Pièce détachée sur l’intérêt de l’argent, par Vincent de Gournay

Pièce détachée sur l’intérêt de l’argent, sans date

(Mémoires et lettres de Vincent de Gournay)

Avec la différence de l’intérêt qui fait trouver aux Anglais de l’empressement et des facilités pour entreprendre la pêche du hareng et pour aller peuple la Nouvelle-Écosse et qui nous empêche de mettre en valeur une colonie aussi précieuse que la Louisiane, l’espérance de trouver plus de 3% de leur argent dans les nouveaux établissements les fait s’y porter avec ardeur, tandis que la crainte de ne pas trouver 5% du nôtre fait que nous aimons mieux le laisser à constitution. Partout la différence d’intérêt met leur bras en action tandis qu’elle lie les nôtres.

Il en doit donc résulter chez nous une oisiveté forcée qui est la cause de mendicité ; c’est une maxime généralement reçue qu’un pays est plus ou moins peuplé à proportion du plus ou moins d’emploi et d’occupation qu’y a le peuple, et qu’à proportion du plus ou moins d’emploi, le peuple subsiste plus aisément ou plus difficilement et est plus ou moins riche.

Ainsi tout ce qui donne de l’emploi au peuple dans un pays enrichit ce pays-là et tout ce qui lui en ôte l’appauvrit.

Si nos voisins donnent à leur peuple plus d’emploi et plus d’occupation que nous en donnons au nôtre, ils attireront notre peuple chez eux où se feront les avantages qu’ils retireront du travail de leur peuple. Ils feront que le nôtre mourra de faim ou sera obligé de mendier.

Notre pays est meilleur que la Hollande, aussi bon que l’Angleterre et ses productions plus variées ; pourquoi cependant y’a-t-il plus de mendiants en France qu’en Hollande et en Angleterre ?

Je crois qu’entre plusieurs causes qui concourent à cela une des principales est la différence de l’intérêt de l’argent, qui étant dans ces deux pays communément à 2% et à 3% et quelquefois au-dessous fait que partout où nous nous trouvons en concurrence avec elles, nous gagnons toujours moins et nous perdons toujours plus, et nous empêche d’entreprendre plusieurs branches de commerce et nous force à en abandonner d’autres qui donneraient beaucoup d’occupations à notre peuple ; la différence du prix de l’intérêt de l’argent fait naître l’industrie chez eux et l’étouffe chez nous. En effet ils entreprennent avec ardeur tout ce qui peut donner plus de 3% de bon compte et nous sommes obligés d’abandonner tout ce qui ne rapporte pas 5 à 6% ; quels avantages n’ont-ils donc pas vis-à-vis de nous pour étendre leur commerce, les nouveaux établissements, la culture, etc. ?

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