Causes de la rareté de l’argent, et éclaircissement des mauvais raisonnements du public à cet égard

Causes de la rareté de l’argent, et éclaircissement des mauvais raisonnements du public à cet égard

(Texte écrit en 1704, et publié en 1707.)

 

La rareté et cherté que l’on voit aujourd’hui des espèces d’or et d’argent, sont moins surprenantes que les raisons que l’on en allègue, lesquelles, étant entièrement fausses, sont cause que bien loin d’user de justes démarches pour arrêter le mal, on prend entièrement le contre-pied ; et la difficulté de recouvrer ces métaux donne occasion de redoubler les manières qui le font disparaître et séquestrer du commerce, comme on peut dire qu’il arrive tous les jours.

L’erreur vient de ce que, par un aveuglement effroyable, on regarde en France ce métal comme un principe de richesse et fruit du pays, ainsi qu’il est au Pérou où, prenant naissance, il n’y croît aucunes denrées : au lieu que la France les produisant toutes, il n’est que le lien du trafic et le gage de la tradition mutuelle, lorsqu’à cause de leur multiplicité elle ne se peut pas faire immédiatement, comme dans l’enfance du monde, dans laquelle tous les besoins de la vie se réduisant à trois ou quatre professions, et toutes les conditions étant presque égales, le commerce s’en faisait de main à main, sans ce ministère de gages ni d’appréciations, ainsi qu’à présent.

En effet, un homme qui a dix mille livres de rente en terres n’est point un sujet sur les fonds duquel il croisse dix mille francs d’argent, mais bien pour la valeur ou l’équivalent de dix mille livres de blés ; de même d’un propriétaire de vignes ou d’une forêt. Or, comme chacun de ces particuliers ne peut ni consommer pour son usage personnel pour dix mille livres de chacune de ces denrées, ni se passer des autres besoins de la vie, qui sont en bien plus grand nombre, il faut que chaque possesseur de ces biens singuliers en échange l’excédent par parcelles avec ses voisins, qui se trouvent dans la même situation à l’égard des autres. Et comme, encore une fois, ce commerce ne se peut faire immédiatement à cause de la grande diversité, l’argent, par un consentement commun, devient le garant de la livraison future de la chose que le premier vendeur a intention de se procurer, lorsque celui avec qui il contracte n’en est pas actuellement marchand, comme il arrive presque toujours.

Un laboureur qui vend du blé à un marchand de brocart, ne peut pas prendre de cette denrée en échange, n’étant point de son usage ; mais il reçoit de l’argent qu’il donne à un ouvrier de souliers ou de gros drap, lesquels, tenant leur maison à loyer d’un grand seigneur, ils lui remettent cet argent du laboureur reçu du marchand de brocart, qui lui est restitué ou compensé par ce propriétaire de maison, qui reçoit en contre-échange ce brocart, suivant l’intention des deux premiers contractants ; et cette circulation est toujours la même, quand le tout n’aurait été effectué qu’après le passage de deux cents mains ou professions qui composent aujourd’hui la France, comme il est même nécessaire que cela soit pour leur commun maintien, ayant toutes une solidité d’intérêt entre elles, qui fait que le dépérissement de l’une attire aussitôt celui de l’autre ; quoiqu’on peut dire que, par une corruption effroyable, il n’y en a pas une qui ne travaille depuis le matin jusqu’au soir à se détruire réciproquement, et qui ne voulût vendre sa marchandise trois fois plus qu’elle ne lui revient, et avoir celle de son voisin pour trois fois moins qu’elle ne lui coûte à établir.

Il résulte de tout ceci que, dans l’état d’opulence et de fourniture entière à tous les hommes de leurs besoins, l’argent n’en est rien moins que le principe, mais seulement le garant de ces échanges et de la fidèle exécution de l’intention des contractants, quand elle ne se peut effectuer immédiatement.

