Pour la liberté de la culture du tabac en France

Dans la séance du 18 mars 1829, Benjamin Constant monte à la tribune de l’Assemblée pour défendre la liberté de la culture et de la vente du tabac, contre le monopole inique alors appliqué. C’est une vérité absolue de l’économie politique, dit-il, que le monopole fait toujours moins bien et plus chèrement ce que l’intérêt particulier offre plus avantageusement. Les prétextes qu’on présente à l’appui du monopole, selon lui, ne tiennent pas, et il s’applique à les réfuter les uns après les autres. Il conclut à l’inefficacité, à l’immoralité même du monopole, de tout monopole. En attribuant un privilège à quelques-uns, contre une charge pesant sur tous les autres, il est une forme de spoliation. Suivre ce système, et donner systématiquement des privilèges aux uns puis aux autres, consiste à « offrir en holocauste aux contribuables en masse les contribuables en détail ».


Opinion de Benjamin Constant,
sur le projet de loi relatif à la fabrication et à la vente exclusive du tabac

Chambre des députés, séance du 18 mars 1829

(Archives parlementaires de 1787 à 1860, deuxième série, tome LVII, Paris, 1884, p.469-478)

L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le projet de loi concernant le monopole du tabac.

M. Benjamin Constant. Messieurs, si j’avais à parler devant une Chambre moins consciencieuse et moins éclairée, j’éprouverais assez d’embarras. Je craindrais, en réclamant les principes, de m’entendre dire que sur les principes tout le monde est d’accord : en présentant des chiffres, de me voir objecter l’inutilité des chiffres qui descendent de la tribune, sans qu’on puisse les vérifier ; en alléguant des faits, de rencontrer MM. les ministres, tirant de l’arsenal qu’ils nous cachent, quelques faits exacts ou non, peu importe. Tout examen est impossible, et comme ils entoureraient le fait prétendu de développements qui sont à leur disposition, tandis qu’ils ne sont point à la nôtre, leur affirmation tranchante et sèche l’emporterait sur tout ce que je pourrais dire et même prouver.

En m’adressant à vous, Messieurs, je n’éprouve aucune de ces craintes. Quand j’invoquerai les principes, vous ne me direz point que vous êtes d’accord avec moi pour les reconnaître, et d’accord avec les ministres pour les violer.

Si je vous soumets des chiffres, vous sentirez qu’il ne suffit pas que les ministres vous en apportent d’autres, mais qu’il faut qu’ils nous donnent un moyen de comparer les leurs et les miens, ce qui ne peut se faire qu’en les livrant à l’examen de juges compétents auxquels ils fourniraient les documents nécessaires, et qui vous feraient un rapport.

Enfin, si j’avance des faits dont les preuves sont éparses, mais dont les ministres nous refusent les démonstrations authentiques, parce que mes faits sont aussi un monopole ministériel, vous ne serez point ébranlés par quelque fait choisi, dont ils auront soigné le cortège, et qui semblerait à des esprits moins justes que les vôtres, d’autant plus positif qu’il serait séparé des circonstances qui probablement l’auraient modifié. J’aborde donc avec confiance un sujet devenu difficile, parce qu’il est rebattu et que les vérités générales qui dominent la matière sont à la fois repoussées comme paradoxes et dédaignées comme lieux communs.

Je ne vous rappellerai toutefois qu’en passant ce dont vous convenez tous que tout monopole est contraire aux saines doctrines de l’économie politique sous plus d’un point de vue ; d’abord il transforme une autorité qui doit protéger l’industrie et la laisser libre, en une rivale plus maladroite, plus chère, et qui ne compense ces désavantages que par l’oppression ; car il est suffisamment reconnu que le gouvernement fabrique toujours plus mal et vend plus chèrement que le particulier, parce que l’intérêt particulier est le seul guide habile, le seul stimulant actif pour le perfectionnement, pour l’économie, pour la surveillance.

Tout système de fabrication par le gouvernement est un héritage déplorable de ces temps d’ignorance où l’on croyait utile et précieuse l’action du gouvernement sur toute chose, où l’on pensait qu’il devait se montrer envieux de tous les gains des individus et se mettre à leur place pour s’en emparer, où l’on séparait la richesse de l’État de celle des particuliers, où l’on ruinait les uns pour grossir les coffres de l’autre. De plus, le monopole tue la production. C’est non seulement son effet, c’est sa volonté ; l’objet spécial qui nous occupe nous en fournit la preuve. Les ministères qui ont réclamé le monopole avouent cette intention ; les directeurs généraux la professent avec une sincérité qui ne manque pas d’une certaine hardiesse. Plusieurs décisions ministérielles attestent que depuis dix-huit ans on travaille à réduire des 3/4 la plantation du tabac, et M. le directeur général de 1819 se plaignant de l’accroissement qu’avait pris cette culture avant le monopole, vu que la régie, disait-il, serait dans une position fâcheuse, si la production était plus considérable que la consommation intérieure. Cette hostilité contre la production contient un principe menaçant pour toutes les industries.

Si le gouvernement a le droit de prohiber ou de restreindre une culture quelconque, pour s’arroger le bénéfice de la fabrication et de la vente, il a le droit de prohiber ou de restreindre toute culture, pour se procurer ce bénéfice. Si le monopole du tabac est juste, celui de toutes les matières produites ou fabriquées l’est également. Le propriétaire d’un terrain favorable à la vigne n’a pas un droit plus sacré à le cultiver que le propriétaire d’un terrain favorable au tabac. Mais interdire la production, c’est attenter à la propriété. Votre commission vous l’a prouvé de la manière la plus lumineuse. On a pourtant essayé de la réfuter. Mais a-t-on réfuté cet argument si clair et si simple que la propriété n’était précieuse que par l’usage qu’on pouvait en faire, qu’interdire au propriétaire l’usage qu’il croit le meilleur, c’est frapper arbitrairement de stérilité ce qu’il possède ; que si le gouvernement a ce droit dans un cas, il l’a dans tous, et que cette épée suspendue sur la propriété, si elle ne l’anéantit pas de fait, l’anéantit de droit ?

Car, qu’est-ce que le droit de propriété, si la propriété peut être condamnée à ne rien produire ? Or, dans le système du monopole, elle peut l’être. Elle ne produit que sous le bon plaisir du gouvernement. Il peut multiplier, varier, atténuer ses prohibitions.

Qu’est-ce que la propriété soumise de la sorte à tous ses caprices, à toutes ses erreurs ?

En vain les amis du monopole vous disent qu’une industrie non exercée n’est pas une propriété. Dans notre état social actuel, le droit d’exercer son industrie est peut-être de tous les droits le plus respectable, par ce que, dans cet état social, l’industrie est peut-être la plus sacrée des propriétés. Elle résulte du travail et non du hasard. Pour l’obtenir, il faut la mériter. La propriété foncière est la valeur de la chose, la propriété industrielle la valeur de l’homme. En violant les droits de la propriété et de l’industrie, on viole la Charte : votre commission l’a également démontré.

Je ne croyais pas avoir besoin de revenir sur cette preuve mais M. le directeur général s’est servi d’un argument si neuf, qu’il m’oblige à en dire quelques mots. En déclarant les Français égaux en droit, la Charte n’a parlé que des personnes, et non des choses. Qu’est-ce dire ? Les droits des personnes ne s’étendent-ils pas sur les choses ? Si on prend à l’un le bien qu’on respecte dans l’autre, n’attente-t-on pas aux droits déclarés égaux pour tous ?

