Post-scriptum (Recueil de plusieurs morceaux économiques)

POST SCRIPTUM

Dans le moment où l’on achève l’impression de ce recueil, je reçois le Journal du commerce de Décembre, et je trouve dans le dernier extrait que donne le journaliste, des principes et observations économiques de M. de Forbonnais, non pas de nouveaux moyens en faveur de l’exclusion des étrangers, mais des imputations forts singulières.

L’Auteur, du mot Fermier dans l’Encyclopédie, a dit : « Les petites nations commerçante sans territoire doivent être regardées comme les agents du commerce des grands États, parce qu’il est plus avantageux à ceux-ci de commercer par leur entremise, que de se charger eux-mêmes de différentes parties de commerce qu’ils exerceraient avec plus de dépenses, et dont ils retireraient moins de profit, qu’en se procurant chez eux une grande concurrence de commerçants étrangers : car ils évitent par là le monopole commerçant du pays. »

Cette proposition se trouve restreinte à certaines parties de commerce que les petites nations voiturières peuvent exercer avec moins de dépense, à raison de leur grande économie ou de leur position ; en tout cas, elle se borne à montre ce qui peut être plus avantageux aux grands États agricoles, sans présenter aucunes idées d’exclusion, qui en tout état de cause sont infiniment éloignées de nos principes[1].

Le journaliste ajoute ; « cet oracle du maître a fait dire soudain aux disciples » : Point de voiture par nos propres vaisseaux, car les commerçants du pays sont des monopoleurs.

Mais où le journaliste a-t-il pris une pareille assertion : où avons nous jamais dit qu’il fallût exclure nos propres voitures, nous qui ne prêchons que la liberté et la concurrence, nous qui ne désirons l’admission des étrangers que pour rendre la concurrence la plus grande possible.

Page 22, le journaliste entreprend de prouver que l’exclusion pour le transport de nos grains accordée aux régnicoles, ne peut être appelée un monopole, parce que ce mot ne peut être appliqué aux armateurs de tout un royaume, dont chacun a un intérêt séparé et distinct. J’ai suffisamment réfuté cet argument dans ma réponse à M. S. où j’ai fait voir qu’il y a des monopoles de différents genres.

Page 27, le journaliste avance que nos principes tendent à isoler chaque classe de citoyens dans son intérêt présent et particulier, sans aucune considération publique. Il faut qu’il n’ait guère conçu nos principes : car nous ne soutenons autre chose, sinon qu’il faut laisser chacun faire ses affaires dans un état de pleine liberté, et chercher son plus grand avantage sans préjudicier à celui d’autrui : que de ce libre jeu de tous les intérêts particuliers contenus par la concurrence, résulte le plus grand avantage pour la société : que c’est au contraire isoler les intérêts, et les mettre aux prises, que de gêner la liberté naturelle, et de privilégier les uns au préjudice des autres.

Le journaliste ajoute dans la même page : C’est une chose bien singulière que ce déchaînement des philosophes économistes contre notre marine. Les uns voudraient la voir absolument anéantie. Si quelques-uns croient qu’il faut conserver une marine militaire, au moins paraissent-ils convaincus de la nécessité de détruire la marine marchande.Quoi, soutenir qu’il est de l’intérêt d’une nation d’être servie au meilleur marché possible dans son commerce d’exportation et d’importation, c’est être convaincu de la nécessité de détruire notre marine marchande ? Mais si nous n’avions plus d’armateurs, les étrangers seraient dans le cas de nous faire la loi ; d’ailleurs la concurrence serait moins grande, et elle ne peut l’être trop. Quoi, soutenir qu’il est contre l’intérêt de la nation de privilégier les armateurs domiciliés chez elle, c’est être convaincu de la nécessité de détruire notre marine marchande ? comme si elle ne pouvait se maintenir sans privilège ; comme si elle ne trouvait pas un avantage suffisant dans sa position qui la met plus à portée de nous servir que les étrangers, et qui la lie de correspondance avec les négociants de l’intérieur. Quoi, soutenir que pour mettre notre marine en état de nous servir à meilleur compte, et de concourir facilement avec les étrangers, il est nécessaire de laisser ses travaux absolument libres, de la décharger de tous les frais d’amirauté, et de réformer les dispositions de l’Ordonnance qui renchérissent ses services, c’est être convaincu de la nécessité de détruire notre marine marchande ? Comment ose-t-on avancer publiquement une imputation aussi hasardée, aussi formellement contredite par tous nos ouvrages. Le journaliste croit-il donc que le public ne lit plus que le Journal actuel, les principes et les observations économiques.

 

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[1] Par exemple, on pourrait peut-être appliquer ce raisonnement au commerce des grandes Indes que les hollandais font surement à meilleur marché que nous ; d’où il suit que nous pourrions acheter d’eux les marchandises qui en viennent, à meilleur compte que nous le faisons d’ne compagnie privilégiée qui nous fait payer les frais immenses de son entretien et de ses établissements, et qui nous survend, à la faveur de l’exclusion dont elle jouit. Mais quoique les hollandais fassent commerce à moindre frais, il faudrait encore se garder de l’interdire aux régnicoles ; car l’exclusion est toujours mauvaise ; mais il faudrait les laisser concourir avec les étrangers quelconques, sans les privilégier en aucune sorte, et sans faire aucune dépense publique pour les soutenir, attendu que c’est leur affaire, et que tout ce qui intéresse la nation dans ce commerce, fort onéreux par lui-même, c’est d’acheter le moins cher possible ces superfluités dont on lui a appris à ne pouvoir plus se passer. Les efforts que l’État croit devoir faire pour soutenir à grand frais une compagnie privilégiée pour ce commerce, n’ont d’autres effets que de lui susciter des contestations ruineuses, quel qu’en soit l’événement, avec les nations jalouses de ce commerce, de le constituer dans une dépense aussi onéreuse qu’inutile, et de faire sur-acheter à la nation des marchandises qui lui coûteraient beaucoup moins dans un état de liberté. Ainsi cette opération n’aboutit qu’à surcharger l’État de dépenses assurément bien étrangère à sa prospérité, et de grever la nation dans ses achats. Voilà à quoi se réduit ce commerce érigé en affaire d’État et exercé par une compagnie privilégiée.

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