Les indications d’origine et les tendances protectionnistes

En 1913, le développement massif des échanges internationaux induit qu’un nombre toujours croissant de produits étrangers sont vendus en France. Mais, dans le cadre même du libre-échange, n’y a-t-il pas utilité pour l’État d’obliger les produits à porter une marque d’origine, garantissant la loyauté des échanges ? À la Société d’économie politique, qui discute alors ce thème, beaucoup se rangent à cet avis. Pour certains, cependant, tels Paul Leroy-Beaulieu, l’obligation n’a pas lieu d’être : il faudrait uniquement forcer le fabricant qui choisit d’apposer une marque, à la faire non trompeuse.


SOCIÉTÉ D’ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 5 FÉVRIER 1913

DISCUSSION. — Les indications d’origine et les tendances protectionnistes.

M. Paul Leroy-Beaulieu, qui préside la séance, donne la parole à M. Lucien Coquet pour exposer le sujet inscrit à l’ordre du jour.

LES INDICATIONS D’ORIGINE ET LES TENDANCES PROTECTIONNISTES

D’après le titre adopte pour cette communication, la plupart de nos collègues auront sans doute pensé, dit M. Lucien Coquet, qu’il s’agissait de faire ici le procès de toutes les mesures législatives, tendant à rendre plus rigoureuse l’obligation d’indiquer sur les marchandises l’origine des produits, ces mesures législatives étant considérées comme une forme plus ou moins dissimulée de protectionnisme.

Je commencerai donc par faire la déclaration très loyale qu’après avoir eu l’occasion d’étudier d’une façon particulière l’état actuel de la législation française et des législations étrangères, ainsi que les conventions internationales qui nous unissent à divers pays, je suis arrivé à la conviction qu’on pouvait être et rester résolument attaché à toutes les idées les plus libérales en matière douanière et malgré cela, à cause de cela même, se déclarer partisan de toutes les mesures les plus strictes concernant, je ne dirai pas l’indication obligatoire d’origine sur tous les produits, mais l’indication obligatoire d’origine chaque fois qu’un produit étranger, par son apparence extérieure, peut laisser supposer qu’il est de fabrication nationale.

Pour justifier cette opinion, j’invoquerai devant vous le souvenir ému de notre regretté collègue Alphonse Vivier, qui a été pour beaucoup mon initiateur et mon conseil dans toutes les questions à la fois de libre-échange et de protection des indications d’origine.

Vous savez avec quelle ardeur, quelle conviction sincère, provoquée par un contact quotidien avec les viticulteurs et les commerçants intéressés à la défense du commerce de Cognac, notre dévoué confrère a consacré toute son énergie à défendre dans les congrès, par des brochures et dans sa Revue mensuelle (qui, malheureusement, n’a pas été continuée après lui), le double principe de la liberté des échanges et de la protection des indications d’origine. 

Comment se fait-il alors que des esprits non moins avertis, et autorisés, aient pu, dans notre même Société d’économie politique, se trouver sur ce point particulier de la protection des indications d’origine en contradiction apparemment formelle avec notre ami Vivier et beaucoup d’autres ?

Je relisais l’autre jour un rapport présenté le 30 juin 1911 à la Chambre de commerce de Marseille par notre distingué collègue M. Adrien Artaud, faisant la critique de la Convention de Madrid de 1891 sur les indications de provenance, qu’il accuse de ne présenter pour la France aucun intérêt, sous prétexte qu’elle ne serait observée que par nous, ce qui est inexact. 

Notre très éminent président M. Yves Guyot a formulé plusieurs fois des critiques non moins vives à l’égard des délimitations viticoles.

Enfin, tout récemment, je lisais dans le Journal des Économistes un article signé de M. Bellet, qui est l’un des porte-parole les plus autorisés de notre Société, sous le titre : « Le protectionnisme honteux et les indications d’origine. »

Cependant, il y a quelques mois, le 18 novembre 1912, l’Assemblée des Présidents de Chambres de commerce, réunie à Paris, sous la présidence du très libéral Président de la Chambre de commerce de Paris, M. Charles Legrand, adoptait les propositions des Chambres de commerce de Limoges, Dijon et Troyes, signalant l’insuffisance de l’article 15 de la loi de douane de 1892 pour protéger les indications d’origine française et elle émettait le vœu suivant :

« L’Assemblée des Présidents,

« Demande que les dispositions des lois du 1er février 1899 et du 11 juillet 1906 soient étendues à tous produits étrangers introduits en France. »

Ces lois de 1899 et 1906 prescrivent l’indication obligatoire de l’origine à l’importation sur les fûts de vins étrangers et les boîtes de conserves de sardines et de prunes.

Il est impossible que des hommes aussi éminents et de grandes Chambres de commerce françaises se trouvent ainsi en désaccord complet sur une question de cette importance.

J’ai cherché à élucider ce problème et j’ai cru m’apercevoir qu’il y avait dans la manifestation de ces opinions contraires un simple malentendu.

Ce malentendu vient en grande partie de ce que, à côté d’esprits très libéraux qui réclament la protection des indications d’origine au nom de la loyauté commerciale, un certain nombre de protectionnistes notoires veulent en faire une arme de combat, disons le mot, de boycottage, contre les produits étrangers. 