On ne fait que désigner les terres qui pourront ou ne pourront pas être consacrées à la culture. Vraiment on ne fait que dire à un Français : Tu cultiveras de la manière qui te sera la plus profitable et à l’autre : Tu ne cultiveras pas. Voilà des Français bien égaux entre eux, voilà une Charte bien respectée ! J’ai entendu parler dans cette discussion, d’idéologie. Je n’en ai jamais vu de plus sophistique et qui témoignât moins d’égards pour l’intelligence de ses auditeurs.

Mais on ne dépouille pas le possesseur, on limite certaine culture pour un avantage commun à tous, sans en excepter celui-là même auquel elle est interdite. Celui auquel elle est interdite ! donc, on ne se borne pas à limiter, on prohibe. C’est pour le plus grand avantage de tous, de celui-là même que la prohibition frappe. Je ne connais aucune vexation qui ne se motive sur l’avantage de tous, même des victimes. Admettre cette logique doucereuse, c’est consacrer l’arbitraire, sans qu’il soit possible de lui assigner de bornes.

Non, Messieurs, vous ne pouvez approuver le monopole, ni comme propriétaires, car vous devez respecter dans les autres la propriété dont vous réclamez les droits pour vous-mêmes ; ni comme amis de l’industrie, car elle est menacée par une usurpation que des raisonnements analogues pourraient étendre à toutes ses branches ; ni comme législateurs, car vous êtes assermentés à la Charte.

Et ne vous laissez pas éblouir par une confusion de mots astucieux ; la Charte autorise les impôts, et l’on vous dit que le monopole est un impôt ; on vous l’a dit dans une pétition où quelques hommes qui demandent un privilège contre toute la France accusent ceux qui réclament la liberté et la concurrence d’agir dans un intérêt privé. Mais en vous parlant ainsi, ou vous trompe ; le monopole n’est point un impôt ; l’impôt porte sur la production. Le monopole empêche de produire ; l’un est un droit du gouvernement, l’autre une spoliation.

Si l’on vous dit que le monopole accroît les revenus du Trésor, en ménageant les contribuables, on vous trompe de même. Le premier intérêt des contribuables, c’est d’être à l’abri des caprices du fisc, c’est de n’être pas exposé à ce qu’on surcharge inégalement tantôt les uns tantôt les autres : sans cela l’inégalité pourrait peser successivement sur tous, et l’on offrirait tour à tour en holocauste aux contribuables en masse les contribuables en détail.

Un pair de France disait à la tribune, le 31 janvier 1825 : Si le Trésor a besoin d’une subvention annuelle c’est sur la généralité des contribuables qu’il doit la prendre. Laissons, continuait-il, toutes ces entraves qui n’appartiennent point à la nature de notre gouvernement, et que réprouvent nos lumières en administration politique. C’est la liberté, c’est la concurrence qui font la prospérité de l’industrie, du commerce des nations ; le monopole ne sert qu’à les détruire. Le pair de France qui parlait ainsi, c’était M. Roy. Mais une autre considération doit s’offrir à vous : si l’accaparement d’une production est si profitable aux contribuables, et s’il est légitime, pourquoi le gouvernement ne t’étend-il pas à d’autres industries ? Les contribuables ont lieu de se plaindre, il néglige leurs intérêts.

Que ne met-il donc en monopole les vins, les draps, les sucres ? Que je voudrais alors voir ceux des industriels qui disent qu’un principe ne peut balancer 45 millions, se croyant profonds parce qu’ils sont injustes, et hommes d’État parce qu’ils affectent la fatuité du machiavélisme ! Comme ils invoqueraient ces principes qu’ils méprisent ! Quel luxe de doctrines ! Quelle rigueur d’application ! Et tout cela parce qu’on les aurait touchés ! Tant qu’on ne les touche pas, ils approuvent ; ils sourient dans leur sécurité dédaigneuse. J’en conviens, cette sécurité est fondée. Le gouvernement n’instituera pas de nouveau monopole ; il n’aurait pas établi celui que je combats, s’il ne l’eût hérité de Bonaparte. Et le ministre des finances de 1814 déclarant, le 1er octobre, avec une bonne foi que ses successeurs auraient dû imiter, qu’on n’aurait jamais dû admettre un pareil expédient ; mais ce que les ministres n’oseraient inventer, ils le conservent.

Je m’indigne quand je vois qu’on maintient ce qu’on rougirait de proposer, et que ce n’est pas injustice dont on se fait scrupule, mais l’odieux de l’injustice qu’on voudrait esquiver. On emprunt à l’égide des traditions impériales pour obtenir le profit du mal et en éluder la responsabilité.

Si Bonaparte eût imaginé d’étendre à tout, le monopole qui pèse sur la culture du tabac, nous aurions tous les monopoles, et nos ministres nous allégueraient, pour tous, les inconvénients de l’exercice, les plaintes qui s’élèvent, les fraudes qui se commettent, les difficultés de la surveillance, l’impossibilité du remplacement. Je l’ai dit ailleurs : les traditions impériales sont le fléau de la Restauration. La France ne sera libre et prospère que lorsque son gouvernement aura répudié ce funeste héritage.

Passons maintenant des principes aux faits, et voyons d’abord ce que la culture libre du tabac pourrait être en France. Le sol de la France est éminemment propre à cette production disait, dès 1788, Le Trosne, dans son ouvrage sur les administrations provinciales. « Les pays qui se trouvent sous la même ligne que nos provinces méridionales, ou ceux qui sont plus rapprochés de l’équateur pourraient seuls rivaliser avec nous. Nous n’aurions donc à craindre en Europe que le Portugal, l’Espagne, l’Autriche et l’Italie ; mais les gouvernements de ces contrées négligent ou prescrivent la culture du tabac. Nous rencontrerions dans le Nouveau-Monde, les États-Unis ; mais nos tabacs, de qualité supérieure, valent autant que ceux de la Virginie. »

Il faut aussi porter en ligne de compte l’habileté de nos fabricants. Les tabacs confectionnés à Dunkerque étaient jadis recherchés dans le nord et le midi de l’Europe. Nous lisons dans les procès-verbaux de la commission du Havre, qu’avant le monopole, il se fabriquait et s’expédiait pour le Portugal une espèce particulière de tabac qui, approprié au goût du pays, trouvait un débit considérable ; et les manufacturiers de l’Alsace faisaient de leur côté des ventes considérables de deuxième qualité exportées à l’étranger. Je conviens que, par l’effet même du monopole qui subsiste depuis 18 ans, beaucoup de fabriques s’étant établies en Allemagne, l’exportation des tabacs français ne serait plus ce qu’elle était autrefois. En 1810, il n’y avait que deux fabriques dans le pays de Bade. Il y en a maintenant près de 40, dont 15 appartiennent à d’anciens fabricants d’Alsace.

Je ne m’en plains point, je n’envie à aucune nation le développement de son industrie. Il est dans les lois de la nature que ce développement ait lieu tôt ou tard. Mais je demanderai s’il n’est pas bizarre qu’un gouvernement qui nous met dans une guerre commerciale avec tous les peuples par un système de douanes qu’il ne justifie qu’en disant qu’il faut favoriser nos produits indigènes, se montre tout à coup si indifférent à l’apparition de manufactures rivales sur nos frontières, dans une branche très importante ; et j’ajoute que, malgré cette rivalité, la France, qui, par sa position géographique, sa température, son sol fertile, son agriculture améliorée, son ingénieuse et infatigable activité, aurait pu s’approprier presque exclusivement l’approvisionnement du tabac en Europe, le pourrait encore, jusqu’à un certain degré, si la liberté et tous les perfectionnements qu’elle amène rétablissaient la réputation de ses anciennes fabriques.

Le monopole fait donc éprouver une perte immense aux exploitations rurales, à toutes les branches de l’industrie qui se rattachent de près ou de loin à la culture du tabac, et par là même à la France entière.

