Quels reproches peut-on faire à l’Exposition universelle ?

En 1867, Paris accueille pour la deuxième fois l’Exposition universelle. Cet évènement divise toutefois au sein des libéraux français : si certains y trouvent un symbole de fraternité des nations et de libre-échange, qui ne peut pas être acheté trop cher, d’autres lui reprochent son coût, son organisation, et ses conséquences économiques. Comme plus tard pour les Jeux Olympiques, on lui reproche ses larges subventions publiques, que les principes du libéralisme devraient, dit-on, toujours condamner.


Quels reproches peut-on faire à l’Exposition universelle ?

SOCIÉTÉ D’ÉCONOMIE POLITIQUE

Réunion du 5 août 1867.

(Journal des économistes, août 1867.)

 

La question nouvellement inscrite au programme était ainsi formulée par M. Joseph Garnier : « Quels reproches peut-on faire à l’Exposition universelle ? »

L’auteur de la proposition dit avoir entendu exposer par quelques membres diverses critiques qu’il y aurait utilité à rapprocher pour en apprécier l’importance et pour préciser le caractère de cette grande solennité à la fois industrielle, économique, sociale et politique.

Comme personne ne demande la parole, M. le président provoque l’expression des opinions en montrant par quels points de vue l’Exposition universelle peut donner lieu à la critique, en signalant particulièrement le caractère de réclame qui ressort un peu trop de diverses exhibitions accessoires.

M. Anselme PETETIN, conseiller d’État, directeur de l’Imprimerie impériale, dit que ce serait rapetisser hors de mesure l’Exposition universelle que de n’y voir qu’une « réclame » gigantesque de commerçants avides.

Sans parler des résultats généraux, que les penseurs comme les gouvernements peuvent apercevoir, en se restreignant même au point de vue individuel et commercial, il y a une réelle utilité à ce jugement de tous par chacun. Pour son compte étant à la tête d’une très grande imprimerie, la plus grande sans doute qui soit au monde, il déclare qu’il a amplement profité de l’Exposition de la classe 6 et que l’étude des objets exposés par les imprimeurs de la France et des pays étrangers n’aura pas été sans utilité pour lui et pour ses collaborateurs de l’Imprimerie impériale qu’il a pris soin d’y envoyer.

Le mot réclame, d’ailleurs, ne dit rien. Il est injurieux s’il implique des procédés de tromperie et de charlatanisme. Mais quand c’est la publicité simple et loyale qu’on désigne ainsi, on diffame d’un seul mot le moyen principal de la civilisation moderne.

M. DU PUYNODE ne croit pas que les expositions puissent avoir de nos jours l’importance qu’elles auraient eue autrefois pour les industriels grâce à la facilité présente des communications et à l’extrême multiplicité des échanges.

Il est rare maintenant qu’un industriel ignore les progrès réalisés dans les établissements de ses concurrents. Mais les expositions sont restées un plaisir relevé et un cours d’études sérieuses pour le public. Seulement est-ce affaire d’État que ces plaisirs et ces études ? Les frais qu’ils exigent doivent-ils se prélever sur l’impôt ? M. Du Puynode ne le pense pas. Quand une occasion, comme l’Exposition de 1867, se présente, il serait bon, après toutes les acclamations économistes à l’initiation privée, de s’y confier, et si l’on y avait fait résolument et très publiquement appel, en France et à l’étranger, les frais nécessaires auraient été couverts sans recourir au Trésor et à la Ville.

M. BATBIE, professeur d’économie politique à la Faculté de droit de Paris, commence par déclarer que, s’il s’agissait de juger l’exécution de l’Exposition universelle, il ne pourrait que s’associer aux éloges de la presque unanimité des visiteurs. Il a beaucoup trouvé à s’instruire dans les divisions du bâtiment circulaire, et même la partie frivole, celle qui occupe presque tout le parc, l’a vivement intéressé. Depuis qu’il a fait cinq ou six fois le tour des jardins, l’honorable membre croit qu’on peut dire de lui comme d’Ulysse :

Qui mores hominum multorum vidit et urbes.[1]

Il faut avoir un goût immodéré de la critique pour se plaindre de quelques détails défectueux, surtout pour ne pas voir combien les imperfections sont peu de chose en comparaison des côtés qui méritent d’être admirés. Sous ce rapport d’ailleurs l’Exposition universelle ne relève pas de l’économie politique, et l’honorable membre croit que la Société devant laquelle il parle, est incompétente pour la juger à ce point de vue. Mais tous les faits de quelque importance ont de graves conséquences économiques, et, même quand ils sont justifiés par des raisons politiques, l’économiste a le droit et le devoir de rechercher l’action qu’ils peuvent exercer sur la richesse publique. Est-ce que la guerre, par exemple, même celle que les causes politiques les plus graves excusent et légitiment, n’est pas jugée ici sous le rapport économique ? Les signataires de la ligue internationale pour la paix, ne diront pas le contraire. Pourquoi l’Exposition universelle serait-elle au-dessus des jugements de l’économie politique ? La science ne doit pas abdiquer devant la soif d’approbation sans réserve, trop fréquente chez les personnes qui agissent avec de bonnes intentions. Il est juste assurément de reconnaître ce qui a été bien fait ; mais l’indépendance des jugements doit être d’autant plus grande que nous aurons commencé par faire une large part à la justice.

