En Espagne aussi, Say fut considéré comme un maître, égal ou plus grand encore qu’Adam Smith. Entre 1803, date de sa première parution en France, et la fin des années 1830, on comptera pas moins de neuf éditions du Traité d’économie politique, sous quatre traductions différentes.
La réception du Traité de J.-B. Say en Espagne
par Benoît Malbranque
(Laissons Faire, n°13, octobre 2014)
Si l’influence de Jean-Baptiste Say a été très vive en France, au point qu’il y ait formé de ses mains au moins une génération d’économistes, dont Bastiat et Dunoyer, il n’y a pas uniquement dans notre pays que l’on puisse repérer des symptômes de l’ « ère Say ». En Espagne aussi, Say fut considéré comme un maître, égal ou plus grand encore qu’Adam Smith. Entre 1803, date de sa première parution en France, et la fin des années 1830, on comptera pas moins de neuf éditions du Traité d’économie politique, sous quatre traductions différentes. Comme nous le verrons dans cet article, cette importante diffusion eut des répercutions dans le monde académique, et servit beaucoup les idées libérales exposées par Say.
L’importance de cette influence de notre grand économiste français a été parfaitement exposée par Fernando Lopez Castellano, qui écrit que « Jean-Baptiste Say a été le classique qui a exercé la plus grande influence, et tous les économistes espagnols de ce siècle restent, directement ou indirectement, débiteurs intellectuels à son égard. » [1] Et effectivement, cette influence a été palpable dès ses débuts, en 1804, quand parut le premier tome de la toute première traduction espagnole du Traité, un an seulement après l’édition originale française.
En 1804, en effet, paraît à Madrid le premier tome du Tratado de economía política, o exposición simple del modo come se forman, distribuyen y consumen las riquezas, par notre économiste français, ici nommé à l’espagnol : Juan Bautista Say. La traduction était anonyme, mais nous savons de par les papiers de Say que cette traduction a été réalisée par José Queypo, comte de Toreno.
Cette édition eut un véritable succès. Écoulée sans difficulté, elle fut largement mentionnée par la presse de l’époque (cf. notamment le Mercurio de España, 15 et 31 mars 1804, et les Efemérides de España, 1er février 1805).
Ce succès s’explique par la réunion de deux facteurs : d’une part, le moment est propice ; de l’autre, il s’agit d’un bon texte pour répondre au besoin.
Le moment, d’abord, semble bien choisi, ainsi que l’indiquera José Queypo dans sa préface du traducteur (1804). Car en effet, les premières années du siècle sont en Espagne une période « où l’intérêt pour ces études commence à s’éveiller parmi nous, et où des chaires voient le jour pour les enseigner. » [2]
Ensuite, il s’agit du traité d’économie qui convient. Les Espagnols, restant soucieux d’obtenir des principes économiques conformes à la situation de leur pays, sont invités à étudier ce livre qui se présente comme applicable à tous les pays comme à tous les temps. Plus encore, le Tratado est décrit comme supérieur à la Riqueza de las Naciones d’A. Smith, car il représente le premier « traité fondamental réunissant tous les principes de la science et ordonnant avec méthode et clarté toutes ses vérités pour former un corps régulier et complet de doctrine économique. » [3]
Volumineux, l’ouvrage de Say mettra cependant trois ans à être traduit et publié intégralement dans la langue espagnole : ce n’est qu’à la fin de l’année 1807 que paraît en effet le troisième et dernier volume du Tratado.
Par conséquent, la diffusion de l’œuvre dans le monde académique fut attendre. Ainsi, en juillet 1807, quand un cours d’économie politique fut ajouté au programme de la Faculté des Lois, ce fut la Riqueza de las Naciones de Smith qui fut choisi comme manuel, dans l’attente de l’achèvement de la traduction du Traité de Say. [4]
Dès 1808, cependant, le Tratado de Say s’imposa comme l’ouvrage de référence pour l’enseignement de la science économique. Jusqu’en 1830 environ, il forma la base des cours d’économie dans la grande majorité des universités espagnoles.
En trente ans à peine, le Tratado connaîtra neuf éditions, avec quatre traductions différentes. Présenté comme « la meilleure apologie de la liberté »[5] par l’un des traducteurs espagnols, le Traité de Say dynamisa de manière historique la jeune scène libérale espagnole. Dans le domaine économique, on nota la création de nombreuses antennes similaires au Journal des Economistes français : naquirent ainsi El Economista, La Tribuna de los Economistas, et La Gaceta Económica.
Il nous reste donc une seule chose à dire : muchas gracias Juan Bautista !
Benoît Malbranque
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[1] Fernando Lopez Castellano, « La réception de Say et son influence sur l’institutionnalisation de l’enseignement de l’économie en Espagne (1807-1856) », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2009/2, n°21, p.128
[2]J.-B. Say, Tratado de economía política, Madrid, 1804, pp.xvii-xviii
[3]J.-B. Say, Tratado de economía política, Madrid, 1804, pp.v-vi
[4] Fernando Lopez Castellano, « La réception de Say et son influence sur l’instutionnalisation de l’enseignement de l’économie en Espagne (1807-1856) », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2009/2, n°21, p.130
[5] Prologo de Manuel María Gutierrez à sa traduction du Traité publiée à Madrid en 1817