Dans les trois années qui ont précédé l’établissement du monopole, le terme moyen de la récolte a été, sur 14 403 hectares, de 16 667 082 kilogrammes. Le terme moyen sous le monopole est de 7 106 hectares, produisant 9 356 727 kilogrammes. Différence en moins, 7 297 hectares et 7 320 355 kilogrammes. La culture a donc diminué de moitié en étendue, et de 47% de produit.

M. Cordier, dans son ouvrage sur l’agriculture de la Flandre, dit que le gouvernement a empêché dans le département du Nord la culture du tabac sur 500 hectares, et qu’il en est résulté pour les deux arrondissements, que l’interdiction a frappés une perte de plus d’un million de revenu.

On peut établir, par des calculs certains, que depuis le monopole la France s’est appauvrie de 39 400 000 francs par an, par la réduction de la culture et la non-exportation qui s’en est suivie, et de 4 480 000 francs sur la moins-value de la production, et par suite de l’usurpation du bénéfice qui se serait partagé entre les familles ouvrières.

Vous soumettre ces calculs en détail serait exiger de vous une attention impossible. Mais je les tiens en main, et je les communiquerai à ceux de mes collègues qui voudront bien en prendre connaissance, en vous faisant remarquer, à cette occasion, que tant que le ministère s’opposera à la formation d’une commission qui recueille, coordonne et vous transmettra les renseignements propres à vous instruire, toute discussion à cette tribune sera un piège et une dérision.

Un instinct rapide a de tout temps averti les Français des avantages que leur présentait la culture du tabac.

Un de nos collègues qui, dans tout ce qui tient à la liberté soit politique, soit religieuse, soit civile ou commerciale, a toujours marché le premier vers toutes les améliorations désirables, et qui en est récompensé par la reconnaissance de deux grands peuples, proposait déjà en 1786, dans une réunion consultative convoquée par M. de Calonne, de substituer au monopole la libre culture et prouvait par des calculs que le revenu public dont cette branche était évaluée à 29 millions, y gagnerait 6 millions de plus, indépendamment du bien-être qui en résulterait pour les classes inférieures alors bien misérables. Le privilège de la ferme était à peine aboli que la culture prit soudain le plus vaste accroissement.

Même avant la réunion de la Hollande, 56 départements s’y livrèrent et non pas 52, comme l’a dit hier M. le directeur général, et bientôt les produits excédèrent d’un tiers la consommation française.

Et ne vous laissez point effrayer, Messieurs, par la crainte que si la culture du tabac est si profitable, on ne s’y livre avec excès, et qu’elle n’envahisse des terrains qu’il serait plus prudent de consacrer à la culture du blé.

M. le directeur général a paru vouloir vous frapper de terreur sur cette invasion. Il vous a peint le tabac s’avançant comme un torrent, sur les prés, les champs, dans les parcs, dans les jardins. Il n’aurait pas parlé des cosaques avec plus d’indignation et d’horreur. Rassurons-nous. On ne cultivera le tabac qu’autant que la culture en sera profitable, et le même intérêt qui l’aura provoquée y mettra des bornes.

D’ailleurs, d’après les calculs du premier géomètre du siècle dernier, la portion de terrain soumise en France à la culture du blé est de 74 millions d’arpents, et pourrait fournir à la consommation de 164 913 000 individus. Accordons-nous une diminution des deux tiers, nous aurons encore le double de la population actuelle. Ne craignons donc pas de consacrer quelques portions de terrains à d’autres cultures. Et ici je m’adresse à ces propriétaires de terres, qui, plus d’une fois à cette tribune, se sont plaints du fléau de l’abondance. Ne vous récriez-vous sans cesse, leur dirai-je, sauf de très rares exceptions, contre le bas prix des céréales ? ne répétez-vous pas chaque jour que ce bas prix menace l’agriculture d’une ruine complète ! Il est donc de votre intérêt, il est de l’intérêt de l’agriculture, si ce que vous dites est vrai, de voir décroître le nombre des arpents uniquement consacrés au blé. Et remarquez que la culture du tabac n’enlève pas à l’agriculteur des moments réclamés par d’autres travaux. Les céréales sont en pleine végétation dès le mois d’avril, la plantation du tabac commence en mai et finit en juin. La moisson est entièrement terminée vers le 15 septembre ; le tabac se récolte du 15 septembre au 15 octobre. Ainsi, cette culture arrive comme à point nommé, tandis que les autres travaux sont interrompus.

Indépendamment de l’importation qui renaîtrait, la consommation extérieure s’accroîtrait infailliblement.

En 1809 et en 1810, lors de la fabrication libre, et quand les fabricants profitaient de cette liberté pour multiplier les diverses sortes de tabac au gré des consommateurs, la consommation s’est élevée à trois quarts de kilogramme par tête ; et nous prenons ici pour terme de comparaison des années de guerre de 1803 à 1811, années qui succédaient à nos grandes agitations politiques, et durant lesquelles 6 ou 700 000 individus, qui consomment le plus de tabac, étaient constamment dans l’étranger.

Si la consommation est aujourd’hui au-dessous d’un tiers de kilogramme au lieu des trois quarts, cette diminution tient à la gêne de la fabrication et à la hausse des prix. On ne peut douter qu’en rendant aux particuliers la liberté de la fabrication et du commerce, on ne fit remonter la consommation à l’ancienne quotité. Et que d’autres avantages ne s’ensuivraient point par le travail rendu aux classes laborieuses, dans les fabriques et les manufactures, pendant les saisons les plus défavorables ! Les femmes, les enfants retrouveraient une occupation proportionnée à leurs forces, et deviendraient classes productives de classes stériles et consommatrices.

Ainsi, liberté d’industrie, retour aux principes, impôt au lieu d’interdiction de produire, justice envers la propriété, respect pour la Charte, capitaux appelés de l’étranger, travail rendu au peuple, fertilité rendue au sol, aisance répandue dans les campagnes et parmi les classes les plus malheureuses, tels seraient les résultats de la libre culture ; qu’oppose-t-on à ces avantages ? ces paroles : Le monopole produit 45 millions. Nous examinerons l’assertion elle-même ; mais disons d’abord un mot de cette préférence donnée au fisc sur toutes les notions de justice, de constitution et de morale.

Il est si vrai que c’est l’intérêt supposé du fisc (je dis supposé, car je prouverai que le fisc perd par le monopole, au lieu d’y gagner) ; il est si vrai que c’est cet intérêt supposé qu’on préfère à tout, qu’un journal, organe du ministère et défenseur d’office du monopole, après avoir reconnu toutes les vérités que nous établissons, continue ainsi : « Ces objections ne sont pas sans force ; mais opposons-leur des considérations plus élevées. » Plus élevées, Messieurs ; c’est donc à dire que l’argent est au-dessus de l’équité, de la Charte, de la liberté promise et jurée ! …

Mais élevons-nous, puisqu’on le veut, ou plutôt descendons aux considérations purement financières. Plaçons-nous sur le terrain de MM. les ministres ; là aussi je ne crains pas de les rencontrer. Le monopole, nous disent-ils, produit 45 millions, parce que le gouvernement profite du bénéfice de la fabrication et de la vente, qui autrement enrichiraient les particuliers. Trouvez un moyen d’assurer au fisc 45 millions en remplacement.

