Premier mémoire sur les corporations et la liberté du travail, adressé à la Chambre de commerce de Lyon

Mémoire sur les manufactures de Lyon par Monsieur Vincent de Gournay, 1753

[Bibliothèque municipale de Lyon. Fonds Matthieu Bonafous. Ms 6055, f°10-33.
Le Cercle de Vincent de Gournay, INED, 2011, p. 333-343.]

(Ce texte existe dans une autre version manuscrite : voir ici)

 

Les contestations actuellement pendantes au bureau du commerce entre les communautés des tireurs d’or, des guimpiers, des fabricants et des passementiers de la ville de Lyon, intéressant non seulement le commerce de cette ville, mais encore le bien et l’avantage du royaume en général, on ne peut en chercher la cause avec trop de soin.

On trouve l’origine de cette division dans celle des communautés. En effet, comment a-t-on pu se flatter qu’on pourrait diviser des professions aussi analogues et dépendantes en quelque façon les unes des autres pour la composition et la perfection des étoffes, sans les mettre dans le cas d’entreprendre tous les jours l’une sur l’autre, et par là se regarder toujours comme ennemies, et au lieu de concourir à étendre le commerce, ne s’occuper qu’à se détruire les unes les autres et avec elles la totalité du commerce de Lyon. 

Tel est l’esprit qui a animé ces communautés depuis leur origine il n’y a qu’à feuilleter leurs registres pour se convaincre que les ennemis naturels d’une communauté sont toutes les autres communautés, que les procès entre elles sont aussi anciens que leurs établissements, et que la procédure leur est devenue presque aussi familière que leur profession même. 

Mais avant que de nous étendre davantage sur l’inconvénient des communautés, retournons à leur origine, et examinons si leur division et leurs statuts ont été dictés par l’intérêt du commerce et du bien public, ou si cette division n’a été que l’effet de l’intérêt particulier.

Lorsque les fabriques de soieries passèrent d’Italie à Lyon, il est à présumer qu’elles furent d’abord libres, et sans cette liberté, elles n’auraient pu s’y établir et y fleurir comme elles le firent. 

Les progrès qu’elles y firent bientôt sous la protection de François Ier, ayant de beaucoup multiplié le nombre des ouvriers dans les différentes parties nécessaires à la composition des étoffes, et ceux-ci imaginant que plus ils se multiplieraient et plus la main-d’œuvre diminuerait, ce qui rendrait la profession moins lucrative pour ceux qui étaient déjà en possession de l’exercer, afin d’en rendre l’entrée plus difficile aux aspirants, ils s’avisèrent de renfermer d’abord dans une même classe ou communauté les ouvriers qui s’étaient plus attachés à une certaine partie de la fabrique qu’à une autre, et pour rendre ensuite l’admission dans chacune de ces classes plus difficile, ils imaginèrent les maîtrises, et exigèrent qu’avant d’y parvenir, on ferait de longs apprentissages qui furent encore prolongés par le compagnonnage. 

Tous ces passages retardant la maîtrise, facilitaient aux anciens maîtres les moyens d’augmenter le prix des étoffes, et diminuant l’ardeur avec laquelle on se portait à apprendre l’art de la fabrication, rendaient les étoffes plus rares et plus chères, par conséquent plus profitables à ceux qui se trouvaient déjà en possession de les fabriquer. 

Les divers fabricants après avoir fait entre eux de pareilles lois que l’intérêt particulier seul avait dictées, s’adressèrent au gouvernement pour en obtenir la confirmation. Il leur fut d’autant plus facile de réussir qu’on fit aisément entendre à un gouvernement qui n’avait aucune connaissance du commerce, que ce qu’on ne demandait que pour l’avantage particulier de chaque communauté, était pour l’avantage public et du commerce en général. On se le persuada avec d’autant plus de facilité que la fabrique fleurissait. On accorda donc aux communautés la confirmation de leurs statuts et de leurs règlements, sans réfléchir au monopole qu’on commençait par là à leur donner contre le public.

Les premières époques de ces statuts furent sous Henri II, Henri III et Henri IV, temps de trouble et auxquels les principes du commerce étaient d’autant plus inconnus, qu’alors nous n’avions d’autres concurrents dans la fabrique que les Italiens auxquels nous l’avions enlevée. Peut-être même le gouvernement d’alors vit-il se former avec plaisir des corps riches dont on pouvait tirer ce qu’on appelle des ressources. En effet dans les besoins, on leur a toujours demandé de grosses sommes qu’on les a autorisés à emprunter. En les fournissant, ils n’ont pas négligé de demander de nouveaux privilèges toujours avantageux à leurs corps particuliers, et par là même préjudiciable au public. On leur a accordé ces privilèges avec d’autant plus de facilité, qu’on les a regardés comme une compensation des sommes qu’on leur demandait. C’est ainsi que d’un côté les besoins du souverain, et de l’autre l’attention des communautés à en profiter pour étendre leurs privilèges, a fait envahir par des corps particuliers la liberté de la fabrication et l’industrie publique. Un abus en entraîne toujours un autre, les subdivisions furent encore augmentées, on priva l’ouvrier de la liberté qu’il avait naturellement de vendre ce qu’il fabriquait. On imagina que pour vendre, il fallait avoir la qualité de marchand, on la fit acheter fort cher. Nouveau monopole contre l’ouvrier et sur l’étoffe, parce qu’on veut toujours retrouver sur ce qu’on vent, ce qu’il en coûte pour avoir la permission de vendre.