Ce qui a beaucoup contribué à enraciner ce malentendu qui a pris la forme d’un réel préjugé, c’est que la loi douanière de 1892 contient un article 15 édictant des prescriptions plus ou moins sévères contre les produits étrangers qui sont importés chez nous sous une fausse apparence française, et qu’en vertu de cet article 15, autour duquel on a fait récemment beaucoup de bruit, des jugements contradictoires ont été rendus, les uns trop tolérants à l’égard de la fraude, les autres un peu excessifs en matière de répression, si bien qu’on en est arrivé à reconnaître la nécessité de modifier cet article 15. Le courant d’opinion au Parlement et à la Commission technique est favorable à une extension des mesures répressives.

Je vous ferai grâce du texte même de l’article 15 pour vous rappeler seulement que ce texte interprété par la Cour de cassation (11 juillet 1911) permet de considérer comme tromperie sur l’origine le fait matériel de l’apposition sur des produits fabriqués à l’étranger du nom d’un fabricant ou d’un commerçant résidant en France, même lorsque l’acheteur saurait, par suite de diverses circonstances (par exemple, le fait qu’on ne fabrique pas en France certaines aiguilles de machines à coudre), qu’il s’agit d’un produit étranger. Ce même article 15 a permis de faire condamner une maison allemande de caoutchouc qui faisait transiter par la France des pneumatiques, à destination d’Espagne, portant le mot français Continental, sans l’indication habituelle de la fabrique d’origine « Hannover-Allemagne ». Cette même Société Continental vient d’être condamnée, il y a quelques jours, pour avoir, cette fois, importé en France des pneumatiques portant la mention « Importé d’Allemagne », mais placée sur une languette trop facilement détachable.

Messieurs, ce n’est pas la première fois que le législateur fait entrer dans une loi applicable à un objet déterminé des prescriptions qui lui sont tout à fait étrangères. Nous sommes témoins du fait tous les ans dans la loi budgétaire qui comprend, selon les discussions de la dernière heure, des amendements transformés en articles de loi se rattachant souvent d’une façon très indirecte aux questions financières.

Pourquoi s’étonner alors que la loi douanière de 1892 contienne un article 15 qui aurait dû trouver sa place dans une loi sur la propriété industrielle, ou plutôt dans une loi générale sur la concurrence déloyale qui nous fait encore défaut. 

Pour bien montrer que cet article 15 n’est véritablement pas à sa place dans la loi de 1892 sur les douanes, il me suffira de vous rappeler très brièvement, Messieurs, que les dispositions applicables en France à la protection des indications d’origine sont actuellement éparses dans un très grand nombre de lois dont les deux principales sont la loi de 1824 sur le nom commercial et la loi de 1857 sur les marques, mais qu’on retrouve encore dans la loi du 1er février 1899 sur les vins étrangers, dans la loi du 11 juillet 1906 sur les conserves étrangères, dans la loi de 1905 sur les fraudes, dans les quinze lois (j’ai pris la peine de les compter) et dans les douze décrets (j’en ai certainement oublié) qui régissent actuellement, d’une façon parfois contradictoire, le commerce des vins ; dans les lois de 1793, 1806, 1902 et 1909 sur les dessins et modèles, dans la loi de 1886 et dans la loi de 1912 sur les expositions internationales ; enfin, Messieurs, dans trois grandes conventions internationales dont la France est signataire et dont les dispositions sont applicables, par le fait de la loi du 1er juillet 1906, à notre régime intérieur : je veux parler de la convention de Paris de 1883, et des deux arrangements de Madrid du 14 avril 1891, révisées toutes les trois à Washington le 2 juin 1911.

Dans ce nombre beaucoup trop grand de lois plus ou moins confuses que régissent par certains articles faisant souvent double emploi, la protection des indications d’origine, voyez quelle petite place tient l’article 15 de la loi de douanes de 1892 et vous constaterez avec moi que si le législateur a eu tort d’insérer dans une loi douanière protectionniste des dispositions relatives à la protection des indications d’origine, cela ne doit influencer en rien votre opinion sur la valeur théorique et surtout sur la valeur pratique de cette protection.

Mais la cause même du préjugé contre lequel je m’inscris ici même, vous le trouvez dans le mot « protection », employé à la fois pour signifier « protectionnisme douanier » et pour signifier « protection des indications d’origine », c’est-à-dire de la « loyauté commerciale ».

Si nous devions nous déclarer adversaires de toutes les lois qui impliquent une protection, sous prétexte que nous sommes des esprits libéraux, il nous faudrait faire table rase de toutes les lois, car il n’y a pas une seule loi qui n’implique une protection, ne serait-ce que la protection générale que le Code civil et le Code pénal sont supposés assurer aux honnêtes gens contre le reste de l’humanité.

Nous n’avons en France qu’un article du Code très général qui permette de poursuivre la concurrence déloyale sous toutes ses formes, y compris la fausse indication d’origine, c’est l’article 1382 du Code civil, ainsi conçu :

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

À côté du Code civil, heureusement toutes les autres dispositions qu’on retrouve dans les lois françaises, depuis la loi de 1824 sur les noms, jusqu’à la loi de 1912 sur les récompenses industrielles, ont un caractère pénal, c’est-à-dire que, en dehors de la réparation civile, qui est toujours sous-entendue et de droit, ces lois prévoient des amendes et des peines correctionnelles contre tous ceux qui sciemment ont pratiqué la fraude.

