Chronique (Journal des économistes, mars 1883)

Chaque mois, entre  1881 et 1909, Gustave de Molinari a publié une chronique politique et économique dans le Journal des économistes, commentant lactualité française et internationale sous un angle résolument libéral. Au programme notamment, dans cette livraison de mars 1883, le développement du socialisme et du communisme, les tensions entre Arabes et Français en Algérie, la décentralisation, et la réforme du tarif des douanes aux États-Unis.


 Chronique par G. de Molinari, Journal des économistes, mars 1883.

 

SOMMAIRE : Les causes de la décadence de l’industrie parisienne. — La manifestation du 9 mars. — Les coupes de poing et autres remèdes socialistes. — Échec de M. Jules Guesde, candidat collectiviste révolutionnaire, à Belleville. — La colonisation officielle en Algérie. — Pourquoi les Arabes maudissent les « chiens de chrétiens ». — L’exclusion des ouvriers étrangers dans les ateliers du département de la guerre. — Le monopole du gaz à Paris. La réduction autocratique du prix du gaz. — L’imprimerie municipale. — La loi municipale et le socialisme communal. — Les autonomistes bourgeois et les autonomistes communards. — Le déficit du budget et le socialisme en Hollande. — La situation des paysans en Italie. — La « main noire » en Espagne. — L’accaparement des chemins de fer par l’État en Prusse. — La réforme du tarif aux États-Unis. — La proportion de la main-d’œuvre dans le prix des articles manufacturés. — La prohibition de l’Armée du Salut en Suisse.

 

 

Paris est à la fois la capitale du pays le plus centralisé qui fut jamais et, par conséquent, le foyer des mouvements et des agitations politiques, un grand centre d’industrie, de commerce et d’affaires financières, une ville de luxe et de plaisirs qui attire les curieux et les oisifs des cinq parties du monde. Ces spécialités si différentes qui s’y trouvent rassemblées contribuent sans doute à accroître sa population, sa richesse et son prestige ; mais on ne saurait se dissimuler que cette agglomération, en partie naturelle, en partie artificielle, d’industries et de services hétérogènes présente parfois de sérieux inconvénients. Les agitations politiques nuisent à l’industrie ; celle-ci concentre à Paris une énorme population ouvrière qui sert d’instrument aux agitateurs et dont l’intervention dans les choses de la politique n’a pas contribué depuis un siècle à rendre les gouvernements plus stables ; enfin, la nécessité réelle ou supposée d’embellir une ville qui sert de siège au gouvernement et qui est le rendez-vous favori des étrangers a déterminé l’accroissement rapidement progressif des dépenses municipales. Tandis qu’en 1806 le budget de la ville de Paris ne dépassait pas 18 500 000 fr. pour une population de 550 000 habitants, il atteint aujourd’hui 263 millions pour 2 200 000, autrement dit les dépenses municipales se sont augmentées dans la proportion de 1 à 14, tandis que la population s’est accrue seulement dans la proportion de 1 à 4. Or, d’une manière ou d’une autre, les impôts auxquels il faut bien recourir pour couvrir les dépenses finissent toujours par retomber sur les consommateurs. La vie est donc devenue de plus en plus chère à Paris, et il en est résulté une augmentation correspondante dans le prix de revient d’un des deux grands facteurs de la production : le travail. Le salaire est plus élevé à Paris qu’ailleurs sans procurer cependant à l’ouvrier une plus grande abondance des matériaux de l’existence. Aussi longtemps que l’industrie parisienne a joui d’une sorte de monopole, dû à la supériorité du goût de ses entrepreneurs et de ses ouvriers artistes, elle a pu supporter cet excès de charges, mais, depuis un certain nombre d’années, ce monopole est en train de disparaître ; on fabrique maintenant les articles Paris, les meubles, la bimbeloterie, les modes, etc., à Vienne, à Bruxelles, et même à Berlin ; si Paris l’emporte encore dans quelques industries d’art sous le rapport du goût, sa supériorité est bien moins accusée qu’elle ne l’était autrefois et elle ne suffit plus pour compenser celle du prix. L’industrie parisienne est obligée de compter de jour en jour davantage avec la concurrence, et elle ressent par conséquent de plus en plus les inconvénients de l’enchérissement artificiel de ses frais de production. Cette cause de décadence pourrait à la vérité être combattue, sinon neutralisée, d’une part, au moyen de l’abaissement des droits sur les matériaux de l’industrie, bois, métaux, étoffes ; d’autre part, au moyen du renouvellement de l’outillage et, en particulier, de l’introduction des machines-outils dans la fabrication des meubles par exemple. Mais les doctrines libre-échangistes ne sont pas précisément en faveur aujourd’hui, à quoi il faut ajouter que le monopole dont ils ont joui pendant si longtemps a gâté les industriels parisiens en leur donnant la conviction qu’ils n’ont plus de progrès à faire ; au lieu de chercher les causes réelles du mal dont ils souffrent et d’aviser eux-mêmes aux moyens d’y porter remède, en tant que la chose dépend d’eux, ils accusent les ouvriers et se plaignent amèrement dans une adresse au président de la République des « exigences croissantes de la main-d’œuvre », tandis que les chambres syndicales d’ouvriers attribuent, dans une adresse analogue, les souffrances de l’industrie à « la faiblesse des pouvoirs en face des menées des partis monarchiques et à leur condescendance par trop prudente vis-à-vis des gouvernements étrangers ». Les uns paraissent ignorer absolument que la fixation du prix de la main-d’œuvre ne dépend pas plus des ouvriers que celle du taux de l’intérêt ou des profits ne dépend du capitaliste ou de l’industriel ; les autres, encore plus ignorants s’il est possible, s’imaginent apparemment que les « pouvoirs », en prenant une attitude énergique vis-à-vis des gouvernements étrangers, pourraient les contraindre à empêcher leurs nationaux de faire concurrence aux articles Paris.Certains ouvriers — est-ce bien des ouvriers ? — ont trouvé quelque chose de mieux encore pour mettre fin à un état de malaise et de crise, qui provient à la fois des causes permanentes dont nous venons de donner un aperçu et de causes accidentelles, telles que le ralentissement de l’industrie du bâtiment, c’est de faire des « manifestations » dans la rue, Dans la nuit du 8 mars, l’affiche suivante a été placardée sur les murailles :

