L’économie politique en une leçon (epub). Par Henry Hazlitt (1946)

Hazlitt epubÉdition numérique de Jérôme A. Pereau-Leroy, Institut Coppet

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La leçon (extrait)

Il n’est pas de science humaine qui soit entachée d’autant de sophismes que l’économie politique. Et cela n’est pas un hasard. Les difficultés qui lui sont inhérentes seraient déjà immenses, mais elles sont multipliées mille fois par un facteur qui, pour d’autres disciplines telles que la physique, les mathématiques ou la médecine, reste insignifiant, je veux parler de la défense des intérêts particuliers. Alors que chaque groupe humain a des intérêts économiques identiques à ceux de ses voisins, chacun d’eux en a aussi qui s’opposent à ceux de tous les autres. Bien qu’un certaine politique puisse assurer le bien de tous, à plus ou moins longue échéance, il en est d’autres qui ne servent qu’un seul groupe au détriment de tous les autres. Le groupe qui serait ainsi favorisé y trouverait un tel intérêt qu’il ne cessera de prôner cette politique par des arguments plausibles et tenaces. Il paiera les avocats les meilleurs pour qu’ils consacrent tout leur temps à défendre sa thèse. Finalement, ou bien ils convaincront le public du bien fondé de cette thèse, ou bien ils la brouilleront si parfaitement qu’un esprit, même avisé, ne sera plus capable d’y voir clair.

A ces plaidoiries sans nombre en faveur de l’intérêt personnel, un second facteur important s’ajoute pour répandre chaque jour des sophismes économiques, je veux parler de la tendance instinctive des hommes à ne pouvoir considérer que les conséquences immédiates d’une politique donnée, ou les conséquences qu’elle peut avoir sur un seul groupe d’intérêts ou de faits, et d’en négliger totalement les conséquences lointaines, non seulement sur un groupe donné mais sur tous les autres. C’est la funeste erreur de ne pas vouloir s’attacher à étudier les conséquences secondaires d’un acte économique.

Or c’est dans cette erreur grave ou dans cette négligence que réside toute la différence entre une bonne et une mauvaise politique économique. Le mauvais économiste ne voit que ce qui frappe directement son esprit, le bon économiste réfléchit plus avant. Le mauvais économiste n’envisage que les conséquences immédiates d’une action donnée, le bon économiste en voit aussi les effets lointains ou indirects. Le mauvais économiste ne juge des résultats d’une politique donnée que par les effets qu’elle a exercés ou exercera sur un seul groupe particulier d’individus ou de faits ; le bon économiste s’inquiète aussi des effets qu’elle aura sur tous les autres.

Cette distinction peut paraître évidente comme peut aussi paraître élémentaire la précaution d’envisager toutes les conséquences d’une politique donnée sur tous les groupes. Mais ne savons-nous pas, tous, par expérience personnelle, qu’il existe envers soi-même bien des indulgences qui, sur le moment, sont plaisantes, mais qui, en fin de compte, s’avèrent désastreuses ? Tous les petits garçons ne savent-ils pas que s’ils mangent trop de bonbons, ils seront malades ? Et celui qui s’enivre ne sait-il pas qu’il se réveillera le lendemain avec mal au cœur et mal à la tête ? Le buveur ne sait-il pas pertinemment qu’il perd son foie et se raccourcit la vie ? Don Juan lui-même n’ignore pas qu’il court toutes sortes de risques, depuis le chantage jusqu’à l’avarie ? Enfin pour poser le problème sur un plan économique individuel, les paresseux et les dépensiers, même au plus fort de leur glorieuse ascension, ne savent-ils pas très bien qu’ils se préparent un avenir de dettes et de pauvreté ?

Pourtant lorsqu’il s’agit d’économie politique, on ignore ces vérités élémentaires. Et l’on voit certains économistes — considérés pourtant comme des hommes de valeur — qui pour sauver l’économie, déconseillent l’épargne et conseillent la prodigalité sur le plan national comme étant le meilleur moyen de sauver l’économie en péril. Lorsque quelqu’un les met en garde contre les conséquences possibles d’une telle politique, il s’entend répondre cavalièrement, comme pourrait le faire un fils prodigue à son père qui lui fait des observations : « Mais quand cela arrivera, nous serons tous morts. » Et l’on prend ces creuses billevesées pour des mots d’esprit et l’on admet qu’elles sont l’image d’une sagesse expérimentée.

Or, la tragédie réside justement en ce que, dès maintenant, nous supportons les conséquences de la politique d’un passé récent ou plus ancien. Aujourd’hui est déjà le lendemain que le mauvais économiste vous conseillait hier d’ignorer.

Les conséquences lointaines d’une politique économique donnée peuvent devenir évidentes d’ici quelques mois. D’autres ne le deviendront peut-être que d’ici quelques années. D’autres encore peuvent même ne se manifester qu’après des dizaines d’années. Mais dans tous les cas, ces conséquences lointaines sont inclues dans la politique présente aussi sûrement que la poule est née de l’œuf et la fleur de la graine.

Sous cet angle, donc, on peut condenser le contenu de toute politique économique en une seule leçon, et cette leçon peut être réduite à une seule phrase :

L’art de la politique économique consiste à ne pas considérer uniquement l’aspect immédiat d’un problème ou d’un acte, mais à envisager ses effets plus lointains ; il consiste essentiellement à considérer les conséquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d’hommes ou d’intérêts donnés, mais sur tous les groupes existants.

4 Réponses

  1. Diawara

    Le mot L’économie politique a t-elle eu lieu grâce aux interventions de l’Etat dans la vie économique ?

    Répondre

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