Dans l’impossibilité matérielle où je serai ce soir dans une courte causerie de reprendre par le détail l’examen des très nombreuses lois françaises que je vous ai énumérées tout à l’heure où se retrouvent des dispositions particulières visant les indications d’origine, je me bornerai à un très bref examen des réformes qu’il est question d’apporter :

1° À la loi de 1824 sur le nom commercial ;

2° À la loi de 1857 sur les marques ;

3° Enfin, à l’article 15 de la loi de 1892.

Vous verrez, Messieurs, que toutes ces réformes isolées ne pourront aboutir à une unité de législation et que le Parlement est à la veille, en somme, de perdre beaucoup de temps à apporter des modifications partielles à plusieurs lois, alors que la seule solution pratique et digne d’un Parlement conscient de sa haute mission serait de prendre en bloc toutes ces lois et de les fondre dans un texte général sur la concurrence déloyale, dont les dispositions visant les indications d’origine formeraient un titre spécial.

Notre très honorable collègue, M. Charles Lyon-Caen, s’est, depuis le Congrès de 1878, déclaré partisan d’une fusion des deux lois de 1824 et de 1857. Le Congrès de 1878 a émis un vœu dans ce sens. Mais rien n’a encore été fait pour le mettre à exécution. Nos législateurs auraient cependant gagné à s’inspirer du vœu de M. Charles Lyon-Caen.

Que l’échec auquel est vouée fatalement l’œuvre du Parlement soit une consolation pour ceux qui redoutent — à tort selon nous — dans une plus grande rigueur des lois, un pas en avant vers le protectionnisme !

La loi de 1824 sur le nom commercial a été l’objet de trois projets de réforme : le projet Pams-Klotz du 30 juin 1911, renvoyé à la Commission de l’Agriculture et devenu par la suite le projet Fernand David, 7 juillet 1911, et enfin le projet Adrien Dariac, 8 juillet 1912.

Ces trois projets visent, sous des modalités diverses, à étendre à tous les produits naturels la loi de 1824 qui ne s’applique actuellement qu’aux objets fabriqués, bien qu’une jurisprudence constante l’ait déjà étendue aux vins, et à réglementer l’accès des tribunaux aux syndicats en matière de procès concernant les appellations d’origine. 

Dans l’intervalle, le Parlement a voté la loi du 5 août 1908 sur les délimitations régionales et il a également approuvé quelque temps après l’abrogation conditionnelle — d’ici cinq ans — des règlements d’administration publique pris en exécution de la loi de 1908.

Les vignerons, qui ont demandé la délimitation, mais qui ne sont pas d’accord sur les limites fixées par les décrets concernant les vignobles, notamment en Champagne, et les commerçants, qui ont toujours été en principe adversaires des délimitations, se trouvent donc aujourd’hui en face de lois et de décrets non appliqués et à la veille d’être définitivement révoqués. 

L’étranger qui suit de près nos travaux parlementaires et qui a intérêt à discréditer la réputation de nos grands crus et d’une manière générale la renommée mondiale des produits de luxe français, se réjouit de ces incertitudes de notre législation et de cette impossibilité d’aboutir qu’accuse le Parlement. 

Ne serait-il donc pas plus simple de reconnaître (et c’est à cette conclusion qu’arrivent d’ailleurs les projets Fernand David et Dariac), que les délimitations administratives ne peuvent donner satisfaction à personne, qu’elles sont arbitraires comme tout ce qui émane de l’autorité prétendue souveraine de l’État et qu’il faut laisser aux particuliers le soin d’établir eux-mêmes, ou avec la sanction nécessaire des tribunaux, lorsqu’il y a contestation, quels sont les vignobles, quelles sont les régions françaises qui ont droit à des appellations d’origine distinctes. En un mot, ce sont les usages locaux, loyaux et constants qui permettent, grâce à la simple application de la vieille loi de 1824, d’établir des délimitations judiciaires là où des délimitations amiables paraissent impossible en présence de la rivalité des intérêts. 

C’est d’ailleurs, grâce à la loi de 1824, qu’ont été tranchées autrefois, par les tribunaux, toutes les questions relatives à l’usage des mots « Champagne », « Saumur », « Bordeaux », « Cognac », etc., sans donner lieu à aucune émeute comme celles auxquelles nous avons assisté en Champagne, depuis l’intervention de l’État, c’est-à-dire de la politique, dans les conflits d’intérêts entre commerçants et vignerons.

Voyez, Messieurs, comme une fois de plus dans cette question spéciale des délimitations, le Parlement lui-même est obligé de convenir que l’intervention de l’État est funeste aux individus ; qu’il serait arbitraire de prétendre délimiter administrativement toutes les régions de la France et qu’il faut laisser aux intéressés groupés en syndicats de défense le soin d’organiser entre eux ces délimitations ou d’y faire procéder en justice. 

Cette question des délimitations judiciaires nous amène naturellement à parler des marques collectives, c’est-à-dire de la loi de 1857, car les marques collectives sont envisagées de plus en plus, en France et à l’étranger, comme l’un des meilleurs moyens de résoudre, par le libre jeu des intérêts syndiqués, le problème des délimitations et des appellations d’origine. 