L’honorable membre examinera la question posée par rapport aux exposants et par rapport aux habitants de la ville de Paris. D’abord que s’est-il passé entre la Commission et les fabricants ? On a pu lire dernièrement, dans les journaux, des lettres de négociants ou industriels qui repoussaient une médaille de bronze, parce qu’ils croyaient avoir mérité une médaille d’or ; ils refusaient d’accepter l’infériorité dans laquelle leurs maisons étaient reléguées par le jugement du jury. Leur réclamation était mal fondée assurément ; car puisqu’ils avaient exposé leurs produits, la décision du jury avait été d’avance acceptée par eux, et il était contraire à toutes les règles d’une lutte loyale de récuser le juge après le jugement. Mais il ressort de ce fait que la médaille est une estampille qui classe les fabricants, et qu’elle est recherchée surtout comme instrument de clientèle. Il n’y aurait pas d’inconvénients si toutes les maisons consentaient à être jugées ; mais celles qui s’abstiennent subissent le contrecoup d’un jugement qu’elles n’ont pas accepté, leurs rivales puisant dans la médaille une force qu’elles n’auraient pas sans l’estampille officielle. Quel autre nom en effet pourrait-on donner à des récompenses qui sont distribuées par le souverain avec une pompe supérieure à celle des cérémonies publiques ? C’est le public qui doit récompenser les industriels, et toute mesure qui a pour conséquence de détourner artificiellement les chalands de la direction qu’ils auraient suivie paraît à l’honorable membre sortir des attributions normales de l’autorité publique. Sur quels produits d’ailleurs tombent ces récompenses ? Sur des échantillons soignés à grands frais et qui ne sont pas l’image de la fabrication courante, qui ne donnent aucune idée des frais de revient et ne garantissent pas les qualités de la production ordinaire.Ces médailles ressemblent trop à celle qui, en sa présence, a été donnée par une société d’agriculture à un exposant qui, à force de soins, avait fait naître quelques magnifiques betteraves dans un petit jardin de 4 ou 5 ares. En résumé sur ce point : l’Exposition a de bons résultats, puisqu’elle met les consommateurs des différents pays à même de connaître les produits similaires de toutes provenances. Mais il suffit que le public soit mis à même de juger par lui-même, et M. Batbie ne croit pas qu’il soit bon de faire intervenir l’autorité pour dicter aux particuliers le jugement qu’ils doivent porter sur les produits.

Passant ensuite aux conséquences de l’Exposition sur la ville de Paris, M. Batbie signale la perturbation qu’a produite cette grande concentration d’étrangers, continuée pendant six mois, sur les conditions de la vie dans la capitale. Tout a renchéri et, pendant la durée de l’Exposition, les habitants qui n’ont que des revenus fixes, les rentiers et les fonctionnaires, par exemple, ont été mis à contribution par un surcroît de dépenses, surcroît qu’aucun avantage, pécuniaire du moins, ne compensait pour eux.

Même quand cette aggravation ne serait que temporaire, elle ne serait pas chose indifférente pour ceux qui en ont souffert. Mais l’honorable membre ajoute que plusieurs de ces augmentations resteront après l’Exposition par la puissance de l’habitude. C’est ce qui arrivera infailliblement pour toutes les augmentations qui n’auront pas procédé par un brusque mouvement. La question ne consiste pas à savoir s’il fallait immoler aux intérêts des petits rentiers les destinées de l’industrie ; car l’honorable membre est bien d’avis que l’Exposition étant jugée nécessaire, il ne fallait pas s’arrêter à ces objections. Mais M. Batbie pense qu’on pouvait tout concilier. Les inconvénients tiennent à ce qu’on a voulu attirer à Paris une foule d’oisifs, de gens de plaisir, au lieu de se borner à convoquer par une exposition spéciale ou par une série d’expositions successives, les gens à ce connaissant, c’est-à-dire les visiteurs utiles, ceux qui peuvent réellement tirer profit de leur voyage, et dont la présence cependant ne formerait pas un concours de monde suffisant pour changer les conditions économiques de la capitale. Les expositions spéciales annuelles, et à tour de rôle pour chaque industrie, seraient plus complètes dans leur espèce, et de plus elles ne produiraient pas ces grands mouvements de visiteurs curieux, et la plupart inutiles, qui ont été les maîtres de Paris pendant six mois.

M. LAMÉ-FLEURY. La concurrence rétablira les prix à leur chiffre normal, après l’Exposition.

M. BATBIE, répondant à l’interruption de M. Lamé-Fleury, ne nie pas la puissance de la concurrence et il combat avec tous les économistes pour empêcher que son action n’éprouve aucun obstacle. Mais la plupart des économistes ne tiennent pas suffisamment compte d’un élément qui agit à côté de la concurrence, c’est-à-dire la coutume. Souvent les prix se soutiennent en vertu de l’usage au milieu des oscillations de l’offre et de la demande. Tout le monde sait qu’après 1830, malgré une diminution des droits de détail, le prix des boissons fut maintenu par la puissance de l’habitude.