L’ouvrier ne pouvant plus vendre, et recevant la loi du marchand, se trouva bientôt en trop grand nombre. On crut y remédier en réduisant le nombre des apprentis que chacun pourrait avoir, ce qui ayant nécessairement réduit avec le temps celui des ouvriers, leur a donné à leur tour l’occasion d’exercer un monopole contre les fabricants et de se liguer entre eux pour faire des cabales, et pour obtenir des augmentations de salaires. Quel a été l’effet de tout cela ? De renchérir considérablement nos étoffes, et de leur donner une valeur factice qu’elles n’auraient pas eue, si on avait laissé à chacun la liberté d’avoir autant d’apprentis qu’il eût voulu, de fabriquer et de vendre.

Cependant nos manufactures et nos fabriques prospérèrent au milieu de tous ces abus, tandis que nous n’eûmes point de concurrents. Mais en 1685, une partie de notre peuple étant passée en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, y portèrent avec eux leur industrie et nos fabriques, et ils les portèrent avec d’autant plus d’avantage pour l’étranger, qu’ils laissaient chez nous les maîtrises, les communautés, la longueur des apprentissages et les statuts, et que l’industrie y passa seule, et affranchie de toutes ces entraves.

Ces nouveaux fabricants furent reçus à bras ouverts dans les pays où ils allèrent s’établir, mais surtout en Angleterre et en Hollande ; ils peuplèrent Cantorbery et ils formèrent à Londres un faubourg connu sous le nom de Spittlefield, où se fabriquent les plus belles étoffes de soie, d’or et d’argent. Là on ne leur demanda pas s’ils étaient maîtres et s’ils avaient fait leur apprentissage ; on laissa fabriquer qui voulut, et à l’abri de cette liberté, ils firent bientôt des élèves qui égalèrent et surpassèrent leurs maîtres. On le fut dès qu’on se trouva assez industrieux pour fabriquer. Ceux qui fabriquèrent mal s’appliquèrent à fabriquer mieux, pour ne pas se ruiner en faisant des étoffes qu’ils étaient forcés de vendre à perte. Ceux qui passèrent en Hollande y firent le même progrès à l’abri de la même liberté. Les Anglais et les Hollandais, persuadés qu’une chose se conserve par le même principe qui l’a établie, n’ont point songé à donner des règlements, et à établir des maîtrises dans leurs nouvelles fabriques, et les habitants de Spittlefield et les fabricants d’Amsterdam jouissent encore aujourd’hui de la même liberté dont jouirent chez eux les auteurs de la fabrique. Cependant l’Angleterre, pour favoriser ces nouveaux établissements faisait des lois pour empêcher l’entrée et l’usage de nos galons, de nos soieries et de nos étoffes d’or et d’argent. À l’abri de cette protection, les étoffes augmentèrent et se multiplièrent si fort, que les Anglais qui en 1685 et auparavant, nous tiraient de France pour 12 millions de galons et de soieries, se pourvurent bientôt des leurs propres, en sorte qu’ils sont parvenus à se passer presque tout à fait des nôtres ; et aujourd’hui ils nous en fournissent. [British Marchand P. 13]

Les nouvelles fabriques se multiplièrent de même en Hollande, bientôt les Hollandais qui tiraient tous les ans en pour 8 millions de nos étoffes de Lyon, de Tours et de Paris, qu’ils revendaient en Allemagne et les autres pays étrangers ne tirèrent presque plus des nôtres, y substituèrent les leurs, et nous en vendent aujourd’hui considérablement à nous-mêmes. [Mémoires de Jean de Wit. Page 229. Édition de Londres. Il y a lieu de présumer que les 8 millions dont parle ici Jean de Wit sont 8 millions de florins, qui feraient au moins 16 millions de livres, mais on ne cherche pas à grossir les objets, on ne les donne que pour huit millions de livres.]