Il est question de réformer cette loi depuis le 30 juin 1897. Le projet déposé au Parlement est devenu caduque pour n’avoir pas été discuté pendant la dernière session et un nouveau projet est en préparation, dû pour une grande partie aux travaux de l’Association française pour la protection de la propriété industrielle et à la Commission technique de l’Office national de la propriété industrielle qui est chargée d’examiner tous les projets de lois de ce genre.

Ce n’est pas tout, en effet, que de délimiter administrativement ou judiciairement ou par la voie amiable, certaines régions françaises et de décider qu’un vin ne pourra avoir droit à l’appellation de « Bordeaux » ou de « Champagne », un fromage à l’appellation « Camembert » ou une tapisserie au nom d’« Aubusson », il faut encore un contrôle. Est-ce l’État qui va l’organiser ? 

Déjà, rien qu’avec les vins (et pour réprimer la fraude sur la nature même du vin, ce qui n’a rien à voir avec son origine), les services d’hygiène entretiennent un nombre très important de contrôleurs, mais reconnu ces jours derniers encore à la Chambre totalement insuffisant malgré que l’initiative privée de la Confédération générale des vignerons, qui compte 70 000 adhérents répartis en cinq grands syndicats régionaux et un personnel de 30 inspecteurs, donne dans tout le Midi une assistance, parfois excessive, au service officiel de la répression des fraudes. 

Il n’y a que des syndicats puissamment organisés qui soient en mesure d’assurer le respect des indications d’origine dans leur région, et de poursuivre utilement la fraude dans le pays et à l’étranger en centralisant chez eux tous les renseignements, en même temps que les crédits nécessaires pour avancer les frais de justice.

Mais si la loi de 1884 et la loi de 1901 ont rétabli en France la liberté syndicale et d’association, si rien ne s’oppose dans le droit commun à ce qu’un syndicat ou une association déposent des marques collectives, lorsque ces syndicats veulent poursuivre les imitateurs frauduleux de leurs marques, ils ne trouvent pas de tribunaux pour leur rendre justice.

L’expérience a été faite par le Syndicat des pâtissiers et chocolatiers de la ville de Marseille qui, ayant déposé en 1904 une marque « Le Colombier » pour être apposée sur des gâteaux et autres pâtisseries, a vu rejeter successivement par les cours de Nîmes, d’Aix et la Cour de cassation ses appels et son pourvoi contre les jugements antérieurs lui déniant toute qualité pour intervenir en justice dans un procès en contrefaçon de sa marque syndicale.

Il est donc question d’introduire dans la loi de 1857 un article sur les marques collectives, qui précise que ces syndicats sont autorisés à intervenir en justice pour défendre leurs marques. 

Je vois déjà les esprits les plus libéraux de la Société d’économie politique s’écrier devant ces nouvelles attributions accordées aux syndicats : « Nous voici revenus au régime des corporations. On va créer des privilèges en faveur de certains syndicats qui déposeront des marques collectives dont l’emploi sera strictement réglementé comme l’étaient autrefois les marques corporatives. »

Il est facile de ridiculiser ce programme syndical en disant, comme je le lisais encore ces jours-ci, que le rêve des délimitateurs serait qu’à l’avenir toutes les « Rillettes » fussent de Tours, tous les « Vases » de Sèvres, tous les « Saucissons » de Lyon, toutes les « Madeleines » de Commercy, mais toutes les « Bêtises » ne seront pas de Cambrai.

Cette question ne mérite ni qu’on la ridiculise, ni qu’on la prenne au tragique. Elle a droit à toute votre attention et mieux que cela à votre meilleure sympathie, car il se cache, Messieurs, sous ces aspirations syndicales des tendances très individualistes, des tendances régionalistes et décentralisatrices, c’est-à-dire anti-interventionnistes et vous le verrez anti-protectionnistes, qu’il convient d’encourager.

Sans doute, ces syndicats de défense, dont un certain nombre existent déjà sur plusieurs points du territoire, auront toujours pour objet de défendre des produits nationaux et les derniers qui aient fait parler d’eux par leur propagande : la Chambre syndicale des fabricants de jouets et la Chambre syndicale de la quincaillerie ont inséré dans leurs marques collectives les mots « France » pour la quincaillerie et « Articles français » pour les jouets. Mais ce n’est pas là du protectionnisme.

On peut être libre-échangiste et, malgré cela, vouloir assurer la défense des produits de son pays contre une imitation frauduleuse de l’étranger.

Lorsque le Syndicat de défense du commerce de Cognac ou le Syndicat de défense du commerce des vins de Champagne — pour revenir aux vins — font une propagande sur les mots « Cognac » ou « Champagne », c’est bien une propagande nationale, et cependant les hommes qui président aux destinées de ces Syndicats (vous les connaissez) ont toujours été des esprits très libéraux. 

Au surplus, la question des marques collectives n’est pas seulement nationale, c’est également et surtout une question internationale, lorsqu’on l’envisage au point de vue spécial qui nous occupe de la protection des indications d’origine.

Le Parlement français va se trouver obligé de faire aboutir le projet de loi sur les marques collectives par le fait que la France, signataire de la Convention de Paris révisée à Washington, doit, avant le 1er avril 1913, ratifier les modifications apportées à Washington en juin 1911. Or, parmi ces modifications figure l’insertion dans la Convention de Paris d’un article 7 bis ainsi conçu :

« Art. 7 bis. — Les pays contractants s’engagent à admettre au dépôt et à protéger les marques appartenant à des collectivités dont l’existence n’est pas contraire à la loi du pays d’origine, même si ces collectivités ne possèdent pas un établissement industriel ou commercial. 