M. Joseph GARNIER, secrétaire perpétuel, adhère à la déclaration qu’a faite M. Batbie, en commençant, au sujet de l’exécution générale qui lui paraît des mieux réussies, grâce au talent de ceux qui y ont coopéré. Il est aussi du même avis au sujet des récompenses qui ne peuvent, en vérité, être décernées selon les vrais principes de la justice distributive par un jury si nombreux, forcément incompétent à divers égards, ayant à apprécier tant de choses en si peu de jours, sous le feu des influences et des sollicitations de toute espèce. C’est ce qu’a parfaitement fait ressortir un remarquable rapport du prince Napoléon à l’occasion de l’Exposition de 1855. Il est également incontestable que ces solennités entraînent après elles des déceptions et des mécomptes, la stagnation ou de certaines perturbations dans l’approvisionnement, les consommations, etc. ; elles donnent pour un temps une direction anormale à la production, aux commandes et aux affaires. — Mais ce sont là des faits relativement secondaires par rapport aux grands résultats qu’elles produisent.

En premier lieu, elles sont un enseignement universel dans un sens plus étendu que celui indiqué par M. Du Puynode. Les industriels peuvent se tenir au courant des progrès de leur commerce dans un certain rayon ; mais on ne peut pas dire qu’il en soit ainsi pour les industriels de toute l’Europe et des deux hémisphères. Une visite à l’Exposition équivaut pour chacun d’eux à une série de voyages dispendieux en temps et en argent qu’ils ne feraient certes pas. En second lieu, non seulement ils s’instruisent par l’exposition de leurs analogues, mais par toutes les autres branches, trouvant souvent des idées fécondes dans les produits les plus disparates. — C’est donc là sur la plus vaste échelle un enseignement mutuel pour les producteurs et aussi pour les consommateurs. — C’est ensuite, au point de vue commercial, une bourse universelle, une bourse des producteurs et des acheteurs du monde entier.

M. Joseph Garnier se borne à rappeler qu’au point de vue politique et moral, qui est encore le point de vue économique, l’Exposition universelle est un congrès efficace pour la pacification des nations.

Mais il est un point de haute importance sur lequel il veut insister un peu plus, en rappelant que les expositions universelles ont été d’un grand secours pour le triomphe de la doctrine de la liberté commerciale.

Lorsque, à propos de l’exposition de 1849 et après la dilatation des idées, par le fait des événements politiques, les journalistes économistes (faisant de ce soir partie de la Société d’économie politique, et quelques-uns de la réunion), demandèrent avec plus d’insistance que cette exposition fût universelle[2], M. Buffet, ministre du commerce et membre de la Société, ne se crut point assez fort pour braver l’opinion évidemment protectionniste ; mais il put consulter (sans trop se faire jeter la pierre) les chambres de commerce et les chambres consultatives des arts et métiers, dont la majorité répondit qu’une exposition internationale produirait un cataclysme industriel !

Cependant Richard Cobden étant venu à Paris pour le Congrès de la paix, à l’organisation duquel avaient contribué quelques-uns de ces mêmes publicistes, eut l’occasion de visiter l’Exposition nationale, et il retourna en Angleterre avec l’idée d’une exposition internationale comme moyen de propager la paix et le libre-échange. Il fut un des premiers et des principaux promoteurs de la manifestation de 1851 ; mais, pour ne point raviver les susceptibilités protectionnistes, il veilla à ce que l’impulsion fût donnée par la Société des Arts et par le prince Albert, qui y trouva une occasion d’agir et d’accroître sa popularité en dehors de la politique. Par le fait de cette manifestation, les sophismes des protectionnistes subirent comme une nouvelle dépréciation ; les frayeurs patriotiques de bonne foi diminuèrent ; les manufacturiers prirent courage, etc. : des deux côtés du détroit ils avaient été au feu, et les fantômes avaient disparu devant la réalité des choses. Puis est venu l’Exposition de 1855 à Paris, qui a fait faire de nouveaux pas à la doctrine du libre-échange ; puis la troisième exposition à Londres en 1862 ; enfin cette quatrième à Paris.

Maintenant, l’œuvre de propagande du libre-échange pour les expositions universelles semble accomplie. Seront-elles toujours utiles au point de vue industriel ? N’ont-elles pas dépassé le but sous la forme actuelle ? Faudra-t-il les préférer plus spéciales, plus régionales, plus espacées ? C’est ce que M. Garnier ne saurait examiner. Toujours est-il que l’Exposition de 1867 lui paraît difficile à surpasser, aussi bien sous le rapport sérieux que sous le rapport pittoresque.

M. BENARD, rédacteur du Siècle, ne saurait croire avec M. Batbie que la cherté des denrées et des logements amenée par l’Exposition puisse subsister après cette Exposition, si d’autres causes ne viennent la maintenir. On ne saurait prétendre que cette cherté continuera, sans causes réelles, à moins d’oublier toute l’action que l’économie politique attribue avec raison à la concurrence. Quand l’Exposition sera fermée, quand tous nos visiteurs nous auront quittés, les nouveaux établissements de tous genres, créés en vue de cette solennité internationale, feront concurrence aux anciens ; les anciens eux-mêmes retourneront à leurs prix d’autrefois, pour ne pas être abandonnés par leurs clients.

Mais s’il est vrai que la cherté doive continuer, M. Benard ne s’en inquiéterait pas outre mesure, il verrait là la preuve d’un accroissement de richesses se traduisant en un accroissement de bien-être.

Il sait bien que plusieurs membres de la réunion ne partagent pas l’idée que la cherté, non causée par la rareté, n’est pas une preuve d’augmentation de richesse : il ne peut qu’appeler leur attention sur les pays où tout est bon marché et sur ceux où tout est cher. Les premiers sont les pays les plus pauvres du monde, les seconds sont ceux qui passent pour les plus riches et le sont évidemment.