Il y a même plus : dans les conjonctures de richesse et que toutes choses sont en valeur, non seulement l’argent n’est point le principe de l’opulence, mais même il est dispensé de la plupart de ces fonctions de garantie ; comme il n’y a que les pauvres qui aient besoin de caution, et une infinité de particuliers étant riches à proportion de leur état, leur billet vaut d’argent et maintient cette circulation et cet échange continuel que les espèces faisaient auparavant, avec même plus de facilité et d’agrément, par la commodité du transport aisé que cette sorte de monnaie a par-devers elle, et une assurance contre les enlèvements violents : c’est de cette manière que les foires de Lyon sont menées, lesquelles consistant en plus de quatre-vingts millions de paiements par an, il n’y en a pas un en argent comptant, tout se faisant par billets, lesquels, après une infinité de mains, retombent toujours au premier tireur, où il n’échoit qu’une compensation.

C’est alors que l’on dit ridiculement que tout abonde d’argent, parce que cette matière si précieuse dans les temps de disette devient absolument à rebut dans ceux d’abondance, la garde en étant tout à fait infructueuse, au contraire des autres denrées, sur lesquelles on peut faire sa fortune, et étant réduite à n’avoir d’usage que chez le menu peuple, qui trouve extrêmement son compte dans cette situation, il n’y repose jamais un moment, mais voltige toujours ; un même écu, passant par cent mains en une journée, fait estimer autant d’argent nouveau ce qui n’est qu’une seule espèce.

Dans cette situation, l’argent étant presqu’inutile dans le commerce, le gros se faisant entièrement avec des billets par la solvabilité des contractants, et le menu presqu’à crédit, tous les ouvriers, par la valeur soutenue de leurs denrées réciproques, n’ayant pas besoin d’autre garant que les denrées mêmes, et l’argent n’y ayant point d’autres fonctions que de servir de caution à leur défaut, il reste encore une fois presque partout inutile, ce qui le fait détourner en des usages étrangers, savoir, à la magnificence, où l’orfèvre tient le premier lieu, ensuite à des manufactures, et des embellissements des temples et des maisons, ce qui, joint à la consommation des marchandises orientales, que l’on ne peut recouvrer qu’avec le transport des espèces en des pays d’où elles ne reviennent jamais, en absorbe beaucoup davantage que toutes celles que l’on suppose être passées en Italie et en Allemagne ces années dernières. Or la conjoncture de disette de ce métal, telle qu’elle est aujourd’hui, non seulement arrête ces détours, mais même fait restituer au commerce tout ce qui est possible, ou qui n’est pas entièrement anéanti ; en sorte que, tout compensé, cela égale au moins ces prétendus transports hors le royaume à cause de la guerre.

Voilà l’état où était la France en 1660, que l’argent se trouvait très commun et très à rebut, quoiqu’il en existât constamment beaucoup moins qu’il ne peut y en avoir à présent, par rapport aux réformes de 1642, 1689, et 1694, et cette denrée était si peu l’unique bien, comme aujourd’hui, que l’on préférait presque par toutes les provinces un morceau de parchemin ou les provisions d’une charge de robe sans nul revenu, à cent sacs de mille francs, et l’on voulait en avoir davantage ; et à présent, cet effet ou ce parchemin, préféré à cent mille francs, n’a pas cet avantage sur trente pistoles, et l’on aime mieux cette modique somme, par une cessation de paulette commencée, que de s’assurer une chose autrefois si précieuse, et présentement si fragile. Dira-t-on que c’est manque d’argent, et que c’est qu’il y en a trois cents fois moins, ainsi qu’il serait nécessaire d’alléguer à présent, qu’il ne s’en trouvait en 1660 ? Comme cela serait ridicule à énoncer, et que tous les autres effets ont reçu à peu près le même sort, les uns plus, les autres moins, il est à propos d’en circonstancier la cause, quoiqu’elle saute aux yeux de tout le monde.

On a dit que la richesse consistant dans la possession de tous les besoins de la vie, ce qui ne pouvant être sans le ministère d’une infinité d’ouvriers, il faut qu’il soient dans un commerce perpétuel pour se soutenir réciproquement par un échange continuel, le maintien ou la destruction de chaque denrée en particulier devenant aussitôt solidaire à tout le corps.