Cependant, chaque pays sera juge des conditions particulières sous lesquelles une collectivité pourra être admise à faire protéger ses marques. »

Cette réglementation internationale des marques collectives nous ramène naturellement à la discussion de l’article 15 de la loi de 1892 qui vise spécialement les rapports internationaux, puisqu’il a uniquement pour objet de prohiber l’entrée en France et même en cas de transit (c’est là le point que critiquent les esprits libéraux) de toutes marchandises portant une inscription de nature à faire croire qu’il s’agirait d’un produit français. 

Je commencerai par déclarer, Messieurs, que je m’inscris moi-même en faux contre l’obligation de faire porter aux marchandises des indications d’origine indélébiles lorsqu’il s’agit simplement du transit. Mais, par contre, je suis pour le maintien de la législation actuelle et pour son renforcement avec plus de rigueur en tout ce qui concerne l’obligation d’indiquer l’origine sur tous produits entrant en France pour y être offerts à la consommation, sous des apparences pouvant prêter à confusion quant à l’origine du produit.

Je ne me fais pas ici le défenseur d’un protectionnisme masqué qui verrait dans cette exigence d’apposer sur les produits étrangers des indications réelles d’origine, un moyen de détourner le consommateur français d’acheter des produits étrangers. 

Il y a là une très grave erreur. Tous les économistes, qui considèrent l’économie politique comme une science, sont d’accord pour reconnaître que l’acheteur ne se laisse influencer dans aucun pays (si ce n’est dans une très faible mesure lorsque le sentiment national est fortement excité : Polonais contre Allemand, par exemple) par l’origine des marchandises, mais bien uniquement par leur prix et leur qualité.

Au plus fort d’une crise franco-allemande (puisque ç’a été depuis peu le thème favori d’une partie de la presse française d’exciter le commerce français contre l’Allemagne sous la rubrique : « Made in Germany »), je défie le plus nationaliste des conseillers municipaux de la ville de Paris, se trouvant en plein été sur le boulevard Montmartre, de ne pas être le premier à commander et à exiger d’un garçon de café de la bière de Munich authentique, si réellement il trouve que cette bière a un goût particulièrement agréable et désaltérant. De même que je défie la plus nationaliste des princesses de la Cour de Prusse de se refuser la satisfaction de commander une robe ou un chapeau à Paris si elle a reconnu qu’il n’y a que telle maison de la rue Royale ou de la rue de la Paix qui puisse la bien habiller ou chapeauter.

Bien plus, Messieurs, je vois dans une rigueur plus grande des dispositions législatives concernant l’origine des marchandises, un moyen d’assainir le commerce international, d’y faire régner la loyauté et en même temps de favoriser la science économique qui nous est chère et qui, à l’heure actuelle, se trouve aux prises avec des difficultés insurmontables du fait de l’impossibilité où sont nos économistes d’établir des statistiques réelles des échanges commerciaux.

C’est pourquoi, de même que je désire voir aboutir prochainement le projet de réforme des lois de 1824 et de 1857, je suis partisan également d’une application très stricte de l’article 15 de la loi de 1892, que je voudrais simplement voir extraite de la loi douanière pour prendre place dans une loi générale sur la concurrence déloyale.

En me plaçant sur ce terrain, je sais d’avance que j’aurai contre moi tous les commissionnaires qui prétendent avoir un intérêt particulier à ce que leurs clients ignorent la provenance des marchandises dont ils sont les acheteurs intermédiaires. 

Il est encore un autre aspect du problème des indications d’origine en parallèle avec les tendances protectionnistes. Il s’agit là d’une conception actuellement presque toute encore théorique, mais dont la réalisation serait singulièrement favorisée par une application plus stricte de l’exigence des indications d’origine à l’importation.

Si les indications d’origine étaient respectées, on s’apercevrait bientôt, dans chaque pays, qu’il est inutile de maintenir entre les États des barrières douanières excessives, prétendant empêcher les produits d’un pays de pénétrer sur le territoire d’un autre sous prétexte que cette invasion étrangère ferait tort à des industries nationales. On reconnaîtrait rapidement que beaucoup de ces industries prétendues nationales, sont des industries artificiellement nationalisées.

Qu’arrive-t-il aujourd’hui, en effet, avec le protectionnisme, qui a pour complice la tromperie sur l’origine des marchandises ? Nous voyons se créer dans tous les pays limitrophes, séparés par des barrières douanières excessives, des industries concurrentes du pays voisin ; en Allemagne, les industries du faux champagne et du faux cognac ; en France, l’industrie des faux malaga et madère ; en Australie, le faux bourgogne ; en Norvège, les fausses sardines ; dans divers pays voisins, naturellement moins bien situés que le nôtre, une industrie d’imitation de la soie centralisée autrefois à Lyon et dans le monde entier la contrefaçon des modes françaises. En un mot, dans tous les pays qui ne respectent pas les indications d’origine, nous voyons se créer des industries factices qui ne correspondent ni aux conditions géologiques et climatériques, ni aux aptitudes séculaires des habitants. 

C’est la dispersion des industries, c’est-à-dire la dispersion de l’effort.