La Russie, qui produit du blé et du bétail, des bois, des métaux, des peaux, des laines à très bas prix, est infiniment plus pauvre que l’Angleterre ou la France, pays dans lesquels ces articles sont beaucoup plus chers. Il en est de même de l’Espagne, où tout est à vil prix, et qui se meurt de misère.

Quoi qu’il en soit, les divers reproches que l’on peut faire à l’Exposition ne touchent qu’au petit côté de cette grande manifestation. Il ne faut pas oublier, ainsi que l’a déjà fait remarquer M. Joseph Garnier, qu’elle a été une occasion, pour tous les peuples, de se rencontrer, de se communiquer leurs idées, et de se donner une main fraternelle. Les peuples ne s’étaient guère vus face à face, jusqu’ici, que les armes à la main, et il est bon qu’ils se voient quelquefois par des raisons de bons rapports, d’émulation pacifique et de bonne amitié. La diplomatie s’efforce assez souvent de créer des inimitiés entre les nations ; les intérêts dynastiques et l’ambition réussissent trop souvent à soulever des colères et des tempêtes entre des nations qui ne demanderaient qu’à vivre en paix les unes avec les autres. Glorifions donc les expositions universelles qui apaisent, au contraire, toutes les inimitiés, qui tendent à abaisser les barrières, et auraient pour résultat de maintenir la paix si les peuples étaient laissés à leur libre décision.

Quant à la question des récompenses, M. Benard est d’avis que la distribution de médailles est une des principales raisons qui déterminent les industriels à exposer. L’espoir d’obtenir une distinction, d’avoir un titre de prééminence dont on puisse se glorifier, excite les fabricants à améliorer leur production. C’est un aiguillon qui fait faire des efforts dont on ne se croyait pas capable et sans lequel la plupart des industriels s’abstiendraient de paraître à ces solennités. Il faut prendre l’homme tel qu’il est avec ses faiblesses comme avec ses vertus : or, à côté de la vanité satisfaite, il y a la presque certitude que la possession d’une médaille assurera des avantages matériels sur les concurrents.

Au point de vue de la production, les récompenses sont donc une bonne chose : tantôt elles font faire mieux et tantôt elles font fabriquer à meilleur marché.

M. LAMÉ-FLEURY, ingénieur en chef au corps impérial des mines, professeur de droit administratif et d’économie industrielle à l’École des mines, commence par rappeler qu’il est, pour les expositions universelles, un détracteur de la veille, ainsi qu’en témoigne le compte rendu d’une des séances tenues par la Société en 1862[3]. Si sa mémoire est fidèle, il reprochait à ces solennités d’être, avant tout, des prétextes à récompenses honorifiques, à discours officiels, à banquets cérémonieux ; ce n’est pas sur ces divers points que ce qui se passe, en 1867, peut modifier son opinion. Il disait que, — pour rappeler la qualification donnée (par F. Ozanam) à l’Exposition universelle de Londres — cette fête publique était une véritable foire aux oisifs, d’où quelques hommes spéciaux pouvaient seuls retirer quelques avantages, dont il faudrait bien se garder d’exagérer le nombre et l’importance. Il n’aperçoit aucun motif de changer sa manière de voir, au contraire ; mais il voudrait d’autant moins développer sa pensée, à cet égard, qu’il se propose de donner ultérieurement au Journal des Économistes, si cela est possible, une critique en règle (dont il essaye en ce moment d’amasser les matériaux) du principe même des expositions universelles, au point de vue de l’économie politique.

La principale objection que soulève, à ce point de vue, l’entreprise singulière du Champ de Mars n’est plus à formuler, attendu qu’en excellent langage et en fort bon lieu, une autorité compétente, M. Louis Reybaud[4], a déjà fait ressortir le côté vulnérable de la combinaison financière : 12 000 000 francs fournis par l’État et la ville de Paris ; le reste de la dépense couvert par un capital de garantie ; la perception d’un péage, qui a tant fait crier le public non économiste, dont les profits ne suffiront décidément point à rembourser les souscripteurs de ce capital. — On dit qu’il faut voir les choses en grand et de haut, songer aux conséquences évidentes de pareilles manifestations pour la précieuse solidarité des peuples !

D’une part, il est dangereux, en économie politique, de ne pas voir les choses en petit et du bas. Comment ! au sein de la Société, il sera permis d’avancer que l’Exposition universelle n’est une mauvaise affaire que parce qu’elle produit la moitié seulement du capital dépensé ; que le moyen pratique de rendre l’affaire bonne est de faire payer par les contribuables la moitié de capital qui fait défaut. Dans quelles aventures économiques ne pourra pas se lancer un gouvernement, s’il est admis que la science déroge, en faveur de la souverainetédu but, à ce principe fondamental que l’utilité des choses, en ce bas monde, se mesure au sacrifice pécuniaire que chacun est disposé à faire pour se les procurer !

Comment les économistes, qui sont toujours à dire que l’État se se charge à tort d’une multitude de fonctions, pourraient-ils se mettre en contradiction avec eux-mêmes, dans cette circonstance !

D’autre part, le « brassage » des peuples — auquel on revient toujours — ne se fait-il pas sans les expositions et peut-on comparer l’influence de celles-ci à l’influence des chemins de fer ?

