La question des logements insalubres

Dans cet article retrouvé dans la presse parisienne, Gustave de Molinari commente un récent projet de loi sur les logements insalubres. Il regrette que le législateur n’ait pas vu que l’on ne se loge pas dans un lieu insalubre par goût, mais par l’état du marché : que c’est par conséquent de concurrence et de liberté, plus que de restrictions, que la construction a besoin. Enfin, il appelle à une baisse de la fiscalité qui, sur les produits courants, aurait pour effet de libérer une part du budget des plus pauvres.


Sur les logements insalubres

par Gustave de Molinari

[La Patrie, 14 avril 1850. — Non signé. Attribution probable.]

C’est aujourd’hui qu’a lieu la troisième délibération sur la proposition de M. Melun, relative aux logements insalubres. Rappelons en quelques mots les dispositions principales du projet proposé.

Lorsque le conseil d’une commune aura reconnu la nécessité de remédier à l’insalubrité de certains logements, une commission de salubrité pourra être créée sur sa demande. Cette commission visitera les lieux signalés comme insalubres ; il faudra toutefois qu’elle y soit invitée par des plaintes individuelles ou par la rumeur publique. Cette commission présentera un rapport sur les causes de l’insalubrité et sur les moyens d’y remédier, et elle désignera les habitations qui ne lui paraîtront pas susceptibles d’assainissement.

Sur ce rapport, et après les délais et les formalités nécessaires, le conseil municipal décidera : 1° dans quels quartiers ou dans quels lieux les travaux d’assainissement doivent être exécutés ; 2° à quelle époque les travaux devront être achevés ; 3° si telle habitation n’est pas susceptible d’être assainie. Cette dernière disposition est grave : elle peut conduire à l’interdiction à titre de logement. Elle serait principalement applicable aux caves dans lesquelles s’entassent les populations ouvrières de quelques villes manufacturières.

Un recours contre ces décisions serait ouvert auprès du conseil de préfecture.

On voit qu’il s’agit d’apporter une restriction de plus à la libre disposition de la propriété. Nous espérons que cette restriction aura quelque efficacité. Nous croyons cependant que la question est beaucoup plus complexe que l’auteur du projet et la commission n’ont paru le supposer. Ce n’est point par goût qu’on se loge dans un endroit insalubre, c’est par nécessité. C’est parce qu’on ne trouve rien de mieux ailleurs, pour le même prix. Si l’industrie du bâtiment était plus active, si l’on renouvelait plus souvent les vieilles maisons et si l’on en bâtissait un plus grand nombre de neuves, il est certain que le peuple des locataires trouverait à se loger mieux.

Or, est-ce bien le moyen d’encourager à bâtir que d’imposer de nouvelles restrictions à ceux qui bâtissent ou qui ont bâti ? Ne serait-il pas plus sage de diminuer leurs charges ou leurs obligations, au lieu de les augmenter ? D’un autre côté, l’insalubrité des logements dépend beaucoup des locataires eux-mêmes. Avec une population malpropre il serait difficile d’avoir des logements sains. Agissez donc sur les mœurs, et vous contribuerez beaucoup à l’assainissement des logements insalubres.

Faites en sorte aussi que les pauvres gens aient moins à dépenser pour les objets de première nécessité ; diminuez les droits qui pèsent sur le pain, sur la viande, sur le chauffage, et vous les mettrez en état de dépenser davantage pour leur logement. Une habitation plus saine et plus confortable leur donnera le goût du chez soi, et fortifiera en eux le penchant à l’économie ou le fera naître s’il n’existe pas. Mais nous doutons que le moyen purement artificiel que l’on propose soit de nature à contribuer beaucoup à ce résultat.

Quoi qu’il en soit, nous croyons que le projet de l’honorable M. de Melun pourra être utile dans une certain mesure ; mais nous sommes d’avis aussi qu’il ne faut pas s’arrêter là, si l’on veut améliorer efficacement les habitations des ouvriers.

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