 

GRAND MEETING PUBLIC

en plein air

DES OUVRIERS SANS TRAVAIL

sur l’esplanade des Invalides

le vendredi 9 mars 1883, à 1 heure.

Ordre du jour.

 

Inviter le gouvernement à prendre des mesures immédiates pour donner du pain à ceux qui n’en ont pas.

Camarades,

En présence des chômages et de la misère que nous subissons ; vu l’indifférence de ceux qui nous gouvernent, un grand nombre d’entre nous ont pris l’initiative de ce meeting ; pas un de vous ne manquera ce rendez-vous pacifique pour bien démontrer notre droit à l’existence ; si notre riche République n’a plus de pain à nous donner, elle doit au moins nourrir le créateur de sa richesse, son plus ferme soutien, l’ouvrier. 

Quelques milliers d’ouvriers, plus ou moins authentiques, et un plus grand nombre de curieux se sont rendus à cette invitation ; des bandes d’agitateurs et d’agités se sont rendues sur l’esplanade des Invalides, d’où elles ont été expulsées par la police ; mais, chose plus sérieuse et qui ne s’était point vue, croyons-nous, depuis la première révolution, deux boutiques de boulangers ont été envahies et pillées rue de Sèvres. Les désordres ont recommencé le dimanche suivant, mais sans avoir la même gravité.

Des « manifestations » de ce genre ont pour effet naturel d’effrayer les capitaux qui alimentent l’industrie et de chasser les étrangers qui comptent dans la portion la plus riche de la clientèle du commerce parisien. Est-ce bien un moyen de remédier à la misère et aux chômages ?

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Dans un meeting des corporations de l’ameublement tenu le 11 mars, rue de Lyon, l’Assemblée a décidé qu’il serait adressé des pétitions au Conseil municipal et aux Chambres, en vue d’obtenir :

« Les mesures propres à abaisser le taux des loyers ;

L’utilisation des terrains appartenant à la ville pour des constructions offrant aux ouvriers des logements à des prix modérés ;

Une loi limitative de la journée de travail, afin d’éviter l’excès de la production et de répartir le travail sur l’année entière, autant que possible ;

La diminution des droits de douane sur les matières premières combinée avec la surtaxe des objets fabriqués ;

La réduction des impôts sur les objets de première nécessité ;

La suppression de la concurrence résultant du travail des prisons ;

Enfin, la mise à exécution le plus rapidement possible de grands travaux publics de ville ou d’État.

Une proposition tendant à la création d’ateliers municipaux a été renvoyée comme grosse de conséquences nécessitant une étude spéciale. »

Dans un autre meeting, tenu le même jour, salle Rivoli, M. Yves Guyot, ayant commis l’imprudence de déclarer qu’il ne croyait pas aux panacées universelles et aux remèdes sociaux qui guérissent d’une manière instantanée, on lui a fermé la bouche à coups de poing. Cette argumentation naturaliste n’était-elle pas mieux que toute autre à la portée d’un public recruté dans les assommoirs ? 

Enfin, le comité national du parti ouvrier socialiste révolutionnaire a publié, à propos de la manifestation de l’esplanade des Invalides, une déclaration par laquelle il donne mandat au citoyen Joffrin, conseiller municipal, de demander :  

« L’établissement par la commune d’industries municipales, pour qu’en vertu de leur droit à l’existence, les travailleurs mis à pied par les crises, les grèves et les transformations de l’outillage, reçoivent du travail, et que la commune s’achemine ainsi du régime de la propriété privée au régime de la propriété publique.

Et, pour attendre que cette proposition puisse porter ses fruits, lui donne mandat, en outre, de demander le vote d’une somme dont le chiffre reste à fixer, somme qui serait répartie par les corporations ouvrières en secours immédiats. »

On peut mettre fin aux manifestations de la rue ; malheureusement, il n’est pas aussi facile de remédier aux désordres de l’intelligence. 

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Constatons toutefois avec satisfaction que les électeurs de Belleville n’ont donné, le même dimanche 11 mars, qu’une insignifiante minorité de 476 voix à M. Guesde, candidat collectiviste révolutionnaire et auteur de la profession de foi flamboyante que nous reproduisons dans le Bulletin.