Des pertes aussi considérables pour l’État, et qui tombaient plus particulièrement encore sur la ville de Lyon, ne tardèrent pas à s’y faire sentir. Chaque communauté qui s’apercevait que son commerce diminuait, s’imagina qu’il ne diminuait que parce qu’un autre avait entrepris sur la partie qu’elle s’était attribuée. De là les divisions, de là les chicanes qui chargèrent encore la fabrique de nouveaux frais, car il fallut plaider et sur quoi les frais, si ce n’était sur les ouvriers et les fabricants, et ceux-ci ne purent les retrouver eux-mêmes qu’en les faisant retomber sur les étoffes, ce qui en donnant aux nôtres un nouveau désavantage vis-à-vis des étrangers qui fabriquent librement et sans procès, augmentait encore leur fabrique et diminuait les nôtres.

Les fabriques des étrangers augmentant toujours, et les nôtres diminuant à proportion, les ouvriers manquèrent bientôt d’ouvrage, et murmurèrent. On crut remédier au mal, en limitant le nombre des métiers, en défendant d’employer des compagnons forains et étrangers, des filles et femmes foraines et étrangères, de faire aucun apprenti étranger, c’est-à-dire qui ne fût pas né à Lyon ni dans les faubourgs. Enfin on défendit pendant cinq ans de prendre pour apprentis même des enfants de la ville. [Voir les articles 23, 24, 26 et 27 du règlement pour la fabrique des étoffes du 26 octobre 1702.]

On défendit même par de précédents règlements de recevoir des apprentis mariés, article indécent qui éloigne des arts les gens qui ont le plus besoin de les exercer pour se soutenir eux-même et leur famille. [Voir l’article 25 des statuts des guimpiers.]

Quel a été l’effet de toutes ces restrictions ? De réduire le nombre des ouvriers et des fabricants, de mettre par conséquent la fabrique entre les mains d’un plus petit nombre, de diminuer par là la concurrence, et de donner plus de facilité aux ouvriers d’exercer un monopole contre les fabricants, et à ceux-ci d’en exercer un autre à leur tour contre le public, en renchérissant le prix de leurs étoffes. 

Mais pendant que la ville de Lyon se prêtait à la cupidité de ses communautés, elle éloignait d’elle le commerce, et favorisait la fabrique de Londres, et d’Amsterdam, où les étrangers étant reçus, et se trouvant tout à la fois maîtres et marchands, étendaient les fabriques de ces deux villes, et en faisaient diminuer le prix, tandis que celui de nos étoffes augmentait, car c’est une maxime que la multiplicité des mains diminue le prix des salaires et augmente le commerce.

Notre commerce diminuant à proportion des progrès que faisaient les fabriques étrangères, on eut des guerres à soutenir, et, les besoins devenant plus pressants, on crut avoir trouvé des ressources dans les communautés de la ville de Lyon, on leur demanda de grosses sommes, on les taxa comme ouvriers et non comme citoyens, nouveaux emprunts de la part des communautés, et nouveau prétexte d’exiger que, pour se mettre en état de rembourser, il leur fût permis d’augmenter les droits d’enregistrement, d’apprentissage, de compagnonnage et de maîtrise pour la fabrique des étoffes qui, par le règlement de 1667 [Art. 34. et 35 du règlement de 1667], étaient fixés à 50 livres pour les Lyonnais et à 20 livres pour les forains, ont été considérablement augmentés. On a même tenté de nos jours, et plus l’époque en est récente et plus elle est humiliante pour nous, de faire payer 800 livres pour obtenir la qualité de marchand. [En 1744.] Les fabricants sur lesquels ces taxes ont paru tomber d’abord s’en sont peu inquiétés ; ils ont senti qu’en renchérissant les apprentissages et les réceptions à la maîtrise, et à la qualité de marchand, ils éloignaient les aspirants, et qu’ayant par là plus de facilité à augmenter le prix de leurs étoffes, ils n’en exerceraient encore que plus sûrement et d’une façon plus lucrative pour eux le monopole dont ils étaient déjà en possession, et dont notre inattention pour le bien général du commerce les avait laissés s’emparer.

Écoutons parler ces corps, et nous verrons l’esprit qui les anime, et si la ville de Lyon a entendu ses véritables intérêts en homologuant aussi facilement leurs délibérations. Voici comme s’expliquent les guimpiers dans une délibération du 16 avril 1736, page 166 : « Mais, comme la suppression des apprentissages en opérant un bien dans la communauté par la diminution des maîtrises, etc. ». Ce qui fait ici le bien de la communauté des guimpiers, ne fait-il pas le malheur et la ruine de la ville de Lyon ? En éloignant de chez elle de nouveaux apprentis et de nouveaux maîtres, elle éloigne de nouveaux citoyens qui auraient augmenté son peuple, diminué la main d’œuvre, et augmenté son commerce qu’elle consent au contraire à mettre entre les mains d’un petit nombre de personnes qui n’ont d’autres vues que leur propre avantage, et d’augmenter leur fortune particulière, en diminuant le commerce de la ville de Lyon, qui a donc agi d’une façon opposée à ses véritables intérêts en adoptant l’esprit de ses communautés. 