Si l’amalgamation internationale joue un tel rôle, l’organisation administrative de la fête est en contradiction avec le résultat à atteindre : l’entrée devait être gratuite, même avec l’existence du capital de garantie, dont les souscripteurs appartiennent, directement ou indirectement (commission officielle, jury, exposants, etc.), à un monde qui n’a jamais songé à une spéculation pure et simple. Ce personnel entendait bien se rembourser avec une monnaie dont il paraît très friand, c’est-à-dire en récompenses honorifiques de tout ordre, en solennités de tout genre, en réclames (le mot vient d’être prononcé) de toute espèce. On a parlé souvent d’un commerce de décorations étrangères. Il est bien permis à un économiste de supposer que, si elle était possible, la mise en adjudication des grades de la Légion d’honneur et des médailles révèlerait, sous une forme pécuniaire, le cas que le public fait des récompenses honorifiques. Eh bien ! ceux du capital de garantie qui figurent parmi les heureux de l’Exposition universelle ont atteint leur but ; ceux qui avaient les mêmes prétentions et qui ont dû être laissés de côté, par une raison ou par une autre, auront fait une mauvaise affaire, dont ne les consolerait même pas le remboursement total de leur avances !

M. Lamé Fleury ne nie pas, quant aux hommes compétents, qu’ils peuvent retirer quelques fruits de leurs visites au Champs-de-Mars ; il reconnaît, avec M. Joseph Garnier, qu’un industriel peut y puiser une heureuse idée, soit dans sa spécialité, soit même en dehors ; mais il croit que l’effort gigantesque dont la Société s’occupe en ce moment est hors de proportion avec le résultat obtenu.

Quant à l’utilité produite pour les visiteurs incompétents, il la conteste énergiquement. Le seul moyen de la constater authentiquement est impraticable : ce serait de jauger, à l’entrée et à la sortie, le cerveau d’un de ces visiteurs, qui n’indiquerait jamais qu’un parfait amusement ; il aurait été plus fructueux de jauger semblablement l’estomac du public, en égard au succès incontestable de la galerie alimentaire, qui occupe une si grande place à l’Exposition universelle de 1867.

M. Lamé Fleury se garde bien de nier la réussite de l’entreprise, mais il la croit principalement spectaculaire. Sans développer ses idées à ce sujet, il fait seulement observer à la réunion qu’il est bien difficile de saisir le côté sérieux et élevé de l’existence, dans la même enceinte que les produits assurément curieux de l’industrie générale du monde entier, d’un théâtre international, d’un café chantant et d’une foule d’autres exhibitions plus ou moins foraines. La convenance de certaines tolérances, qui n’ont rien à faire avec la moralisation humaine, lui semble également douteuse. L’assentiment des masses ne lui paraît point une justification suffisante de tout ce qui se passe ; mais il croit en avoir assez dit pour faire comprendre sa pensée[5].

M. Michel CHEVALIER ne peut s’empêcher d’exprimer l’étonnement que lui a causé cette discussion durant laquelle quelques-unes des personnes qui ont pris la parole n’ont guère trouvé que des critiques ou des reproches à adresser à l’Exposition du Champ-de-Mars. Il lui semble pourtant que, pour des économistes, cette solennité et la manière dont elle marche devrait plutôt être un sujet de félicitations et de louanges. Les expositions universelles, par le grand concours de personnes qu’elles provoquent, par les réunions auxquelles elles donnent lieu entre des individualités souvent considérables de toutes les nations, tendent à rapprocher les différents peuples, à effacer les préjugés qui les divisent et leur apprennent à se connaître et à s’estimer. Elles servent ainsi à resserrer la paix du monde en contrebalançant l’influence des passions qui poussent les peuples à la guerre. Aux yeux de l’économiste comme ceux du moraliste, n’est-ce pas un résultat avantageux ? Les expositions universelles organisent entre les producteurs des différents pays, non seulement entre les patrons, mais aussi entre les ouvriers, un enseignement mutuel par lequel ils se sont avancer les uns les autres, échangeant leurs idées, discutant de bonne foi et donnant, par cet échange et ces discussions, naissance à des progrès nouveaux. De là une vive impulsion donnée à l’enrichissement des sociétés. Par les relations qu’ils se créent dans ces circonstances, l’industrie s’égalise entre toutes les parties du monde, et par là disparaissent, chez chaque peuple, les objections contre la liberté du commerce qui est si chère à l’économie politique.

En portant à la connaissance de tous les mérites de chacun, en mettant en évidence les produits par lesquels se distingue chaque contrée, les expositions universelles suscitent à l’improviste des rapports commerciaux dont on ne soupçonnait pas la possibilité auparavant et dont tout le monde bénéficie.

M. Michel Chevalier pense donc que les expositions universelles se recommandent par des titres nombreux et bien caractérisés à l’approbation des économistes. Il se demande comment quelques-uns des hommes distingués qui ont pris la parole avant lui aient tenu si peu de compte de ces avantages et se soient laissé préoccuper de préférence par des sujets d’une importance subalterne.

On reproche à l’Exposition du Champ-de-Mars d’avoir été l’occasion dans Paris de l’enchérissement de diverses choses, des loyers, de la viande et de plusieurs autres denrées. M. Michel Chevalier ne conteste pas ces faits ; mais il ne peut y voir que les conséquences inévitables de la réunion soudaine dans la capitale de la France d’un nombre inusité de visiteurs qui consomment plus que la moyenne des habitants.