Reprenons cet argument partie par partie. Le monopole produit 45 millions : d’abord, il faut en retrancher 15 millions que produirait le commerce libre, de l’aveu du ministre des finances, et je prends cet aveu dans mon raisonnement actuel, sans renoncer à le contester ensuite, et me réservant de prouver que le commerce libre produirait un remplacement complet. Mais procédons par ordre. Le ministre avoue que le commerce libre produirait 15 millions : il ne faut donc pas étourdir nos oreilles du chiffre de 45 millions, mais seulement de 30. Je n’ajouterai point à cette déduction celle de 5 millions que le commerce libre payait à la douane pour les droits sur les tabacs exotiques, ni celle de l’impôt sur le sel employé dans la fabrication du tabac ; vous me diriez que ces produits sont compris dans les 15 millions ci-dessus ; mais je vous ferai remarquer pourtant que l’un des éléments de tous les projets de remplacement dont je m’occuperai tout à l’heure, étant l’augmentation du droit sur les tabacs étrangers, et la consommation devant s’accroître par le commerce libre, les produits de ces deux objets excéderont de beaucoup la somme à laquelle ils étaient évalués. C’est donc encore une déduction à faire sur les 30 millions réclamés par le fisc.

Ajoutez à cela que le monopole prive le Trésor du produit du timbre, des correspondances, des livres de commerce, des droits de voiture, en un mot de l’accroissement qui résulterait pour tous ces impôts de la liberté de la fabrication et de la vente. Il prive encore l’État d’une partie des droits de mutation, puisqu’il est prouvé qu’il a fait baisser les terres en interdisant une culture qui les augmentait de valeur. Enfin le monopole, diminuant les ressources, et par là même les gains de la classe ouvrière, diminue les consommations, et les impôts sur les consommations en souffrent.

Ainsi l’évaluation des 45 millions, réduite à 30, de l’aveu du ministre, doit encore être considérablement diminuée.

N’importe, nous disent les apologistes du monopole, trouvez un remplacement de ces 45 millions, qui, comme on voit, n’en font pas 30, et garantissez-nous que ce remplacement nous donnera la somme entière que nous percevons. J’ai ici deux observations à faire, que je prie la Chambre de peser successivement. Ce n’est pas à vous, c’est aux ministres, quand un impôt est vicieux, à trouver les moyens de le remplacer. Ils ont les avantages du pouvoir, qu’ils en aient les charges, qu’ils étudient, qu’ils méditent, c’est leur état, c’est leur devoir. Un journal qui tantôt combat, tantôt défend les ministres, et je suis loin de lui en faire un reproche, car avec de l’impartialité, il est impossible de ne pas être tour à tour pour et contre un ministère qui fait au moins quatre fois par jour des évolutions en sens opposé ; ce journal, dis-je, a senti la force de l’objection et a tenté d’y répondre.

Cette prétention que nous trouvons inconvenante et injuste, il la dit modeste et prudente ; il veut que la Chambre cherche, de concert avec le ministère, le genre d’impôt le plus convenable, qu’elle fasse des enquêtes, des recherches ; ce sont ses expressions.

J’y consens, Messieurs, mais alors quand nous demandons le moyen de faire des enquêtes, que le ministère ne nous les refuse pas ; qu’il ne nous dise point que nous empiétons sur l’administration ; qu’il ne restreigne pas les droits qu’évidemment la Charte nous donne ; car puisqu’elle veut que nous prononcions, elle entend que nous ayons la faculté de connaître les objets sur lesquels nous devons prononcer.

Il se peut que sous ce rapport, j’accuse à tort l’intention des ministres. « Il n’est pas de question, nous a dit hier le commissaire du roi, qu’il appartient mieux aux Chambres de juger, selon leurs propres lumières, sous la seule influence d’une sage et profonde discussion. » Certes, Messieurs, ce n’est pas ici, qu’en l’absence de tous documents, réduits à des investigations toujours entravées, et avec la prévoyance des dénégations ministérielles, cette discussion profonde peut avoir lieu. Au reste, Messieurs, le ministère va être mis à l’épreuve. L’un de nos honorables collègues nous propose de faire l’enquête que le journal recommande si le ministère la repousse, vous conviendrez qu’il se joue de nous.

Ma seconde observation, c’est que ce que le gouvernement demande a été fait perpétuellement depuis 1814. Il n’y a pas d’année où les commerçants, tantôt réunis spontanément, tantôt représentes par les chambres de commerce, n’aient proposé des moyens de remplacement. J’en ai plusieurs, modifiés diversement, mais reposant tous sur les mêmes bases : tantôt un impôt sur les terres déclarées par les propriétaires, comme devant être consacrées à la culture des tabacs ; tantôt des licences, des patentes, des droits à l’entrée des tabacs exotiques, des droits sur la vente des tabacs fabriqués. Vous présenter ici ces projets serait vous fatiguer inutilement. Vous ne pourriez les examiner, et cette réflexion doit vous faire sentir plus amèrement encore combien la demande d’un remplacement est illusoire, de la part des ministres qui vous refusent un droit d’enquête, seul droit qui vous mettrait à même de comparer ces procès et de les juger.

Je suivrai donc l’exemple que m’a donné l’auteur de l’excellent rapport que vous avez entendu ; il vous a déclaré que la commission croyait le remplacement possible. Je me bornerai comme lui à vous dire que l’examen très approfondi des divers projets qu’on m’a communiqués a porté dans mon esprit la même conviction.

L’un de ces projets s’appuie sur la liberté de la fabrication, après une déclaration préalable, le nombre illimité des fabricants et des débitants, la circulation des tabacs sous acquit à caution, un droit de 2 fr. 50 c., ou même de 3 francs sur 15 millions de kilogrammes de tabacs indigènes, consommation présumée ; un autre droit par quintal métrique sur les tabacs exotiques, et la libre exportation des tabacs en feuilles. Il présente un revenu net de 43 800 000 francs.

Dans ce projet, la fraude serait réprimée par la saisie des tabacs, des chevaux, des voitures et de tous les objets qui auraient servi à frauder ; par une amende de 2 000 francs sur laquelle aucune transaction ne serait admise ; par la détention du contrevenant jusqu’à parfait payement de l’amende et des droits, et par l’interdiction de planter à l’avenir.

Un autre projet, qui diffère du premier par des droits moins forts et l’admission de cautionnements et de licences élevées, produirait 41 500 000 francs, et, d’après ce dernier projet, le commerce libre livrerait à 9 francs ce que la régie rend à 15 francs, et à 4 fr. 50 c. ce qu’elle rend à 8 francs.

Mais il aurait l’inconvénient de concentrer la culture entre les mains de quelques fabricants riches, ce qui a fait dire aux défenseurs du monopole qu’on substituait à celui du gouvernement celui de quelques particuliers ; mais nous répondrons tout à l’heure à cette objection.

Un troisième projet, établissant un droit de fabrication de 400 francs par quintal métrique sur les feuilles exotiques, et de 100 francs pour les feuilles indigènes, plus un droit de 10 francs par 100 kilogrammes, payable par le fabricant au sortir des fabriques, et un droit d’un décime par kilogramme, payable par le débitant, rapporterait 48 200 000 francs.

Un quatrième, le plus facile de tous peut-être, consisterait, indépendamment des droits de détail, à frapper d’un impôt la terre consacrée à la culture du tabac.

Cet impôt serait très facile à établir. Chaque cultivateur ferait une déclaration au maire de sa commune qu’il veut planter tant de mesures de terre. Le percepteur procéderait à la vérification avec le délégué du maire. Toute absence de déclaration, ou déclaration fausse, serait punie par l’interdiction de la culture. Il y aurait par là beaucoup moins de gènes, et toute inquisition sur le nombre des plants ou des feuilles serait épargnée au cultivateur.

