Le protectionnisme c’est l’ennemi des ports

Ernest Martineau, « Le protectionnisme c’est l’ennemi des ports » (Le Courrier de La Rochelle, 18 mai 1905).


Le protectionnisme c’est l’ennemi des ports

Monsieur le directeur,

Je ne me trompais pas en signalant le protectionnisme comme l’ennemi des ports de commerce en général et, en particulier, du port de La Pallice.

Voici qu’en effet, mettant en pratique la maxime « diviser pour régner », les protectionnistes de la Commission des douanes ont réussi à faire imposer leur idée de la limitation des ports francs.

La Commission des ports francs, cédant à la pression énergique et tenace des protectionnistes, a accepté cette limitation et, si l’on en croit M. Chaumet, rapporteur de cette commission, il n’y aura, sur l’océan, que deux ports francs, à savoir Bordeaux et Nantes.

Il ne faut pas se faire d’illusions, en effet, s’il n’y a que deux ports francs sur l’océan, Bordeaux incontestablement aura le sien et la visite récente du président de la Chambre des députés à Nantes est une preuve que les influences les plus puissantes assureront à cette ville le second port franc.

L’œuvre à faire pour défendre les intérêts du port de La Pallice est donc celle que j’ai indiquée : il nous faut affaiblir et ruiner l’esprit protectionniste dans le Parlement et dans le pays.

À cet effet, il ne faut pas se lasser de rappeler le précepte de Voltaire, précepte que, dans notre frivolité, nous oublions beaucoup trop : « Définissons les termes ».

Il faut définir les termes, il faut expliquer ce que signifie le protectionnisme, comment et pourquoi a été établi à nos frontières le jeu des tarifs protecteurs.

Le protectionnisme, d’après M. Méline, « c’est l’argent des autres ».

C’est l’argent des autres extorqué de la bourse de l’acheteur, comme dit le leader protectionniste, par le jeu des tarifs, au profit de la bourse du vendeur protégé.

Double soustraction : soustraction d’argent à l’acheteur dépouillé, grâce à la soustraction des produits du marché : cherté par disette. 

Or, ce système de double soustraction, qui est l’essence même du protectionnisme, il suffit de le signaler pour le condamner comme contraire aux principes de justice et de liberté, sur lesquels reposent les sociétés modernes, comme un système odieux de restriction et de disette contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

C’est un régime de réaction économique qui viole le droit public, la Constitution, puisque notre droit public repose sur les principes de 1789.

Armés de cette définition, définition dont les éléments nous sont fournis par M. Méline lui-même, et par là même ne saurait être suspecte, nous avons le droit de nous adresser à tous ceux qui, à la Chambre des députés comme au Sénat, se réclament des principes de 1789 et de la Déclaration des droits de l’homme, et de leur dire :

« Si vous êtes des hommes sincères, si vous voulez l’application des principes de la Révolution, si c’est par la solidarité et le fraternité que vous entendez rapprocher et unir les citoyens, répudiez bien haut un système qui, à la maxime de fraternité : « Aimez-vous les uns les autres », substitue cette autre maxime :  « Dépouillez-vous les uns les autres ».

« Dépouillez-vous les uns les autres », tout le protectionnisme est dans cette formule.

Le devoir des amis éclairés du port de La Pallice est donc tout tracé, il est clair, précis.

Nous n’avons pas, comme aux États-Unis, une Cour suprême chargée de faire respecter les principes de la Constitution et de frapper d’interdit les lois qui violent ces principes.

À défaut de cette Cour suprême, faisons appel au Parlement, au pays, signalons la violation certaine, certaine, manifeste, de tous les principes de liberté, de propriété et de justice par le jeu de ces tarifs soi-disant protecteurs du travail national et qui ne protègent que la spoliation du travail de tous au profit d’un petit nombre de privilégiés.

Prouvons que le protectionnisme remplace la liberté par la restriction, l’égalité par le privilège et la fraternité par l’égoïsme, et nous vaincrons.

Nous vaincrons puisque nous avons raison.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, etc.

 E. MARTINEAU. 

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