La monnaie dans une théorie des actifs financiers. Par Georges Lane

Georges Lane

Cet article est un billet de Georges Lane, que vous pouvez retrouver sur son site.

Il y a quarante ans exactement, en 1973, le « Centre de traductions économiques de Perpignan » faisait connaître aux Français non anglophones La monnaie dans une théorie des actifs financiers (éditions Cujas), traduction du livre de J.G. Gurley et E.S. Shaw publié en 1960 sous le titre Money in a Theory of Finance.

Si le livre en anglais synthétisait alors des controverses économiques de la décennie 1950, en France, le cadre comptable qu’il présente semble emporter l’adhésion de 1973 et tranche avec l’économie politique traditionnelle, encore alors peu mathématique.Il tend ainsi, à sa façon, à compléter la comptabilité nationale – comptabilité toute nouvelle à l’époque en France (le monopole qu’est l’Institut national de statistiques et d’études économiques, l’I.N.S.E.E., date de 1946) – qui était en grande difficulté avec la prise en compte des flux financiers comme le suggèrent les textes sur les « tableaux d’opérations financières » de l’époque.

Peu importent les critiques économiques de A.J. Marty (1961) ou de Don Patinkin (1961) sur le livre qui ont éclaté, le temps a passé. On retiendra seulement que les notions de « monnaie interne » et de « monnaie externe » que Gurley et Shaw introduisent ont fait florès. Encore aujourd’hui, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, y fait référence dans un texte récent.

On ne peut que regretter que le livre ait laissé de côté les grandes réglementations juridiques imposées en 1933-34 aux États-Unis puis en 1944 aux États-Unis et aux autres pays membres du tout nouveau Fonds monétaire international.

Dans l’avant-propos, R.D. Calkins, président de la Brookings Institution qui chapeaute le livre, prévient ainsi que le livre offre une « analyse technique ».

Mais qu’est-ce en vérité qu’une telle analyse quand on n’oublie pas l’actualité récente, à savoir l’interdiction de la convertibilité des substituts de monnaie bancaire en monnaie or et l’interdiction de détention de l’or faites aux Américains, une certaine séparation juridique des banques américaines, des taux de change fixes de ce qu’on dénommera « monnaies » par la suite et des balances de paiements équilibrées des pays surveillés par un fonds international original, sans antécédent ?

Il conviendrait d’en tenir compte – au sens propre du mot « compte » –, ce que ne font pas Gurley et Shaw.

Au contraire, leurs concepts de « monnaie interne » et de « monnaie externe » tendent à verrouiller le cachot où gisent les règles de droit pour ne pas parler de leur hypothèse selon quoi « la monnaie est une dette de l’État ».

N’avait pas vu trop le jour encore que la dette de l’État était un « actif sans risque »…

Monnaie, actifs financiers et comptabilité procèdent des règles de droit et de l’échange et, le cas échéant, des réglementations juridiques arbitraires, non pas l’inverse comme peuvent le laisser penser nos auteurs.

En plus d’une comptabilité formelle pour le moins discutable, la méthode de Gurley et Shaw nous situe dans un cadre keynésien « revenus/dépenses » mâtiné de considérations néoclassiques et de la toute nouvelle – alors – théorie de la croissance économique, tout cela sans relation avec le droit.

Pourquoi, dans ces conditions, s’intéresser à La monnaie dans une théorie des actifs financiers, me direz-vous.

Je vous répondrai : à cause de son cadre comptable formel qui tend à rallier inconsidérément des économistes, comptables, mathématiciens et statisticiens et à faire perdre de vue les règles de droit naturel des juristes.

Le livre a ouvert la voie aux errements que nous connaissons aujourd’hui et dont nous gratifient depuis des années les économistes dits « orthodoxes » en connivence avec les « financiers », mathématiciens ou non, statisticiens ou non, et des politiques.

Harry Markowitz aimait à raconter dans la décennie 1990, lors de conférences, que Milton Friedman s’était opposé un temps, en 1952, à son travail de thèse – cf. ce texte – car il considérait qu’il n’était pas économique. Mais son directeur de thèse était parvenu à infléchir Friedman et sa thèse fut acceptée en tant que sciences économiques. On sait la suite.

Le même Markowitz insistait aussi alors sur le fait qu’une des méthodes qu’il préconisait, très approximative, procédait de l’impossibilité de mener des calculs de rendements tant ils étaient trop nombreux.

Quelques années plus tard, à cause de l’essor de l’informatique et de la permanence de la « loi de Moore », la méthode s’avérera inutile.

Quant aux résultats des méthodes financières employées, celles de Markowitz et de ses disciples ou successeurs, nous pouvons mesurer aujourd’hui leur absurdité à l’aune de ce qui s’est produit dans le domaine depuis la décennie 1990 et qu’on peut observer à chaque instant.

Le livre permet, en creux, de comprendre le mal qu’une ribambelle de gens ont fait à la comptabilité, à la vraie, à celle qui part des vrais prix en monnaie des biens échangés, et de s’en affranchir pour retrouver la logique qui mène des règles de droit à l’échange économique, aux prix en monnaie et à la comptabilité.

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