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Un correspondant du Journal des Débats, fort au courant des affaires de l’Algérie, constate, à son grand regret, que l’administration française est aujourd’hui plus antipathique que jamais aux indigènes, et que la haine entre ceux-ci et les colons européens va croissant tous les jours. 

« Il est impossible de nier que nous avions plus d’action sur les Arabes, il y a vingt-cinq ans, il y a douze ans même. L’éloignement, la répulsion entre les deux populations est visible ; on peut le constater partout, dans les villes, sur les marchés, dans les rues, dans les rapports d’ouvriers à patrons. Si le musulman murmure à toute occasion : ‘que Dieu maudisse les chiens de chrétiens !’ combien de fois n’ai-je pas entendu des femmes européennes de la classe moyenne dire : ‘J’aime mieux qu’on maltraite un Arabe qu’un chien.’ »

Les Anglais possèdent dans l’Inde 40 millions de sujets musulmans, qui ont accepté leur domination et qui vivent en bonne intelligence avec l’élément européen. Comment se fait-il que les Français, qui sont cependant moins raides et orgueilleux que les Anglais, n’aient pas réussi à se concilier les musulmans de l’Algérie ? Ah ! cela tient à ce que l’administration, au lieu de se montrer également impartiale et équitable à l’égard de ses administrés algériens, qu’ils soient arabes, français, espagnols, chrétiens, juifs ou musulmans, s’est mise de plus en plus au service des intérêts et des passions des colons, dont le seul rêve est de déposséder les Arabes.

La « colonisation officielle » est devenue, comme on sait, l’instrument de la spoliation de l’élément arabe. On s’empare des meilleures terres des indigènes ; on laisse trainer pendant des années le règlement de l’expropriation, sous le prétexte que les titres de propriété des expropriés ne sont pas en règle. Puis on s’étonne naïvement que les Arabes maudissent les « chiens de chrétiens ».

Ajoutez à cela l’hypocrisie libérale du langage des représentants officiels des intérêts algériens, la pression qu’ils exercent sur l’administration et à laquelle elle n’a pas le courage de résister, et vous aurez un aperçu médiocrement consolant de la situation de l’Algérie. 

« Il y a une contradiction étrange, dit encore le correspondant, dans le programme des représentants officiels des intérêts de l’Algérie. D’une part, ils sont les adversaires de l’administration, à laquelle ils font une guerre acharnée : gouverneur général, préfets, sous-préfets, administrateurs des communes mixtes, employés des ponts-et-chaussées, du service des domaines et des contributions, agents municipaux, leurs critiques n’épargnent aucune branche des services publics. À les entendre, à lire leurs manifestes, on les croirait partisans convaincus de la liberté, de la décentralisation, de l’initiative individuelle, repoussant sous toutes ses formes l’immixtion de l’autorité dans les affaires qui sont du domaine des intérêts particuliers.

Sur le terrain de la théorie et des principes abstraits, toutes les opinions algériennes sont unanimes à cet égard. Mais, d’autre part, dès que leurs intérêts, leurs vues, leurs espérances touchent par un côté quelconque à l’une de ces questions de principe et semblent devoir en souffrir, ils font immédiatement volte-face, sans même soupçonner leur inconséquence.

C’est ainsi que nous voyons tout le monde d’accord pour acclamer et défendre la colonisation officielle, la création des villages par voie de concessions gratuites et de subventions, l’expropriation des terres des indigènes pour être distribuées aux colons. Tout cela ne peut se faire cependant que par les mains de cette administration qu’on décrie ; on doit lui concéder pour remplir cette tâche une omnipotence presque absolue ; on se résigne à passer sous ses fourches caudines pour solliciter des concessions, pour obtenir des travaux d’utilité publique ; on lui pardonne de déplacer à sa fantaisie les douars indigènes, de prendre leurs meilleures terres, de rester des années sans liquider l’indemnité qui devrait être préalable à la prise de possession.

Qui est-ce qui s’inquiète, dès qu’il s’agit de la colonisation officielle, de la liberté, de l’initiative individuelle, de l’inégalité devant les largesses de l’administration, comme devant les charges publiques, de l’économie des deniers de l’État, du respect de la propriété ? On oublie tout : les bévues et les outrecuidances de l’administration, aussi bien que les mécomptes et les malédictions des premiers colons. Les villages officiels, les concessions de terre, l’agrandissement de ce qu’on appelle le domaine de la colonisation, voilà le fond des circulaires électorales, des promesses des candidats, des convoitises inavouées, même pour ceux qui n’ont jamais songé à demander une concession et à se livrer à l’agriculture. »

Le résultat n’est pas difficile à prévoir. Un jour, les Arabes, réduits au désespoir, se révolteront de nouveau, et la France sera obligée de dépenser, encore une fois, son sang et son argent pour les réduire à l’obéissance. Les colons, au contraire, feront alors une excellente affaire ; on confisquera ce qui reste de terres aux Arabes, et ils les obtiendront à vil prix ou même gratis. On conçoit donc parfaitement qu’ils s’appliquent à exaspérer les indigènes et à les pousser à la révolte, mais l’administration que le monde nous envie devrait-elle se rendre complice de ces misérables passions et de ces odieux calculs ? Est-ce son rôle d’opprimer et de spolier les indigènes aux frais des contribuables français et pour le plus grand profit de colons qui sont, en majorité, étrangers : espagnols, maltais, italiens ou allemands ?