Ce sont les fruits de la terre qui commencent ce mouvement, savoir les blés et les vignes : et c’est à l’aide de l’excédent de ces deux denrées que les propriétaires des fonds se procurent tout le surplus, dont la fabrique sont les terres, comme les mains des ouvriers sont les mains dont ils subsistent et se procurent par échange le pain, le vin et le reste. Il est donc nécessaire d’y soutenir les proportions de prix, afin que les uns ni les autres ne vendent point à perte ; laquelle situation subsistant dans sa perfection, la solvabilité réside toujours dans chaque sujet par la valeur de son ouvrage ; et le contraire arrivant à un de ces personnages, qui jouent tous leurs rôles dans la république, le déchet rejaillit incontinent sur tous les autres à proportion de la figure qu’ils y font ; ce qui, comme un levain contagieux, va toujours en augmentant, et fait enfin dépérir des contrées entières si on n’y met ordre.

Or les vins et les blés ayant été bombardés d’une façon effroyable depuis quarante ans, savoir, les grains par les défenses d’enlèvement au dehors dans le temps d’abondance, ce qui en avilit si fort le prix, comme il arrive aujourd’hui, qu’il n’atteint pas à la moitié des frais de la culture, bien loin de remplir les autres charges, comme le paiement des impôts et du fermage, et les vins par des tributs sentant plutôt la confiscation que la contribution, il est arrivé que l’une et l’autre de ces denrées ont rendu leurs possesseurs très misérables, et mis par conséquent hors d’état de se procurer de tous les autres ouvriers le surplus des besoins de la vie, ce qui par contrecoup les a également anéantis : un laboureur demeure sans souliers, sans chapeau et sans habits, parce qu’il n’a su trouver dans le prix de la vente de ses denrées, après la quote-part de son nécessaire, sur une seule espèce, de quoi se procurer les autres choses. Et par la même cause, le chapelier, le drapier et le cordonnier n’ont pu recouvrer par leur travail, qui leur est demeuré inutile, de quoi avoir du pain et du vin de ce laboureur et vigneron, chaque espèce périssant par l’abondance de sa denrée personnelle et la disette d’une autre, pendant que les uns et les autres auraient pu être très riches et très heureux si l’échange et le trafic continuels, qui sont nécessaires pour l’harmonie de l’État et le commun maintien, n’avaient été interrompus par des coups violents et jetés dans le misérable état où tout est à présent.

Et la raison que l’on apporte de ce désordre, savoir, le manque d’argent, est le comble du ridicule, puisqu’outre que dans la situation florissante de chaque profession il n’est presque pas nécessaire, attendu la solvabilité visible de tous les sujets, tirée de la valeur de leurs denrées, ce qui forme autant d’espèces de monnaie, lesquelles dispensent l’argent de la plupart de ses fonctions, pour surcroît, l’argent même, dans cette conjoncture de consommation abondante, changeant à tous moments de main, a la même vertu que si c’étaient toujours des espèces nouvelles.

Au lieu que dans ce déconcertement de commerce, par les raisons marquées, toutes les denrées, loin d’être de l’argent, ne sont que de fumier, ainsi nulle solvabilité dans les possesseurs. Un laboureur a beau avoir plein sa maison de vins, de grains et de bestiaux, tout le monde voyant que par le bas prix il n’a pas de quoi satisfaire à son maître pour le fermage, qui est toujours le premier pris, qui que ce soit ne lui veut confier aucune des denrées dont il a besoin, dans la certitude où l’on est que l’on n’en serait jamais payé. Tout comme le cordonnier, le chapelier et le drapier se trouvent dans la même situation par la même cause : c’est en vain que leurs boutiques sont pleines de marchandises, le manque de débit arrivé par ce premier principe de destruction du laboureur les met hors de crédit, puisque pareillement, dans la vente de leurs biens, le louage de maison emporterait tout. Il faut donc partout là le ministère de l’argent, c’est-à-dire qu’il lui arrive cent fois plus de fonction qu’il n’en avait auparavant ; ce qui devant l’obliger à augmenter sa célérité dans sa marche, il arrive tout le contraire, et il réside des mois entiers dans des mains où il n’aurait pas été un moment de temps auparavant, attendu que, comme dans les temps d’abondance, qui que ce soit ne s’en dessaisit qu’à proportion qu’il espère le pouvoir faire rentrer, réglant sa dépense à sa recette. Et un homme qui a trente mille livres de rente, dépensant cent francs par jour, tout comme un autre qui n’en a que la dixième partie, ne débourse que la même quantité, et ainsi de tous les autres, soit ouvriers ou propriétaires ; du moment que tous ces sujets voient la certitude de la diminution de leur recette future, ils en font autant de leur dépense, et par conséquent de la sortie de l’argent. Et comme non seulement une personne ou deux se trouvent dans cette disposition, mais généralement tout le monde, chacun renchérissant sur son compagnon, comme étant la conduite la plus sage et qui seule peut empêcher ou retarder le dépérissement, on ne doit pas s’étonner de voir la rareté et cherté de l’argent, mais non pas en apporter les pitoyables raisons que l’on en allègue aujourd’hui, ni en accuser le manque d’existence, mais seulement la grande survenue de nécessité de fonctions personnelles, et d’obligations en même temps de diminuer son service par celui de son cours.