Or, la science économique nous apprend qu’il y a une loi du moindre effort à laquelle obéissent tous les hommes pour produire des richesses et que cette loi du moindre effort est régie par un principe non moins naturel, celui de la spécialisation de l’effort.

Dans les grandes usines modernes, la fabrique d’une machine est répartie entre un grand nombre d’ateliers dont les ouvriers arrivent à une production intensive et de plus en plus parfaite, par suite de la spécialisation. N’est-ce donc pas une erreur économique grave que celle qui consiste dans un pays agricole, à vouloir faire de l’industrie intensive ou dans un pays naturellement industriel, c’est-à-dire riche en minerais de fer et en charbon, à vouloir faire de l’agriculture intensive ?

Je n’irai pas prendre mes arguments sur la spécialisation nationale des industries chez un auteur moderne. Je vous citerai une simple phrase de Voltaire, extraite du Dictionnaire philosophique, sous la rubrique : « Climat ». « Un législateur, dit Voltaire, n’aura pas de peine à faire baigner les Indiens dans le Gange à certains temps de la lune ; c’est un grand plaisir pour eux. On l’aurait lapidé s’il eût proposé le même bain aux peuples qui habitent les bords de la Dwina vers Archangel. Défendez le porc à un Arabe, qui aurait la lèpre s’il mangeait de cette chair très mauvaise et très dégoûtante dans son pays, il vous obéira avec joie. Faites la même défense à un Westphalien, il sera tenté de vous battre. »

Puissance du protectionnisme ! Ce que la religion n’a pu imposer aux hommes : des pratiques contraires au climat, le protectionnisme, qui est une religion dans son genre, avec un pape qui est l’infaillible « pain cher » et des adeptes aveugles qui ont renoncé à réfléchir : la masse des agriculteurs et certains industriels, le protectionnisme a réussi à nous l’imposer. 

Pour nous résumer, il y a deux aspects du problème des indications d’origine. Dans les deux cas, cette obligation d’indiquer l’origine n’est nullement en contradiction avec les doctrines les plus libérales en matière de commerce. Au contraire, elle peut servir et elle doit servir à lutter contre les tendances protectionnistes en créant un régime de loyauté commerciale qui implique la suppression de toute entrave arbitraire à la liberté des transactions. 

En ce qui concerne les indications d’origine à l’importation, ce serait tomber dans l’erreur protectionniste que d’exiger l’indication d’origine à l’importation sur toutes les marchandises d’origine étrangère sans faire de distinction entre celles qui portent déjà des mentions suffisantes pour en révéler l’origine à l’acheteur. 

Tout ce qu’on peut et doit demander, c’est que l’indication obligatoire (Fabriqué en Allemagne, en Angleterre ou ailleurs, « Made in Germany », « In England », etc., et non pas la mention « Not French » qui n’indique rien) figure sur tous les articles étrangers portant des inscriptions en langue française ou dans une langue étrangère qui n’est pas celle du pays originaire, c’est-à-dire des inscriptions de nature à tromper l’acheteur sur le pays de fabrication de ces marchandises.

Il s’agit exclusivement dans ce cas d’introduire de la loyauté dans les transactions et d’habituer les exportateurs à faire des déclarations en douane sincères.

L’indication d’origine à l’exportation ne se comprend pas, au contraire, comme une pure indication d’origine, mais à la fois comme indication d’origine et comme indication de qualité. 

C’est ainsi que l’ont compris le gouvernement danois et le gouvernement grec qui ont créé des marques obligatoires et officielles à l’exportation pour le beurre et le jambon danois et pour le raisin de Corinthe. C’est ainsi que l’ont compris les syndicats des couteliers de Sheffield et les cotonniers de Manchester et un certain nombre de syndicats français qui ont créé des marques collectives pour leurs adhérents, mais qui ne les délivrent que si ces adhérents se conforment à un règlement très strict ; s’il s’agit de vins, les adhérents autorisés à employer la marque syndicale devront s’engager à n’apposer cette marque que sur des vins purs et provenant de la région dont ils portent le nom ou manipulés suivant les usages constants et loyaux de la région ; s’il s’agit d’articles fabriqués et surtout d’articles de luxe, des modes et de la couture, par exemple, pour lesquelles il n’existe pas encore à notre connaissance de marques collectives, bien que cela serait très désirable et qu’on commence à y songer, il devrait être bien entendu que le mot « Modes de Paris » ou « Robes et manteaux de Paris », Chapeaux, lingerie de Paris, ou si vous aimez mieux « Modes et nouveautés françaises », ne devrait être employé comme indication d’origine française, sous le contrôle d’un puissant Syndicat de la couture et de la mode, que par les adhérents s’engageant à ne mettre en vente et à exporter avec la garantie de la marque syndicale que des articles répondant aux usages loyaux et constants de la grande industrie de la mode et de la couture, grâce auxquelles nos grands couturiers et nos grandes modistes se sont fait une réputation dans le monde entier, aussi bien pour le goût que pour l’exécution parfaite de leurs créations qui sont des œuvres d’art. 