Une cinquième proposition enfin, faite par 103 négociants de Strasbourg, et reposant sur les mêmes bases avec des répartitions et des évaluations différentes, porte le revenu net à 49 millions. Mais que vous servent ces indications ? Le ministère, du sein des ténèbres dont il se complaît à vous envelopper, peut tout contester et tout obscurcir. Il se repose sur l’ignorance des faits, et c’est lui qui vous y condamne.

Bornons-nous donc à vous rappeler que, dès l’année 1817, le commerce de Strasbourg offrait à l’État, en échange du monopole, un revenu de 49 millions.

L’année dernière, la ville de Nancy, lors du passage du roi, soumettait respectueusement à Sa Majesté ses doléances. Elle comptait jadis, disait-elle, quatorze fabriques de tabac, qui procuraient à une population de de tout âge un les bienfaits d’un travail non interrompu ; de nombreux capitaux y étaient employés, et cette industrie y avait obtenu les plus grands succès.

Le commerce de Nancy, continuaient les négociants de la Meurthe, fournirait au ministre tous les calculs et documents propres à prouver d’une manière incontestable que le commerce libre serait aussi profitable au Trésor que le monopole.

Les mêmes paroles ont retenti dans le conseil général du département de la Corrèze.

Extrait des registres des délibérations du conseil général du département de la Corrèze, session de 1828.

« Le conseil général demande, comme par ces précédentes délibérations, le droit de cultiver le tabac dans le département. Le climat et le sol conviennent si bien à cette culture, qu’avant le monopole, les tabacs du pays, connus sous le nom de tabacs de la vicomté, étaient les plus estimes. »

Le conseil général réclame, au surplus, contre le monopole que l’État exerce de cette plante. Tout monopole au profit du gouvernement est contraire à la Charte et à tous les principes d’un gouvernement constitutionnel. Chacun est maître de la partie du territoire qui forme son patrimoine. Le droit de propriété emporte avec lui le droit de faire de sa chose ce que bon lui semble, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage contraire aux lois et à la morale.

Pourquoi donc l’agriculteur serait-il borné dans le choix des plantes qu’il lui conviendrait de faire produire à sa propriété ? Si le gouvernement a un droit, ce ne peut être que celui d’imposer le sol pour les besoins de l’État, et non pas de régler la nature et la quantité des plantes qu’il faut cultiver. Et si, pour les besoins de l’État, il est reconnu juste d’imposer une plante plutôt qu’une autre, il faut le faire et non pas en réserver au gouvernement seul le droit de culture, parce que le gouvernement n’a aucun droit de maîtrise ou autrement sur les propriétés particulières et c’est en quelque sorte confisquer la propriété que d’empêcher le propriétaire d’en faire tel usage qu’il estime plus utile à son intérêt.

Un autre inconvénient qui résulte du monopole du tabac tel qu’il est exercé, c’est que l’État, en permettant la culture à un département et en la défendant à un autre, établit des privilèges incompatibles avec notre droit constitutionnel.

Le conseil général demande donc l’abolition du monopole, que le gouvernement peut remplacer plus utilement pour les biens en rendant la culture du tabac libre, moyennant un impôt qui serait perçu sur la déclaration que le cultivateur serait obligé de faire, que son intention est de cultiver telle quantité de cette plante.

Ainsi, de toutes parts, le commerce propose de pourvoir au remplacement du monopole, et l’inexorable obstination des ministres refuse de s’en occuper. Mais, disent-ils, nous avons examiné ces projets, et nous avons trouvé qu’aucun n’allait au but, qu’aucun n’amènerait au Trésor les rentrées actuelles. Par qui les avez-vous fait examiner ? Par des employés qui avaient l’intérêt le plus pressant à n’être pas déplacés, à les trouver défectueux ou inefficaces, par des directeurs généraux dont l’existence dépendait de la continuation du monopole. J’ai lu avec attention les rapports faits par ces employés, par ces directeurs généraux. L’intérêt personnel qui les anime perce à chaque page, et l’amertume du stylo leur donne bien plutôt l’apparence de plaidoyers hostiles contre les malheureux qu’on dépouille, que d’exposés impartiaux et exacts.

Si vous voulez connaître la vérité et faire enfin votre devoir, que n’a fait sous ce rapport aucun ministère, ni du temps de l’Empire, ni depuis la Restauration, nommez des hommes désintéressés dans la question. Envoyez sur les lieux ; consultez ce qu’il reste d’anciens fabricants, ce qu’il y a de planteurs actuels les plus éclairés, et apportez-nous le résultat, pour que nous, que vous appelez à la complicité du monopole, nous puissions enfin juger si nous sommes forcés de tremper dans cette prolongation de la violation de la Charte et des attentats à la liberté de l’industrie. Je dis, nommez des hommes désintéressés dans la question, car il vous serait facile d’en choisir qui seraient favorables à vos vues, parce qu’ils sont indifférents aux principes. Ce ne sont pas là des juges, ce sont des instruments.

Ce que je demande a été réclamé sans cesse depuis l’établissement du monopole. Qu’il me soit permis, disait un député du Bas-Rhin le 11 mars 1817, d’exprimer mon vœu : c’est que dans l’intervalle des sessions, des conférences s’établissent avec des négociants des villes où la fabrication du tabac existait autrefois. Tous les doutes seront éclaircis, tous les obstacles levés, et après avoir recueilli tous les renseignements nécessaires, nous connaîtrons le résultat d’un examen qui intéresse si éminemment le Trésor royal, l’agriculture, l’industrie et la prospérité de l’État.

Eh bien, nous dites-vous, si vous êtes si sûrs de pouvoir, par quelqu’un de vos projets, remplacer le monopole, à produit égal, garantissez-nous ce remplacement. Ceci, Messieurs, est une dérision véritable. Qui est-ce qui vous garantit le produit des autres contributions ? L’expérience. Appelez-en donc à une expérience complète ; car, comme je l’ai déjà observé, celle de 1803 à 1811, ne l’est pas. À cette époque les droits étaient mal répartis, la surveillance moins bien organisée qu’à présent, et, je le répète, 500 000 à 600 000 hommes, de ceux précisément qui consomment le plus de tabac, étaient absents de France. Mais, continuez-vous, tous les modes de remplacement proposés nécessitent une surveillance impraticable, une surveillance plus gênante, plus vexatoire que le monopole. Examinons ces deux assertions.

Comment la surveillance sur la culture, la fabrication, la vente du tabac serait-elle plus impraticable que celle que la direction des contributions indirectes exerce sur tant d’autres objets ? N’existe-t-il pas un service régulier pour surveiller toutes les parties qui sont dans les attributions de la régie ? Ne suit-elle pas la circulation des boissons dans tous ses mouvements ? Combien de négociants en gros, de marchands en détail, de débitants, de restaurateurs, d’aubergistes sont soumis à l’exercice ! les employés ne sont pourtant point effrayés de leur nombre. Ils savent bien trouver les quantités et faire acquitter les droits ; ils savent découvrir celles qui circulent sans congé et sans acquit-à-caution. Si l’on peut suivre les boissons chez 400 000 ou 500 000 débitants de toute espèce, après qu’on les a manipulées et qu’on a eu le temps et les moyens d’en soustraire de fortes parties, on ne doit pas craindre de percevoir des droits sur mille ou quinze cents fabricants de tabac que les planteurs seraient obligés de désigner.

Les employés chargés de la surveillance des boissons, ceux des octrois seconderaient la régie ; les autorités locales prescriraient les mesures de police. Vous auriez pour vous l’intérêt des fabricants et des débitants ; ils s’associeront à la répression. Vous trouverez en eux des auxiliaires, tandis que le monopole en fait des ennemis.