On prétend que l’augmentation des prix qui se manifeste maintenant sera d’un effet permanent. L’Exposition, dit-on, en aura été le prétexte, la fin de l’Exposition ne la fera pas cesser. À cet égard, M. Michel Chevalier n’est pas du tout convaincu. Si, après l’Exposition, les loyers restent plus chers qu’ils ne devraient l’être d’après le rapport entre l’offre et la demande, il sera construit de nouvelles maisons qui les feront baisser. Si la cherté excessive de la viande continue, ce sera un encouragement pour une nouvelle production de bétail, et l’effet de ce supplément de production sera une certaine baisse de la viande. Pour qu’il n’en fût pas ainsi, il faudrait que toutes les règles que l’économie politique tire de l’observation et du raisonnement, et qu’elle considère comme des axiomes, fussent dénuées de fondement. — Les mêmes orateurs ont adressé à l’Exposition universelle des reproches qui tous reviennent à ceci : qu’elle sera le point de départ de divers changements qui troubleront diverses existences en renversant des usages établis, usages dont se trouvaient bien quelques personnes ou quelques classes. À cela M. Michel Chevalier croit pouvoir répondre que ceux qui ne veulent pas de changement par cela même ne veulent pas de progrès, il n’y a aucun progrès qui ne modifie l’état antérieur des choses au détriment de quelqu’un ou de quelque classe. Le progrès ne cesse pas pour cela d’être désirable, parce qu’il est favorable à l’intérêt général, favorable à la justice, favorable à la liberté et à l’égalité. Il est surprenant que des choses pareilles aient besoin d’être dites dans une réunion aussi éclairée que celle de la Société d’économie politique, où ce sont des banalités. Si l’on était placé au point de vue où se sont mis les orateurs auxquels M. Michel Chevalier répond, on n’aurait jamais fait de chemins de fer, parce que les voies ferrées dérangent le roulage et ôtent leur clientèle aux diligences qui allaient sur les routes. On n’aurait jamais fait de grandes routes, puisque cela dérangeait les muletiers qui suivaient les sentiers. Avec ce système, le genre humain se pétrifierait dans l’immobilité.

On a représenté aussi contre l’Exposition qu’elle s’était faite moyennant une subvention du gouvernement et de la ville de Paris, tandis que, pour être sans reproche, il aurait fallu qu’elle fût le produit de l’action libre des individus ou d’une association. M. Michel Chevalier admet, que si l’Exposition de 1867 avait pu s’organiser, pour ainsi dire, toute seule, c’eût été au mieux. Mais on a raison de dire que souvent le mieux est ennemi du bien. Si l’on n’eût voulu d’exposition en 1867 qu’autant qu’elle se serait passée des subsides de l’État ou de la ville de Paris, il est de toute évidence que l’Exposition n’aurait pas eu lieu. Ces subsides ont été non seulement utiles, mais indispensables, argument qui lui paraît trancher la question. En voulant l’application absolue des principes sans acception des temps et des lieux, on s’exposerait à de graves erreurs.

L’orateur ne pense pas que les critiques exprimées au sujet des récompenses puissent davantage motiver la condamnation de l’Exposition. Les récompenses ont été décernées honnêtement par l’opinion libre d’un jury nommé, non par l’autorité, ainsi qu’on l’a dit, mais par la Commission impériale qui a fait de son mieux, et qui, elle-même, était, en partie du moins, le résultat de l’élection. Quand bien même on prouverait que le jury a opéré avec précipitation, quand bien même il serait établi que le système adopté pour les récompenses offrait une multiplicité excessive, et qu’il eût été mieux d’imiter ce qu’on avait fait à Londres, où il n’y avait que deux récompenses au lieu de cinq, M. Michel Chevalier pense que l’opportunité et le mérite de l’Exposition du Champ-de-Mars n’en seraient guère ébranlés. Il lui paraît que la société d’économie politique devrait moins qu’une autre se laisser influencer par des critiques de ce genre.

Il se souvient que s’entretenant une fois avec un naturaliste qui s’occupait des moyens de garantir le blé du ravage des charançons, celui-ci lui dit qu’il pensait avoir enfin résolu le problème par le moyen d’un mécanisme consistant à imprimer un petit mouvement continu au blé renfermé dans un cylindre cloisonné. « Je tiens mon affaire, disait le naturaliste. J’ai observé les mœurs du charançon : c’est un animal absolument ennemi du mouvement. Il suffit qu’il sente mouvoir le milieu dans lequel il vit pour qu’il en trouve le séjour insupportable et pour qu’il le quitte. Du moment que je ferai mouvoir mon cylindre rempli de blé, il n’y aura plus de charançons. » — M. Michel Chevalier termine en disant que, considérant l’économie politique comme une science de progrès, il croit qu’il n’en partira plus contre l’Exposition de critiques fondées sur ce que celle-ci favorise le mouvement. L’économie politique est aux antipodes de ceux qui ont le culte de l’immobilité. Il est donc impossible que la société consente à former dans le monde ce qu’il pourrait appeler le parti des charançons.

M. Anselme PETETIN fait remarquer qu’il faut croire dans la généralité, dans l’universalité de l’Exposition une des causes les plus réelles de son utilité.

L’inspiration qui fait qu’au lieu de travailler pour un cercle restreint, on cherche à satisfaire à des besoins plus généraux, à des intelligences plus variées, est un puissant élément de perfectionnement dans la production. Tel qui fabrique des sabots pour son village, s’il a un génie naturel, même dans son humble sphère, sachant qu’il doit paraître devant des juges tout autrement difficiles et divers, fera des efforts extraordinaires, usera de tout ce génie supposé pour arriver à la perfection dans sa fabrication.