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Le ministre de la guerre a prescrit dernièrement de la manière la plus formelle de n’employer dans les ateliers dépendant de son département aucun individu de nationalité étrangère.

A la réception de la circulaire ministérielle, tout individu étranger qui serait occupé à des travaux quelconques dans les arsenaux devra être immédiatement renvoyé.

Dans sa circulaire aux électeurs de Belleville, M. Jules Guesde se contente de demander qu’il soit interdit légalement aux patrons d’employer les ouvriers étrangers à un salaire inférieur à celui des ouvriers français. On voit que le ministre de la guerre se montre plus avancé que le candidat collectiviste, en fait de protection du travail national.

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La ville de Paris a concédé à une compagnie le monopole de l’éclairage au gaz. La compagnie a demandé une prolongation de 27 ans de son privilège, qui échoit en 1905, c’est-à-dire dans 22 ans, en offrant en échange une réduction de prix et divers autres avantages. Quoique la ville de Paris n’ait pas à se féliciter d’avoir traité avec une seule compagnie pour toute l’étendue de son périmètre — car Paris est une des villes du monde où le gaz coûte le plus cher — nous ne verrions pas un grand inconvénient à cette prolongation, si l’on avait soin de réserver formellement à la ville le droit d’autoriser la pose des tuyaux pour l’éclairage électrique, dans le cas probable où l’électricité viendrait à remplacer le gaz. À défaut de cette réserve, la ville de Paris s’exposerait à être condamnée au gaz jusqu’en 1932, à moins de payer, ou, ce qui revient à peu près au même, d’obliger l’éclairage électrique à payer une grosse indemnité à l’éclairage au gaz. On objecte, à la vérité — et nous sommes étonné de rencontrer cette objection sous la plume libérale de notre collaborateur, M. Ernest Brelay — que« si l’électricité remplace le gaz, elle se passera de tuyaux ». Et si elle ne peut s’en passer, ou s’il lui est plus avantageux de ne pas s’en passer, pourquoi donc l’obligerait-on à en acheter la permission à son concurrent ? La compagnie du gaz n’aurait-elle pas à bon droit jeté les hauts cris si l’on s’était arrangé de manière à la contraindre à indemniser le commerce des huiles ?

Le conseil municipal a refusé d’accorder purement et simplement la prolongation de privilège qui lui était réclamée, et nous ne pouvons l’en blâmer ; mais il a eu absolument tort de prendre une délibération invitant le préfet de la Seine « à réduire immédiatement de 30 à 25 centimes, par simple arrêté, le prix du gaz vendu au comptant à la consommation générale, et de 15 à 12 1/2 centimes celui de l’éclairage public ». Avons-nous besoin de faire remarquer qu’une assemblée, fût-elle municipale, n’a pas le droit de modifier les termes d’un contrat ? Ce droit, le tzar lui-même ne songe pas à se l’arroger. À la vérité, le tzar est un simple autocrate, ce n’est pas un conseiller municipal.

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Les lauriers du socialisme d’État empêchent de dormir son émule, le socialisme communal. À mesure que l’État augmente ses attributions aux dépens de la liberté et de la bourse des contribuables, la commune s’évertue à étendre les siennes. Nous avons l’avantage de posséder une imprimerie nationale dont M. Arthur Legrand se chargeait dernièrement de dresser l’inventaire et de faire les comptes (voir notre chronique de janvier) ; nous allons avoir ou plutôt nous avons déjà une imprimerie municipale qu’un membre du conseil, M. Georges Martin, propose de développer de manière à la mettre en mesure d’exécuter tous les travaux d’impression de la ville de Paris et de la préfecture de la Seine. La Chambre syndicale des imprimeurs a réclamé contre cette extension du socialisme communal et M. A. Chaix a publié à ce sujet quelques Observations judicieuses, dont nous reproduisons un extrait :

« L’Imprimerie nationale exécute actuellement pour 6 800 000 francs de travaux, et son inventaire de travaux en matériel, bâtiments, fonds de roulement, est d’environ 14 millions. Il faudrait donc, pour outiller en proportion l’atelier municipal, dépenser un capital de onze cent mille francs à fournir par les contribuables. Il faudrait, en outre, déduire chaque année, de prétendus bénéfices que prévoit le rapport, une somme d’au moins cent dix mille francs, représentant l’intérêt du capital engagé, les frais du renouvellement du matériel, le loyer des locaux occupés par l’imprimerie, l’intérêt du fonds de roulement, etc. Ces bénéfices se trouveraient déjà, de ce chef, singulièrement diminués ; et il est permis d’affirmer que, s’il est tenu compte de toutes les autres charges de l’entreprise, ces bénéfices seront dérisoires, comme le sont ceux de l’Imprimerie nationale, qui verse annuellement au Trésor 225 000 francs de boni sur 6 800 000 francs d’affaires, c’est-à-dire moins de trois et demi pour cent. Dans le calcul de ses bénéfices, l’Imprimerie nationale ne tient compte ni de l’intérêt, ni de l’amortissement de son matériel, ni des frais de location des bâtiments qu’elle occupe, ni de l’intérêt de son fonds de roulement. En sorte que, loin de réaliser des bénéfices, cette entreprise ne produit que des pertes.