Parlera-t-on du danger des plantations clandestines ? Mais, dans le système du monopole, comme dans celui de la liberté, il faut une surveillance pour empêcher ces plantations. Comment la régie sait-elle aujourd’hui qu’il ne s’en fait point, soit dans les départements prétendus privilégiés, soit dans les autres ? Par la surveillance, sans doute. Elle doit donc s’exercer également, et sous le monopole et sous le régime de la culture libre. Voulez-vous ajouter un moyen de surveillance bien simple ? faites pour les fabriques de tabac, comme pour celles de soude, où des employés résidants constatent l’usage et les quantités de sel marin affranchi des droits. Ces employés constateraient, par l’entrée, la quantité des matières brutes, et percevraient, à la sortie, les droits établis sur les matières fabriquées.

Le monopole vous est plus commode que toutes ces précautions. J’entends ; c’est pour votre commodité que vous existez, que vous avez de beaux palais, de vastes salaires, des milliers de dépendants, tous les avantages de l’influence, et les administrés vous les garrottez pour dormir en paix. Quant aux vexations que vous voulez épargner aux planteurs de tabac, ils vous répondent, en premier lieu, que les vexations du monopole ne sont pas moins grandes que celles qui résulteraient des exercices. Le monopole met les cultivateurs dans la dépendance entière de la régie. Il lui attribue le droit de vérifier le nombre des feuilles, de limiter celui des hectares, d’estimer arbitrairement la contenance des terrains. Les permis de planter ne sont accordés qu’aux grands propriétaires, et à ceux que les agents de l’autorité favorisent : la moindre résistance à la volonté de ces agents entraîne la perte de ces permis, et cependant les petits propriétaires surtout ont besoin des ressources qu’offre la diversité de la culture.

Enfin l’arbitraire est inévitable dans le classement des qualités et la fixation du prix. Cette fixation, par l’arbitrage du conseil de préfecture et de la régie, n’a qu’un avantage illusoire. Conseil de préfecture, préfet, régie, tout cela n’est au fond que de l’administration.

Les planteurs de tabac vous dispensent d’être plus tendres pour eux que pour le reste des citoyens. Vous êtes injustes pour les uns ou pour les antres. Si la surveillance est intolérable, pourquoi l’imposez-vous aux vins ? Si elle n’est pas intolérable, pourquoi voulez-vous anéantir la culture du tabac plutôt que de l’exercer sur elle ? Direz-vous que les gènes, les entraves nécessités par la surveillance ne sont pas moins une violation de la propriété que le monopole ? Non, certes. Vous laissez au propriétaire la faculté de cultiver, la disposition de sa denrée, le choix entre les acheteurs, le droit de vendre sur les lieux ou de chercher un marché plus avantageux pour lui, de livrer à l’instant ou de conserver pour l’avenir. Sa liberté est intacte, ses droits sont respectés. Mais le monopole le soumet à un acheteur unique, détermine l’époque, ordonnance le transport, fixe le prix, classe les qualités, prononce les rebuts.

Avec le système des taxes, le propriétaire reste le maître de ce qu’il produit comme de ce qu’il possède. Avec le monopole, il faut qu’il obtienne la permission de produire et qu’il livre de gré ou de force ce qu’il a produit.

Je terminerai par quelques réponses à des assertions que je ne veux pas laisser sans réfutation.

On a prétendu que le monopole était favorable aux départements qu’on nomme privilégiés ; on a soutenu qu’ils perdraient à la culture libre : on est allé jusqu’à dire qu’ils ne la désiraient pas ; et, chose étrange, on nous a dit que nous, leurs députés, rendant aux principes un hommage hypocrite, nous parlerions contre et nous voterions pour. Je proteste contre chacune de ces assertions.

Les départements qu’on dit favorisés, et nommément ceux de l’Alsace et du Nord, ont droit de se plaindre. Des débouchés importants leur sont enlevés, et la diminution de la culture devient effrayante. Cette culture était, dans le Bas-Rhin, dont je puis parler pertinemment, de 1805 à 1811, le triple de ce qu’elle est, et le prix moyen payé au cultivateur était de 60 francs le quintal métrique : il a baissé de près du tiers.

L’exportation des tabacs en feuilles, bien que permise, est nulle de fait par les entraves qu’elle rencontre au dedans, et par la concurrence que le monopole a fait naître au dehors.

Les fabricants et les négociants occupaient, avant le monopole, dans le seul département du Bas-Rhin, 4 000 ouvriers : la régie en occupe à peine 400. Ajoutez à cette différence les ouvriers de toutes les classes qui gagnaient leur vie dans les fabriques ; ajoutez-y la non-valeur ou la moins-value des bâtiments et des terres, vous verrez d’un coup d’œil combien l’Alsace a perdu.

Et aux pertes réelles viennent se joindre les injustices, les passe-droits, le privilège, réparti d’abord d’une manière arbitraire entre les départements, puis entre les arrondissements, les communes, les individus. De là, des faveurs illicites, des moyens de corruption déguisés. Demandez à nos collègues du Nord quel rôle le monopole a joué dans les élections de 1827 ?

Faut-il vous démontrer par les faits la haine qu’inspire le monopole aux départements qui semblent en jouir ? Je vous en citerai un bien irréfragable. Lorsqu’en 1815 le conseil général du département du Bas-Rhin, autorisé en quelque sorte par une ordonnance royale du 11 mars, prit les mesures qu’il croyait propres à concilier au gouvernement l’affection des habitants, quelle fut la première de ces mesures ? L’extension de la culture du tabac et la promesse solennelle de lui rendre une entière liberté. (Recueil de pièces publiées par M. Schoell. vol. VI, page 32, Relation des événements qui ont eu lieu à Strasbourg depuis le 8 jusqu’au 23 mars 1815.) Mais, chose étrange ! on a dirigé contre l’Alsace une accusation en sens inverse ! tant on accumule indistinctement tous les sophismes pour décréditer ceux qu’on opprime ! L’Alsace et le Nord, a-t-on dit, veulent faire prévaloir un intérêt local sur l’intérêt de la France entière. L’assertion est fausse. Il est, en premier lieu, de l’intérêt de la France que les provinces auxquelles le tabac convient le cultivent. Elles achèteront d’autant plus et d’autant mieux les productions des autres provinces ; l’Alsace produisant moins de blé, moins de bestiaux, s’approvisionnera en Lorraine, en Franche-Comté et en Bourgogne.

2°. Ce n’est point un intérêt local qui dirige les réclamations des Alsaciens. Ils savent que les tabacs du midi sont d’une qualité supérieure, et que si la culture est libre, ils l’emporteront sur les leurs. Mais ils savent aussi que les qualités inférieures les dédommageront, et, de plus ils veulent que toutes les parties de cette belle France jouissent des avantages que la nature leur a prodigués. Ils savent que toute injustice nuit à tous. Ils repoussent une prétendue faveur trompeuse et inique. Ils appellent, ils invoquent la liberté et la concurrence.

Mais peu de pétitions nous sont arrivées contre le monopole. Je le crois bien. Dans les départements où la culture est permise, les planteurs craignent de déplaire à la régie. Ils ont dans leur mémoire le sort des pétitionnaires de 1817 et de 1819, pétitionnaires privés arbitrairement des possessions qu’ils avaient obtenues, pétitionnaires qu’on a voulu décréditer en les calomniant.

Quand 1 235 cultivateurs du département du Nord ont usé du droit de pétition, la régie a prétendu que leur pétition n’était signée que par des mercenaires ; et quand les plus riches planteurs de l’Alsace ont réclamé contre le monopole, la régie a dit qu’on les avait menacés d’incendier leurs propriétés. Avec de telles assertions, de telles calomnies, je m’étonne peu qu’on ait écarté les pétitions, je m’étonne qu’on n’en ait pas obtenu des milliers en sens contraire.

