Ludwig von Mises, Le Gouvernement Omnipotent (1944)

Publié à l’origine sur le site d’Hervé de Quengo, l’Institut Coppet propose ce livre en un seul fichier téléchargeable en pdf : Mises -Le Gouvernement omnipotent. De l’État totalitaire à la guerre mondiale.

Éditions politiques, économiques et sociales — Librairie de Médicis — Paris (1947)

par Ludwig von Mises

traduit par M. de Hulster

Préface

En traitant les problèmes de politique sociale et économique, les sciences sociales ne considèrent qu’une question : savoir si les mesures proposées sont de nature à provoquer les effets cherchés par leurs auteurs ou si elles aboutissent à un état de choses qui — du point de vue de leurs défenseurs — est beaucoup plus indésirable que l’état précédent qu’elles se proposaient de modifier. L’économiste ne substitue pas son propre jugement à celui de ses concitoyens au sujet du caractère désirable des fins ultimes. Il se demande simplement si les fins recherchées par les nations, les gouvernements, les partis politiques et l’action des groupes peuvent en fait être atteintes par les méthodes effectivement choisies pour les réaliser.

A coup sûr, c’est une tâche ingrate. La plupart des gens ne tolèrent aucune critique de leurs principes sociaux et économiques. Ils ne comprennent pas que les objections soulevées portent seulement sur des méthodes impropres et ne s’attaquent pas aux fins dernières visées par leurs efforts. Ils ne sont pas disposés à admettre qu’ils pourraient atteindre plus facilement leurs fins en suivant l’avis des économistes qu’en les négligeant. Ils traitent d’ennemi de leur nation, de leur race ou de leur groupe quiconque ose critiquer les politiques qui ont leur préférence.

Ce dogmatisme obstiné et néfaste est l’une des causes qui sont à l’origine de la situation mondiale actuelle. Un économiste qui affirme que des taux de salaire minimum ne constituent pas un moyen approprié pour élever le niveau de vie des salariés ne cherche ni à harceler la main-d’œuvre ni à nuire aux ouvriers. Au contraire, en proposant des méthodes mieux étudiées pour augmenter le bien-être des salariés, il contribue autant qu’il le peut au véritable avènement de leur prospérité.

Souligner les avantages que chacun tire de l’action du capitalisme n’équivaut pas à défendre les intérêts des capitalistes. Un économiste qui depuis quarante ou cinquante ans défend le maintien du système de la propriété privée et de l’entreprise libre ne combat pas pour les intérêts égoïstes de classe de ceux qui étaient alors riches. Il veut que la liberté soit laissée aux inconnus parmi ses contemporains sans le sou qui ont eu l’ingéniosité de créer toutes ces industries nouvelles qui rendent la vie de l’homme moyen beaucoup plus agréable aujourd’hui. Beaucoup de pionniers de ces transformations industrielles sont devenus riches, il est vrai. Mais ils ont acquis leurs richesses en fournissant au public des automobiles, des avions, des postes de radio, des frigidaires, le cinéma parlant et toute une série d’innovations moins spectaculaires, mais aussi utiles. Ces nouveaux produits n’étaient certainement pas une réalisation des bureaux, ni des bureaucrates. Pas un seul perfectionnement technique ne peut être porté au crédit des Soviets. Le mieux que les Russes aient pu faire a été de copier quelques-uns des perfectionnements réalisés par les capitalistes qu’ils continuent à dénigrer. L’humanité n’a pas encore atteint le niveau de la perfection technique. Il y a encore place pour des progrès ultérieurs et une amélioration des niveaux de vie. En dépit de toutes les assertions contraires, l’esprit créateur et inventif subsiste ; mais il ne fleurit que là où la liberté économique existe.

Un économiste, qui démontre qu’une nation (appelons-la Thulé) va à l’encontre de ses intérêts essentiels dans la conduite de sa politique de commerce extérieur et dans son attitude à l’égard des groupes de sa minorité intérieure, n’est pas un ennemi de Thulé ni de son peuple.

Il est vain de couvrir d’injures les critiques des politiques inappropriées et de jeter la suspicion sur leurs motifs. On peut étouffer ainsi la voix de la vérité, mais on ne peut rendre appropriées des politiques qui ne le sont pas.

Les défenseurs du contrôle totalitaire appellent négativement l’attitude de leurs adversaires. Ils prétendent que, tandis qu’ils demandent l’amélioration des conditions non satisfaisantes, leurs adversaires ont l’intention de laisser durer le mal. C’est juger toutes les questions sociales du point de vue du bureaucrate à l’esprit étroit. Seuls des bureaucrates peuvent préciser que la création de nouveaux services, la promulgation de nouveaux décrets, l’augmentation du nombre des fonctionnaires peuvent seules être considérées comme des mesures positives et profitables, tandis que tout le reste n’est que passivité et quiétisme.

Le programme de la liberté économique n’est pas négatif. Son but absolu est l’établissement et le maintien du système d’économie de marché basé sur la propriété privée des moyens de production et l’entreprise libre. Son but est la libre concurrence et la souveraineté du consommateur. Conséquence logique de ces prémisses, les véritables libéraux sont opposés à tous les efforts faits pour substituer un contrôle étatique à l’action d’une libre économie de marché. Laissez faire, laissez passer ne signifie pas : laissez durer les maux. Au contraire, ces mots signifient : ne pas intervenir dans le jeu du marché parce qu’une telle intervention restreindra nécessairement la production et appauvrira la population. Ils signifient de plus : ne pas abolir ni paralyser le système capitaliste, qui, en dépit de tous les obstacles placés par ces gouvernements et les politiciens, a élevé le niveau de vie des masses, d’une façon sans précédent.

La liberté n’est pas, comme les précurseurs allemands du nazisme l’ont affirmé, un idéal négatif. La présentation d’un concept sous une forme affirmative ou interrogative n’est qu’une question de pure forme. La liberté du besoin équivaut à l’expression lutter pour un état de choses où la population soit mieux approvisionnée en ce qui lui est nécessaire. La liberté de parole équivaut à un état de choses sans lequel chacun peut dire ce qu’il veut.

A la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d’un esprit plus élevé que leurs sujets, qu’ils savent donc mieux ce qui est profitable à leurs sujets que leurs sujets eux-mêmes. Werner Sombart, jadis champion fanatique du marxisme puis champion non moins fanatique du nazisme, eut l’audace d’affirmer que le Führer recevait ses ordres de Dieu et que l’institution du Führer était une révélation permanente 1. Quiconque l’admet doit naturellement arrêter de poser des questions sur l’opportunité de la toute puissance étatique.

Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette justification théorique de la dictature réclament pour eux-mêmes le droit de discuter librement les problèmes en cause. Ils n’écrivent pas état avec un É majuscule. Ils ne reculent pas devant l’analyse des notions métaphysiques de l’hégélianisme et du marxisme. Ils réduisent toute cette phraséologie sonore à une simple question : Ces moyens proposés sont-ils convenables pour atteindre les fins poursuivies ? En répondant à cette question, ils espèrent rendre service à la grande majorité de leurs compatriotes.

Ludwig von Mises.

New York, janvier 1944.

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