À ceux qui, sous prétexte que l’obligation d’origine à l’importation, accuseraient des tendances protectionnistes et qui s’en déclareraient pour ce motif les adversaires, nous répondrons : Quels sont donc les produits dont l’étranger a intérêt à dissimuler l’origine, qu’il a intérêt à revêtir d’étiquettes trompeuses ? Ce sont, ou bien des produits secondaires qui ne peuvent rien ajouter à la réputation du pays d’origine, puisque leur fabrication n’est pas une réclame pour l’industrie du pays producteur, ou bien ce sont des produits de luxe que ce pays étranger n’arrive pas à produire avec le fini et le goût que savent y mettre les industriels français, et l’étranger espère qu’en décorant ces produits d’étiquettes françaises, ou en les faisant passer pour anglais ou pour américains, s’il s’agit de produits dans lesquels l’Angleterre ou l’Amérique sont arrivés à une perfection particulière, qu’il arrivera ainsi à se gagner la faveur du public en lui faisant passer pour français, anglais ou américain des produits de toute autre origine.

Mais les produits qui sont bons par eux-mêmes ou qui, à qualité égale, sont meilleur marché que ceux d’autre origine, il se trouvera toujours une clientèle pour les acheter quelle que soit leur origine. Ceux-là n’ont pas besoin d’étiquettes : ils se recommandent par eux-mêmes.

Vous ne verrez jamais non plus que le fabricant de ces bons produits, qu’ils soient français, anglais, américains ou allemands, éprouve le besoin de les décorer de mentions en langue étrangère destinées à tromper le public sur l’origine du pays fabricant. Un industriel est toujours fier de présenter au public ses produits sous leur vrai nom et avec des garanties d’origine, lorsqu’il s’agit d’une marchandise de première qualité. L’idée de tromper le public sur l’origine des marchandises ne vient qu’à l’esprit de ceux qui pensent donner le change au public en lui présentant sous un aspect français, anglais ou américain (mais surtout sous un aspect français, car nous avons une réputation merveilleuse dans le monde), des articles de provenance quelconque. 

Lorsqu’un industriel agit autrement, il fait preuve d’une timidité excessive à l’égard du public et d’un manque de confiance dans le grand metteur en œuvre des affaires modernes : la publicité pour remonter des courants d’opinion faussement établis : papiers avec des vignettes et transparents anglais ; comme autrefois les parfumeurs qui auraient cru perdre leur clientèle en ne vendant pas leurs savons sous le nom de windsor. 

Je crois en avoir assez dit, Messieurs, pour vous montrer que si certains protectionnistes ont fait connaître avec fracas leur opinion et se sont prononcés en faveur d’un régime plus strict des indications d’origine obligatoires à l’importation ; si des nationalistes peu qualifiés, puisqu’ils font uniquement de la politique, ont également dit leur mot dans cette affaire, cette intervention de deux groupes turbulents qui perdent d’ailleurs du terrain chaque jour et qui par cela même sans doute crient d’autant plus fort, ne saurait nous distraire un seul instant de ce qui constitue la base même de la question soumise à votre examen, c’est-à-dire :

1° Est-il juste d’exiger que les produits qui entrent dans un pays portent une indication d’origine exacte ?

2° Est-il dans l’intérêt du développement des échanges que plus de loyauté règne dans les transactions commerciales ? 

À ces deux questions, nous avons répondu par l’affirmative et je serais heureux si je me trouvais d’accord dans cette circonstance avec nos maîtres et collègues ici présents. 

J’espère tout au moins que tous nos hôtes de ce soir retireront de ce court exposé la conviction qu’on peut être un passionné défenseur des indications d’origine et un adversaire sans pitié de la concurrence déloyale, sans être animé pour cela d’aucune tendance protectionniste, puisque j’en arrive à conclure qu’un régime plus strict de prohibition des fausses indications d’origine à l’importation serait le meilleur moyen d’arriver à faire régner la loyauté et la clarté dans les transactions internationales, en même temps qu’une extension du contrôle des indications d’origine à l’intérieur par des collectivités régulièrement constituées et un usage méthodique des indications d’origine à l’exportation favoriseraient une meilleure mise en valeur des richesses régionales dans tous les pays. 

M. Taillefer fournit quelques renseignements sur l’état des idées en matière de marques collectives. Les marques collectives sont des marques de commerce ou de fabrique, non des marques syndicales. Les marques collectives doivent appartenir à une personne morale, mais non aux individualités composant cette personne morale. Au Congrès de Washington, la France s’est engagée à protéger les marques collectives. C’est dans la révision de la loi de 1857 que prendra place cette protection. Il semble qu’il y ait à introduire cette idée que la marque appartenant à la personne morale ait son usage réglé par des statuts. Il paraît nécessaire d’exiger un nouveau dépôt chaque fois que les statuts seront modifiés.

Comment pourra disparaître cette marque collective ? Si la personne morale disparaît, la marque devra disparaître. D’autre part, toutes les fois qu’il sera avéré que la personne morale laisse employer la marque en dehors des cas prévus par les statuts, la nullité pourra en être demandée.

Que deviendra la marque ainsi radiée ? En ce moment, quand le dépôt d’une marque n’est pas renouvelé et que la marque paraît abandonnée, un tiers peut la relever. Pour les marques collectives, ne faudra-t-il pas les mettre hors du commerce pour qu’il n’y ait pas fraude ?