Comme l’Imprimerie nationale, l’Imprimerie municipale se fera attribuer chaque année un budget supplémentaire considérable pour renouveler son matériel usé et augmenter son outillage ; — comme l’Imprimerie nationale elle vendra à la ville ses imprimés aux conditions d’un tarif réduit en apparence, mais en réalité bien plus élevé que celui du commerce. Cette différence de prix est indiscutable ; en veut-on quelques preuves ?

Les télégrammes étaient faits, à l’origine, à 9 francs le mille par l’Imprimerie nationale. À un moment où celle-ci s’est trouvée dans l’impossibilité de suffire aux demandes, on a eu recours à l’industrie privée, qui les a fabriqués à 7francs. À la suite de simplifications que, d’accord avec l’administration, l’imprimeur apporta dans la forme des dépêches, ce prix diminua considérablement encore. Pendant le siège de Paris, il a fallu faire imprimer ces formules en province, et une maison de Montpellier les a livrées à 2 fr. 70 c. le mille. L’Imprimerie nationale a revendiqué plus tard cette fourniture ; l’imprimeur a cherché à la conserver en offrant le prix de 2 fr. 60 c. ; mais sa proposition n’a pas été acceptée, bien que sa proposition fût avantageuse.

Les premières cartes postales ont été fabriquées concurremment par un imprimeur de Paris au prix de 3 fr. 75 c. le mille, et par l’Imprimerie nationale, qui les a fait payer 6 fr. 35 c. »

Voici les conclusions de M. A. Chaix :

« L’extension projetée de l’Imprimerie municipale entraînerait une dépense considérable ;

Cet établissement, comme le fait l’Imprimerie nationale, fournirait les imprimés de la ville a des prix plus élevés que ceux du commerce ;

Quand elle se trouverait en concurrence avec l’industrie privée, l’Imprimerie municipale abaisserait ses prix même au-dessous des prix de revient, et la perte serait supportée par le budget ;

Ses bénéfices, loin d’être de 40%, se réduiraient à néant, par suite des charges dont il n’est pas tenu compte par M. le rapporteur ;

En absorbant les 500 000 francs de travaux qu’exécutent actuellement les imprimeurs particuliers, l’Imprimerie municipale créerait à ceux-ci une concurrence désastreuse et anti-économique. »

Est-il nécessaire de dire que ces conclusions sont aussi conformes que possible à la vérité économique ? Mais est-ce bien une raison pour les faire agréer par un conseil municipal socialiste ?

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Il est assez curieux de remarquer qu’aucune précaution n’a été prise pour préserver les contribuables de l’invasion du socialisme communal. La Chambre des députés discute en ce moment un projet de loi municipale en 140 articles. Au chapitre des attributions des conseils municipaux, nous trouvons une série de délibérations qui ne sont exécutoires qu’après avoir reçu l’approbation de l’autorité supérieure. Ces délibérations concernent les aliénations et l’échange des propriétés communales, les acquisitions d’immeubles, la création des taxes d’octroi et autres, la dénomination des rues et les modifications à des plans d’alignement adoptés, etc., etc., mais nous n’y trouvons pas le moindre paragraphe qui soit relatif aux empiètements du gouvernement communal sur le domaine de l’activité privée. Rien n’empêche les conseils communaux d’établir des boulangeries, des boucheries, voire même des fabriques de drap et d’articles de mode, aussi bien que des imprimeries et des théâtres, populaires ou non. Autant l’État s’applique avec un soin jaloux à empêcher les communes d’empiéter sur son domaine, c’est-à-dire sur son droit de légiférer et de taxer, autant il se montre peu soucieux de protéger le domaine de l’activité libre contre le socialisme communal.

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Il serait bon cependant de savoir jusqu’à quel point il est permis à l’État communal d’empiéter sur la liberté de l’industrie. Cette question essentielle n’a jamais, jusqu’à présent, été abordée sérieusement. Il y a quelques années, on débattait beaucoup la question de la centralisation et de la décentralisation, mais, en y regardant de près, il était facile de se convaincre que la liberté n’avait rien à y voir ; qu’il s’agissait simplement de savoir si telles attributions, qui étaient confiées à l’État, seraient transférées ou non à la commune et, d’une autre part, si la commune serait « libre » de réglementer et de taxer indéfiniment ses sujets ou si elle serait obligée d’en demander la permission à l’État. Voilà tout.Aujourd’hui, les décentralisateurs ont fait place aux autonomistes, et ceux-ci se divisent en deux variétés, les autonomistes bourgeois et les autonomistes communards.

À propos de la candidature de M. Sigismond Lacroix à Belleville, le journal le Prolétaire établit nettement cette distinction importante :

« M. Sigismond Lacroix, l’homme représentatif du groupe de l’autonomie communale, réclame pour Paris le droit de réaliser les réformes qu’il attend vainement du pouvoir centralisé, afin que, une fois pratiquées et expérimentées à Paris, ces réformes se répandent dans les villes grandes et petites, puis dans les simples communes, portant sur toute la surface de la République la semence du progrès et de la liberté.

