporaires ? Ces anticipations s’élevaient à 78 millions de livres, non compris les arriérés, 20 millions environ, qui existaient dans les divers départements et pour lesquels il n’y avait pas de ressources spéciales.

À côté du Contrôle général, étaient des caisses dans lesquelles n’entrait plus ou n’entrait que peu d’argent. Telle était la Caisse d’amortissement dont les attributions principales consistaient à recevoir le montant de l’impôt du dixième et le verser au Trésor ; elle ne faisait pas d’opérations réelles, car les comptables avaient pris l’habitude de porter directement les fonds au Contrôle général. Néanmoins, le trésorier, Dubu de Longchamp, recevait 90 000 livres pour appointements, logement et frais de bureau, 36 000 livres pour épices et vacations, 24 000 livres pour traitement, sans compter l’adjonction à toutes les places d’administrateur des postes. L’abbé Terray avait essayé de supprimer ce trésorier nominal ; il n’avait pu y parvenir parce que Mme Dubu avait fait l’éducation des bâtards de Louis XV. Turgot obtint une décision favorable de Louis XVI.

Il rendit inutile aussi le poste de Banquier de la Cour en donnant la liberté au commerce des monnaies étrangères dont ce personnage avait le monopole, et il réduisit à rien le rôle du Trésorier des parties casuelles, Bertin, dont la vie était un scandale, en lui ôtant la prérogative de travailler directement avec le ministre[5].

Enfin, Turgot rompit les baux relatifs aux domaines engagés, aux hypothèques, aux messageries, aux poudres, pour constituer des régies, sans avoir toutefois la pensée de faire de l’État un industriel.

Le public eut bientôt des diligences légères, commodes, bien suspendues, à huit places, partant et arrivant à heure fixe. On fit, avec les Turgotines, ainsi qu’on appela les nouvelles voitures, en deux jours et demi, le trajet de Paris à Angers, au lieu de mettre cinq jours.

Quant aux poudres, Turgot plaça à la tête de la régie Lavoisier qui parvint à enlever à l’Angleterre la supériorité qu’elle avait pour cette fabrication.

Les fermiers généraux et les financiers qui vivaient de l’État furent dans la crainte ; ils se rappelaient la propagande organisée jadis contre eux par Quesnay et les économistes. Sauf trois, tous furent au nombre des pires ennemis de Turgot et trouvèrent à la Cour, par leurs alliances de famille, et par leurs combinaisons d’argent, un appui solide.

À propos des Messageries, une campagne violente fut organisée contre les bureaux, contre le premier commis De Vaines, et contre Destouches, chef de bureau, dont l’indélicatesse fut démontrée. Le Contrôleur général ne fut pas attaqué personnellement, mais on prétendit qu’il dérogeait en s’occupant d’un intérêt aussi mesquin que celui des transports. En réalité, Turgot n’avait organisé la régie des Messageries qu’à titre provisoire et avec la pensée de confier, dès qu’il le pourrait, les services à l’industrie privée ; il estimait que l’administration n’était pas plus apte à mener ces sortes d’entreprises, qu’à s’occuper d’achats de grains.

La promesse, contenue dans sa lettre au Roi, de ne point emprunter et de ne point augmenter les impôts pouvait être jugée imprudente. Turgot s’y conforma pourtant ; il conserva des taxes qui n’avaient été établies que provisoirement, n’en établit pas de nouvelles et supprima nombre de petits droits qui gênaient le commerce ; il emprunta, mais pour rembourser d’autres emprunts et à un taux avantageux. Le crédit s’améliora au point que le clergé d’un côté, les États de Bourgogne, du Languedoc et de la Provence de l’autre, purent, comme le Trésor, faire des conversions de leurs dettes. Turgot ne perdait pas de vue les économies à faire sur les dépenses de la Cour. Ne pouvant songer à y toucher sérieusement faute de soutien dans le ministère, il fit prendre par le Roi quelques-uns de ces engagements de principe destinés à empêcher dans l’avenir le renouvellement des abus. C’est ainsi que, lors du mariage de Mlle de Guébriant, « fille d’une dame de compagnie de la duchesse de Lamballe », il fit admettre qu’il ne serait plus constitué de dots par le Roi.

On lui a reproché souvent d’avoir mis trop de raideur dans la défense du trésor public.

Il mord, il rue, il heurte, il casse,

Est-ce un mulet, est-ce un cheval ?

a dit un chansonnier[6]. Cependant, au début de son ministère, il fit plus d’une concession. Le comte de Mercy a raconté ce qui se passa pour l’augmentation de la cassette de la Reine.