En toute chose, du sabot à l’œuvre la plus sublime de l’art, il est utile de sortir du cercle individuel pour considérer l’universalité. C’est là proprement dit le labeur de civilisation qui relie l’ensemble de la famille humaine. Et c’est là précisément ce qui, au point de vue même restreint de la production industrielle, a été l’inspiration de l’Exposition de 1867.

M. C. LAVOLLÉE ne saurait s’associer aux critiques qui ont été exprimées contre l’Exposition. Contester l’utilité des Expositions universelles ce serait nier l’évidence. On n’en est plus, en pareille matière, à raisonner sur des hypothèses : les faits sont là pour démontrer que chacune des trois expositions qui ont précédé l’Exposition de 1867, a déterminé dans les conditions du travail industriel chez tous les peuples des perfectionnements et des progrès très sensibles. Il en sera de même de l’Exposition de 1867. Développer cette opinion, qui pourrait s’appuyer sur de nombreux exemples tirés de faits particuliers, ce serait, en vérité, tomber dans le lieu commun.

Quant au mode d’exécution, les critiques ont porté principalement sur trois points : on a critiqué le concours financier de l’État et de la ville de Paris, le principe et la nature des récompenses, les décisions du jury qui a réparti les médailles.

Évidemment, si l’on avait pu se passer des 12 millions qui forment la part contributive de l’État et de la ville dans les dépenses de l’Exposition, cela eût mieux valu. Mais la question est de savoir s’il eût été possible d’organiser l’Exposition avec les seules ressources des souscriptions particulières. Qui veut la fin doit accepter les moyens. Étant donnée l’utilité d’une Exposition universelle dont l’organisation devait coûter une somme très considérable, il fallait bien que l’État et la ville vinssent contribuer à cette dépense, puisque l’on avait la conviction que les souscriptions particulières n’auraient point suffi ; autrement nous n’aurions pas eu l’Exposition, ou, du moins, celle-ci n’aurait pu être dans les conditions et avec les proportions qui la rendent tout à la fois si brillante et si utile. Quoi de plus naturel, d’ailleurs, que le budget général paye sa part d’une entreprise qui a été conçue en vue de l’intérêt général et qui doit profiter à la nation tout entière ? Quoi de plus logique que le budget municipal, qui verra s’arrêter ses perceptions par suite de l’accroissement de la population flottante attirée par l’Exposition, emploie ce revenu extraordinaire à subventionner l’entreprise ? Il est difficile de voir dans ces contributions la violation d’aucun principe économique.

Les critiques adressées au système des récompenses ne sont pas nouvelles : jusqu’ici, l’on n’a point jugé qu’il convînt d’y faire droit. Les récompenses sont considérées comme un stimulant, comme un signe de supériorité, comme une marque honorable de la gratitude publique. On peut modifier le nombre, la valeur, la forme des récompenses ; mais, quand on propose la suppression complète, on méconnaît, à ce qu’il semble, la nature humaine. Les récompenses à la suite de concours sont de tous les temps et de tous les pays ; les hommes sont ainsi faits qu’ils les recherchent et que, pour les mériter, ils se livrent à des efforts de travail et d’intelligence dont la société tout entière profite.

Il est bien entendu que les récompenses doivent être décernées avec impartialité par un jury compétent. À cet égard, sauf peut-être quelques erreurs ou omissions inévitables dans un travail aussi étendu et aussi rapide, les décisions du jury de 1867 remplissent les conditions désirables.

M. GABRIEL-LAFOND, directeur de l’Union des ports, estime ainsi que le mode financier adopté pour réaliser l’Exposition universelle de 1867 est le meilleur. Rien de plus juste que de payer le droit d’entrée, les chaises, l’emplacement pour les établissements de consommation, etc., etc., pour que les actionnaires qui ont avancé 8 millions de francs fassent leurs frais. Si le gouvernement avait été seul chargé de la dépense cela eût coûté 25 millions, tandis que l’État et la Ville n’auront à eux deux que 12 millions, en échange d’avantages réels et positifs.

L’honorable membre cite l’insuccès de l’Exposition de 1855 au point de vue financier. À cette époque, le président de la commission impériale voulut et obtint en partie que tout fut gratis : la Compagnie ne put pas produire de quoi rembourser le capital ni même les intérêts en totalité, et comme le gouvernement avait garanti 4% du capital primitif et donné 6 millions pour l’annexe, il consentit à rembourser les actions de 100 fr. à 80 fr., et il garda l’immeuble que vous connaissez dans les Champs-Élysées.

En résumé, l’Exposition universelle a-t-elle réussi ? Oui, beaucoup mieux qu’on ne s’y attendait, car tous les peuples ont pu fraterniser entre eux. Si le gouvernement eût voulu faire tous les frais, alors seulement les entrées et tous les monopoles dont on se plaint auraient dû être gratis. Mais a-t-il voulu, du consentement des Chambres, en faire les frais ? N’aurait-on pas dit partout que l’argent était gaspillé et que les curieux pouvaient bien payer un droit d’entrée.

On l’a bien appelée la foire aux curieux ; alors pourquoi donc ne pas faire payer les curieux : c’est certes un impôt bien légal.

