Le libéralisme de Boulainvilliers

Henri de Boulainvilliers est peut-être l’auteur le plus intéressant à consulter sur la situation des provinces françaises et sur leur commerce au début du XVIIIe siècle. Avant Boisguilbert, Gournay et les Physiocrates, il dénonce le système des règlements et se prononce pour une liberté absolue du travail et du commerce.


Le libéralisme de Boulainvilliers

par Ernest Semichon

(extrait de son Histoire de la ville d’Aumale, Seine-Inférieure, 1862, tome 1, p.lxxxiii-lxxxvi)

 

À la fin du règne de Louis XIV, la manie de la réglementation, et surtout le système des offices, prirent un nouvel essor. Nous trouvons, en mars 1691, la création de maîtres et gardes, espèces de syndics des corps de marchands, arts et métiers, dans toutes les villes et bourgs élus du royaume, moyennant finance[1].

Puis, en décembre 1691, un édit portait création de syndics, dans les corps des arts et métiers, qui n’étaient point en jurande[2]. Rien n’échappait.

Dès lors, ou bien peu de temps après, il s’élevait des protestations en faveur de la liberté.

M. de Boulainvilliers est peut-être l’auteur le plus intéressant à consulter sur la situation de nos provinces et sur leur commerce au commencement du XVIIIe siècle. Les intendants avaient, à cette époque, composé des mémoires manuscrits fort curieux, que M. de Boulainvilliers utilisa.

M. Bignon, intendant de Picardie, était l’auteur d’un travail important, qu’avait consulté Boulainvilliers, sur le commerce d’Aumale et des environs.

Il y a peu de chose à désirer, disait M. Bignon, pour la perfection des manufactures de sayetterie, de draperie et autres « ouvrages d’Aumale et des environs, si ce n’est une observation plus exacte des règlements et statuts de chaque manufacture : la cherté des laines induit les ouvriers à faire de faux ménages, qui gâtent les étoffes, soit par la faiblesse de la trame, soit par le mélange des laines. »

M. Bignon croyait que le moyen de remédier à tous ces abus serait de multiplier les inspecteurs et les visites des jurés : « D’autres croiraient (ici c’est Boulainvilliers qui parle) que la liberté du commerce serait le meilleur expédient pour empêcher les abus, et que les ouvriers seraient assez punis en manquant de débit de leurs marchandises, quand elles ne vaudraient rien. Mais l’usage du temps est d’établir partout des marques et des contre-marques, et des bureaux de visite, et de bannir la liberté. C’est pour cela que M. Bignon assure qu’il serait nécessaire d’établir un bureau à Beauvais, pour contrôler les marchandises achetées à Granvilliers, Aumale, etc., quoique marquées du plomb de la fabrique, afin de confisquer sévèrement celles qui n’auraient pas les longueurs prescrites ; et il ajoute que si les marchands, après leurs achats, étaient sujets à ces sortes de confiscations, ils n’auraient pas la facilité d’acheter des marchandises défectueuses, et que les ouvriers n’en trouveraient pas de débit. »

L’expérience a, depuis, démontré qu’en effet, le régime ancien était très défectueux, et même à peu près ruineux pour le commerce ; mais la liberté absolue a offert aussi quelques inconvénients, et il a fallu que la législation punît les tromperies sur la nature et la qualité de la marchandise, l’ouvrier n’étant pas toujours assez puni, comme le supposait Boulainvilliers, par la diminution de sa vente ; on a même dû, récemment, adopter d’utiles mesures préventives, telles que la marque de fabrique.

Cependant, il ne faut pas s’étonner qu’en présence des abus de son temps, Boulainvilliers fût partisan de la liberté absolue ; le système des règlements et des offices, la manie du fonctionnaire était déjà poussée si loin, qu’il fallait être fonctionnaire public pour faire la barbe à Aumale. Le roi y créa six places de barbiers, perruquiers, baigneurs, étuvistes, moyennant finance ; et encore, les places étaient héréditaires de par le roi. Où l’hérédité va-t-elle se nicher ? Un peu plus tard, au milieu du XVIIIe siècle, nous verrons les carreleurs et les boulangers réclamer contre les titres d’offices qu’on veut leur faire payer.

Tout était affermé alors, même les messageries ; tout était réglementé, même la forme des tuiles.

Avec une pareille organisation, une réglementation si minutieuse, un tel régime de privilège, il fallait des inspections permanentes et sévères pour assurer l’exécution des édits, et c’était le commerce qui payait.

 

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[1] Édits et déclarations registrés au parlement de Normandie. Mars 1691, p. 209.

[2] Voir même recueil.

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