Nos fabriques réduites entre les mains d’un petit nombre, chargées de monopoles que les ouvriers et les fabricants exerçaient réciproquement les uns sur les autres, d’intérêt à payer pour leurs dettes, d’augmentation de réception, de longueurs d’apprentissage, ne purent bientôt plus soutenir la concurrence avec l’étranger libre de toutes ces gênes, et le surhaussement que tout cela opéra dans le prix de nos étoffes, nous faisant perdre l’avantage que nous avions sur le prix de la main-d’œuvre, laissa l’étranger maître de profiter de tout celui que lui donnait la liberté et la différence de l’intérêt de son argent, qui fait qu’en vendant à 106 ce qui lui coûte 100, il double l’intérêt de son argent tandis qu’il faut que nous vendions à 112 pour trouver le même bénéfice. 

Dans des circonstances aussi fâcheuses, nos fabricants ne trouvent d’autres expédients que d’altérer la fabrique et de diminuer le poids des étoffes, cette altération devenait nécessaire pour ne pas trop surhausser le prix, et fut d’autant plus facilement exécutée, que les fabricants étant en plus petit nombre, et n’ayant qu’un même intérêt, il leur fut plus facile de se concilier. Alors on cria à l’abus, à la friponnerie. On crut y remédier par un abus plus grand encore, en faisant des règlements. De là naquirent les fameux règlements de 1737 et de 1744. Le premier composé de 208 articles et l’autre de 183. Des lois si multipliées ne pouvant manquer d’occasionner un plus grand nombre de contraventions, augmentèrent la gêne de l’ouvrier et lui rendirent l’exercice de sa profession plus désagréable. Le mécontentement devint si général que les nations étrangères en furent informées. Elles attirèrent les mécontents par des promesses et des récompenses, ce qui occasionnant une nouvelle transmigration de nos ouvriers dans les pays étrangers n’a fait qu’augmenter nos concurrents, en affaiblissant de plus en plus notre fabrique, et l’effet de ce nouvel établissement est encore de diminuer la concurrence chez nous et de renchérir de nouveau la main-d’œuvre et les étoffes, par conséquent de donner de nouveaux avantages aux étrangers sur nous. Ils en ont si bien profité que les Anglais ne nous tirent pas à présent pour 500 000 livres d’étoffes de soie et de galons, eux qui nous en tiraient pour 12 millions en 1685, et les Hollandais en tirent à peine pour un million, eux qui en tiraient, en 1658, pour 8 millions. Si l’on ajoute à cela ce que ces deux nations nous en fournissent, quelle prodigieuse différence dans la balance de notre commerce ; que l’on soutienne après cela que notre commerce augmente, et que nous gagnons avec toutes les nations de l’Europe.

On a dit plus haut que les règlements n’étaient qu’un nouvel abus qui ne pouvait opérer le bien et la tranquillité qu’on en attendait, parce que bien loin de multiplier le nombre des ouvriers et des fabricants, ce qui seul peut étendre la fabrique, ils opèrent encore la diminution de l’un et de l’autre ; d’ailleurs ils contribuent bien moins à la perfection de la fabrique que l’émulation qu’engendre la liberté ; en effet un règlement est un but que personne ne veut passer, on ne veut pas faire mieux que le règlement ne le porte, parce qu’on craindrait de n’être pas payé de ses peines et de l’excès de perfection. On aime donc mieux rester toujours en deçà du règlement. Ce raisonnement devient général, de là l’affaiblissement total de la fabrique au lieu que dans les pays où il n’y a point de but marqué, chacun ne sachant jusqu’où son voisin porte la perfection, s’efforce de la porter plus loin qu’il peut, de peur de perdre son crédit et de vendre moins bien, de là la perfection devient générale. Mais va-t-on s’écrier, si l’on néglige les règlements, nous allons tomber dans le plus affreux chaos, un chacun fabriquera à sa guise, on ne verra que des abus et des friponneries, notre nation veut être conduite autrement que les autres, nos ouvriers sont plus fripons et nos fabricants de moins bonne foi que les étrangers. On répond à cela que les principes du commerce sont partout les mêmes, que la concurrence et la liberté feront chez nous l’effet qu’elles font chez les étrangers. Que nous ignorons d’ailleurs les bons effets que la liberté de la fabrique fera chez nous, puisque nous ne l’avons jamais connue, et que les entraves que nous avons mis à notre industrie sont presque aussi anciennes que les fabriques mêmes. On répondra encore à ceux qui allèguent que nos ouvriers sont plus fripons que les autres, que c’est la rigueur de nos lois et nos restrictions qui les ont rendus tels à nos yeux, que d’ailleurs ces étoffes étrangères dont on vante tant la perfection seront fabriquées à Londres et à Amsterdam par des Français, par nos propres compatriotes qui ont appris leur métier chez nous. Les Français ne pourront-ils donc être honnêtes gens que hors de chez eux ? Cette idée est trop fausse et trop injurieuse pour la France, pour mériter une plus ample réfutation.