À cet ennemi de l’opulence publique et de la circulation de l’argent, il en survient un autre non moins rempli de désastres, qui est la nécessité pressante de fournir les besoins du Roi : comme il a sa part de ces dépérissements de revenu qui diminuent pareillement ses biens, on attaque personnellement les immeubles et l’argent même, on leur livre la guerre ; ce qui, par le premier, sape quantité de fabriques de monnaie, savoir, le crédit, qui n’est qu’à proportion de la valeur des fonds que l’on possède, qui s’en va avec leur destruction ; et par cette guerre que l’on fait à l’argent, on ajoute aux nécessités de sa longue garde, que l’on vient de remarquer, celle de la crainte d’en être dépossédé contre sa volonté ; outre que par la jurisprudence établie, étant difficile de compter quels biens on peut posséder avec certitude, et n’y ayant nulle assurance que la quotité de sa contribution aux besoins du prince ne soit pas sa dépouille entière, il arrive de là que l’argent seul pouvant se séquestrer à cette conduite, il acquiert non seulement par là une préférence, mais même une singularité de prix sur les autres denrées, ce qui les réduit toutes en fumier et fait qu’il arrive comme dans les banqueroutes, où l’on donne tout pour peu de chose afin d’avoir de l’argent, qui seul peut être hors d’atteinte des créanciers et de ceux à qui il est dû, ce qui est la ruine d’un État, et ce qui, se faisant par tromperie dans les banqueroutes, se pratique par prudence dans la conjoncture présente et porte en même temps la rareté de l’argent en un point infini.

L’effet de ces dispositions est que la moitié de la France est misérable, parce qu’elle est privée de pain, de vin, de viande et des autres denrées nécessaires, comme est tout le menu peuple et les gens vivant de leur travail ; et l’autre partie, qui sont les propriétaires des fonds, périt également par la trop grande abondance de toutes ces choses, dont elle ne peut trouver de débit ; en sorte qu’il en arrive comme dans la nourriture de deux sujets particuliers, dont l’un meurt de faim, et l’autre de réplétion pour avoir pris trop d’aliments, pendant que la compensation de ces extrémités aurait sauvé l’un et l’autre. Dans un corps d’État comme la France, qui souffre ce sort aujourd’hui, c’est à l’argent à en faire l’alliage et le trafic, pour former deux perfections de deux grandes défectuosités ; or, depuis quarante ans, la surprise de Messieurs les ministres est si grande que toutes leurs attentions, depuis le matin jusqu’au soir, ne tendent qu’à le priver de ces fonctions si nécessaires, pour lesquelles seules il a été introduit dans le monde, et surtout dans les pays comme ce royaume, où il n’est pas un fruit de terroir ainsi qu’au Pérou ; en sorte qu’il y a un divorce continuel entre l’argent et les denrées, au lieu d’être dans un commerce perpétuel, ce qui en fait par conséquent autant des denrées mêmes.

L’argent n’est point rare faute d’existence, mais parce qu’étant nécessaire qu’il marche toujours si on veut voir de l’opulence, on met tous les hommes aujourd’hui dans la cruelle nécessité de ne s’en dessaisir qu’à la dernière extrémité.