L’on n’en a cependant obtenu qu’une seule ; des hommes, organes d’une localité que la régie favorise, et qui accusent le reste de la France de plaider pour un intérêt privé, ont opposé leur signature au respect pour les principes, aux réclamations de l’industrie, à la lettre de la Charte, aux offres, aux prières, aux besoins, aux droits, de tout le commerce français. Je reviendrai sur cette pétition. Mais, certes, une seule, c’est bien peu. Avec des employés qui menacent, des maires qui, ayant part aux faveurs, les promettent ou les distribuent, certes, en voilà plus qu’il n’en faut pour extorquer quelques voix approbatrices.

Je ne sais si, comme le dit Vauvenargues, la servitude avilit l’homme jusqu’au point de s’en faire aimer ; mais nous savons tous qu’à défaut de l’amour, elle commande la flatterie.

On nous dit encore : en détruisant le monopole qui existe au profit de l’État, vous en constitueriez un dans l’intérêt de quelques particuliers. Plusieurs des projets que je vous ai indiqués, Messieurs, ont évité cet inconvénient, mais, de plus, on ne saurait appeler monopole des restrictions de fait, produites par des circonstances accidentelles, et qui ne portent aucune atteinte à la liberté, qui est de droit.

Autrement tout pourrait être nommé monopole. Chaque industrie exigeant des capitaux, de l’intelligence, de l’activité, dira-t-on que c’est un monopole à l’avantage de ceux qui ont de l’activité, de l’intelligence et des capitaux, et au détriment de ceux qui n’en ont pas ?

Parce qu’on ne trouve en France qu’un nombre de filatures de coton limité par la force des choses, prétendra-t-on que les chefs de ces établissements font le monopole de la filature ?

Mais le monopole est dans l’intérêt des planteurs : la régie les sauve de leur imprudence ; elle leur évite les pertes certaines qu’occasionnerait la surabondance, suite d’une liberté illimitée, présent funeste, source d’erreurs pour l’intérêt privé, aveugle et avide. Je m’y attendais : c’est l’argument banal pour toutes les oppressions, toutes les entraves.

Les maîtrises garantissent l’artisan, la censure l’écrivain, les lois contre la liberté individuelle ceux qui auraient abusé de cette liberté. Il n’y a pas jusqu’aux nègres qu’on ne garantisse d’être mangés par des anthropophages en les faisant périr sous le fouet des colons. Trêve à ces insultes au bon sens. Les planteurs se passeront de vos garanties : ils s’en fient à leur sagacité dans leur intérêt ; ils demandent qu’on s’en fie à eux pour ce qui les regarde.

Ici se présente un autre raisonnement que je suis vraiment honteux de réfuter. Vous supposer capables d’accorder quelque poids à des arguments de cette espèce, c’est vous faire injure.

Par la liberté de la fabrication, le planteur serait à la merci du commerce, les fabricants se coaliseraient pour n’acheter les feuilles qu’au plus bas prix.

C’est certainement la première fois qu’il est entré dans la tête des hommes de représenter la concurrence comme préjudiciable au vendeur. Mais le fait le prouve, continue-t-on ; la régie donne du tabac en feuilles à un meilleur prix que le commerce libre. Eh non, Messieurs, en 1815, le commerce payait aux cultivateurs d’Alsace 48, 50, 55 et jusqu’à 60 francs de sa récolte ; la régie 55, en se réservant le triage. Si, au lieu de trier les tabacs, elle en eût pris simplement le tiers, le prix des deux tiers restants eût été de 62 francs. C’est donc une différence de 17 francs par 100 kilogrammes en faveur des prix du commerce libre.

En 1817, le commerce a payé les 36 centièmes, reste des prélèvements de la régie, au prix de 68, 72, 76 et même 80 francs, et s’il n’eût pas été condamné à acheter les restes d’un prélèvement, le prix se serait encore élevé ; car dans la même année, le Palatinat vendait ses feuilles à 110 et 120 francs.

Mais voulez-vous voir la régie elle-même démentir ses assertions par ses propres aveux. Lisez une de ses circulaires du 1er janvier 1817, vous y verrez que des individus parcourent les campagnes, pour offrir des prix énormes aux cultivateurs, qu’ils sont guidés par la malveillance, qu’on doit voir en eux des perturbateurs du repos public. Et que faisaient ces perturbateurs ? Ils proposaient des prix plus élevés, donc la régie en proposait d’inférieurs. Ils usaient d’un droit ; car la loi permettait l’achat pour l’exportation. Mais ils donnaient 76 à 80 de ce que la régie voulait extorquer pour 60. Aussi menaçait-on des gendarmes les communes qui se refusaient à prendre un quart sur leur production. Les injustices fiscales créent toujours des délits imaginaires, et les châtiments viennent alors au secours de l’iniquité.

Alléguera-t-on les avances faites par la régie, ses approvisionnements, ses ustensiles, ses machines de fabrication, ses bâtiments et ses magasins ? Mais ses approvisionnements, ses machines et ses ustensiles ne seront-ils pas achetés par des fabricants qui s’établiront ? Ses bâtiments seront-ils perdus pour avoir appartenu à la régie ? La vente de tous ces objets, celles surtout des feuilles qui forment la valeur principale de ces capitaux peut se faire à bénéfice, et si l’on voulait nous arrêter par la difficulté de rembourser les cautionnements des employés actuels, nous trouverions sur le produit des ventes à effectuer une somme plus que suffisante. Et ici une réflexion me frappe. La vente de tous ces objets remplirait, durant les premières années, le déficit produit dans le revenu public par la liberté de la culture, déficit que je nie, mais que je veux bien admettre ici pour suivre la série de mon raisonnement. Ainsi, durant ces premières années, le revenu ne serait pas affaibli.

Mais pour les années subséquentes on nous promet des économies. Alors ces économies combleront le déficit. Ou bien ne veut-on que les promettre sans jamais les faire ? Prétend-on éterniser le milliard d’impôts et se jouer jusqu’à la fin des siècles de nos crédulités et de la misère de nos commettants ?

Vous vous êtes, au reste, déjà prononcé sur cette question, l’année dernière, quand vous avez refusé d’allouer à la régie les fonds qu’elle demandait pour des constructions commencées et quand vous avez motivé votre refus sur la volonté positive de ne prendre envers le monopole aucun engagement. Et il est si vrai que tel était le sens de votre délibération qu’un pair de France qui avait justifié l’utilité de ces constructions m’a fait l’honneur de m’écrire, en réponse à mes observations à cette tribune, que la mesure qu’il avait défendue ne pouvait toucher et ne touchait en rien à la grande question du monopole.

Nous apitoiera-t-on sur les employés qu’on licencierait ? mais n’entreront-ils pas dans l’exercice du régime libre, qui mettra nécessairement en activité beaucoup plus d’individus que le monopole ? N’auront-ils pas sur les autres citoyens l’avantage immense de connaissances pratiques ?

Je n’hésite pas à le dire : tous ceux qui mériteront d’être employés le seront par le commerce, et il ne leur fera pas la dure condition de vivre dans le célibat, c’est-à-dire à moins qu’ils aient des vertus surnaturelles, dans le dérèglement et dans la débauche.

Or, s’il était vrai que les employés de la régie fussent trop nombreux ou inhabiles, ne serait-ce pas sa condamnation ?