Une preuve bien certaine qu’un grand commerce peut s’établir et se soutenir, sans règlements, sans maîtrises et sans apprentissages forcés, c’est que les Anglais et les Hollandais, en adoptant nos fabriques n’ont pas adopté un seul de nos règlements, que cependant leurs fabriques augmentent, tandis que les nôtres diminuent et que nos fabricants se plaignent, qu’à la Chine et à Bengale on ne sait ce que c’est qu’un règlement ni qu’un inspecteur et que cependant ces deux pays nous inondent et toute l’Europe de leurs étoffes. Voudra-t-on encore que nous soyons plus fripons que les Chinois ?

Mais dira-t-on encore, M. Colbert a fait des règlements. Celui de 1667 pour les étoffes de soie a été fait de son temps. Cela est vrai. Mais en 1667, il n’y avait point de fabrique de soie à Londres et à Amsterdam, nous fournissions avec les seuls Italiens de soierie à toute l’Europe, or comme notre commerce allait bien on n’a pas songé à réformer des abus qui devenaient indifférents, lorsque nous le faisions presque seuls, mais qui deviennent destructifs, lorsque nous avons des rivaux dans toute l’Europe. Un commerce avec beaucoup de concurrents veut donc être traité différemment qu’un commerce qui n’en a point.

M. Colbert a fait encore le règlement de 1669 pour la fabrique de draps, mais c’était pour nous apprendre à en faire de bons, art que nous ignorions, mais qui depuis que nous en savons faire, nous eussions tout aussi bien fait de laisser seulement subsister ce règlement, comme un modèle de bonne fabrique, sans obliger l’ouvrier par des peines à s’y conformer. C’est ainsi qu’en ont usé les Anglais, qui ayant pris d’abord des règles de fabrique des Flamands leurs premiers maîtres, les ont laissés pour ainsi dire tomber en désuétude, depuis qu’ils sont eux-mêmes devenus les premiers et les meilleurs fabricants d’étoffes de laine qui soient au monde. On prend un maître pour apprendre à lire, et on le congédie, lorsque l’on sait lire.

La crainte des abus, a fait plus de tort à notre commerce, que tout ce qu’on appelle abus n’aurait pu lui en faire. Cette crainte est cause que nous l’avons tenu toujours dans la gêne et dans une espèce d’enfance, tandis qu’étant en pleine liberté chez les étrangers, il s’est fortifié et étendu. Il se peut qu’on abuse de la liberté pour faire de mauvaises étoffes, mais ceux qui en useront ainsi, seront bientôt punis, faute de trouver des consommateurs et ils se corrigeront chez nous, comme ils ont fait en Angleterre et en Hollande.

On n’a jamais voulu croire en France que le meilleur inspecteur est le besoin qu’a un ouvrier qui fait une étoffe, de trouver quelqu’un qui la consomme. Si elle trouve des consommateurs elle est très bonne ; quand tous les règlements du monde diraient le contraire, on soutient qu’elle est très bonne, puisqu’elle fait vivre celui qui l’a faite, et qu’elle l’a mis en état de payer le Roi, et la matière première, et qu’elle a aussi fait vivre le laboureur et contribué à soutenir la valeur de la terre. Au reste rien n’est parfait ici bas. Mais la crainte de quelques inconvénients qui disparaîtront dans la foule des avantages que la nation en retirera ne doit pas nous empêcher de tendre au plus grand commerce, et nous n’y pouvons parvenir qu’en laissant à nos fabricants et à nos ouvriers la même liberté dont ils jouissent chez nos rivaux. Il n’y a point de coup de vent qui ne coûte aux Anglais dix vaisseaux contre un que nous perdons. C’est un inconvénient attaché à une plus grande marine, mais ce ne sera jamais pour eux une raison de réduire leur marine. De même la crainte de quelques abus ne doit pas être une raison pour nous engager à resserrer notre commerce, et à augmenter par là le nombre des gens inutiles et des fainéants. C’est une maxime certaine qu’un pays n’est peuplé, qu’à proportion de l’emploi que le peuple y trouve. Si donc par les entraves que nous mettons à l’industrie nous ôtons à notre peuple le moyen de s’occuper, n’est-ce pas le chasser de chez nous, et l’obliger de porter son industrie à l’étranger, et n’est-ce pas avilir nos terres et les rendre incultes ?

Si mille Gênois se déterminaient aujourd’hui à s’établir à Lyon, que pourrait-il arriver de plus heureux pour le Roi qui acquerrait mille nouveaux sujets, pour nos terres qui y gagneraient mille consommateurs, et pour la ville de Lyon qui acquerrait mille citoyens de plus. 