Mercy s’était concerté avec l’abbé de Vermond pour signaler au Contrôleur général l’insuffisance de la dotation de Marie-Antoinette, plus mal traitée pécuniairement que les princes du sang. « Au premier mot, Turgot se chargea de proposer au Roi de porter ce traitement de 96 000 livres à 200 000 livres ; la Reine ignora cette négociation. » En outre, pour ne pas mettre Marie-Antoinette dans l’embarras vis-à-vis de Mme de Lamballe, Turgot fit donner un effet rétroactif à la décision du Roi, de sorte que la Reine toucha 50 000 livres, qu’elle put donner à Mlle de Guébriant.

De même, pour faire plaisir à Maurepas, Turgot tailla, non sans résistance toutefois, dans les Intendances des finances, une place pour Amelot, dont la nullité n’était pas discutée. Si, dans d’autres occasions, il se montra inflexible, c’est qu’il connaissait l’inutilité et le danger des concessions. Malesherbes eut une conduite contraire, notamment lors de la fixation du traitement de Mme de Lamballe, nommée surintendante[7] ; il ne semble pas qu’à la cour on lui en ait su le moindre gré.

Les attributions du contrôle général étaient très étendues.

Elles comprenaient, en dehors des affaires financières, les ponts et chaussées, le commerce, les manufactures et toutes les questions ressortissant aux autres départements, dès qu’elles aboutissaient à des dépenses ou à des exemptions d’impôts. Le premier commis préparait la correspondance générale ; le détail des autres services était aux mains des intendants des finances, personnages presque indépendants. L’un d’eux, Trudaine de Montigny, était l’ami intime de Turgot. Il avait dans ses attributions les gabelles, le commerce et les manufactures, c’est-à-dire les services où devaient être accomplies les grandes réformes projetées par le Contrôleur général, la liberté du commerce des grains, l’abolition de la corvée, la destruction des jurandes. Montigny était fatigué ; le 20 février 1775, Turgot lui donna pour adjoint son beau-père, Bouvard de Fourqueux, conseiller d’État[8], qui avait la réputation d’un grand travailleur.

Des registres sur lesquels ont été transcrites les lettres mises par Fourqueux à la signature du Contrôleur général, pour ce qui concerne l’épizootie, le commerce et les manufactures, sont aux Archives Nationales ; ils permettent d’avoir une idée précise de l’administration de Turgot. Le ministre n’était saisi que des dépêches importantes ; mais il ne se bornait pas à les signer ; fréquemment, pour en préciser la portée, il y ajoutait un postscriptum ou adressait directement aux destinataires des lettres personnelles, dont les registres ne donnent pas le texte, mais dont les dépêches postérieures indiquent le sens. La fermeté des décisions est remarquable ; on ne trouve trace, dans les registres, ni de faveurs accordées, ni de promesses vagues, comme on en fait tant dans les administrations publiques.

Lorsque des fabricants demandaient, avec l’appui de leur intendant, des interdictions de sortie pour les produits qui leur servaient de matières premières, il leur était opposé des refus formels ; lorsque des personnages de haut rang sollicitaient la permission d’établir des foires sur leurs terres, il leur était répondu invariablement que la permission leur serait donnée à la condition qu’ils ne percevraient pas de droits ; lorsque le prince de Condé voulut, pour établir des forges, faire exproprier des terrains, il lui fut écrit que l’expropriation n’était pas faite pour les intérêts particuliers ; lorsque Monsieur, frère du Roi, demanda des indemnités pour les bestiaux tués sur son domaine pendant l’épizootie, il fut répondu à son agent Cromot que le même traitement serait appliqué partout. Enfin, toutes les fois qu’il le put, Turgot se prononça pour la liberté des échanges.

La majeure partie des décisions[9] portées sur les registres concerne cette épizootie qui ravagea le midi de la France en 1774 et en 1775. L’agriculture ressortissait au petit ministère qui avait été laissé à Bertin pour lui donner entrée au Conseil, à titre d’ami personnel de Louis XV. D’une santé délicate, Bertin travaillait peu et se contentait d’être un courtisan habile. Son inertie, dans la circonstance, pouvait avoir des effets fâcheux, non seulement pour les propriétaires de bestiaux atteints par le fléau, mais pour l’agriculture, en général, et pour le trésor, auquel les provinces ravagées demanderaient des secours. Dès que Turgot vit le mal, il prit la direction des mesures de défense. Les intendants de province avaient agi sans entente ; les uns avec raideur, les autres avec timidité. L’intendant de Bayonne avait fait arrêter et emprisonner, avec approbation de Bertin, un négociant qui ne s’était pas conformé aux ordonnances. Celui de Bordeaux avait dégagé sa responsabilité en s’adressant au Parlement qui s’était empressé de rendre des arrêts, bien que les affaires d’épizootie fussent dans les attributions de l’administration.