L’argent est rare, parce que sa nature étant de garantir la tradition des échanges lorsqu’ils ne se font pas immédiatement, et partageant cette fonction avec une infinité d’autres effets, soit meubles et immeubles, dont les porteurs de procuration étaient le papier et le parchemin, leur destruction lui renvoie tout le fardeau personnellement sur le corps, pendant que bien loin qu’il lui soit permis d’augmenter la vitesse de sa marche par ce surcroît d’occupation, c’est cela même qui la retarde, comme l’on vient de marquer.

L’argent est rare, attendu que, dans les temps d’abondance, ne formant la vingtième partie des biens, dont une infinité avaient une préférence entière sur une quantité effroyable de ce métal ; et tous, quels qu’ils fussent, ont une concurrence certaine et proportionnée au prix ordinaire des choses ; à présent, il n’y a plus que lui seul qui se puisse appeler richesse.

L’argent est rare enfin, attendu qu’outre toutes les raisons marquées on lui fait la guerre, et que l’on le veut enlever malgré la volonté du possesseur, et qu’il lui en arrive comme on verrait aux hommes si on les prenait par force : tous s’iraient cacher dans des retraites et des cavernes ; et si quelqu’un venait dire alors qu’ils sont morts ou ont passé dans les pays étrangers, il serait assurément estimé extravagant. C’est à peu près le même raisonnement que l’on fait aujourd’hui de l’argent, et comme il ne faudrait qu’un moment pour faire reparaître ces hommes, il n’est pas nécessaire de davantage de temps pour rendre l’argent plus commun qu’il ne fût jamais, et par conséquent le Roi et tous ses sujets très riches : il n’y a qu’à accorder la paix aux immeubles, ce qui se peut en un instant, ainsi qu’à la consommation des denrées, par l’adoucissement de quelques droits violents, et aussitôt les uns et les autres, sortant du néant, redonneront par leur résurrection un concurrent à l’argent, qui le dispensera ou partagera avec lui plus de dix-neuf de ses fonctions sur vingt, avec un surcroît de vitesse dans sa marche à l’égard de ce qui lui en restera, par où toute l’opulence sera rétablie, qui est le principe de la fourniture des besoins du Roi, et non pas la destruction de cette harmonie, comme on a pensé faussement jusqu’ici, sans que la tentative d’une pareille expérience mette rien au hasard, quoique cette sorte de sûreté ait été peu exigée jusqu’ici dans les essais que l’on a faits, souvent inutilement, pour faire recevoir de l’argent au Roi.

Tous ces raisonnements, qui ne sont qu’un précis très certain de la pratique journalière, n’auront qu’une idée de visions creuses et de spéculation chez les personnes qui n’ont elles-mêmes que la simple théorie du commerce et du labourage, dont il n’y a que le seul usage qui en puisse apprendre les véritables intérêts ; de même que c’est cette seule ignorance qui peut excuser la grande dérogeance qu’on y apporte tous les jours, ou plutôt à l’utilité du Roi et des peuples, dont le rétablissement dans une félicité entière ne pend ici qu’en un filet, puisque l’un et l’autre, ne consistant que dans une ample jouissance de tous les besoins, abondent si fort en France qu’il s’en perd trois fois plus, tant excrus qu’à excroître, qu’il ne s’en consume ; et l’argent, à qui il appartient seulement d’en faire le mélange ou l’impartition, et non d’en être le principe, loin de manquer de garantie ou de refuser son ministère, est tous les jours condamné à une oisiveté qui énerve toute sa force, ainsi que de ses commissionnaires, savoir, le papier, le parchemin et le crédit ; ce qui n’arrivant que par une violence continuelle, il n’est question que d’un moment, c’est-à-dire d’une simple cessation de volonté déterminée qui maintient les choses au misérable état où l’on les voit ; et aussitôt la nature agissant dans toute sa liberté, toutes les denrées reprendront la vigueur que l’on leur a vue autrefois.

 

A propos de l'auteur

Personnage haut en couleur, mais à l'esprit brillant, Pierre de Boisguilbert mérite le titre de fondateur de l'école française d'économie politique. Par sa critique des travers de l'interventionnisme et sa défense du laissez faire, il a fourni à ses successeurs un précieux héritage.

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