Cependant, suivant les status qui sont aujourd’hui en vigueur dans cette ville, il n’arriverait rien de tout cela, on dirait aux Gênois : si vous voulez vous établir parmi nous, il faut faire cinq années d’apprentissage, cinq années de compagnonnage, payer pour tout cela, après quoi si vous voulez être maîtres, et avoir le droit de vendre vos étoffes, il faudra payer chacun 400 livres parce que vous êtes étrangers. Les Gênois auraient beau dire qu’ils savaient déjà faire de beau velour, qu’ils nous en vendaient même beaucoup avant de sortir de leurs pays, que d’ailleurs ils n’ont d’autres biens que leur industrie, qu’il n’est pas juste de les mettre à l’amende parce qu’ils veulent travailler et contribuer à enrichir l’État et la ville. Tout cela serait inutile, on ne reçoit point de maître et marchand sans 400 livres et dix années d’apprentissage. Les Gênois s’en retourneraient confus de nous trouver si étrangers, ils s’en iraient débarquer en Angleterre et en Hollande, où ils seraient bien surpris de se trouver en arrivant tout à la fois maîtres et marchands, sans acheter ce droit, et sans qu’on leur demanda même s’ils ont fait leur apprentissage, et s’ils ont jamais travaillé dans ce qu’on appelle une ville réglée. On demande à tout homme de bon sens, si les fabriques et le commerce ne doivent pas déchoir dans un pays d’où l’on éloigne ceux qui veulent le faire et s’il ne doit pas fleurir et augmenter dans ceux où tout le monde est bienvenu à fabriquer et à commercer.

Ce n’est pas là le seul désavantage que nous ayons vis-à-vis des étrangers. Nos monopoles et nos restrictions font qu’à qualité égale nos étoffes doivent nous revenir plus cher que chez eux, quoique originairement la main-d’œuvre soit à meilleur marché chez nous que chez eux. 

On a déjà dit que les longs apprentissages [Ceux des tireurs d’or sont de 15 ans] et la loi que la ville de Lyon s’est faite de ne recevoir que des gens nés chez elle ou aux environs, ont contribué à diminuer les ouvriers, ce qui a déjà renchéri la main d’œuvre. Les fabricants en renchérissant les maîtrises ont aussi diminué leur nombre, et par là trouvé plus de facilité à augmenter le prix de leurs étoffes, et à faire supporter leur luxe et leurs dépenses aux étoffes, ce qui les renchérit considérablement ; c’est-à-dire qu’en réduisant le commerce de la ville de Lyon au plus petit nombre de mains qu’il est possible, on veut gagner le plus qu’il est possible ; or cela ne peut se faire qu’en surhaussant le prix de la marchandise. 

Il faut avouer aussi que dans un temps où l’on sait que les matières premières doivent être libres, parce que les droits qu’on leur fait payer augmentent la valeur fictive des étoffes, la ville de Lyon est la seule exceptée de cette règle. On a rétabli le droit de 3 et de 14 sols sur les soies, qu’un étranger qui avait l’esprit du commerce avait heureusement supprimé. [M. Law] On fait payer sur les matières d’or et d’argent un droit de marque de 24 livres par marc et un droit d’affinage de 20 sols par marc. En Angleterre et en Hollande on ne sait point ce que c’est que le droit de marque et on y affine un marc de piastres pour beaucoup moins de 20 sols. Or la soie et les matières d’or et d’argent sont-elles moins matières premières que la laine ; cependant celle-ci ne paie rien chez nous, et nous laissons subsister tous les droits sur les matières premières dont nous avons le plus besoin telles que les soies et l’argent, et sur la fabrique que les étrangers font le plus d’effort pour nous enlever.

L’ouvrier de soie en Angleterre et en Hollande n’est obligé à d’autre apprentissage qu’à celui dont il est seul lui-même à avoir besoin pour pouvoir fabriquer, il n’y a nulle obligation, nulle fixation pour cela, dès qu’il peut fabriquer, il est maître sans rien payer. Dans les besoins de l’État il n’est jamais taxé comme ouvrier, mais comme citoyen, à proportion de son bien, et jamais à proportion de son industrie, ce qui rend chez nous la condition du fainéant préférable à celle de l’homme utile. Cet ouvrier ne peut donc rejeter sur la marchandise des taxes extraordinaires, comme il n’y a point de communauté pour les étoffes de soie, il ne connaît point le nombre de ses concurrents, cela l’oblige nécessairement à la frugalité et à l’économie, sans quoi ses étoffes lui reviendraient si cher, qu’il ne pourrait pas les vendre vis-à-vis des concurrents plus économes que lui. S’il parvient à faire une fortune plus considérable, c’est par l’étendue de son commerce, et non par le surhaussement du prix de l’étoffe qui tend toujours à la diminution du commerce. 