Comment protégera-t-on les marques collectives étrangères ? Il est une tendance d’origine allemande qui consiste à proclamer l’indépendance de la marque, c’est-à-dire qu’une marque peut être protégée au dehors sans l’être dans son propre pays. Or, pour les marques collectives, il paraît difficile de ne pas exiger que la marque doive être protégée dans son pays d’origine, parce qu’il serait difficile à l’étranger d’apprécier la régularité de la collectivité qui a la marque.

Une commission internationale se préoccupe d’élucider une sorte de loi-type pour arriver à une unification de la législation dans les divers pays. 

M. Jouanny dit que dans les milieux syndicaux on n’est pas sans appréhension à l’égard de ces marques collectives. Incidemment, l’orateur fait observer qu’il ne faut pas confondre les avis donnés par la conférence des présidents de chambres de commerce avec les avis des chambres de commerce ; les avis de cette conférence ont un caractère préalable et n’ont rien d’officiel. 

Washington nous oblige à légiférer sur les marques collectives ; or, ces marques ne deviendront-elles pas des marques de guerre sociale ? Si elles doivent devenir des marques de sectes, de corporations, d’associations politiques, elles serviront à la guerre sociale ; aussi doit-on se préoccuper d’en limiter l’application. Elles doivent exclusivement porter sur des objets fabriqués ou vendus par des industriels et des commerçants.

Une conférence internationale se tiendra à Liège très prochainement pour étudier la question ; et M. Jouanny, en terminant, demande l’avis de la Société sur cette question afin de pouvoir l’ajouter à ceux qui ont été déjà réunis et qui serviront à éclairer la délibération prochaine de Liège.

M. Schelle juge que MM. Taillefer et Jouanny ont donné des apaisements en ce qui concerne les appréhensions qu’on pouvait légitimement avoir. Puis revenant à la communication de M. Coquet, il déclare qu’il a des craintes toutes les fois que le législateur s’occupe des affaires industrielles et que l’orateur a fait bon marché des tendances protectionnistes. On a toujours à craindre qu’on recherche à renforcer le régime protectionniste et il fournit une preuve de cette manière de faire. Dans des concessions de tramways ou de chemins de fer d’intérêt local, il a été inséré une clause prescrivant que le matériel serait de provenance française. Cette clause a imposé aux départements des dépenses supplémentaires.

M. Schelle se demande si on vérifiera la nationalité des objets de bimbeloterie vendus dans les bazars et le ministère public, dont on a parlé, n’interviendra que s’il se produit des plaintes ; or, qui se plaindra ? Quant à la prétention de forcer une région à produire tels ou tels objets, les mots tulle, liège, etc., protestent contre elle.

M. Hayem expose qu’on ne doit pas obliger un industriel à indiquer l’origine d’un produit ; mais que, du moment où un industriel impose une mention quelle qu’elle soit, cette mention doit être exacte et sincère.

En ce qui concerne l’importation du produit fabriqué, il est légitime que nous soyons autorisés à nous défendre contre les mentions mensongères (art. 15 de la loi de 1892). S’il s’agit de produits exportés, il est nécessaire qu’il y ait des mentions exactes ; mais quand il y a des indications fausses on peut recourir à une loi de novembre 1873, qui permet aux consuls d’opérer des saisies en cas d’usurpation d’une marque poinçonnée par l’État. Ce qui fait que cette loi tutélaire n’est pas appliquée, c’est que le règlement d’administration publique qui est intervenu a mis à trop haut prix le poinçon de l’État.

Il existe un timbre de garantie d’une union de fabricants et quand cette union est intervenue pour défendre une marque, elle a presque toujours obtenu gain de cause.

L’orateur rappelle qu’en obligeant à mettre sur les produits made in…, l’Angleterre a fait par là une réclame formidable aux produits allemands et doit le regretter. Pour lui il est tout à fait hostile à toutes les campagnes contre les produits étrangers, le vrai patriotisme doit consister à étudier ces produits et à essayer de les imiter, et il termine en disant que les indications d’origine doivent être sincères et ne sont point une manifestation protectionniste.

M. Paul Leroy-Beaulieu remercie les orateurs. Il ne semble pas, constate-t-il, qu’on puisse exiger pour tous les objets des certificats d’origine. Cela pourrait tourner contre les intérêts mêmes du pays qui exigerait ces formalités, car il pourrait en résulter une utile réclame pour certains articles. Il est clair, toutefois, qu’il y a des cas où l’intérêt de l’indication de l’origine est grand pour le producteur et le consommateur.

Le législateur a essayé des délimitations pour les vins, mais cette expérience a été fâcheuse et il a dû renoncer aux délimitations qui avaient été projetées pour d’autres produits. 

Comme le disait M. Hayem, observe le président, on peut exiger que les certificats d’origine, quand ils se produisent, soient toujours exacts.

M. Schelle a exposé ses scrupules à l’égard des réglementations qu’on réclame, et il a raison ; mais il y a des fraudes qui se présentent et qu’il convient cependant de réfréner.

Répondant à MM. Taillefer et Jouanny, qui avaient réclamé l’avis de la Société, M. Leroy-Beaulieu dit que les statuts ne permettent pas que les discussions se terminent par des ordres du jour et des votes. Le rôle du président doit consister à remercier les orateurs et il ne peut, en l’espèce, que se borner à constater qu’il y a lieu à des appréhensions en la matière délicate qui a été discutée, car des abus peuvent résulter de l’extension de la réglementation.

La séance est levée à dix heures et demie.

 

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