Paris modèle ? et par là, Paris initiateur ? très bien. Paris outil ? soit, mais pour quelle besogne ? Selon M. Lacroix, la grande commune doit être maîtresse :

De son impôt ;

De son assistance publique ;

De sa police ;

De son enseignement.

Et c’est tout.

C’est Paris châtré.

Nous revendiquons :

La commune maîtresse d’intervenir dans les questions de travail ;

La commune maîtresse de ses services publics (logements, éclairage, transports, industries et bazars municipaux, etc.).

La commune maîtresse de son armée, c’est-à-dire armement des citoyens, désarmement et licenciement des troupes de police.

Les autonomistes veulent pour les communes la liberté de s’organiser financièrement, administrativement, intellectuellement. Les communards ajoutent : économiquement et militairement. »

On voit qu’il ne serait pas inutile de délimiter les attributions et les droits de la commune, sans oublier ceux de l’État.

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En Hollande, le ministre des finances, M. van Lynden, a demandé à la Chambre l’autorisation de contracter un emprunt de 60 millions. Pour justifier cet emprunt, le ministre a montré que, à partir de 1880, les budgets se sont toujours soldés en déficit. En 1881, le déficit est de 14 millions ; en 1882, il est de 13 millions, mais pour se relever aussitôt et atteindre 23 millions en 1883. M. van Lynden, ému de cette situation, a déclaré qu’il ne fallait plus emprunter ; mais comme le remarque le correspondant du Journal des Débats, il a quelque peu oublié de dire comment il s’y prendra pour garantir le service du nouvel emprunt et pour assurer l’équilibre des budgets futurs.

Le même correspondant donne quelques renseignements intéressants sur l’état actuel du socialisme en Hollande, et il constate le peu de succès des prédications socialistes :

« Le parti socialiste se remue beaucoup depuis quelques années en Hollande, mais sans grand succès, et l’on peut dire, d’une façon générale, qu’étant données les conditions de vie et l’état d’esprit de l’ouvrier hollandais, le parti socialiste n’aura jamais prise sur les masses. Toutes ses tentatives sont d’avance condamnées à un échec certain. Quand les grands réformateurs socialistes allemands prêchent leurs doctrines à Amsterdam ou à Rotterdam, sauf ceux que la curiosité attire, combien sont-ils de fidèles venus tout exprès pour serrer sur leur cœur la bonne semence ?Quand Louise Michel a fait son voyage en Hollande, sauf six ou sept socialistes déterminés et connus, l’auditoire était bourgeois, exclusivement composé de bourgeois, et Louise Michel aurait pu s’en apercevoir aux appréciations dont son discours était l’objet. M. H. Domela Nieuwenhuis, une forte tête du parti socialiste hollandais, — la seule peut-être, — ne fait jamais salle comble, alors même que la salle est fort petite ; c’est tout au plus s’il parvient à réunir 150 ou 200 personnes, toujours les mêmes. L’ouvrier hollandais naît avec le culte héréditaire de l’Église et de la dynastie des princes d’Orange ; c’est dire qu’il est orthodoxe en religion, orangiste en politique. Ses idées ne vont pas au-delà de ce cercle étroit. Marié de bonne heure, chargé d’enfants, généralement peu rétribué, il n’a ni le temps ni le goût de se livrer aux grandes spéculations. L’esprit libre-penseur, avec son système et son idéal du devoir, est rare dans les masses ouvrières de la Hollande. Le travailleur qui a rompu avec l’Église a glissé sur la pente du cabaret. L’idée ne lui est pas venue de se servir de la politique pour améliorer sa situation matérielle. Considéré de tout temps comme une unité électorale, l’ouvrier s’est fait à son sort, et ce n’est que depuis quelques années que des bouffées d’ambition politique ont traversé son cerveau sans laisser grande trace. Il subit sans protester le gouvernement des classes dirigeantes, auquel il a toujours été habitué : ‘Ces messieurs, dit-il, savent mieux que nous ce qu’il nous faut’. Il lit assidûment le journal, mais ignore volontiers le nom des ministres au pouvoir.

Ce n’est pas que le travailleur hollandais méconnaisse l’importance et le prix de l’association. Nulle part, l’association n’est mieux qu’en Hollande appréciée et largement pratiquée, on s’associe pour tout, et à propos de tout ; les associations fourmillent, mais toutes ont un but pratique, positif et technique ; associations de bienfaisance, de secours mutuels, de consommation, associations professionnelles, toutes ont pour but l’amélioration matérielle du sort de l’ouvrier ou le perfectionnement du travail. Quelques-unes de ces associations, l’association des travailleurs manuels entre autres, comptent jusqu’à six ou sept mille membres, et disposent d’un capital considérable. Elles ont leur réunion annuelle ; leur ordre du jour est arrêté longtemps à l’avance. Les questions sont discutées avec compétence et mesure, sans excursions dans le domaine politique et avec une véritable intelligence des intérêts économiques. Aussi les grèves sont rares en Hollande et s’y dénouent toujours pacifiquement. »

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En Italie, une émeute de paysans affamés a eu lieu dernièrement à Magliano. À cette occasion, les journaux italiens, résumés par l’Italia, publient des renseignements peu édifiants sur la condition de la classe agricole :

« Les principaux propriétaires et les commerçants notables des environs de Magliano ont tenu une réunion dans cette bourgade.

