Avant-propos de l’Histoire du travail de Frédéric Passy (1872)

L’HISTOIRE DU TRAVAIL

par

FRÉDÉRIC PASSY

LIBRAIRIE FRANKLIN

1872


AVANT-PROPOS.

Connais-toi toi-même, disait l’oracle antique au philosophe qui lui venait demander le secret de la sagesse.

Connais-toi toi-même, dit la science moderne à l’humanité qui lui demande la formule du bonheur.

Connais-loi toi-même, afin de savoir et ce que comporte ta nature et ce qu’elle ne comporte pas ; et ce qu’a été pour toi le passé et ce que peut être l’avenir ; et quelles prétentions te sont interdites comme vaines, et quelles espérances te sont commandées comme légitimes. L’histoire est la leçon des rois, disait-on jadis ; il est temps qu’elle devienne la leçon des peuples, et plaise à Dieu qu’elle leur profite davantage ! Mais pour cela sans doute il ne faut pas que ce soit la même histoire. L’histoire à l’usage des rois était l’histoire de quelques personnages en vue, rois ou autres, et de leurs faits et gestes ; l’histoire-bataille, comme on l’a appelée, ou l’histoire des cours. L’histoire à l’usage des peuples doit être l’histoire de tous et l’histoire de tous les jours ; l’histoire de la vie courante et de ses épreuves : l’histoire du travail, comme on l’a dit encore. Mais cette histoire est nouvelle : car il n’y a pas longtemps qu’on l’a jugée digne d’attention ; et elle est immense, car elle embrasse le cercle entier de l’activité humaine, sous toutes les formes, à tous les âges et dans tous les pays. La retracer complètement serait encore, à cette heure, selon toute apparence, au-dessus des forces des mieux préparés : l’esquisser seulement est difficile ; et ce n’est pas sans une vive préoccupation de l’insuffisance de cette étude que je me détermine à lui laisser prendre rang parmi les excellentes livraisons de la Bibliothèque Franklin. Telle qu’elle est toutefois, elle a, si je ne me trompe, dans ces dimensions au moins, l’avantage d’être la première. Elle a aussi, ou mes efforts auraient bien mal répondu à mes intentions, le mérite d’être sincère et de n’être ni une œuvre de parti pris ni une œuvre de parti. C’est de bonne foi que j’ai cherché, dans les faits loyalement et sérieusement étudiés, la vraie leçon de l’histoire. Je n’en suis que plus heureux si cette leçon, pour ceux qui prendront la peine de me lire comme pour moi-même, est une leçon de courage et d’espérance, d’équité envers le passé et de foi dans l’avenir ; et si le dernier mot dans lequel elle se résume est ce mot si puissant, mais si mal compris d’ordinaire : le progrès. Le progrès, non pas sans effort, mais par l’effort ; non pas subit et sans conditions, mais graduel et mérité. Le progrès grâce au travail, en un mot, mais grâce au travail, honoré, compris et respecté, au travail dans la justice et dans la liberté.

FRÉDÉRIC PASSY

A propos de l'auteur

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