Lettre de démission du Bureau du commerce, adressée à Trudaine, par Vincent de Gournay (1758)

Lettre à Trudaine (lettre de démission), 1758

(Mémoires et lettres de Vincent de Gournay)

Monsieur,

La nature actuelle de mon bien, la façon dont ce qui m’en reste est placé et les charges auxquelles il est assujetti ne me permettant pas de pouvoir conserver ma charge d’Intendant du commerce, je me vois dans la nécessité de demander la permission de m’en défaire. J’ai autant plus de regret d’abandonner cette carrière, que c’est vous-même, Monsieur, qui me l’avez ouverte, et qui n’avez cessé de me la rendre agréable par la confiance que vous avez bien voulu me marquer ; je m’estimerai fort heureux si j’ai pu y répondre par mes soins pendant le peu de temps qu’aura duré mon exercice. Je puis au moins vous assurer que je n’ai cherché à surprendre la religion de personne, et que si j’ai avancé quelques principes qui ont paru étrangers, ils ne sont point nouveaux. Je les ai puisé dans les écrits et dans la pratique des nations qui nous environnent, et qui font du commerce le principal objet de leurs soins et de leur politique. Les vingt-cinq ans d’étude et d’expérience sur cette matière m’ayant persuadé que ces principes étaient les plus propres à étendre le commerce, je les ai adopté de bonne foi, et je les ai soutenu de même.

Je ne vous dissimulerai point, Monsieur, que lorsque j’ai désiré la charge d’Intendant du commerce, j’y ai été poussé par l’espoir de rapprocher un peu plus le commerce et les négociants des personnes en place. J’ai espéré que si cet état pouvait être vu de plus près et être plus connu des supérieurs, il acquerrait en France le même degré de faveur et de considération dont il jouit chez nos voisins, qu’alors on ne croirait plus prendre un état, quand on quitte celui-là, pour en embrasser d’autres infiniment moins liés à la force et à la puissance du Royaume : cette façon de penser n’est point indifférente dans un siècle où chaque nation s’occupe de faire pencher cette balance de son côté ; elle fait que chez nos concurrents le commerce ne perd point de sujets et en acquiert tous les jours de nouveaux, au lieu que chez nous il en perd chaque jour et que les riches et les anciens négociants qui le quittent ne sont point remplacés par les nouveaux qui se présentent pour prendre leur place avec un crédit et des facultés bien inférieurs. J’ai eu le plaisir, Monsieur, d’être plus d’une fois témoin de vos bonnes intentions à cet égard. Elles me font espérer que s’il est possible de prendre des mesures pour faire revenir la nation d’un préjugé qui l’appauvrit en même temps qu’il contribue à la dépeupler, elle vous les devra.

Au reste, Monsieur, comme je crois vous devoir un compte plus particulier qu’à personne des raisons qui me forcent à me défaire de ma charge, je prends la liberté de vous envoyer ci-joint l’état au vrai du bien qui me reste, de mon revenu et de mes charges annuelles ; vous verrez, Monsieur, que ce n’est ni par dégoût ni par aucun autre motif que je songe à me retirer, mais uniquement pour me conformer à ma situation présente.

Il me reste à vous faire mes remerciements les plus sincères des témoignages de confiance et d’estime que vous m’avez si souvent donnés. J’en conserverai toute ma vie la reconnaissance la plus vive, et j’espère ne faire jamais rien qui puisse me la faire perdre.

État de ce qu’il en a coûté pour être Intendant du commerce

Payé au commencement de juin 1749 pour les frais de réception de conseiller au Grand Conseil                                    8 710 liv.

Pour les intérêts de ladite somme et d’un capital de 30 000 liv., prix de ladite charge pendant 8 années et 6 mois à 5%                         16 451, 15

25 161, 15 liv.

Payé au commencement de mars 1751 pour le prix de ma charge d’Intendant du commerce                           200 000

Pour les frais de réception                                 10 056

210 056

Pour intérêt de ladite somme pendant 7 années                73 519, 12

Pour frais de Bureaux à 500 liv. par an                                   3 500

Pour appointements d’un commis à 1 500 liv.                     10 500

Idem. d’un copiste à 500 liv.                                                     3 500

Ports de lettres de 1755, 56, 57 et jusqu’au 15 mars 1758 dans lesquels ne sont point compris ceux de 1751, 52, 53, et 54 qui ont précédés mes tournées                   1 809, 15

302 885, 70

328 047, 20

À déduire

Pour gages de conseiller au Grand Conseil                           132

Pour idem. d’Intendant du commerce jusqu’au 21 déc. 1756    51 925

Pour 8 années et demi de capitation à 360 liv.                                3 060

Pour 4 gratifications                                                                                12 000

Pour le capital de ma charge d’Intendant                                         200 000

267 117

60 930, 20

À déduire pour mes gages de 1757 à recevoir                     9 000

51 930, 20

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