Communauté (Commerce), par Véron de Forbonnais (1753)

« Le premier principe du commerce est la concurrence ; c’est par elle seule que les arts se perfectionnent, que les denrées abondent, que l’État se procure un grand superflu à exporter, qu’il obtient la préférence par le bon marché, enfin qu’il remplit son objet immédiat d’occuper et de nourrir le plus grand nombre d’hommes qu’il lui est possible. Il n’est aucune exception à cette règle… »


Véron de Forbonnais,
article « Communauté (Commerce) »
de l’Encyclopédie (1753).

 

Communauté, (Commerce.) On entend par ce mot la réunion des particuliers qui exercent un même art ou un même métier, sous certaines règles communes qui en forment un corps politique.

Les Romains sont le seul peuple qui nous fournisse dans l’antiquité l’exemple de ces sortes de corporations : l’origine en était due à la sage politique de Numa. Il les imagina, dit Plutarque, pour multiplier les intérêts particuliers dans une société composée de deux nations, et pour détourner les esprits d’une partialité qui séparait trop entre eux les descendants des Romains et des Sabins, devenus citoyens de la même ville. Ces communautés étaient connues à Rome sous le nom de collèges. Ce mot s’est longtemps conservé dans les villes hanséatiques, pour signifier l’assemblée des marchands, et enfin le lieu où ils s’assemblent pour négocier entre eux.

Il est assez difficile de décider quelle a été l’origine du renouvellement des communautés dans les empires fondés par les Barbares sur les ruines de celui des Romains : il est vraisemblable que la tradition conserva le souvenir de cet usage des Romains, et que les seigneurs particuliers le firent revivre dans leurs districts par un motif différent. D’abord ce fut sans doute pour honorer les arts, et les encourager par des privilèges ou des distinctions. On en voit même encore quelque traces dans l’esprit actuel de ces diverses communautés, qui se disputent sans cesse de prééminence, d’ancienneté, et qui cherchent à s’isoler ; à moins que ce ne soit l’idée générale de tout ce qui forme une société particulière.

Ces corps politiques n’entrèrent pas toujours dans les vues des législateurs, et dans les temps de troubles ils facilitèrent quelquefois la rébellion. On les a vu à Gand s’armer contre leurs maîtres en 1301. Jacques d’Artevel, en 1336, de brasseur de bière, devint le chef des Flamands par son crédit parmi les communautés : en 1404, les ouvriers de Louvain égorgèrent leurs magistrats.

Chez des peuples plus fidèles, les souverains en ont retiré d’assez grands secours.

En Angleterre ces privilèges forment une partie de la liberté politique. Ces corporations s’y appellent mistery, nom qui convient assez à leur esprit. Partout il s’y est introduit des abus. En effet ces communautés ont des lois particulières, qui sont presque toutes opposées au bien général et aux vues du législateur. La premiere et la plus dangereuse, est celle qui oppose des barrières à l’industrie, en multipliant les frais et les formalités des réceptions. Dans quelques communautés même où le nombre des membres est limité, et dans celles où la faculté d’en être membre est restreinte aux fils des maîtres, on ne voit qu’un monopole contraire aux lois de la raison et de l’État, une occasion prochaine de manquer à celles de la conscience et de la religion.

Le premier principe du commerce est la concurrence ; c’est par elle seule que les arts se perfectionnent, que les denrées abondent, que l’État se procure un grand superflu à exporter, qu’il obtient la préférence par le bon marché, enfin qu’il remplit son objet immédiat d’occuper et de nourrir le plus grand nombre d’hommes qu’il lui est possible.

Il n’est aucune exception à cette règle, pas même dans les communautés où il se présente de grandes entreprises. Dans ces circonstances, les petites fortunes se réunissent pour former un capital considérable, les intérêts de la société en sont plus mêlés : le crédit de ces fortunes divisées est plus grand que s’il était réuni sur deux ou trois têtes ; et dans le cas même où elles ne se réuniraient pas, dès qu’il y a beaucoup d’argent dans une nation, il est constant qu’aucune entreprise lucrative ne manquera d’actionnaires.

Les profits des particuliers diminueront, mais la masse générale du gain sera augmentée ; c’est le but de l’État.

On ne peut citer dans ces matières une autorité plus respectable que celle du célèbre Jean de Wit : voici ce qu’il dit au ch. x. de la premiere partie de ses mémoires.

« Le gain assuré des corps de métiers ou de marchands, les rend indolents et paresseux, pendant qu’ils excluent des gens fort habiles, à qui la nécessité donnerait de l’industrie : car il est constant que la Hollande qui est si chargée, ne peut conserver l’avantage de tenir les autres peuples hors du commerce, que par le travail, l’industrie, la hardiesse, le bon ménage, et la sobriété des habitants. . . . . . . Il est certain que les Hollandais n’ont jamais perdu aucun commerce en Europe par le trop grand transport des marchandises, tant que le trafic a été libre à un chacun ».

Ce qu’a dit ce grand homme pour le commerce et les manufactures de sa patrie, peut être appliqué à tous les pays. L’expérience seule peut ajouter à l’évidence de son principe : comme de voir des communautés dont les apprentis ne peuvent être mariés ; règlement destructif de la population d’un État : des métiers où il faut passer sept années de sa vie en apprentissage ; statut qui décourage l’industrie, qui diminue le nombre des artistes, ou qui les fait passer chez des peuples qui ne leur refusent pas un droit que mérite leur habileté.

Si les communautés des marchands ou des artistes veulent se distinguer, ce doit être en concourant de tout leur pouvoir au bien général de la grande société : elles demanderont la suppression de ceux de leurs statuts qui ferment la porte à l’industrie : elles diminueront leurs frais, leurs dettes, leurs revenus ; revenus presque toujours consommés en mauvais procès, en repas entre les jurés, ou en autres dépenses inutiles ; elles conserveront ceux qu’emploient les occasions nécessitées, ou quelque chose de plus, pour récompenser d’une main équitable, soit les découvertes utiles relatives à leur art, soit les ouvriers qui se seront le plus distingués chaque année par leurs ouvrages.

L’abus n’est pas qu’il y ait des communautés, puisqu’il faut une police ; mais qu’elles soient indifférentes sur le progrès des arts mêmes dont elles s’occupent ; que l’intérêt particulier y absorbe l’intérêt public, c’est un inconvénient très honteux pour elles. Sur le détail des communautés, consultez le Dictionnaire du comm., et les différents articles de celui-ci. Art. de M. V. D. F.

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