Quel est le règlement qui a opéré de si bonnes choses en Angleterre et en Hollande ? La liberté et la concurrence, et elles opéreront certainement la même chose chez nous, mais depuis 200 ans, sous prétexte d’empêcher en France ce qu’on appelle les fraudes et les abus dans la fabrication des étoffes, on ne s’est occupé en effet que de rendre l’exercice des fabriques difficile et désagréable, et à les mettre entre les mains d’un petit nombre de gens, sans songer que le plus grand de tous les abus est d’éloigner les hommes de l’occupation, et de priver l’État par là des fruits qui lui reviendraient de leur travail.

Quand on a un ennemi à combattre, on s’informe de ses forces, et de sa discipline, surtout quand c’est à sa discipline qu’il doit ses victoires, et qu’elle est la cause de nos défaites. Quoique les Français aient porté en Hollande et en Angleterre nos fabriques, elles n’y eussent pas prospéré si elles n’y eussent été libres ; mais la liberté faisant qu’elles se soutiennent et qu’elles augmentent tandis que les nôtre diminuent, il faut nécessairement que leur méthode soit meilleure que la nôtre. Or un commerce limité, sujet à des gênes et des restrictions telles que le nôtre, sera toujours ruiné, lorsqu’il sera attaqué par des fabriques libres. Le plus grand nombre doit à la fin écraser le plus petit, leurs ouvriers et leurs fabricants se multiplient rapidement et sans cesse, tandis que le nombre des nôtres restreint par des longueurs que des formalités rebutantes, ne peut s’augmenter. Leur commerce s’étend et augmente avec le nombre de leurs fabricants, et le nôtre diminue avec celui de nos ouvriers. 

Nous conduisons encore nos fabriques par les principes établis sous Henri II, ils étaient mauvais alors, et même dans le temps où nous n’avions point de concurrents, puisqu’ils détruisaient l’émulation parmi nous. Ils sont insoutenables aujourd’hui que nous en avons dans toute l’Europe. Parce que nous nous sommes malheureusement mis un bras en écharpe sous Henri II, faut-il qu’il y reste sous Louis XV, et dans un temps où tous les souverains de l’Europe sont occupés de délier les bras de tous leurs sujets pour nous enlever ce qui nous reste de commerce. Qu’on nous rende l’usage de nos deux bras, et nous serons en état de regagner le terrain que nous avons perdu.

On ne peut finir ces observations sans quelques réflexions sur le contenu d’un des mémoires qui se trouve dans le dossier de l’affaire des tireurs d’or, lequel pour remédier aux abus sur le titre de l’argent et à la contrebande du trait propose de défendre le transport à Genève et à Trévoux des piastres, vieille vaisselle et autres matières d’or et d’argent.

On observe 1° que cette défense serait inutile quant à Genève, qui n’étant point enclavée dans le Royaume peut tirer des piastres et des matières d’or et d’agent par la Savoie et par la Suisse.

2° Qu’on priverait par là d’ailleurs les sujets du Roi d’une branche de commerce avantageuse, en ce qu’ils fournissent aux Genevois des piastres, et autres matières d’or et d’argent ; ils ne les leur donnent pas gratuitement, ceux-ci leur en payent la valeur, et il reste aux sujets du Roi le profit qu’ils ont pu faire sur ces matières qui nous viennent elles-mêmes de l’étranger, et qui ont laissé dans leur transport un fret, des frais de passage et d’autres avantages dont le Royaume a profité. Si nous interdisons donc le commerce des piastres, etc., avec Genève, c’est un commerce de moins que nous aurons dans le Royaume, et un commerce de plus que nous transporterons à l’étranger : c’est avec de pareilles défenses et de semblables restrictions, que nous détruisons nos ouvriers, nos fabriques et nos négociants, que nous dépeuplons notre pays, et avilissons nos terres, pour peupler l’Angleterre et la Hollande, et y augmenter conséquemment leurs richesses, le commerce et la valeur des terres, étant certain que nous augmenterons et élèverons toujours le commerce de ceux deux puissances et de nos autres rivaux de commerce, à proportion de ce que nous gênerons le nôtre, et que les gênes et les restrictions dont nous avons accablé nos fabriques, ont peut-être autant contribué à faire fleurir celles d’Angleterre et celles de Hollande, que la liberté dont elles y jouissent. 

Si les principes établis dans ces mémoires sont vrais et paraissent mériter l’attention du Conseil, il semblerait qu’avant de décider totalement l’affaire des tireurs d’or et des guimpiers, il serait nécessaire de les communiquer à la Chambre de commerce de Lyon, aux négociants, que l’on appelle commissaires, qui ne sont pas les moins intéressés à la prospérité du commerce de cette ville, enfin aux principales communautés qui composent la ville de Lyon, qui sont le plus intéressées à désirer la conservation et l’augmentation de leur commerce, lequel ne peut manquer de fleurir et de s’étendre, quand il sera traité aussi favorablement à Lyon que dans les villes ses rivales, qui ne sont ni Tours, ni Paris, mais Londres et Amsterdam.