Des faits graves, très graves, ont été révélés dans cette réunion. S’ils ne justifient pas les actes illégaux récemment commis par les paysans, ils les atténuent du moins dans une forte mesure.

On a constaté qu’il y a des paysans qui, depuis plusieurs jours, ne se nourrissaient que de son et d’herbes. D’autres, ayant des enfants malades, allaient ramasser dans les ordures les boyaux de poulets pour pouvoir leur faire un peu de bouillon.

Le fermier doit payer 10% pour l’assurance des bœufs. Chaque famille est obligée de faire 50 charrois pour le compte du propriétaire, et si elle en fait un seul pour son propre compte, elle est frappée de 20 francs d’amende.

Pour chaque voyage de vingt-quatre heures, on alloue au conducteur 25 centimes, et encore ces maigres rétributions ne sont-elles pas payées au paysan, elles sont portées sur son livret en compte de vieilles dettes.

On a enfin constaté, dans cette réunion, que le contrat de ferme peut se résumer ainsi : le propriétaire prend tout au paysan, maïs, vin, froment, cocons, etc.

Le bois même appartient au propriétaire, et cependant, si un arbre vient à mourir, le paysan doit payer 28 francs d’amende ! »

Pour remédier au mal, le ministre de l’intérieur n’a rien trouvé de mieux que d’empêcher l’émigration (voir notre dernière chronique), c’est-à-dire de mettre plus que jamais le petit fermier à la merci du propriétaire. Comment s’étonner, après cela, si le socialisme fait des progrès dans les masses, écrasées d’impôts et privées même de la liberté élémentaire « d’aller et venir » ? 

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En Espagne, on signale l’existence d’une vaste organisation socialiste, qui aurait principalement son siège dans l’Andalousie et qui porterait la dénomination passablement mélodramatique de la « Main noire ». D’après l’Imparcial, cette association, analogue à l’ancienne Internationale, se diviserait en 190 fédérations et 800 sections comprenant 49 910 membres, et elle aurait son comité directeur à Genève. Malgré la précision de ces renseignements, ou même à cause de cette précision, nous attendrons un supplément d’informations avant de nous prononcer sur ces choses d’Espagne, cosas de España.

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L’État prussien possède actuellement la presque totalité des chemins de fer ; il se propose, dit-on, de reprendre les tramways ; bref, il se pique d’appliquer les doctrines économico-socialistes que notre collaborateur, M. Maurice Block, entreprend de nous faire connaître dans son intéressant travail sur l’état actuel de l’économie politique en Allemagne. Voici, à ce propos, quelques réflexions judicieuses, empruntées à une correspondance du Journal des Débats :

« Le pays a-t-il tiré des avantages appréciables de l’accaparement graduel par l’État, tel qu’il s’est opéré sous nos yeux en Prusse, de la meilleure partie de l’industrie du transport ? C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre, car elle concerne une entreprise qui n’a pas encore porté tous ses fruits. Cela n’a pas empêché M. Wagner, le théoricien par excellence de la nouvelle politique économique, de porter aux nues ce qui a été fait en vertu du rachat ou, si vous voulez, de la « nationalisation » des chemins de fer, et d’émettre, par voie de conséquence, des idées à faire pâmer de joie tous ceux de ses compatriotes qui se décorent du nom de socialistes.

Le règne des compagnies entraîne, a dit M. Wagner à la Chambre, par suite de la concurrence, un gaspillage inutile des forces du capital ; il ne profite pas à l’ensemble d’un pays, attendu qu’il laisse les régions déshéritées par la nature sans voies ferrées ; il crée l’anarchie dans les tarifs. Ces accusations ne sont pas précisément nouvelles. En les rééditant, M. Wagner partait manifestement de l’idée que la substitution définitive de l’État à toutes les compagnies conduira forcément la Prusse à un ordre de choses qui sera la perfection même en matière d’administration des chemins de fer. Jusqu’à présent il est toutefois permis de nourrir encore quelques doutes à cet égard. Si, pour ne citer qu’un fait à l’appui de ces doutes, les compagnies sont portées à négliger les régions pauvres, l’État obéit souvent, en revanche, dans les travaux qu’il fait exécuter, à des tendances préjudiciables à la fortune publique, témoin la ligne de Berlin-Wetzlar, qui a été intercalée, dans un but stratégique, entre deux lignes parallèles rapprochées l’une de l’autre.

Sans doute, comme l’a fait observer M. Wagner, la Prusse n’a pas sujet de se plaindre actuellement des conséquences financières de la politique qui a porté à plus de 15 000 kilomètres son réseau d’État. Les dépenses de l’exploitation et le service des intérêts de la dette, dite des « chemins de fer » sont assurés ; en outre, des millions peuvent être consacrés à l’amortissement, tout en laissant un excédent. Mais il est à considérer aussi que les dépenses suivent une progression plus rapide que les recettes. Cette année-ci, par exemple, les recettes prévues ne dépassent que de 2 500 000 marks les recettes de l’année dernière, tandis que les dépenses accusent un chiffre supérieur de 15 000 000 de marks à celles de l’année précédente. Ces chiffres prouvent que l’administration par l’État n’a pas le pouvoir magique d’enfler la somme des recettes et d’amener la diminution des dépenses. Une bonne ou une mauvaise récolte exerce sur la situation financière des voies ferrées une influence bien autrement décisive.

