Sur le droit de réunion (29 janvier 1869)

Dans un article du 29 janvier 1869, Henri Baudrillart s’explique sur le sens de ses critiques à l’égard des turbulentes réunions socialistes qui agitent à ce moment la France. Ce n’est pas, dit-il, un rejet de la liberté de réunion, dont il est chaudement le défenseur. C’est un simple rappel à l’ordre, la loi étant ce qu’elle est, et l’agitation violente étant un délit ; c’est encore un conseil, car les abus de la liberté pourront à terme produire une réaction contraire, qui interdirait toutes les réunions politiques.

 


Sur le droit de réunion (29 janvier 1869).

 

Quelques journaux, prenant texte des observations que nous avons présentées sur les réunions socialistes de la Redoute, du Vieux-Chêne, et autres réunions analogues, nous prêtent l’intention de préparer les voies à une campagne contre le droit de réunion.

Nous protestons de nouveau contre l’intention qu’on nous attribue.

Loin de contester le droit de réunion sous les diverses formes que consacre la loi de mai 1868, nous ne mettons pas en question l’existence de ces réunions socialistes dont nous nous sommes occupés. Nous désirons même que le gouvernement leur laisse la plus grande liberté dans les discussions théoriques.

Qu’elles raisonnent donc à perte de vue sur la propriété collective, sur l’hérédité, sur la légitimité de l’intérêt ; leurs sophismes ne nous effrayent pas ; mais qu’elles ne fassent point appel à la haine et à la violence : autrement il y a danger social, il y a violation de la loi.

On pouvait établir la liberté illimitée ; on ne l’a pas fait.

Ceux qui se plaignent que la liberté illimitée du droit de réunion n’existe pas, ont tenu à tour de rôle la France entre leurs mains ; ni les uns ni les autres, ni les légitimistes, ni les orléanistes, ni même les républicains de 1848, n’ont consenti à donner la liberté absolue.

Ajoutons que l’immense majorité de l’opinion a marché d’accord avec le gouvernement et les Chambres.

L’opinion considère la liberté illimitée et l’impunité absolue des délits de presse et de parole comme une expérience dangereuse, radicalement incompatible avec la sécurité sociale. Voulez-vous donc revenir sur la chose jugée ? Voulez-vous élever la perpétration des délits les plus incontestables à la hauteur d’un principe ? Voulez-vous déclarer que, chaque soir, dans tous les centres populaires, on se réunira pour faire appel à la haine des classes les unes contre les autres, pour pousser à l’insurrection ?

Dans tout ceci, le droit de réunion n’est pas en jeu. Nous acceptons les divagations socialistes dans le domaine de la spéculation ; mais ce qui n’est pas admissible, c’est qu’on traite de voleurs les capitalistes et les possesseurs du sol, c’est qu’on dise quotidiennement à des ignorants et à des esprits déjà aigris et irrités qu’il faut démolir la bourgeoisie. La loi existe en prévision de ces invocations à la force et de ces déclamations frénétiques et périodiques au bout desquelles il y a des coups de fusil.

Ne sont-ce pas ces menaces qui se font entendre depuis quelque temps, tous les soirs, dans ces réunions où retentit l’éloge des journées de juin, où la défaite de l’anarchie en 1848 nous est imputée à crime, où la politique enfin et la politique la plus agressive se substitue aux discussions économiques, seul objet permis de ces réunions ?

Aussi nous sommes-nous adressés à ces réunions elles-mêmes. Nous les avons conjurées de semodérer, dans leur propre intérêt, comme dans l’intérêt du droit de réunion, qu’une réaction, dont nous ne sommes pas responsables et que nous regretterions, pourrait emporter d’un jour à l’autre.

On nous demande davantage. On veut que nous mettions la lumière sous le boisseau. On nous défend d’avertir nos lecteurs de ce qui se dit d’excentrique et de dangereux dans ces clubs socialistes devenus permanents ; on veut, en un mot (en théorie), la publicité partout, et quand nous la faisons luire sur ces plaies du socialisme révolutionnaire, on nous accuse de trahir la liberté. Ce n’est pas ainsi que nous comprenons la liberté de la presse. Elle n’a pas deux poids et deux mesures.

Les réunions socialistes et les autres réunions sont responsables, comme le gouvernement, comme les Chambres, comme nous-mêmes, journaux de toute nuance, devant l’opinion publique. La conspiration du silence en leur faveur ! Et pourquoi donc ? C’est peut-être une tactique habile de la part de certains journaux. Nous ne faisons pas de tactique, nous, quoi qu’on prétende ; nous disons ce qui est, sans déclamation, sans arrière-pensée, mais avec netteté et franchise.

Que les réunions exercent donc leur droit jusqu’aux limites les plus extrêmes ; qu’elles se montrent même insensées, soit ; mais qu’elles ne soient pas agressives et qu’elles ne poussent pas aux voies de fait par des provocations à la guerre sociale qui, aux yeux de la loi, ont le caractère de délit.

Abrogez la loi ou respectez-la.

Nous comprenons une opposition qui veut changer une loi existante. Nous ne comprenons pas une opposition qui en admet ou qui en absout systématiquement la violation quotidienne.

HENRI BAUDRILLART.

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