Jusque-là il semble qu’on ne peut décider les contestations de ces communautés, sans ôter à un corps pour donner à un autre, au préjudice de l’intérêt public.

La vérité de ces principes une fois reconnue, et la ville de Lyon bien persuadée que sa prospérité et sa splendeur dépendent de leur exécution, elle sera la première à concourir, et dès lors tous les obstacles et les difficultés qui sembleraient s’y opposer, seront bientôt aplanis. On reconnaîtra au moins en les examinant qu’ils n’ont point été dictés par des vues particulières. 

Au reste si notre commerce allait en augmentant, il faudrait punir tout homme qui proposerait d’en changer les règles, mais comme il est prouvé qu’il diminue, et surtout celui de la ville de Lyon, ne pas changer, c’est vouloir tout perdre.

Et afin que l’on n’imagine pas que les maximes répandues dans ce mémoire touchant les règlements soient des nouveautés et alléguées sans autorité, voici ce que l’on trouve dans les Mémoires de Jean de Witt, chap. 20, dont le titre est que les manufactures et autres ouvrages mécaniques ne doivent pas être restreints.

« Enfin on ne peut pas nier qu’il ne soit aussi ridicule que préjudiciable d’établir des halles pour les manufactures ou toutes autres sortes de bureaux pour les marchandises avec des surveillants et des inspecteurs nommés pour cela, ou bien que les chefs des communautés limitent les manufactures et les renferment dans une espèce de cercle, ou qu’on veuille diriger par des actes publics comment ces marchandises que nous envoyons au pays étranger doivent être fabriquées, car cela suppose deux choses fort mal à propos, la première que les acheteurs étrangers sont forcés d’acheter nos étoffes et nos fabriques suivant qu’il nous plaît d’en diriger la façon, et secondement qu’on ne peut pas faire dans d’autres pays ces sortes de marchandises et d’ouvrages que nous défendons de fabriquer chez nous, pendant qu’au contraire on peut dire que les fabricants de ces marchandises ont atteint le vrai but, quand ce qu’ils fabriquent est au goût de l’acheteur, et qu’il trouve son compte à l’acheter. »

Voici comment s’explique sur le même sujet le chevalier Child, un des plus grands hommes de commerce que l’Angleterre ait eu, dans son chapitre, touchant les manufactures de laine.

« Si nos lois qui obligent nos fabricants à faire du drap fort et tel que nous l’appelons drap loyal, d’une certaine longueur, largeur et poids, étaient exactement mises en exécution, et qu’on y tint la main, elles nous feraient beaucoup plus de mal que de bien, parce que les fantaisies des hommes et les modes changent, et que quelquefois un aime mieux un drap peu frappé, léger et bon marché (comme aujourd’hui), qu’un plus pesant, plus fort, et en effet mieux fabriqué, et si nous voulons nous rendre les maîtres du commerce du monde, il faut imiter les Hollandais qui font chez eux les plus mauvaises aussi bien que les meilleures sortes de marchandises, afin d’être plus en état de fournir tous les marchés, et de satisfaire toutes les fantaisies.

Je conclus que toutes nos lois qui fixent le nombre des métiers, le nombre et la qualité des apprentis, et le temps des apprentissages sont certainement très préjudiciables à la fabrique de draps en général, quoique ces lois puissent être avantageuses à quelques villes particulières, et à quelques particuliers, qui ont sollicité ces restrictions et ces limitations.

Je crois encore ces lois très préjudiciables qui défendent à un fabricant de draps d’être en même temps foulon, aprêteur ou teinturier, ou qui défendent à un foulon et à un teinturier d’avoir un métier.

Je conclus enfin que quoique l’usage de tirer le drap à la rame soit quelquefois préjudiciable au drap, il est cependant absolument nécessaire au commerce de l’Angleterre, et que le degré d’extension qu’on peut lui donner ne peut être absolument limité par aucune loi, mais que cela doit être entièrement laissé à la discrétion du vendeur ou de celui qui en fait l’exportation, qui sait mieux que personne ce qu’il convient d’envoyer à l’étranger, outre que si nous voulions absolument empêcher d’étendre le drap, et de le tirer à la rame, les Hollandais, comme ils l’ont déjà fait plusieurs fois achèteraient notre drap sans avoir été tiré, l’emporteraient en Hollande où ils le feraient allonger de six ou sept aunes de plus par pièce afin de le faire paraître un peu plus fin à l’œil, après quoi ils le porteraient aux Échelles du Levant, et nous chasseraient de ce commerce, avec nos propres armes. »

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