Faut-il s’arrêter maintenant aux conséquences politiques du rachat poussé à ses dernières limites ? Faut-il montrer l’État plaçant dans sa dépendance, grâce au monopole qu’il convoite, toute une armée d’employés et d’ouvriers ? C’est inutile, à ce qu’il me semble. D’ailleurs, M. Wagner n’a pas osé soutenir que le système préconisé par lui n’augmentera pas, dans une mesure inquiétante, le pouvoir de l’État. Il s’est contenté, dans cet ordre d’idées, de plaider en quelque sorte les circonstances atténuantes en affirmant que les employés et ouvriers des lignes appartenant à l’État se trouvent dans une situation matérielle pour le moins aussi bonne que le personnel des compagnies.

Comment se fait-il donc que M. Wagner se soit appuyé sur le résultat du rachat des chemins de fer en Prusse pour recommander une généralisation du système de la « nationalisations » et signaler les tramways comme étant de bonne prise pour l’État ou les communes ? C’est que, du jour où il s’est mis à frapper d’estoc et de taille sur les compagnies, cet économiste, dont le nom brille au premier rang en Allemagne, a fait le premier pas, le seul qui coûte, dans la voie qui conduit à l’État, selon le rêve des socialistes. Ceux qui en douteraient n’ont qu’à lire un de ses écrits où il a exposé que la construction et l’aménagement des maisons est une tâche qui devrait incomber à l’État ou tout au moins aux communes. Encore un peu, et nous le verrons sans doute caresser les plans de concentration de tous les services possibles dont M. L. Reybaud s’amusait dans un temps qui paraît éloigné, en supposant la création en France d’une direction centrale des subsistances publiques ayant son siège à Paris et pourvoyant aux besoins de tous les estomacs français. »

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La réforme du tarif des douanes est à l’ordre du jour aux États-Unis. Deux projets étaient soumis au Sénat et à la Chambre des représentants. Le premier a eu la priorité. Après avoir été adopté par le Sénat dans la séance du 20 février, il a été renvoyé à un comité spécial, composé de cinq sénateurs et de cinq représentants parmi lesquels les protectionnistes étaient au nombre de huit contre deux. Ces deux libre-échangistes ayant cru devoir se retirer, les protectionnistes ont remanié le bill à leur gré, puis ils l’ont aussitôt renvoyé au Sénat, qui l’a adopté par 42 voix contre 31 dans la séance du 2 mars et à la Chambre qui a ratifié le lendemain le vote du Sénat par 152 voix contre 115 ; enfin le 4 mars, jour de l’expiration des pouvoirs du 47econgrès, le bill a été revêtu de la signature du président.

On évaluait à 25% les réductions que ce bill était destiné à opérer. Sur les cotonnades, les droits auraient été abaissés de 39,1% à 27,3 ; sur les soieries de 59 à 50% ; sur les lainages de 61,3 à 51,3 ; sur les fers et les aciers, de 40 à 22% ; mais nous ne savons pas encore jusqu’à quel point ces réductions ont été corrigées par les protectionnistes du « comité spécial ». En tous cas, le système protecteur est vigoureusement attaqué et, quoi qu’il arrive, il laissera dans la bagarre une partie de ses plumes.

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Nous trouvons dans le dernier recensement américain quelques données intéressantes sur les salaires, et sur la proportion de la main-d’œuvre dans le prix des objets manufacturés. De ces renseignements il résulte que les salaires sont particulièrement bas dans les industries les plus protégées. Quant à la main-d’œuvre, voici dans quelle proportion elle entre dans les prix marchands des articles suivants :

Lainages

16%

Fer et acier

21

Coton

22

Soierie

37

Extraction du fer

41

 

On peut en conclure que la hausse de la main-d’œuvre n’a pas toute l’influence qu’on se plaît généralement à lui attribuer sur le prix des articles manufacturés. Le plus souvent même, cette hausse exerce une influence favorable à l’abaissement ultérieur des prix, en excitant les industriels à adopter des machines et des procédés perfectionnés qui économisent la main-d’œuvre.

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 On trouvera dans notre Bulletin un aperçu de l’organisation de l’Armée du Salut et du but qu’elle poursuit en employant des moyens excentriques et bruyants, mais, après tout, fort inoffensifs. Ce but, c’est la guerre à l’ivrognerie. L’armée du Salut se flatte d’avoir remporté des victoires signalées en Angleterre ; elle a voulu étendre ses opérations en Suisse, en s’imaginant que la Suisse est une terre de liberté, mais elle n’a pas tardé à s’apercevoir de son erreur. L’armée du Salut a été expulsée de Genève et de Neuchâtel ; enfin, Berne, le chef-lieu de la confédération, lui a fermé ses portes.

Apparemment, les autorités cantonales et fédérales avaient des raisons particulières pour s’émouvoir de cette guerre aux ivrognes.

G. DE M.

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