Le gouvernement y perdra-t-il ? Non. Il a donné un monument à l’industrie qui le lui payera. La ville de Paris rentrera, et bien au-delà, dans son argent, par l’augmentation du produit des octrois. Et, comme c’était une entreprise particulière en participation avec le gouvernement, il fallait des produits, qui ont peu coûté aux curieux, car la grande dépense n’a pas été celle payée à la porte de l’Exposition, c’est le prix d’une course de voiture. Seulement le peuple, à qui 40 sous peuvent faire faute, s’est peu plaint. Ce sont ceux qui peuvent payer bien au-delà qui en ont fait un objet de critique. Ne seraient-ils venus apporter leurs capitaux que pour faire une entreprise particulière qui n’eût rien produit ? Non sans doute.

On a fait ce qu’on a pu. Le gouvernement, en donnant 6 millions ; la Ville, en donnant également 6 millions, ont engagé les actionnaires à donner 8 millions.

Ce qui a été fait a donc été bien fait, sauf de petites erreurs ou de petites omissions, car les hommes ne sont pas des dieux ; et l’Exposition universelle de 1867 restera dans la mémoire des peuples comme la merveille unique des temps modernes.

M. BATBIE fait observer qu’il ne s’agit pas de savoir si l’Exposition a réussi ou non, mais uniquement de rechercher les conséquences économiques de ce fait. Les plus grands événements de l’histoire, les croisades, la Révolution française et d’autres d’une moindre importance sont tous les jours étudiés dans leurs conséquences économiques. Pourquoi l’Exposition universelle, qui est un bien petit fait à côté de ceux-là, échapperait-elle au jugement scientifique ? M. Michel Chevalier est un ardent ami du progrès ; mais l’honorable M. Batbie, tout en reconnaissant qu’à d’autres égards l’éminent économiste a droit à son respect, ne croit devoir le céder à personne quand il s’agit d’attachement à la grande question du progrès. Cependant n’y a-t-il qu’une manière de la servir et faut-il ranger ceux qui signalent les inconvénients à côté du bien parmi les charançons et les tardigrades ? Comment ! Les uns croient que l’industrie retirerait des résultats meilleurs d’expositions spéciales ; ce système, à leurs yeux, imprimerait au progrès un mouvement plus fécond. M. Michel Chevalier pense, au contraire, que le système de l’Exposition universelle est préférable. — Cette divergence n’est certes pas assez importante pour servir de base à une séparation dans l’école économiste. Comment pourrait-on, sur un aussi léger dissentiment, appuyer la distinction entre le parti des économistes rétrogrades et celui des économistes progressistes ?

M. LAMÉ FLEURY, vu l’heure très avancée, demande une seconde fois la parole, non pour se plaindre du spirituel apologue des charançons qu’a raconté M. Michel Chevalier, à qui toutefois il pourrait demander s’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les diverses sortes de mouvement et de proscrire, par exemple (en restant dans les comparaisons tirées du règne animal), l’inutile agitation de l’écureuil.

Il croit seulement devoir protester contre cette nécessité d’une excitation universelle, dans laquelle un des préopinants voit le principal avantage de l’Exposition internationale. En entendant émettre cette assertion, il ne pouvait s’empêcher de se rappeler la lettre, classique, parmi les économistes, que M. Biot écrivait, en 1828, au directeur de la Revue Britannique et où est dépeinte, en termes si éloquents et si pratiques, la puissance de l’intérêt individuel abandonné librement à ses instincts de production. Là est la vérité économique et non ailleurs !

M. Lamé Fleury revient sur la distribution des récompenses dont il trouve le principe même très vicieux, eu égard à la nature des concours, au nombre excessif des concurrents, à l’impossibilité où se trouve forcément un jury, quelque bien composé qu’il soit, de procéder, dans la plupart des cas, autrement qu’au hasard. Non ! le mécontentement des exposants évincés (pour ne pas parler du personnel déçu de la commission et des jurys) ne se produit pas seulement comme dans toute réunion d’hommes qu’il faut partager en élus et en exclus ; il a très souvent une cause légitime. Il est, dit en terminant M. Lamé Fleury, un propos tenu par le principal personnage d’une pièce en vogue qui lui semble être la satire, fort exacte et fort spirituelle, de la question des récompenses à l’Exposition universelle. M. Benoîton, ancien fabricant de sommiers élastiques, s’étonne que le gouvernement ne décore pas ceux qui donnent l’exemple de la fortune ! L’ambitieux fabricant doit regretter de s’être retiré des affaires avant 1867, car il aurait pu espérer être au nombre de ceux qui n’avaient absolument d’autre titre que la richesse à figurer parmi les récompensés de l’exhibition du Champ-de-Mars.

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[1] Celui qui vit les mœurs de beaucoup d’hommes et leurs cités.

[2] MM. Blanqui, Coquelin, Michel Chevalier, Wolowski, de Molinari, Joseph Garnier, etc.

[3] Voir, en effet, notre livraison de septembre de ladite année, p. 474.

[4] Voir dans la Revue des Deux Mondes du 1er juin dernier.

[5] M. Lamé Fleury a plus tard, entre deux opinions, ouvert une parenthèse en quelque sorte latérale, pour faire observer le succès merveilleux qu’offrait, dans cette circonstance d’une affluence particulière à Paris, la première application en grand du principe de la liberté des voitures, de tout temps réclamé par la Société d’économie politique.

(Note du Rédacteur).

A propos de l'auteur

Institution centrale dans le débat des idées économiques au XIXe siècle, la Société d’économie politique comptait comme membres toute la fine fleur de l’école libérale française, dont elle permettait le renouvellement et à qui elle offrait des opportunités de discussions engagées.

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