Enfin, Messieurs, si l’on témoigne tant de pitié pour les agents du monopole, comment se fait-il qu’on se soit montré si impitoyable pour les fabricants, qu’on a privé, par un acte du plus violent despotisme, de leurs ateliers, de leurs machines, de leur industrie et de leur propriété ? D’où vient qu’on est si dur aujourd’hui encore envers les agriculteurs de toute la France auxquels on conteste le droit de recueillir sur leur héritage des produits de la nature et de leur travail ? Après avoir été si impétueux et si insouciant dans l’injustice, on est bien tendre et bien scrupuleux quand il s’agit de réparations.

On a osé défendre le monopole en disant que si, par la culture du tabac, nous sortions de la dépendance des Américains, ils n’achèteraient plus les vins que produit la France. Ainsi, l’on déclare aux départements que la culture du tabac enrichirait, qu’on les sacrifie aux autres départements. On leur déclare qu’on tue une branche d’industrie pour en favoriser une autre, qu’on écrase un genre de propriété pour augmenter la valeur d’un autre genre de propriété. Indépendamment de l’iniquité, l’absurdité du système est évidente. Les Américains, dont le territoire ne produit point de vin, pourraient-ils se passer des nôtres, parce qu’en France le tabac indigène remplacerait en partie le leur ?

Mais les jeux, la loterie, ne sont-ce pas des impôts plus immoraux que le monopole ? Ainsi, après avoir déclaré que les considérations financières étaient les plus élevées de toutes, vous vous rejetez sur la morale.

Oui, sans doute, parmi vos impôts, il y en a une foule dont l’immoralité est évidente ; mais si nous acceptions le monopole, détruiriez-vous les loteries et les jeux ? Vous n’osez le promettre ; n’est-ce donc pas insulter au bon sens que de maintenir ces impôts vicieux les uns par les autres ?

Nous vous montrons une des plaies de l’État ; au lieu de la guérir, vous en découvrez une plus hideuse ; mais s’agit-il de guérir celle-ci, vous opposez les besoins du fisc, et vous appelez besoins du fisc les pensions prodiguées, les cumuls, les sinécures, et tant d’autres dissipations de la fortune publique que je ne veux pas énumérer ! Ah ! tout le résultat de vos arguments, qui se compliquent et se contredisent, c’est de nous prouver que vous avez plusieurs manières de faire le mal.

Je vous ai promis de revenir sur la pétition de Saint-Malo, j’y reviens ; mais c’est pour vous faire remarquer qu’en parcourant les diverses objections que j’ai réfutées, j’ai répondu à cette pétition. En effet, veuillez l’examiner avec moi.

Vous verrez d’abord des subtilités d’une obscurité préméditée, sur le sacrifice que font les hommes en se réunissant, d’une portion de leur liberté naturelle, comme si la première condition, pour que ces sacrifices soient justes, n’était pas l’égalité. Vous verrez ensuite l’astucieuse confusion du monopole avec l’impôt, et la justification du monopole du tabac, parce qu’il y a des impôts honteux et coupables. Vous verrez que ceux qui demandent la libre culture sont trompés et n’apprécient pas leur position ; pauvres gens que leurs intérêts n’éclairent pas, et qu’il faut gêner, entraver, de peur qu’ils ne se ruinent !

On vous dira, page 10, qu’il faut empêcher les négociants de s’interposer entre le cultivateur et le fabricant : vieux système, qui met les négociants en dehors du commerce pour pouvoir dire que le commerce n’est pas intéressé à la liberté.

Vous verrez, page 11, que les fabricants ne gagneront rien à la libre culture, parce que leur nombre se multiplierait. Fiez-vous-en à eux. Si le nombre est trop grand, il se restreindra de lui-même ; on ne fabrique pas longtemps quand on n’y gagne pas. Et page 12, que le prix, loin de baisser, hausserait peut-être. Le prix haussant par la concurrence ! ô facilité du langage pour obscurcir les plus claires vérités !

On vous dira, page 17, que la culture du tabac ne rapporte rien, presque rien, 2 ¼ %, alors, de grâce, pourquoi en réclamez-vous le privilège ? Enfin, depuis la page 19, vous trouverez des calculs pour vous démontrer qu’il faut déduire de tous les projets qu’on offre en remplacement, 27 motions, ce qui réduirait le projet à 16. Mais sur quoi se fondent tous ces calculs ? Sur un fait inexact et sur une assertion fausse.

Le fait inexact, c’est qu’avant le monopole la hausse des droits avait restreint la production ; l’assertion fausse, c’est qu’on ne peut pas réprimer la fraude. Le fait inexact se réfute par l’aveu même de M. le commissaire du roi, hier à cette tribune. Les produits de 1810 furent, dit-il, de 20 634 878 francs, et les quantités imposées de 13 181 387 kilogrammes. Donc la production n’avait pas diminué par la hausse des droits.

Cet aveu de M. le commissaire du roi, il a voulu l’affaiblir en assignant d’autres causes au fait qu’il ne pouvait contester ; mais consultez le tableau A, joint au rapport de la commission de 1819, vous verrez la consommation s’accroître toujours progressivement. Elle fut :

en 1807 de           11 708 000 kilogrammes

1808 de                12 341 000

1809 de                14 172 000

1810 de                17 454 000

D’où il résulte une augmentation progressive de la production et de l’impôt.

Quant à l’assertion, elle se détruit par ce que j’ai dit de la possibilité d’appliquer à la culture du tabac les moyens de surveillance et de répression en usage pour d’autres produits.

Ainsi s’écroule cette pétition vantée, dont quelques-uns de nos collègues m’avaient parlé avec tant d’emphase. Des déclamations contre le danger d’abandonner la culture à des mains libres, ce qui pourrait se dire de toutes les exploitations ; un apitoiement affecté sur les erreurs de l’intérêt privé, comme s’il ne s’éclairait pas bien vite sur ses erreurs ; des craintes qu’il ne produise trop, comme s’il ne s’arrêtait pas de lui-même ; un fait qui est réfuté par les comptes de la régie ; une assertion qui, si elle était vraie, déclarerait inefficaces les moyens de répression contre toutes les fraudes.

Voilà le contenu de cette œuvre, auxiliaire des ministres contre la Charte et la liberté et, du moins en ce point, je puis être d’accord avec M. le commissaire du roi, et, en restreignant à Saint-Malo ce qu’il dit de la France, répéter avec lui que les Chambres de commerce n’ont point par devers elle les données générales qui doivent servir à une solution qui sort de la région des spécialités.

Messieurs, qu’il me soit permis, en finissant, de vous adresser quelques questions. En 1815, le gouvernement demanda le monopole de la fabrication des cartes ; la Chambre de 1815 repoussa cette proposition, par respect, dit-elle, envers les vrais principes de l’économie politique. Voulez-vous rester au-dessous de la Chambre de 1815 ?

En 1816 la commission qui prolongea le monopole pour un temps limité, disait que le prolonger ensuite serait un oubli de tous les devoirs. Voulez-vous déclarer à vos commettants que cet oubli de tous les devoirs, flétri d’avance pour la commission de 1816, a semblé une chose indifférente à la Chambre de 1829 ?

En 1819, le gouvernement annonçait qu’après l’acquittement des contributions de la guerre il rendrait à la France la libre culture. Vous associerez-vous aux ministres, dans la violation d’un engagement formel ?

Vous-mêmes enfin, dans votre adresse au roi, vous avez promis à l’industrie la liberté, son premier besoin ; démentiriez-vous vos paroles ? Diriez-vous à la France qu’elle a eu tort de se fier à vous ?

Je m’oppose de toutes mes forces à la prolongation du monopole, me réservant seulement, s’il m’est prouvé ce que jusqu’à présent je nie, que le gouvernement ait besoin, pour y renoncer, d’un délai plus long que le 1er janvier 1831, de sous-amender l’amendement de la commission.

 

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