À la suite d’une mission de Vicq-d’Azir, un arrêt du Conseil du 18 décembre 1774 ordonna l’abattage immédiat des bêtes malades avec indemnité des deux tiers de la valeur, mais en limitant à dix dans chaque paroisse le nombre des indemnités à allouer. Cette restriction, faite dans l’intérêt du trésor, servit de prétexte à certains intendants pour ne pas agir. Il y en eut, au contraire, comme Guignard de Saint-Priest, à Toulouse, qui surent prendre des mesures efficaces de défense. Il y en eut qui furent maladroits, comme l’intendant d’Auch, Journet. Turgot excita le zèle des uns, blâma la faiblesse des autres et posa les principes de l’intervention de l’État dans les temps de calamités.

Grâce à une entente avec le maréchal du Muy, ministre de la guerre, et avec les fermiers généraux qui prêtèrent leur personnel, un long cordon de surveillance fut établi autour des provinces ravagées et le mal fut enrayé.

Le Contrôleur général avait quitté son lit[10] pour dicter des instructions aux intendants. Ce fut une imprudence ; il resta ensuite quatre mois sans pouvoir se lever.

La liquidation des dépenses relatives à l’épizootie fut en outre troublée par un incident qui fut exploité contre lui. Dans cette intendance d’Auch, où les formalités et les dépenses avaient été multipliées à l’excès, il fut constaté que, pour chaque bête abattue, plusieurs indemnités avaient été payées, L’intendant Journet vint s’expliquer à Paris ; on lui mit sous les yeux les preuves des faits relevés ; désespéré, il se coupa la gorge[11]. Turgot n’avait jamais suspecté la probité de ce magistrat et n’avait blâmé que son insuffisance ; encore l’avait-il fait avec modération, ainsi qu’en témoignent ses lettres. Mais on était à la fin de 1775 ; les ennemis de Turgot ne laissaient passer aucune occasion de lui nuire. On l’accusa d’une excessive sévérité.

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[1] Du Pont fut nommé inspecteur général du commerce le 20 septembre 1774 et confirmé dans ses fonctions le 16 décembre 1775.

[2] Morellet recevait une subvention pour son Dictionnaire du Commerce qui n’avançait guère. « Je suivais, a-t-il dit, les opérations du Ministre ; je lui écrivais souvent sur les points dont il était occupé, et j’étais auprès de lui l’interprète de beaucoup de personnes qui s’adressaient à moi pour lui faire passer ou des demandes ou des projets ; je recevais de tous côtés des paquets et des lettres. Mon cabinet auparavant solitaire était fréquenté le matin par un grand nombre de clients et de visiteurs » (Mémoires, I, 225)

[3] « On dit que le projet du contrôleur général est de tâcher d’avoir une année de revenu dans les coffres, afin de se défaire des fermiers généraux, d’établir un impôt unique à l’entrée et à la sortie du Royaume et de charger les provinces de verser directement les impôts dans le trésor royal. Amen ! » (Correspondance Métra, 12 septembre).

[4] Quant aux impôts directs, Turgot appliqua à tout le Royaume la suppression des contraintes solidaires qu’il avait combattue, étant intendant de Limoges. Voir p. 338.

[5] Il le mit sous les ordres d’un Intendant des finances lors de l’organisation de l’intendance d’Amelot de Chaillou ; en outre, d’après le Journal historique (8 décembre), un des agents de Bertin, nommé Lesueur, fut renvoyé.

[6] Un apologiste de Turgot dans une fable : Le berger, le chien et les loups, fit dire aussi à ces derniers :

                               Il avait l’œil sauvage et le poil hérissé.

                               Sa démarche était gauche et son zèle insensé.

[7] Mercy, Correspondance, II, 387.

[8] Fourqueux avait épousé Mlle de Monthyon, sœur du créateur des prix de vertu, et avait marié ses filles : l’une, à Montigny, l’autre, à Maynon d’Invau.

[9] Elles donnent une idée très nette de l’administration sous l’Ancien régime.

[10] Il avait été atteint de la goutte pour la première fois en 1760, au cours d’un voyage en Suisse. Il eut d’autres attaques en 1770, en juin 1772, en décembre 1772, en décembre 1773.

[11] Son domestique fut mis à la Bastille pour faire croire à un assassinat.

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